24 février 2011

Pourquoi Social Network va tout rafler aux Oscars (et pourquoi Fincher s'est barré avant la fin du tournage)


Pardon de vous déranger à une heure si matinale, et avec ce post sans images (j'en rajouterai plus tard, là je ne peux pas) mais je me suis réveillé anormalement tôt aujourd'hui et j'en ai profité pour regardé Comment ont-ils pu faire un film sur facebook, le making-of de 90mn consacré à The Social Network. Me voilà dans un état d'euphorie durable qui doit beaucoup, sans doute, peut-être, à la musique de la scène d'aviron, à Henley, que j'écoute en boucle sur YouTube depuis une heure.

Les Oscars ne servent à rien, sinon à faire des pronostics et à avoir la classe quand ils se réalisent. Statistiquement, au moins un blog sur toute la toile devrait avoir tout bon. Essayons d'être celui-ci.

Ce que je sais de Social Network d'un simple visionnage de son making-of ; Ce que je sais des Oscars d'un simple visionnage de Social Network.

1. La scène de la boîte de nuit s'ouvre sur un travelling sublime qui semble passer sous la barrière de l'espace VIP, à l'étage. Déduction simple : la grue du travelling est passée SOUS cette barrière, c'est donc l'un de ces mouvements de caméra typique de Fincher, façon Panic Room ou Fight Club, dans les lesquels la caméra N'EXISTE PAS et doit pouvoir passer partout, n'importe comment. C'est particulièrement intéressant dans la mesure où cela implique que le monde soit entièrement pré-numérisé, comme dans Avatar, de manière à ce que la caméra puisse s'y déplacer comme elle veut, comme chez elle, et l'idée d'un monde pré-numérisé dans Social Network est doublement intéressante dans la mesure où il s'agit de l'histoire du type qui a voulu re-numériser le réel, "AND PUTTING IT ONLINE."
Il faut donc que la barrière de l'espace VIP soit une image de synthèse.

QUE NENNI
La barrière qui passe à côté du personnage de Justin Timberlake est bien réelle - ils ont juste scié l'extrêmité qu'on ne voit pas à l'image, et la caméra passe. Une scie ! Une scie ! Des merveilles que l'on peut faire avec une scie ! (cela n'est pas un clin d'oeil à 127 heures). La simple possibilité d'avoir créé l'illusion d'un travelling impossible et d'une digitalisation du monde avec une simple scie me paraît représentative du génie qui était à l'œuvre au moment du tournage de Social Network. David Fincher, gavé de ne rien avoir eu d'autre, comme Oscar pour Ben Button, que les meilleurs effets spéciaux, revient clamer son dû, AVEC UNE SCIE. Et si vous me demandez, je vous dirai que Social Network, rien que pour ce travelling, pourrait outre-passer Alice au Pays des Merveilles et Inception à l'Oscar des meilleurs effets spéciaux (et Iron Man 2, come on). (pour ce qui est de départager Alice et Inception, je ne peux pas.)

2. Dans cette scène de boîte de nuit, le mixage du son est une merveille. Social Network est nominé au meilleur mixage. Dans cette scène, comme dans la scène d'ouverture dans le bar (filmée 99 fois, ce qui vous donne une idée de la perfection kubrickienne du résultat), les dialogues ne doivent pas être audibles, ne doivent pas donner l'illusion d'avoir été enregistrés pour être entendus - c'est le Cloverfield du son, si vous voulez. La foule doit couvrir les dialogues, le spectateur doit ressentir l'effort d'attention que doit faire Zuckerberg pour écouter entendre voire comprendre ce que lui disent ses interlocuteurs. Il est là, le film du XXIe siècle ! De la difficulté de s'entendre dans le brouhaha ambiant, de la difficulté de se connaître dans le vacarme d'images, de mots, de status, que constitue Facebook.

Je reviens une seconde sur cette scène d'ouverture : dans les bonus, le monteur explique que sur Zodiac a été mis au point un logiciel qui permet de découper l'écran en deux, quand il s'agit d'un plan large de deux personnes qui discutent. L'avantage, c'est que si l'un des interlocuteurs n'a pas réagi assez vite, mais avec la meilleure réaction possible, toutes 99 prises confondues, alors il est possible de séparer l'écran, d'avancer dans le temps l'image avec la réaction, de manière à ce qu'elle intervienne plus tôt, juste après la réplique de l'interlocuteur. La scène d'ouverture de Social Network fonctionne en partie comme ça, je pense. Regardez, ils sont nominés au meilleur montage, et vous croyez vraiment que Le Discours d'un Roi fait le poids ? Dernière chose : la scène de la boîte de nuit ne permettait pas cette facilité numérique. Pourquoi ? A cause des lumières du dancefloor, constamment changeantes au fond de l'image. Pourtant, la discussion entre Timberlake et Eisenberg est une merveille (mais le meilleur second rôle ira à Christian Bale, Timberlake n'est même pas nominé).

3. Mark Zuckerberg est triste. La signature de Jesse Eisenberg, c'est la tristesse. Sa ligne rouge, son fil rouge je veux dire, est le mot "sad". Il le dit. Intéressant : le seul moment où Eisenberg dit avoir eu un orgasme d'acteur, c'est dans la scène d'ouverture, la plus virtuose pour le comédien, la seule où le personnage est encore avec sa copine. Le restant du temps, la tristesse de l'acteur frustré - Fincher passe son temps à lui demander de ne pas se servir de ses sourcils, par exemple - compose celle du nerd éconduit, et Eisenberg de ne jouer qu'en micro-expressions d'une précision toute fincherienne ("un acteur porno qui contrôle son orgasme", où ai-je lu cette délicieuse comparaison récemment ?). Et, wow ! Eisenberg est nominé au meilleur acteur. Now, let me explain : Javier Bardem pour Biutiful ? Non. Jeff Bridges pour True Grit ? Il l'a eu l'année dernière. Colin Firth ? Devra attendre un an de plus, il fallait lui donner pour Single Man. James Franco ? Il présente la cérémonie. Une chose est sûre : le jeune Franco remettant l'oscar au jeune Eisenberg pour son rôle du plus jeune milliardaire - ça fera date.

4. "Le vrai acte d'anarchie, c'est de porter les habits du roi." David Fincher à Edward Garfield, pendant une répétition. Ou comment Fincher résume Lautréamont, mais c'est une autre histoire. Ou comment Fincher se résume lui-même : dans ses habits à lui - Ben Button, un de ses films les plus intimes -, on lui fait passer l'oscar sous le nez pour le donner à Danny Boyle, Slumdog Millionnaire and so on. Dans les habits du roi - le scénariste Aaron Sorkin, disons - Fincher peut monter sur scène, un oscar en main, et devenir un anarchiste couronné - de la même manière que Scorsese a été reconnu pour Les Infiltrés plutôt que pour Aviator ou Les Affranchis.

A la fin du tournage de Social Network, Fincher fait d'ailleurs quelque chose d'assez étrange, qui doit être motivé par tout un tas de raisons très intimes, pour le coup, et suffisamment fortes pour le pousser à prendre une décision brutalement signifiante : dernier jour de tournage, il reste trois plans à tourner, le deuxième est dans la boîte, il va voir Aaron Sorkin et il lui dit : finis le film, je me casse. Et il se casse. Résultat : lorsque Social Network est dans la boîte, lorsque la liesse éclate, qu'on se serre dans les bras, qu'on se promet de se friender sur facebook - Fincher n'est pas là. Pourquoi ?
- Parce qu'il n'aime pas les câlins, comme Zuckerberg ?
- Parce qu'il ne veut pas s'attacher au film, affectivement, pour éviter la déception de Ben Button aux Oscars ?
- Pour signifier que c'est un film d'Aaron Sorkin (qui a écrit les dialogues) ? (ce qui est faux)
- Parce que, comme le rappellent plus ou moins finement Black Swan et Tron Legacy, on ne peut pas atteindre la perfection, donc qu'une œuvre parfaite est une œuvre inachevée ? ("philosophie de comptoir", dirait Noémie)
- Parce qu'il avait mal au bide ?

Ce départ brutal de Fincher, comme le génie qui a consisté à avoir l'idée de scier la rampe, est l'une de ces miettes qui indiquent que Social Network n'évolue pas dans la même sphère que ses concurrents.

Problème : les concurrents sont de taille à l'oscar du meilleur réalisateur, cette année encore. Bon, éliminons Tom Hooper pour Discours d'un Roi (vous l'aurez compris, si Discours d'un Roi rafle tout, ce post sera le plus ridicule du net) et les Frères Coen, qui ont déjà eu l'Oscar pour No Country For Old Men il n'y a pas longtemps et qui ne sont pas nominés au meilleur montage (condition sine qua non pour obtenir meilleur film). Restent : David O. Russell - qui a percé en même temps que Fincher, en 1998, Les Rois du Désert VS. Fight Club, ils sont tous les deux l'un des six samouraïs d'Hollywood - ce David O. Russell est en lice, avec The Fighter (pas encore vu). Et Aronofsky, avec The Black Swan. Départager Black Swan et Social Network : je ne peux pas non plus. Même si je pense que Social Network est meilleur. Je les aime tous les deux.

5. Social Network est évidemment nominé au meilleur scénario adapté (adapté d'un roman, Les Milliardaires Accidentels, de Ben Mezrich). Alors, Sorkin ou Fincher ? Ils ne récompenseront pas l'un sans l'autre, ce serait absurde, ce serait stupide (ou bien est-ce la raison pour laquelle Fincher s'est barré du tournage avant la fin ????). Or Sorkin l'aura. Donc...

Fincher devant, Sorkin au fond ; je n'aime pas cette image, vous voyez ce qu'elle essaie de dire.


6. Et six, Kevin Spacey, producteur exécutif de Social Network et Oscar du Meilleur Acteur pour American Beauty, note que Social Network est un film à la Mike Nichols. Mais pas le vieux Mike Nichols de Closer ou de Charlie Wilson : celui des années 70, celui du Lauréat et de Catch 22. Je ne vais pas les comparer maintenant, mais il y a effectivement de nombreux points communs intéressants entre Le Lauréat et The Social Network.

Now, le fait est que Le Lauréat est l'un des landmarks du Nouvel Hollywood (= bouquin de Peter Biskind). Et David Fincher, l'un des landmarks du Nouveau Nouvel Hollywood (=bouquin de Sharon Waxman), ce nouveau nouvel Hollywood à l'honneur cette année puisque David Russell est nominé aussi. Or Mike Nichols avait gagné l'Oscar du meilleur réalisateur pour Le Lauréat (il n'avait pas gagné le reste parce que Martin Luther King venait de se faire buter, que In the Heat of the Night était en lice, bref) - alors, cela se jouera entre Russell et Fincher, ou cela ne se jouera pas.


7. The Social Network doit gagner, ou vous ne m'entendrez plus jamais parler des Oscars.


Camille


P.S. : Alors tant que je peux encore en parler : Eddie Murphy n'avait pas eu d'oscar pour Dreamgirls parce que Norbit était à l'affiche, et que l'Académie ne voulait pas se ridiculiser en récompensant l'acteur de Norbit. J'espère qu'il n'arrivera pas la même chose à Natalie Portman, qui doit l'avoir pour Black Swan, mais qui est à l'affiche de Sex Friends ! (il paraît que ce n'est pas nul, mais tout le monde ne le sait pas...)

21 février 2011

Sous l'océan 3 : 20 000 lieues sous les mers



« Vous allez voyager dans le pays des merveilles. L’étonnement, la stupéfaction seront probablement l’état habituel de votre esprit. Vous ne vous blaserez pas facilement sur le spectacle incessamment offert à vos yeux. »

Si Jules Verne avait eu 183 ans cette année, il aurait sans doute attendu les vacances parisiennes pour organiser une fête. L’écrivain étant né le 8 février, celle-ci aurait pu avoir lieu, disons, ce soir. Nous serions venus avec une bouteille de Chablis pas trop chère, aurions territorialisé près du frigo, et puis il serait passé nous voir.

Nous l’aurions félicité pour son succès aux USA : dans l’univers virtuel de Tron Legacy, l’un de ses romans a été reprogrammé pour la survie mentale du prisonnier joué par Jeff Bridges. Nous aurions ensuite cédé à la tentation d’évoquer notre topic sur les films de sous-marins. USS Alabama, U-571, K-19

- Et 20 000 lieues sous les mers ? aurait-il remarqué.

- Le film de Richard Fleischer sorti en 1955 ?

- Oui.

Nous serions rentrés, et nous serions empressés d’écrire le post suivant.

Comme les films en costume, les films sur les handicapés, et les biopics, les films de sous-marins ne sont jamais loin des Oscars. U-571 avait remporté les meilleurs effets sonores. K-19 est réalisé par Katryn Bigelow oscarisée l’année dernière pour Démineurs. En 1955, Disney produit une adaptation de 20 000 lieues sous les mers qui lui vaudra l’Oscar des meilleurs effets spéciaux – chose que l’on peut trouver risible tant le calmar n’impressionne plus personne, mais il n’y avait pas que le calmar. Filmer la maquette du Nautilus était une gageure, donner l’illusion permanente de l’immersion fut un défi que releva brillamment l’équipe dirigée par Richard Fleischer (qui n’avait encore réalisé ni Le Voyage Fantastique, ni Tora ! Tora ! Tora !, ni Soleil Vert, ni Kalidor).


En 1955, 20 000 lieues sous les mers est donc l’un des tous premiers films de sous-marin à grand succès ; et ce n’est pas une surprise si 3 ans plus tard, Robert Wise sortira Run Silent Run Deep (L’Odyssée du sous-marin Nerka en VF), avec Clark Gable et Burt Lancaster (si on le voit, on vous le fera savoir).

En 1869, Verne avait déjà pensé à la plupart des passages obligés que nous avons relevés avec les films de Scott, Mostow et Bigelow. Exception faite, peut-être, de la fameuse Scène de l’Immersion. Parfois dramatisée à l’extrême en tant que telle (USS Alabama), parfois filmée en tant que telle, mais du point de vue des soldats (U-571). Une chose est sûre, la plongée est un événement cinégénique : dans le roman, Verne n’en fait pas mention. « Tout semblait mort à l’intérieur de ce bateau. Marchait-il, se maintenait-il à la surface de l’Océan, s’enfonçait-il dans les profondeurs ? Je ne pouvais le deviner. », se demande le professeur Aronnax. En réalité, il est déjà sous l’eau ; on en a la confirmation quelques dizaines de pages plus loin, quand Nemo annonce qu’ils vont remonter à la surface.

Impossible pour Fleischer de la filmer aussi en tant que telle, il ne s'agit là que d'un élément dramatique comme un autre. La Scène de l’Immersion n’est que la scène de l’immersion, ce dont se sert Nemo pour tester le courage de ses invités. Le capitaine est trop célèbre, il est devenu synonyme d’Océan (regardez Nemo’s World, paraphrase pour l’océan). Entrer dans le monde sous-marin, c’est entrer dans le monde de Nemo ; l’immersion est le moment où le pacte est scellé, où les invités sont acceptés à l’intérieur du Nautilus.

Il y a La Scène Où On Plonge Trop Profond.

Il y a Le Conflit Entre Le Commandant Et Le Second – disons, l’animosité entre les têtes d’affiches : Hackman/Washington ; Harrelson/Paxton ; Ford/Neeson, et ici, Douglas/Mason, soient Ned Land et Nemo, qui se détestent. Tout est bon pour accentuer le sentiment de claustrophobie : la fameuse scène de la brèche, comme l’enfermement forcé avec des gens que l’on ne supporte pas.

Il y a même, lorsqu’on a faim, une histoire de nucléaire. Après tout, 20 000 lieues se déroule 12 ans seulement après l’histoire de U-571, et 7 ans avant celle de K-19 : c’est la Guerre Froide, le début des embrouillaminis nucléaires que l’on retrouvera jusqu’à USS Alabama… A l’époque de Verne, le summum de la technologie, c’était l’électricité ; en 1955, c’est le nucléaire. Scoop : le Nautilus est un sous-marin nucléaire.


Le film de Fleischer a beau sembler cohérent à travers son respect de codes à venir, certains de ses aspects ont pris de l’âge. Le personnage de Kirk Douglas, d’abord : son Ned Land est un abruti. Un fanfaron incapable d’envisager les choses au-delà de la seconde suivante. Jouer du banjo, faire le con avec une otarie, ça, il sait faire. On ne confierait jamais le rôle de héros ou de personnage relais à un personnage aussi peu fiable de nos jours ; même Vin Diesel dans Fast & Furious inspire plus confiance. Le petit gros, c’est Conseil, incarné par Peter Lorre. Kafka sous les mers.

Même décalage en ce qui concerne quelques incohérences du décor : une fontaine à l’intérieur d’un sous-marin, vraiment ? Un aquarium ??? Quant à la scène où les chasseurs sortent molester des tortues de mer, elle met aujourd’hui particulièrement mal à l’aise.

Mais la faune est partie intégrante de 20 000 lieues sous les mers, ce qui le distingue de tous les autres films de genre, dans lesquels les animaux sont absents. Il n’y a pas que le calmar, il y a aussi une scène d’attaque de requin dans une épave au trésor – scène copiée sur Tintin et le Le Trésor de Rackam le Rouge, sorti 10 ans plus tôt, en 1944 ; il faut donc s’attendre à voir cette scène du film de Fleischer retournée en 3D, par Spielberg, dans son Tintin.

Souvenez-vous, nous vous l’avions dit dans le post précédent : environnement sous-marin et 3D font bon ménage. Vous ne serez donc pas surpris d’apprendre que 20 000 lieues sous les mers connaîtra une version 3D en 2012. Dit comme ça, ça ne vous fait peut-être ni chaud ni froid.

Un détail, alors : ce sera le premier film en 3D de David Fincher.


Camille

14 février 2011

2D or not 2D

... that is the question.


Hier, 13 février, Werner Herzog a présenté son film en 3D au festival de Berlin, Caves of Forgotten Dreams. Il y filme les grottes de Chauvet, en Ardèche. Bonne trouvaille : les hommes préhistoriques utilisaient déjà le relief des parois pour donner du relief à leurs peintures. Herzog célèbre ainsi, comme il le fait souvent, les noces de l'archaïque et du contemporain ; ce que fera également Scorsese, s'attaquant à l'archaïsme du cinéma (l'Histoire du cinéma est la seule qui ait de la valeur à ses yeux), lorsqu'il filmera en 3D l'histoire des premiers films, à la fin du XIXe siècle (L'invention de Hugo Cabret, sortie en décembre 2011).

Ceux qui ont définitivement refusé de rechausser les lunettes après une expérience malheureuse sont sur le point de rater quelques perles. Les chefs-d'œuvre de la 3D approchent à grand pas. En attendant leur venue, mieux vaut ne pas se dégoûter du relief, et pour cela, bien choisir ses films en 3D.

Avant de savoir si la 3D est utile ou pas, il importe de savoir si elle est belle. C'est la partie la plus simple. Si le film est un dessin animé par ordinateur, ce sera regardable (Toy Story 3, Tempête de Boulettes Géantes, Megamind, Moi, Moche et Méchant…), mais pas forcément intéressant. Si c’est un film en prises de vues réelles, il y a de fortes chances pour que la 3D soit hideuse (Le Choc des Titans, Le Dernier Maître de l’Air, Narnia et l’Odyssée du Passeur d’Aurore…) Il faut se renseigner : un film en prise de vues réelles aura toutes les chances d'avoir une jolie 3D si elle a été obtenue avec le matos de James Cameron, la caméra Cameron/Pace ; en général, quand c’est le cas, ils le précisent sur l’affiche, parce qu’il faut bien amortir - Avatar donc, mais aussi Sexy Dance 3D, Resident Evil : Afterlife, Tron L’héritage ou Sanctum. D'autres systèmes sont cependant en train de voir le jour, et permettent à la 3D de s'exporter d'Hollywood - voir cette ravissante petite caméra binoclarde, juste derrière Werner Herzog.


Maintenant que vous savez quand la 3D est réussie ou pas, reste à savoir si elle est utile. Plus difficile : il faudrait connaître déjà les scènes du film. Mais Mauvaises Langues vous propose ici 3 critères qui devraient vous aider à choisir. Pour être certain que la 3D vaut le coup, il faut vérifier dans la bande-annonce qu’il y sera question pendant au moins une scène 1) De voler 2) De nager 3) De souffrir. Sinon, c’est 4) Sans grand intérêt. Explications. (un reportage de Bernard Loumel, Jean-Gaspard Portuleau et Paulette Rancillon.)



Imaginez que la terre est un écran, que le spectateur nous regarde du ciel. Ceux qu’il voit ne s’éloignent, ni ne s’approchent de lui, restent désespérément cloués à l’écran : l’humain se déplace en 2D. Poissons et oiseaux, en revanche, peuvent s’approcher ou s’éloigner du spectateur à leur guise. Ils se déplacent en 3D. Dans l’air, dans l’eau. Ce qui explique, très simplement, que les films en 3D se déroulent le plus souvent dans les airs ou dans l’eau : c’est le meilleur moyen d’amortir la nouvelle dimension de l’action. D’assurer l’effet 3D.

Tron, qui n’est autre que le troisième volet de Fantasia (avec des intermèdes longuets), a par exemple recréé un univers tout en verre : quand ce ne sont pas des avions qui se déplacent, mais des motos, celles-ci peuvent toujours changer de niveau à n’importe quel moment, via d'indiscernables trappes.

On distingue donc trois catégories de 3D justifiées. Pour les films mentionnés, je précise si la 3D est regardable ou non à l’aide de la légende suivante : Anim (amination), Came (Cameron), et Nope (ni l’un ni l’autre).



Catégorie 1 : 3D dans les airs.

A l’origine, il suffisait de faire planer des objets. Les bonbons en apesanteur de la pub Haribo ; l’espèce de peluche orange dans le Captain Eo de Francis Ford Coppola. Aujourd’hui, il est toujours nécessaire d’intégrer une scène d’émerveillement à dos de truc qui vole.

- Là-Haut : C’est le film paradigmatique de la 3D dans les airs. Comme d'habitude, les pionniers venaient de chez Pixar. (Anim)

- Tempête de Boulettes Géantes : Poursuite finale en avion dans le vortex géant. (Anim)

- Avatar : Toute la séquence à dos de Banshee. (Came)

- L’Etrange Noël de Scrooge : Nombreuses séquences de vol avec les fantômes. (Anim)

- Le Choc des Titans : Séquence sur le dos de Pégase. (Nope)

- Dragons : Séquences à dos de dragons. (Anim)

- Shrek 4 : Séquence de la course-poursuite en balai de sorcière. (Anim)

- Le Dernier Maître de l’Air : Séquences sur le dos du gros machin à poils blancs. (Nope)

- Tron, l’héritage : course-poursuite en avion à la fin.

- C’est cette règle qui justifie l’adaptation plutôt incongrue d’un film d’animation par ordinateur où tous les personnages sont des chouettes. Zack Snyder a tout compris, Le Royaume de Ga’Hoole (Anim) n’est que l’aboutissement d’une doléance des commerciaux vis-à-vis de la nouvelle technologie. C’est pour les enfants, mais c’est très joli.


Catégorie 2 : 3D sous l’eau.

Les scènes d’émerveillement sous-marin sont moins nombreuses, mais il y en a aussi.

- Fantômes du Titanic : Premier documentaire sous-marin en 3D. (Came)

- Avatar : Film censé se passer dans un univers supposément sous-marin. (Came)

- Voyage sous les mers en 3D : Second documentaire sous-marin en 3D - une longue série est à prévoir. (Nope)

- Piranha 3D : Jolie scène de la découverte de la caverne sous-marine. (Nope) - notez que les cavernes et autres cavités sont souvent à l'honneur avec la 3D. Avant Avatar, Joe Dante avait employé la Cameron/Pace pour réaliser The Hole - "le trou" - inédit en France. C'est ce principe que l'on retrouve aussi avec les terriers de Coraline et d'Alice, dans le film des cavernes de Herzog, et dans ce film de plongeurs prisonniers dans une grotte sous-marine pour lequel vous voyez des affiches un peu partout en ce moment : Sanctum.

- Sanctum a en plus l'avantage de se passer sous l’eau : vous savez d’ores et déjà que la 3D y sera intéressante, d’autant plus que le matériel employé est celui de James Cameron, comme l’indique cette mention bizarre sur les affiches françaises : par le producteur exécutif de Titanic et Avatar. La tournure est maladroite, et ne sert à rien d’autre qu’à indiquer que la Cameron/Pace a été employée. Le réalisateur de ce petit film d’horreur s’appelle Alister Grierson. Son premier film, Kokoda, sorti en 2006, raconte une bataille entre Australiens et Japonais en 1942, et a fait un carton en Australie.

[INTERMEDE facultatif : la tagline de l'affiche américaine indique "the only way out is down". C'est une citation textuelle d'Inception.]



Catégorie 3 : épaisseur des corps.

La 3e raison d’utiliser la 3D, c’est d’épaissir les corps. Le porno s’y intéresse donc : Marc Dorcel tourne, paraît-il, son prochain film en 3D. Épaissir les corps c'est aussi leur permettre de creuser l'espace, de le sculpter, ce qui n'était jusqu'alors l'apanage que de la danse et du théâtre. C’est ainsi ce principe qui présida à la réussite visuelle de Sexy Dance 3D (Came), et à celle du film de Wim Wenders également diffusé hier à Berlin, Pina, consacré à la chorégraphe éponyme.

Citons encore Avatar, qui fabrique des corps. Et le Tintin de Spielberg (Anim), qui attachera une importance particulière au réalisme des visages de synthèse, et épaissit les corps en 2D de la BD. Gonfler un personnage 2D en personnage 3D, c’est aussi précisément le principe de Raiponce (Anim), qui épaissit (volumise ? volumétrise ? trigonométrise ? 3D-ise ?) ces princesses Disney en robe rose que l’on n’avait jamais vues qu’en 2D.

Entrent également dans cette catégorie des films de torture comme Destination Finale 4 (Nope), Saw 3D (Nope) ou Jackass 3D (Nope) : la douleur sera plus sensible si les corps sont plus épais, plus réalistes (dans certains cas, les Jackass peuvent même passer dans la catégorie 1.)



Catégorie 4 : effets forains, effets foireux.

Tout cela permet d’identifier assez facilement les films où la 3D ne sert à rien. En général, quand les déplacements 3D sont sous-exploités, ils laissent le champ libre aux effets de surgissement qu’il est à présent convenu d’appeler « effets forains », parce que ce sont les effets propres aux cinémas 3D de fêtes foraines (comprenez : de parcs d’attraction. Ce qui n’est pas très gentil pour le Futuroscope, mais tant pis.)

Je pense à :

Alice de Burton, Coraline de Selick : à part de très jolies scènes de terrier, rien. (Nope & Nope)

Toy Story 3 : à part la scène où Woody fait du deltaplane, rien. (Anim)

Le Monde de Narnia 3 : à part le dragon qui ressemble à un veau, rien. (Nope)

Moi, Moche et Méchant : en dépit d’une scène où un mignon s’envole accroché à un ballon, l’ensemble est sans intérêt. (Anim)


Jouons aux prophètes, émettons quelques hypothèses au sujet de films à venir.

Mars : Sucker Punch, de Zack Snyder. Nombreuses scènes de vol entr’aperçues dans la bande-annonce. Tout est numérique. Pourquoi pas.

Mai : Pirates des Caraïbes 4 : A part quelques scènes sous l’eau ?

Thor: la 3D moche sera offerte avec le reste.

Juin : Transformers 3 : Attention, ça va faire mal. Les plans très courts de Bay ne laisseront tout simplement pas le temps à l'œil d'ajuster entre les objets en jaillissement et ceux en profondeur. Vos yeux vont cramer et fondre.

Harry Potter 7.2: La pression commerciale est telle qu'elle ne pourra qu'être réussie. Mais on se demande vraiment comment : les lunettes obscurcissent l'image, ternissent les lumières, et Potter est célèbre pour devenir, dans le fond comme dans la forme, toujours plus sombre. Ce sera peut-être un film noir, remarquez. Littéralement "noir".

Pour être clairs : les films classiques, qui n’ont pas été conçus pour la 3D, n’inspirent pas confiance. Pirates des Caraïbes, Transformers, Harry Potter, sont des sagas de l’ancien temps, entamées en 2D et de toutes façons truffées de références à un imaginaire attaché à la 2D. De plus, les films en 3D doivent permettre à l'œil d'ajuster (ce qui implique des plans plus longs, comme dans Avatar et Tron Legacy) et à la lumière de traverser le filtre (couleurs et lumières vives d'Avatar et Tron Legacy).

L’idée de ressortir Titanic en 3D, par exemple, n’a rien de particulièrement excitante.

Mais il y a Star Wars. Lucas veut tous les ressortir en 3D. Dans le genre « saga entamée en 2D », « imaginaire attaché à la 2D », on fait difficilement mieux. Mais on ne peut s’empêcher d’attendre. D’abord, parce que ces fichus vaisseaux volent : c’est un premier argument, et cela rendra toujours mieux que le gros bateau filant la ligne plate de son sillage sur un Atlantique si étal qu’on y voit même pas les saillances 3D des icebergs.

…Et aussi parce que Star Wars est le Michael Jackson du cinéma... Ses retouches font partie de son identité.


Camille

2 février 2011

Au-delà















L'Art d'un Grand-père




Il se passe des choses incroyables sur les Grands Boulevards. Souvent, le Max Linder y est pour quelque chose : nous y avons découvert The Dark Knight, Tetro, Avatar... Hier il n'y était pour rien : nous y avions vu Au-Delà. En revanche, nous avons constaté à la sortie que nous avions partagé la séance avec Victor Hugo. Coïncidence incroyable : nous avions un dictaphone. Rencontre à chaud.

nous : Monsieur Victor Hugo ?
Lui : Oui ?
nous : Vous étiez à la séance d'Au-Delà ?
Lui : Oui. Je m'intéresse beaucoup à Clint Eastwood. Il est rare d'assister à une agonie aussi longue. Son cinéma est un cinéma de mourant. En général, les cinéastes sont plutôt vivants. Pas lui. Chacune de ses oeuvres est un testament, plus ou moins réussi.
nous : Celui-là est raté, non ?
Lui : Euh, oui.
nous : Nul ?
Lui : Non. Un film nul, un navet, ne gâche rien. Ici, il y a un potentiel évident, ce qui en fait un film raté. Mais je me demande même s'il faut dire "un film". Comme Ken Park, Au-Delà suit la valse lancinante des films choraux qui passent d'un personnage à un autre dans un ordre qui ne change absolument jamais. 1,2,3 ; 1,2,3 ; 1,2,3... Jusqu'à la partouze finale où tout le monde se rencontre. A ceci près qu'il y avait une unité de ton chez Larry Clark, que l'on ne retrouve pas dans Au-Delà. Les scènes avec Cécile de France sont complètement nazes (sauf le tsunami, évidemment) ; celles avec le gamin font penser à Harry Brown (un film qui imite les vieux Clint Eastwood, mais avec Michael Caine) ; et celles avec Matt Damon sont parfaites. Donc il n'y a pas "un" film. Il y a trois courts, un peu comme dans les Paris Je t'Aime et compagnie. Logiquement, la partouze finale est moitié réussie (la moitié où Damon rencontre le gamin), moitié foirée (et bien foirée) quand il rencontre Cécile de France.
nous : Oui, le coup de violons à l'eau de rose qui voudrait passer pour de l'audace, quand Cécile de France se retourne avec sa moumoute tentaculaire et sourit... Ce genre de retour au lyrisme pompier marche (parfois) chez Minghella (à la fin du Patient Anglais, par exemple), ici, c'est catastrophique.
Lui : La vérité, c'est qu'Eastwood n'en avait rien à foutre. Il commence à comprendre qu'il ne mourra pas de si tôt. Il continue de faire des films testamentaires, mais il n'y croit plus vraiment. Toute la partie française a été réalisé par la seconde équipe, je ne vois pas d'autres explications.
nous : Y a-t-il eu un moment où vous avez eu envie de hurler "what the fuck" ?
Lui : Bien-sûr. Quand le journaliste annonce à Cécile de France qu'il a couché avec sa remplaçante. On s'en tape.

nous : Le tsunami, en revanche...
Lui : Ah, oui ! Le tsunami ! C'est pour ça que j'y suis allé au Max Linder ! Pour faire court, disons que les Eastwood à effets spéciaux sont produits par Spielberg. Le dernier en date, c'était Mémoires de nos Pères. Malheureusement, ici, Spielberg ne s'est occupé que de la séquence d'ouverture. La Mort à la Plage, c'est son rayon (c'était déjà le point commun entre Soldat Ryan et Mémoires de nos Pères !).
nous : Et, contrairement à 2012, mais comme dans La Guerre des Mondes, ici, on remarque tout un tas de petits figurants numériques se faire dégommer. Un bonheur de Néron.
Lui : Ouais. Plus sérieusement, Au-Delà permet de comparer le réussi et le raté. De ce point de vue, c'est une leçon de cinéma : il y a, au sein du même film, des scènes de nanar et des scènes de chef-d'oeuvre. Nanar : le jeu de Cécile de France. Chef d'oeuvre : celui de Bryce Dallas Howard. Même fonctionnement avec le thème de l'enfance meurtrie. Dans l'histoire anglaise, nous avons une redite des malaises déjà disséqués dans L'Echange, film lourd (l'enfant, le double, la maman folle...)

nous : D'ailleurs, vous avez reconnu l'actrice qui fait la mère ?
Lui : Non ! Dites-moi.
nous : C'est Cléopâtre. Dans Rome.
Lui : Ah oui. Bref, Eastwood retourne au pathos dans la partie anglaise, avec la pluie, les violons, les larmes... Quelque chose de très convenu, sans force - voir la scène où le petit écarte la foule pour se jeter aux pieds du cadavre de son jumeau... En revanche, dans l'histoire américaine, l'idée d'enfance meurtrie est biaisée, plus intéressante. Parce qu'on la devine à travers le regard de l'adulte, la blessure de l'adulte. Bryce Dallas Howard pleure, le visage caché par ses cheveux anciennement sensuels. Tout est fait en légèreté : et le personnage disparaît tout de suite après qu'on ait révélé son secret.
nous : Bryce Dallas Howard. Oui.
Lui : Ne m'en parlez pas. J'ai eu du mal à garder les yeux ouverts. J'avais l'impression de regarder le soleil. Elle est sublime. Elle surclasse les Megan Fox, les Zooey Deschanels, les Amy Adams. La scène de séduction en cours de cuisine est d'un érotisme insoutenable !
nous : Le jeu tout en lèvres...
Lui : Une déesse. Les hommes d'un certain âge doivent avoir un truc pour sublimer les jeunes femmes. Regardez Stephen Frears avec Gemma Arterton, dans Tamara Drewe.
nous : Au-Delà n'avait pas besoin de Cécile de France, c'est certain.
Lui : Oui. Mais comme je l'ai dit, Eastwood se foutait d'Au-Delà. Il n'y avait pas assez de matériau en lui pour en faire un long-métrage. C'est pourquoi il a besoin, à chaque scène, de repartir à zéro dans un genre différent. Le film catastrophe, puis le film fantastique, puis le film social, la comédie romantique, le film de cuisine (un genre très à la mode, vous devriez en parler sur votre blog)... Une fois qu'il a fait le tour de tous les genres qu'il était possible d'agglomérer, le film se dégonfle. Vous savez, passé un certain âge, les idées sont comme les jours. Plus on en a eu, moins elles ont d'importance.
nous : C'est pourquoi les scènes de grand spectacle sont expédiées avec une certaine nonchalance.
Lui : Je pense, oui. C'est la différence entre l'art des grands-pères et celui des jeunes gens. Cela n'a rien à voir avec le fait d'être gâteux ou non.
nous : Eh bien monsieur Victor Hugo, nous vous remercions !
Lui : Oui, oui... Non mais, vous savez, en vérité, je n'ai pas détesté. J'adore les histoires de médiums. Les idées sur la mort, ce qu'il y a après. L'idée qu'il puisse y avoir, scientifiquement parlant, un Après. C'est galvaudé, je sais... Je vous rappelle que je viens du XIXe siècle !



C'n'N