Hier, 13 février, Werner Herzog a présenté son film en 3D au festival de Berlin, Caves of Forgotten Dreams. Il y filme les grottes de Chauvet, en Ardèche. Bonne trouvaille : les hommes préhistoriques utilisaient déjà le relief des parois pour donner du relief à leurs peintures. Herzog célèbre ainsi, comme il le fait souvent, les noces de l'archaïque et du contemporain ; ce que fera également Scorsese, s'attaquant à l'archaïsme du cinéma (l'Histoire du cinéma est la seule qui ait de la valeur à ses yeux), lorsqu'il filmera en 3D l'histoire des premiers films, à la fin du XIXe siècle (L'invention de Hugo Cabret, sortie en décembre 2011).
Ceux qui ont définitivement refusé de rechausser les lunettes après une expérience malheureuse sont sur le point de rater quelques perles. Les chefs-d'œuvre de la 3D approchent à grand pas. En attendant leur venue, mieux vaut ne pas se dégoûter du relief, et pour cela, bien choisir ses films en 3D.
Avant de savoir si la 3D est utile ou pas, il importe de savoir si elle est belle. C'est la partie la plus simple. Si le film est un dessin animé par ordinateur, ce sera regardable (Toy Story 3, Tempête de Boulettes Géantes, Megamind, Moi, Moche et Méchant…), mais pas forcément intéressant. Si c’est un film en prises de vues réelles, il y a de fortes chances pour que la 3D soit hideuse (Le Choc des Titans, Le Dernier Maître de l’Air, Narnia et l’Odyssée du Passeur d’Aurore…) Il faut se renseigner : un film en prise de vues réelles aura toutes les chances d'avoir une jolie 3D si elle a été obtenue avec le matos de James Cameron, la caméra Cameron/Pace ; en général, quand c’est le cas, ils le précisent sur l’affiche, parce qu’il faut bien amortir - Avatar donc, mais aussi Sexy Dance 3D, Resident Evil : Afterlife, Tron L’héritage ou Sanctum. D'autres systèmes sont cependant en train de voir le jour, et permettent à la 3D de s'exporter d'Hollywood - voir cette ravissante petite caméra binoclarde, juste derrière Werner Herzog.
Maintenant que vous savez quand la 3D est réussie ou pas, reste à savoir si elle est utile. Plus difficile : il faudrait connaître déjà les scènes du film. Mais Mauvaises Langues vous propose ici 3 critères qui devraient vous aider à choisir. Pour être certain que la 3D vaut le coup, il faut vérifier dans la bande-annonce qu’il y sera question pendant au moins une scène 1) De voler 2) De nager 3) De souffrir. Sinon, c’est 4) Sans grand intérêt. Explications. (un reportage de Bernard Loumel, Jean-Gaspard Portuleau et Paulette Rancillon.)
Imaginez que la terre est un écran, que le spectateur nous regarde du ciel. Ceux qu’il voit ne s’éloignent, ni ne s’approchent de lui, restent désespérément cloués à l’écran : l’humain se déplace en 2D. Poissons et oiseaux, en revanche, peuvent s’approcher ou s’éloigner du spectateur à leur guise. Ils se déplacent en 3D. Dans l’air, dans l’eau. Ce qui explique, très simplement, que les films en 3D se déroulent le plus souvent dans les airs ou dans l’eau : c’est le meilleur moyen d’amortir la nouvelle dimension de l’action. D’assurer l’effet 3D.
Tron, qui n’est autre que le troisième volet de Fantasia (avec des intermèdes longuets), a par exemple recréé un univers tout en verre : quand ce ne sont pas des avions qui se déplacent, mais des motos, celles-ci peuvent toujours changer de niveau à n’importe quel moment, via d'indiscernables trappes.
On distingue donc trois catégories de 3D justifiées. Pour les films mentionnés, je précise si la 3D est regardable ou non à l’aide de la légende suivante : Anim (amination), Came (Cameron), et Nope (ni l’un ni l’autre).
Catégorie 1 : 3D dans les airs.
A l’origine, il suffisait de faire planer des objets. Les bonbons en apesanteur de la pub Haribo ; l’espèce de peluche orange dans le Captain Eo de Francis Ford Coppola. Aujourd’hui, il est toujours nécessaire d’intégrer une scène d’émerveillement à dos de truc qui vole.
- Là-Haut : C’est le film paradigmatique de la 3D dans les airs. Comme d'habitude, les pionniers venaient de chez Pixar. (Anim)
- Tempête de Boulettes Géantes : Poursuite finale en avion dans le vortex géant. (Anim)
- Avatar : Toute la séquence à dos de Banshee. (Came)
- L’Etrange Noël de Scrooge : Nombreuses séquences de vol avec les fantômes. (Anim)
- Le Choc des Titans : Séquence sur le dos de Pégase. (Nope)
- Dragons : Séquences à dos de dragons. (Anim)
- Shrek 4 : Séquence de la course-poursuite en balai de sorcière. (Anim)
- Le Dernier Maître de l’Air : Séquences sur le dos du gros machin à poils blancs. (Nope)
- Tron, l’héritage : course-poursuite en avion à la fin.
- C’est cette règle qui justifie l’adaptation plutôt incongrue d’un film d’animation par ordinateur où tous les personnages sont des chouettes. Zack Snyder a tout compris, Le Royaume de Ga’Hoole (Anim) n’est que l’aboutissement d’une doléance des commerciaux vis-à-vis de la nouvelle technologie. C’est pour les enfants, mais c’est très joli.
Catégorie 2 : 3D sous l’eau.
Les scènes d’émerveillement sous-marin sont moins nombreuses, mais il y en a aussi.
- Fantômes du Titanic : Premier documentaire sous-marin en 3D. (Came)- Avatar : Film censé se passer dans un univers supposément sous-marin. (Came)
- Voyage sous les mers en 3D : Second documentaire sous-marin en 3D - une longue série est à prévoir. (Nope)
- Piranha 3D : Jolie scène de la découverte de la caverne sous-marine. (Nope) - notez que les cavernes et autres cavités sont souvent à l'honneur avec la 3D. Avant Avatar, Joe Dante avait employé la Cameron/Pace pour réaliser The Hole - "le trou" - inédit en France. C'est ce principe que l'on retrouve aussi avec les terriers de Coraline et d'Alice, dans le film des cavernes de Herzog, et dans ce film de plongeurs prisonniers dans une grotte sous-marine pour lequel vous voyez des affiches un peu partout en ce moment : Sanctum.
- Sanctum a en plus l'avantage de se passer sous l’eau : vous savez d’ores et déjà que la 3D y sera intéressante, d’autant plus que le matériel employé est celui de James Cameron, comme l’indique cette mention bizarre sur les affiches françaises : par le producteur exécutif de Titanic et Avatar. La tournure est maladroite, et ne sert à rien d’autre qu’à indiquer que la Cameron/Pace a été employée. Le réalisateur de ce petit film d’horreur s’appelle Alister Grierson. Son premier film, Kokoda, sorti en 2006, raconte une bataille entre Australiens et Japonais en 1942, et a fait un carton en Australie.
[INTERMEDE facultatif : la tagline de l'affiche américaine indique "the only way out is down". C'est une citation textuelle d'Inception.]
Catégorie 3 : épaisseur des corps.
La 3e raison d’utiliser la 3D, c’est d’épaissir les corps. Le porno s’y intéresse donc : Marc Dorcel tourne, paraît-il, son prochain film en 3D. Épaissir les corps c'est aussi leur permettre de creuser l'espace, de le sculpter, ce qui n'était jusqu'alors l'apanage que de la danse et du théâtre. C’est ainsi ce principe qui présida à la réussite visuelle de Sexy Dance 3D (Came), et à celle du film de Wim Wenders également diffusé hier à Berlin, Pina, consacré à la chorégraphe éponyme.
Citons encore Avatar, qui fabrique des corps. Et le Tintin de Spielberg (Anim), qui attachera une importance particulière au réalisme des visages de synthèse, et épaissit les corps en 2D de la BD. Gonfler un personnage 2D en personnage 3D, c’est aussi précisément le principe de Raiponce (Anim), qui épaissit (volumise ? volumétrise ? trigonométrise ? 3D-ise ?) ces princesses Disney en robe rose que l’on n’avait jamais vues qu’en 2D.
Entrent également dans cette catégorie des films de torture comme Destination Finale 4 (Nope), Saw 3D (Nope) ou Jackass 3D (Nope) : la douleur sera plus sensible si les corps sont plus épais, plus réalistes (dans certains cas, les Jackass peuvent même passer dans la catégorie 1.)
Catégorie 4 : effets forains, effets foireux.
Tout cela permet d’identifier assez facilement les films où la 3D ne sert à rien. En général, quand les déplacements 3D sont sous-exploités, ils laissent le champ libre aux effets de surgissement qu’il est à présent convenu d’appeler « effets forains », parce que ce sont les effets propres aux cinémas 3D de fêtes foraines (comprenez : de parcs d’attraction. Ce qui n’est pas très gentil pour le Futuroscope, mais tant pis.)
Je pense à :
Alice de Burton, Coraline de Selick : à part de très jolies scènes de terrier, rien. (Nope & Nope)
Toy Story 3 : à part la scène où Woody fait du deltaplane, rien. (Anim)
Le Monde de Narnia 3 : à part le dragon qui ressemble à un veau, rien. (Nope)
Moi, Moche et Méchant : en dépit d’une scène où un mignon s’envole accroché à un ballon, l’ensemble est sans intérêt. (Anim)
Jouons aux prophètes, émettons quelques hypothèses au sujet de films à venir.
Mars : Sucker Punch, de Zack Snyder. Nombreuses scènes de vol entr’aperçues dans la bande-annonce. Tout est numérique. Pourquoi pas.
Mai : Pirates des Caraïbes 4 : A part quelques scènes sous l’eau ?
Thor: la 3D moche sera offerte avec le reste.
Juin : Transformers 3 : Attention, ça va faire mal. Les plans très courts de Bay ne laisseront tout simplement pas le temps à l'œil d'ajuster entre les objets en jaillissement et ceux en profondeur. Vos yeux vont cramer et fondre.
Harry Potter 7.2: La pression commerciale est telle qu'elle ne pourra qu'être réussie. Mais on se demande vraiment comment : les lunettes obscurcissent l'image, ternissent les lumières, et Potter est célèbre pour devenir, dans le fond comme dans la forme, toujours plus sombre. Ce sera peut-être un film noir, remarquez. Littéralement "noir".
Pour être clairs : les films classiques, qui n’ont pas été conçus pour la 3D, n’inspirent pas confiance. Pirates des Caraïbes, Transformers, Harry Potter, sont des sagas de l’ancien temps, entamées en 2D et de toutes façons truffées de références à un imaginaire attaché à la 2D. De plus, les films en 3D doivent permettre à l'œil d'ajuster (ce qui implique des plans plus longs, comme dans Avatar et Tron Legacy) et à la lumière de traverser le filtre (couleurs et lumières vives d'Avatar et Tron Legacy).
L’idée de ressortir Titanic en 3D, par exemple, n’a rien de particulièrement excitante.
Mais il y a Star Wars. Lucas veut tous les ressortir en 3D. Dans le genre « saga entamée en 2D », « imaginaire attaché à la 2D », on fait difficilement mieux. Mais on ne peut s’empêcher d’attendre. D’abord, parce que ces fichus vaisseaux volent : c’est un premier argument, et cela rendra toujours mieux que le gros bateau filant la ligne plate de son sillage sur un Atlantique si étal qu’on y voit même pas les saillances 3D des icebergs.
…Et aussi parce que Star Wars est le Michael Jackson du cinéma... Ses retouches font partie de son identité.
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