20 décembre 2009

Mostow – Cameron – Fincher : It’s a big network, but still a small, small world.

Clones, de Jonathan Mostow

(Avatar, acte I)

Le 16 décembre, la charge nucléaire Avatar a explosé. Sa déflagration balaie les films qui l’ont précédé comme ceux qui vont le suivre : le vaillant Disney programmé pour le 27 janvier, La Princesse et la Grenouille, tremble pour sa vie, tandis que Jonathan Mostow s’incline six pieds sous terre pour marquer sa déférence à celui qui l’a révélé au grand public : avant son Terminator 3, il y eut le Terminator 2 de Cameron. Mais avant les avatars de Cameron, il y a eu les clones de Mostow. Les avez-vous vus ? Nous en avions pensé un certain nombre de choses, le moment est peut-être venu de les partager : ce sera une manière de parler d’Avatar, sans parler d’Avatar. C’est qu’une trilogie s’annonce, comme on les aime : officieuse. Peut-être même une espèce d’esthétique est-elle en train d’éclore : quelque chose qui reposerait sur la métaphorisation d’internet, retour à l’essence des fables qui réalisent (mettent en choses, en images) le virtuel (les idées… les logiciels.).



Depuis Matrix, la toile du net et celle de l’écran de cinéma ont souvent fait bon ménage (à défaut de toujours faire de bons films, on pense à Jumper, de Doug Liman). Magie de l’immédiateté entre une image et une autre, entre un site et un autre. C’est aujourd’hui un site précis qui semble prendre le dessus : à présent, lorsque l’on se connecte à internet, on se connecte d’abord à… – badebeep, badebaap, badeboop (façon James Caan dans Le Parrain) - Facebook. C’est comme ça. The Social Network, sur lequel travaille actuellement David Fincher, devait être le premier à faire entrer le nouveau phénomène au cinéma, mais il n’en sera rien : Jonathan Mostow lui dame le pion avec son histoire de Clones. Cameron aussi, mais nous y reviendrons. Aujourd’hui, on fait comme si Clones avait besoin d’être ramené à la lumière, malgré la déflagration.

Le sujet de Clones est clair : il s’agit de figurer un monde où, comme sur facebook (à 300 millions d’usagers, le site est peut-être devenu suffisamment commun pour qu’on lui ôte sa majuscule), il est possible de se créer un double, de le façonner selon sa volonté et de le faire interagir avec les autres. Le risque encouru dans le film étant de voir son cerveau se liquéfier (sic). On devrait croire que, contrairement à Matrix, Clones situe le lieu de la connexion dans le monde réel, mais ce n’est pas exactement le cas. L’influence du monde virtuel se fait sentir lorsque, lors de ces jolies déconnexions subites des personnages visant à éviter les conversations délicates, Mostow préfère figer l’image de son acteur plutôt que de lui demander de mimer l’immobilité la plus parfaite : ainsi les boucles d’oreilles et les cheveux d’une jolie blonde se figent-elles aussi quand seul son visage mécanique aurait dû cesser de bouger.

Le beau final de Clones, à la Barjavel (toute une foule s’évanouissant simultanément : il y avait cela, furtivement, dans La Nuit des Temps, encore une histoire d’apocalypse) est doucement utopique, nous ne sommes pas près de nous débrancher. L’emploi de James Cromwell, docteur Frankenstein sur I, Robot et sur Clones, resservira assurément, toujours plus sombre : s’il faut en vouloir à quelqu’un, c’est au créateur, évidemment. C’est donc une histoire de virtuel, mais il n’est pas question (pas avant la fin, en tout cas) de libération des geeks et d’initiation au monde réel, chose déjà tentée par Bruce Willis sur Justin Long dans Die Hard 4.0. A la fin de ce dernier film, Bruce sauvait le monde virtuel en tuant les terroristes qui tentaient de mettre à bas le système informatique des Etats-Unis. Le voilà passé de leur côté : dans Clones, il est l’auteur de la destruction du réseau. Cette volte-face retrace une histoire intéressante.

Matrix, jusqu’à Revolutions, racontait encore et toujours l’histoire d’une guerre entre l’homme et la machine, qu’avait amorcée Cameron en 1980 avec Terminator, et ce n’est pas un hasard si l’on retrouve dans Matrix Revolutions une armée de robots humanoïdes semblables à celui que manipule Ripley à la fin d’Aliens, de Cameron toujours : jusque là, humains et machines ne s’harmonisaient pas.

Début du changement avec Mission : Impossible 3 et Casino Royale, sortis à quelques mois d’écart en 2006 : les héros de ces deux films d’action se firent machines, il suffisait de les recharger ; Ethan Hunt à coup de défibrillateur maison après une électrocution, et James Bond aux electro-chocs après l’ingurgitation d’un poison mortel. Les humains comme piles rechargeables, cela a donné Iron Man, et sa pile atomique en guise de coeur, qui hérite à la fois de cette tendance résurrectionnelle et de l’autre, moins subtile, reposant sur l’osmose entre l’humain et le mécanique, lancée par Michael Bay avec Transformers.

Transformers, c’est la reproduction à la perfection du métal en images de synthèse. A terme, comme Iron Man, cela ne raconte plus que l’affrontement des machines contre les machines. G.I. Joe est l’un des dommages collatéraux de cette tendance. Clones marque une évolution : il ne s’agit plus de détruire les machines pour sauver les humains, puisqu'ils ont intégré la mécanique. Après l’exosquelette d’Aliens, de Matrix Revolutions, de Transformers, d’Iron Man, de G.I. Joe et de District 9, l’endosquelette de la jeune étudiante de Transformers 2 et des clones de Mostow. (Bay avait d’ailleurs allégrement emprunté son imagerie à un film précurseur en matière d’endosquelettes métalliques, mais qui s’en tenait toujours à l’affrontement des machines entre elles : Terminator 3, de Mostow.) Endosquelettes, donc. Nous revenons à Avatar. Patience.


Le joli métal de synthèse n’a plus à s’exhiber, il peut devenir interne, se cacher pour tout un film derrière du caoutchouc. C’est l’humain qui reste à détruire, la machine est devenue son extension, il en est le responsable. Le vice vient de l’homme, et non plus de machines dégénérées, comme dans Terminator. C’est d’ailleurs ce qui différencie Matrix de Clones, ce qui fait du premier une parabole d’internet en général et du second, une parabole de facebook en particulier : lorsque Néo se connectait, son apparence virtuelle était son apparence réelle, à quelques cheveux près. La falsification était impossible. Dans Clones, elle est fondamentale. L’intérêt du clone virtuel est de pouvoir modifier l’image de l’individu réel. C’est ainsi que Mostow réemploie ces effets récompensés d’un oscar pour L’étrange histoire de Benjamin Button, qui consistent à vieillir ou à rajeunir un individu non plus par ajout de latex, mais par ordinateur. Virtuellement, tout le monde rajeunit. Il paraît que cela tient à la gravité qui tire les traits du visage d’un demi-millimètre vers le bas : il suffit de rehausser les pommettes de Bruce Willis ou d’affaisser celles de Rosamund Pike pour faire d’eux ceux qu’ils ont été ou seront, avec une exactitude qui n’a plus rien à voir avec celle du maquillage. Le virtuel modifie le réel, c’est d’ailleurs ce qui rend la traduction du titre américain en français inepte : les androïdes auxquels se connectent les humains ne sont précisément pas des clones, mais des surrogates, c’est-à-dire des substituts (nécessairement différents). Le surrogate étant d’ailleurs beaucoup plus proche de l’avatar que du clone. Attendez.

A présent – c’est ce qui a changé depuis Matrix - le surrogate est un concept fondamental. Il désigne la projection de nous-même via le virtuel - et pas seulement via facebook ! Via les téléphones aussi. Téléphoner, c’est se connecter au substitut de nous-même que produit un transistor situé on ne sait où dans la main de notre interlocuteur. Le virtuel nous est devenu consubstantiel, c’est là que je veux en venir : la machine ne nous est plus extérieure, mais intérieure. Elle ne nous sert plus seulement à des actions externes, elle sert à nous reproduire nous-même. Facebook fait de nous une enveloppe autour d’une machine : des images et des mots plaqués sur un logiciel. Et Cameron de revenir sur les écrans avec un film intitulé Avatar, dans lequel l’image de synthèse n’est plus ni intérieure (les robots de Clones, de Artificial Intelligence), ni extérieure (Aliens, District 9), mais constitutive de l’être tout entier – et d’une tribu qui se connecte littéralement à son environnement ! … nous y reviendrons.


Camille


2 commentaires:

noémie a dit…
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noémie a dit…

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