28 mars 2012

C'est pas mal, Date Limite

Due Date, film avec Robert Downey Jr. et Zack Galifianakis, par le réalisateur de Very Bad Trip, Todd Philipps, est bien meilleur que Very Bad Trip 2. Même le chien n'est pas trop énervant, ce qui est assez balèze.

Les gags sont souvent surprenants, souvent drôles. Et puis c'est le genre de road-movie qui fait défiler du paysage, d'Atlanta à Los Angeles. Tout ça va parfaitement avec les notes de piano sur le reflet des studios Warner au début du logo. Date Limite est un spot de pub pour Hollywood. La "due date" du film est celle de la naissance d'un acteur.

Je dis ça parce que Zack Galifianakis joue un type qui rêve de faire carrière à Hollywood. Alors le voyage initiatique, c'est certes pour Robert Downey Jr. qui-est-méchant-et-qui-devient-gentil, mais c'est surtout pour le personnage de Galifianakis, qui apprend le métier grâce à L'Acteur Hollywoodien Par Excellence qu'est Downey Jr. Une machine. Iron Man forever. On sent le type qui joue comme il va à l'usine - qui excelle comme on va à l'usine. C'est très impressionnant, très efficace. La mécanique du buddy movie tourne à plein régime. A la fin, quand Downey Jr. lance à Galifianakis un splendide "Welcome to Hollywood", c'est pas grave : on a juste l'impression de regarder la cérémonie d'ouverture des Oscars.

Camille.

P.S. : La vie est un long film de Todd Philips tranquille. Au début de Date Limite, il y a tout un gag sur Galifianakis qui prononce les mots à ne pas dire dans un avion. Pas plus tard que cette nuit, dans un vol en direction des terres de Very Bad Trip, il s'est passé ceci. Hahah.

25 mars 2012

Devenez espion en trois films

Depuis jeudi, les services de renseignement français ont l'air un peu idiot, et je n'ai aucune envie de rappeler ici pourquoi. La dernière fois que des espions s'étaient payé la honte comme ça, c'était en Septembre 2001. Soit juste après Spy Game - dont la sortie prévue en septembre 2001 a été reportée -, et juste avant La Recrue, dont le seul et unique objectif était de redorer le blason de la CIA (« Nos échecs sont connus, nos succès ne le sont pas », dixit Pacino en manteau noir). L'actualité de ce mois de mars 2012 ressemble enfin à s'y méprendre à un film qui n'était pas un chef-d’œuvre, mais avait le mérite d'être bien renseigné : Secret Défense, de Philippe Haïm. Et ça, ça nous donne un futur coffret de Noël comme on les aime.

Petit rappel des règles du film d'espionnage moderne, avant de commencer : musique électronique, écrans de surveillance qui occupent hystériquement l'image, scène de colère dans une cellule de prison, entraînement, coach impassible et impossible (Redford, Pacino, Lanvin).

Le chef-d’œuvre du trio reste Spy Game. Célèbre pour son duo d’acteurs (Redford/Pitt) plus que pour sa réalisation (le style de Tony Scott était encore un peu fade), Spy Game mérite aussi sa renommée pour sa précision documentaire - signature de Tony Scott, en vérité. Il est facile de savoir si un film d’espionnage voit juste ou fantasme. Moins c’est romanesque, plus c'est ennuyeux, et plus c’est vrai. James Bond ? De la science-fiction. Agents Secrets, de Frédéric Schoendoerffer ? Déjà mieux. Ce qui fait de Secret Défense un excellent film d’espionnage français.

J’ai revu Le Professionnel il y a quelques mois, ça m’a donné un aperçu de l’écart entre une daube d’espionnage qui prend son public pour des chèvres, et un film documenté. Quant à La Recrue, c’est une redite de Spy Game, avec Pacino/Farell en lieu et place de Redford/Pitt. Celui-là pêche par son étrange pédagogie : Pacino explique le métier d’espion avec la gouaille d’un scénariste hollywoodien, pleine de punchlines et d’ultimatums classieux, et le film gagne en divertissement ce qu’il perd en réalisme. Autre problème, plus gênant : il met en scène des individus supposément intelligents mais qui – comme ceux de l'infâme Cars 2 – agissent comme les personnages les plus naïfs qui soient, sans parler de Pacino qui hurle en pleine rue : « Tu es un espion ! » pour son élève qui ne comprend pas quand on lui parle.

Le moment du recrutement est toujours le plus sexy. C’est le moment où le personnage relais traverse le rideau, accompagné par un passeur qui, de sympathique, devient infiniment plus séduisant au moment même où il devient glacial. C’est ce qu’il y a de quasi sexuel dans ce passage obligé : d’une relation superficielle et légère, on passe à quelque chose de plus intime – la véritable identité du passeur – qui ne va pas sans une sorte d’assombrissement des rapports : comme si après une sympathique séance de séduction, deux partenaires pouvaient enfin passer aux choses sérieuses, moins le sourire, plus le plaisir. Lanvin fait cela très bien avec le personnage de Vahina Giocante. Pas un mot lorsqu'il conduit la jeune étudiante prostituée jusqu'au centre de recrutement. Pitt est le roi des ambiguïtés entre personnages masculins. Prenez Fight Club ou Entretien avec un Vampire. Ici, il est tout jeune quand Redford lui annonce qu’il veut l’engager. Et sourit. Pacino, lui, c'est la brute. Il envoie balader Farrell qui lui réclame un repas en tête à tête. C’est assez joli à voir. Farrell n'est pas mauvais en débutante (c’est une façon d’apprécier Alexandre, d'ailleurs).

Or donc,

Ce que je sais de l’espionnage en trois films


* * *

1. RENSEIGNEMENT

Secret Défense : « Pour exploiter du renseignement, vous devez recouper les informations collectées avec des faits tangibles. »

La Recrue : ce qui est intéressant, c’est qu’il faut avoir conscience du Bien, mais être aussi capable de mentir et de voler pour ce Bien, savoir aller et venir entre le légal et l’illégal, le bien perverti et le mal nécessaire, et vivre avec. D'où les deux balles de trop tirées jeudi, j'imagine. Quand un personnage risque de devenir un symbole, on l'élimine. Il fallait couper la tête de Louis XVI. Il fallait descendre Ben Laden. Etc.


2. PATRIOTISME

Le mot « patriotisme » a toujours l'air un peu dégoûtant ailleurs que chez les extrémistes. Mais les bonus de Spy Game expliquent bien que, chez Obama comme en France, un véritable "amour de la patrie" est la condition sine qua non à l’enrôlement dans les services secrets.



3. DEVENIR FONCTIONNAIRE

Secret Défense encore : « Ton contrat avec l’état français. Lis-le bien, si tu signes, tu ne pourras plus rien prévoir pendant les cinq années qui viennent. »

L’individualité est niée. Chose impliquée par le simple fait de devenir fonctionnaire. Ici cependant, l’état se sert de vous de manière beaucoup plus autoritaire que si vous êtes prof ou flic. De manière plus valorisante aussi. Al Pacino et ses punchlines, dans La Recrue : « Vous venez de traverser le miroir. »

Secret Défense : être espion est un métier à la con. On n’est jamais que « fonctionnaire de l’état ». Redford passe le film dans un bureau. Son plus grand fait d’armes ? Passer un coup de téléphone. Les vrais espions savent mieux lire les journaux que tirer au pistolet.

Beaucoup d’entraînement physique dans les trois films, mais le plus important est de conditionner l’esprit : apprendre à obéir, à se sacrifier, voire à sacrifier d’autres personnes. Passage obligé, règle du genre : toujours un agent meurt et le débutant est scandalisé. Leçon numéro 1 : le gouvernement passe avant l’humain. Allez dans les cimetières militaires, Caen, Verdun. Les noms sur les croix blanches sont des noms de fonctionnaires.


4. MÉMORISER

Une mémoire photographique est fondamentale. On ne peut pas se permettre de ne pas connaître par cœur le réel. Dans ses moindres détails. Secret Défense, première leçon de Vahina Giocante : une comédienne tire sur le professeur et s’enfuit. Le professeur se relève et demande aux élèves terrifiés la couleur des yeux, les vêtements, le visage de la tireuse, plus le nombre de coups de feu tirés et leur localisation. Spy Game, première leçon de Brad Pitt : dans un café, il faut mémoriser tout. Snapshot. Prendre des photos avec les yeux. La pièce. Les issues. Les gens. Anything suspect ? La différence entre Secret Défense et Spy Game, et qui fait que le second est quand même une ou deux catégories au-dessus, c’est que Redford donne des conseils plus précis et plus joliment écrits que Lanvin, qui se contente de donner du spectacle : mais c’est du cinéma français, soyez indulgents, quoi.


5. MENTIR

Les services secrets envoient souvent les débutants accomplir les missions les plus importantes, parce qu’ils sont encore inconnus des services étrangers. Il faut toutefois quand-même apprendre à se camoufler. Secret Défense : lequel de ces trois métiers est la meilleure couverture ? Avocat, comptable ou dentiste ? Réponse : pas avocat. Parce qu’on a accès aux secrets. Pas dentiste : parce que c’est une technique que l’on ne peut simuler. Comptable, c’est parfait. Spy Game : Redford demande à Pitt d’obtenir des informations d’une inconnue. Redford lui explique que son stratagème est raté parce qu’il lui a réclamé d’échafauder plusieurs mensonges qu’il s’avérera fastidieux d’assumer. Conseil de Lanvin pour mentir, dans Secret Défense : « S’il te demande ce que tu as fait ? Demande-lui de te faire confiance. La confiance : y a rien de tel pour mentir. »

Apprendre à mentir, c'est apprendre à séduire. Spy Game : Redford demande à Pitt d’apparaître au balcon d’un appartement en moins de cinq minutes. La Recrue : dans un bar, la mission est de ramener une fille en moins de cinq minutes. Secret Défense : Lanvin demande à Giocante d’obtenir l’alliance d’un homme - toujours en moins de cinq minutes, of course.

6. SOLITUDE DES CHAMPS DE BATAILLE

Un espion est un homme seul. Si vous n’êtes pas seul, vous ne serez jamais espion. Des amis, de la famille ? Vous ne le serez jamais.


7. AUTRES QUALITÉS REQUISES

Honnêteté, intégrité, bon sens. Moins de 36 ans. Diplôme minimum : maîtrise. Un diplôme de Lettres n’intéressera personne. Profils recherchés : commerce, finances, relations internationales, sciences. Vos capacités littéraires ne sauveront pas le monde. Pas des bombes, en tout cas. Passé irréprochable. Bonne expression orale et écrite. Pratique d’une langue étrangère. Compétences dans les relations humaines. Capacités à gérer des situations complexes. Et puis... Capacité d’écouter trois conversations en même temps, dans trois langues différentes , tout en sachant choisir ce qui est utile. - bon courage

- et un faux-raccord en cadeau. Toutes les captures d'écran de ce post sans Brad Pitt ou Colin Farrell sont tirées de Secret Défense. Celle-ci aussi, donc. Regardez le reflet, vous y lisez le nom de la station inversé : Saint-Placide. Ligne 4. Regardez au bout du couloir, le panneau indique une correspondance avec la ligne 11. Or la correspondance entre la ligne 4 et la 11 a lieu à Châtelet, pas à Saint-Placide. Conclusion : on était bien à Porte des Lilas, sur le quai de la ligne 3bis qui sert de décor à toutes les stations de toutes les époques de tous les films... Et les décorateurs se sont fait piéger. Bon dieu, Robert Redford aurait été fier de moi.

Camille.

Spy Game, de Tony Scott

La Recrue, de Roger Donaldson

Secret Défense, de Philippe Haïm.

18 mars 2012

Jonah Hex et Megan Fox sont sur un bateau

C'était mon anniversaire vendredi, et Noémie m'a offert ceci

... ainsi que le film qui va autour. Ce film, c'est Jonah Hex, sorti directement en DVD début 2011, plus connu sous le nom de Tombeau de la carrière de Megan Fox. Elle n'y est en effet pas très bonne.

Quelques remarques rapides :

1. Sur le casting, tout droit sorti d'un film des Frères Coen, ou plutôt, d'un film de Michael Bay tout droit sorti d'un film des Frères Coen : John Malkovich, Josh Brolin, Megan Fox, Michael Shannon, et aussi Michael Fassbender (mais on dirait Ewan McGregor).

(le grand moment de Megan Fox)

2. Sur le réalisateur, Jimmy Hayward, ancien réalisateur de Horton, meilleur cartoon en date inspiré d'une histoire signée Dr. Seuss. Et il n'y a pas de coïncidence. Jonah Hex raconte l'histoire d'un mec qui veut balancer une bombe nucléaire sur les Etats-Unis. Or quel est le dernier film sorti avec un argument pareil ? Mission : Impossible 4. Réalisé par ? Brad Bird. Ancien réalisateur de ? Cartoons. Conclusion ? Passer du dessin animé au film live multiplie par 12 les possibilités d'un méchant de dessin animé avec des intentions grotesques.

3. Jonah Hex est un western futuriste. Ça donne donc un futur coffret pour Noël 2015 Jonah Hex/Cow-boys et Envahisseurs/John Carter. L'idée étant toujours de mêler le numérique et le passé, comme je l'évoquais dans mon tout premier post sur ce blog.

4. Jonah Hex est un super-héros DC Comics. Soit une tentative de rattraper Marvel. Seulement, qu'ils le veuillent ou non, chez DC Comics, ils n'ont vraiment que Batman (faisons semblant de ne pas avoir vu Green Lantern). On retrouve donc dans le film de pures copies des personnages de Dark Knight : Double-Face (Jonah Hex himself) et le Joker (personnage de Michael Shannon, coupé au montage, visible dans les bonus en imitateur de Heath Ledger).


5. La jaquette vous vend un film de "78mn ENVIRON" pour ne pas dire qu'il y a 8 minutes de générique et que le film est terminé en 1h10 ; ce qui n'est certes pas plus mal compte tenu du fait qu'on ne tient pas là un chef-d’œuvre. Cela dit, le film aurait très probablement gagné en crédit s'il ne s'était pas contenté de recouvrir ses images avec du hard-rock en permanence.

6. La plus belle idée, c'est que Jonah Hex peut faire parler les morts s'il les touche. Cela donne lieu à deux séquences assez réussies. Enfin, il y a beaucoup de belles idées, qui tiennent surtout au fait que Jimmy Hayward vient du dessin animé et qu'il a tendance à considérer le réel comme une surface vierge sur laquelle on peut faire arriver ce qu'on veut.

7. Et puis John Malkovich flingue un sbire dont la plus grande inquiétude était de finir pendu un jour. "Consider it avoided", qu'il dit après un long silence. 1000$.

Camille.

11 mars 2012

Winnie est un con


Découverte d'une petite merveille de l'animation sortie dans l'indifférence générale au printemps dernier. Je veux parler de Winnie l'Ourson. Et là c'est moi qui ai l'air con.

Sauf que non. Parce que là où vous entendez “ours cul nul et lucratif”, il faut entendre “John Lasseter”; vous voyez bien que ça ne sonne pas pareil. Mais si, voyons : il y a quelques années, Disney fatigué refile son département animation au créateur de Pixar. Qui a lancé trois chantiers, La Princesse et la Grenouille, Raiponce, et Winnie. Raiponce est loin d'être un chef-d’œuvre, mais reste du bon boulot comparé à ce que servait Disney depuis quelques années. La Princesse et la Grenouille est une belle réussite. Le champion, pourtant, c'est Winnie.

Vous ne l'avez pas vu passer parce que les affiches vendaient un film pour enfants neuneus, et qu'au bout de deux semaines, ce long-métrage d'une heure pile seulement ne passait déjà plus que dans deux salles à Paris. C'est bien dommage, mais vous commencez à vous demander ce que vous foutez là, à lire du bien de Winnie, et il est temps que je vous réponde.

Souvent, plus le pitch est mince, plus le film est réussi, parce que les scénaristes ont une plus grande latitude, pouvant le rembourrer avec absolument ce qu'ils veulent. Prenez Pirates des Caraïbes : pas d'histoire, pas de personnages, les scénaristes s'en sont donnés à cœur joie. Idem avec Transformers. Attendez, on ne peut pas dire du bien de Transformers et de Winnie dans le même texte. C'est un suicide critique ou quoi ? Vous savez qu'ils adaptent la bataille navale au cinéma ce mois-ci ? Battleship, c'est ça.

Comment donc rendre intéressante une bande d'animaux tarés, un lapin, un cochon, un ours jaune, tout ça ? Réponse : en les rendant complètement cons. Évidemment on ne pouvait pas faire le marketing là-dessus. Pourtant ça aurait mieux marché. Parole d'étudiant en marketing (?!).

Ce Winnie ne raconte pas grand chose, si ce n'est que Bourriquet a perdu sa queue – qu'on peut donc en profiter pour lui accrocher n'importe quoi au cul, même un accordéon – et qu'un monstre a peut-être kidnappé le maître des animaux – qu'on peut donc en profiter pour inventer n'importe quoi, même préparer des guet-apens dans lesquels tout le monde ira se jeter joyeusement. La scène où Winnie tombé dans un trou souffle « bother » à chaque fois qu'un objet lui tombe sur la gueule vaut son pesant d'or. Celle où Porcinet découpe sa corde en 6 pour que tout le monde puisse remonter du trou, et s'étonne qu'il n'y ait plus assez de longueur. Le délire sur Can you knot ? - No, I cannot ! -Good ! Knot the knots, then ! - But I can NOT ! - ce truc dure quinze plombes, c'est un bonheur.

Comme il n'y a rien à raconter, les personnages deviennent des sortes de cobayes entre les mains des animateurs. Tout un jeu est mis en place entre les personnages et les lettres du livre que lit le narrateur (John Cleese), en voix off. Le cadre s'élargit, l'image n'est plus qu'un dessin entre deux paragraphes, Winnie saute, chope un A, s'en fait un tabouret, ce genre de truc.

Il y a aussi cette séquence dans laquelle il devient complètement fou parce qu'il n' a pas eu sa dose de miel. Alors tout se transforme en pot de miel, et Winnie de plonger la main dans tout ce qui bouge. Je vous laisse imaginer. La séquence rappelle le rêve de Dumbo bourré, un des grands moments de l'histoire de l'animation, sorti en 1941.

Et puis, Eric Goldberg est l'animateur du Lapin et de la séquence du Backson, animée à la craie. Eric Goldberg, c'est le réalisateur de Pocahontas et de la séquence des Flamants Roses dans Fantasia 2000, et l'animateur de génie du Génie d'Aladdin et du satyre dans Hercule. Ça a l'air tout bête, mais ça se voit.

Voilà et, comme le film dure une heure, on ne perd pas de temps avec des rebondissements inutiles, de la morale, des bons sentiments. C'est très con très vite, très fort, et puis ça s'arrête. Un vrai shoot de miel.

Camille.

6 mars 2012

Cheval de Spielberg

Je suis convaincu d'avoir aimé War Horse, en dépit du fait que je n'en sois pas ressorti avec l'envie furieuse d'écrire des pages sur mon amour ravivé de Spielberg après la déconvenue Tintin. Ce n'est pas bon signe mais après tout, peut-être l'homme est-il lassé que les gens se ruent sur ses films en criant SPIELBERGIEN ! et que son dernier film est volontairement, lâchons le mot, déceptif ("volontairement décevant", "trompeur", "masqué). Je suis ressorti de War Horse sans l'avoir trouvé plus SPIELBERGIEN qu'autre chose.

Ceci dit, bon,

Il me semble qu'il y a deux choses à dire sur War Horse

La première

Est un peu longue à expliquer.

* * *

Spielberg fait souvent des films pour se racheter. Parce que, ce n'est pas un scoop, il y a un Spielberg-gentil et un Spielberg-méchant (copyright quelqu'un d'autre pour le nom donné à cette bipartition époustouflante).

Par exemple, l'infâme E.T. est une manière de se faire pardonner du magnifique 1941 ; même si du point de vue du box-office, c'est l'inverse.

Indiana Jones et le Temple Maudit pèse lourd en termes de culpabilité. Misogyne et sadique, pervers, absolument virtuose : vite, vite, deux films adultes, La Couleur Pourpre, Empire du Soleil, pardon les gars, pardon et encore Indiana Jones et la Dernière Croisade. Pardon, crie la filmo de Spielberg pendant la deuxième moitié des années 80 (en attendant, il a épousé l'actrice principale du Temple Maudit et il est toujours avec).


Les Jurassic Park, la honte, la honte. La Liste de Schindler pour faire passer le premier. Amistad pour faire passer le deuxième. Alors pourquoi Spielberg est l'un des meilleurs ? Parce que cette histoire de honte, c'est un carburant du tonnerre.

Bon, il lui arrive de se planter (et encore, c'est relatif) : Always, Amistad, Terminal, Tintin.

Mais il excelle quand il cherche à se faire pardonner : Rencontres du 3e Type, Empire du Soleil, Schindler, Munich... War Horse (je vais m'expliquer, un peu de patience)

Même si la contrition ne le motive pas autant que l'abandon à ses penchants mauvais : Les Dents de la Mer, Indiana Jones et le Temple Maudit, Jurassic Park, La Guerre des Mondes.

Et quand il trouve son équilibre, son assiette (puisqu'il aime les avions), apparaissent les chefs-d’œuvre : Duel, Les Aventuriers de l'Arche Perdue, Soldat Ryan, Minority Report.

Je sais : où sont Hook, Indiana Jones 4, A.I. et Arrête-moi si tu peux ? Ceux-là, la plupart des gens les ont d'ores et déjà classés dans les catégories que vous savez. Pas moi. J'hésite. Les premiers sont des cas à part, et je ne suis pas fou amoureux des seconds autant que de ceux que j'ai appelé chefs-d’œuvre.

De quoi Spielberg cherche-t-il à se faire pardonner avec War Horse ? Eh bien de Tintin, pardi. Pour une raison très claire : la performance capture, le cinéma tout numérique, c'est bien joli, mais c'est si terriblement PROPRE. Pas de costumes... Pas de poussière... Pas de sueur et pas de caméra. D'ailleurs Spielberg a insisté pour "faire entrer une caméra dans le volume", comprenez : filmer avec une vraie caméra ce que James Cameron s'était contenté d'enregistrer sous forme de données numériques pour Avatar.


Vous vous êtes peut-être demandés à quoi servait la première heure de War Horse. Maintenant, vous avez la réponse. Il est uniquement question de RETROUVER LA TERRE. Regardez la magnifique scène du labour. On est tous sous la flotte, on est trempés, la terre est noire, on la sent, on a envie de s'y rouler, on se dit que Spielberg devait être si heureux à l'idée d'avoir payé des machinistes pour labourer un bon vieux champ à l'ancienne des familles, ça devait changer des infographistes en chemise à motif. C'était la phrase-clé de la promo : "Il n'y a que trois plans retouchés numériquement dans Cheval de Guerre ! Tout le reste est réel." [A ce titre, la scène du saut raté par-dessus une tranchée présente clairement un cheval en images de synthèse, pour les deux autres plans je ne sais pas.]


La pluie, la terre, et enfin, de bons mouvements de grue pas trop hybristiques - la scène de l'assaut des Poilus, pas besoin d'un univers numérique pour en tirer un travelling parfait, partant du capitaine qui s'élance au cadrage oblique des Sentiers de la Gloire, qu'avait déjà cité Jeunet dans Un long dimanche de fiançailles, mouvement de recul diagonal strié de types fauchés, splendide.

Les critiques parlent des scènes de bravoure et j'y repense avec un détachement qui me surprend. La charge de cavalerie, la charge de cavalerie ! Oui elle était belle, hein... J'ai pensé à un autre grand maître des chevaux et de la poussière, Ridley Scott, Kingdom of Heaven, la charge devant Kerak. Mon dieu, et je la préfère. Ceci est une chouette compilation de charges de cavalerie, et permet de situer celle de Spielberg - ailleurs qu'au sommet. Celle de ce film australien de 1987, The Lighthorsemen, est d'ailleurs franchement magnifique ; sans parler de celles de Ridley Scott (Gladiator, Kingdom Of Heaven, Robin des Bois), de celle du Retour du Roi ou même d'Alexandre.

Il y a quelque chose de très intéressant dans War Horse, c'est l'absence de sang. La violence est comme esquivée. C'est la métaphore du pigeon voyageur. S'il baisse les yeux, il va vouloir se poser. Donc il survole les tranchées en regardant devant lui. Pas question de refaire Soldat Ryan. C'est la très belle "scène du no man's land", cheval courant dans l'obscurité, harnaché par les barbelés qu'il arrache, traînant comme des boulets les morceaux de bois qu'il emporte.

* * *

Deux grandes choses à savoir sur War Horse,

Et la deuxième,

C'est que War Horse est avant tout un film expérimental, une série de croquis intitulée "COMMENT FILMER UN CHEVAL" - manuel à l'usage des petits malins qui ne filmeront que des bestioles de synthèse. Spielberg a beaucoup ressorti ces derniers temps l'histoire de sa rencontre avec John Ford qui lui avait dit que mettre l'horizon au milieu du plan était un signe de grande bêtise. Bon, les conseils que donnait papa Ford dans les années 70, on peut en revenir, et on en voudra pas à Spielberg de mettre l'horizon en plein milieu du plan à la fin de War Horse. Et de toutes façons, c'est pas l'horizon qu'il veut filmer. C'est le cheval.



Osmose caméra/nature, quoi. C'est Félins, c'est Bovines. Comment sublimer les courbes d'un animal. Le summum du sublime (j'y peux rien, quand je parle de Spielberg ce genre de tournures viennent toutes seules) étant la course-poursuite entre la voiture et le cheval, au début. Parce que Spielberg a déjà fait son traité de l'automobile. Depuis Duel. Depuis le plan-séquence taré de La Guerre des Mondes. Depuis la séquence d'ouverture d'Indiana Jones 4, à laquelle cette scène de War Horse fait beaucoup penser.
Le cheval et la voiture, la nature et la technologie, la boue et le volume, la pellicule et les ordis.
Spielbergien.

* * *
Toutes les captures de ce post sont tirée du premier et du troisième Indiana Jones, les seuls films de Spielberg avec des chevaux, si je ne me trompe pas (avec peut-être Schindler et Amistad ?). Je pensais que c'était une des signatures d'un Indiana Jones, les cavalcades, et le quatrième en manquait cruellement. De la à dire que Spielberg a fait War Horse pour se racheter d'avoir fait Tintin ET Indiana Jones 4 (deux versions d'un seul et même film, qui plus est), il n'y a qu'un pas - qu'on peut franchir au galop.


Beautiful.

(The Horse in Motion, chronophotographies d'E.Muybridge, 1878)


Camille.

P.S. Je n'ai pas mentionné le plan-séquence de la scène où le cheval court le long d'une tranchée, devient numérique, saute, tombe, redevient réel, repart. Mais vous l'aviez fait pour moi, je n'en doute pas.