Pardon de vous déranger à une heure si matinale, et avec ce post sans images (j'en rajouterai plus tard, là je ne peux pas) mais je me suis réveillé anormalement tôt aujourd'hui et j'en ai profité pour regardé Comment ont-ils pu faire un film sur facebook, le making-of de 90mn consacré à The Social Network. Me voilà dans un état d'euphorie durable qui doit beaucoup, sans doute, peut-être, à la musique de la scène d'aviron, à Henley, que j'écoute en boucle sur YouTube depuis une heure.
Les Oscars ne servent à rien, sinon à faire des pronostics et à avoir la classe quand ils se réalisent. Statistiquement, au moins un blog sur toute la toile devrait avoir tout bon. Essayons d'être celui-ci.
Ce que je sais de Social Network d'un simple visionnage de son making-of ; Ce que je sais des Oscars d'un simple visionnage de Social Network.
1. La scène de la boîte de nuit s'ouvre sur un travelling sublime qui semble passer sous la barrière de l'espace VIP, à l'étage. Déduction simple : la grue du travelling est passée SOUS cette barrière, c'est donc l'un de ces mouvements de caméra typique de Fincher, façon Panic Room ou Fight Club, dans les lesquels la caméra N'EXISTE PAS et doit pouvoir passer partout, n'importe comment. C'est particulièrement intéressant dans la mesure où cela implique que le monde soit entièrement pré-numérisé, comme dans Avatar, de manière à ce que la caméra puisse s'y déplacer comme elle veut, comme chez elle, et l'idée d'un monde pré-numérisé dans Social Network est doublement intéressante dans la mesure où il s'agit de l'histoire du type qui a voulu re-numériser le réel, "AND PUTTING IT ONLINE."
Il faut donc que la barrière de l'espace VIP soit une image de synthèse.
QUE NENNI
La barrière qui passe à côté du personnage de Justin Timberlake est bien réelle - ils ont juste scié l'extrêmité qu'on ne voit pas à l'image, et la caméra passe. Une scie ! Une scie ! Des merveilles que l'on peut faire avec une scie ! (cela n'est pas un clin d'oeil à 127 heures). La simple possibilité d'avoir créé l'illusion d'un travelling impossible et d'une digitalisation du monde avec une simple scie me paraît représentative du génie qui était à l'œuvre au moment du tournage de Social Network. David Fincher, gavé de ne rien avoir eu d'autre, comme Oscar pour Ben Button, que les meilleurs effets spéciaux, revient clamer son dû, AVEC UNE SCIE. Et si vous me demandez, je vous dirai que Social Network, rien que pour ce travelling, pourrait outre-passer Alice au Pays des Merveilles et Inception à l'Oscar des meilleurs effets spéciaux (et Iron Man 2, come on). (pour ce qui est de départager Alice et Inception, je ne peux pas.)
2. Dans cette scène de boîte de nuit, le mixage du son est une merveille. Social Network est nominé au meilleur mixage. Dans cette scène, comme dans la scène d'ouverture dans le bar (filmée 99 fois, ce qui vous donne une idée de la perfection kubrickienne du résultat), les dialogues ne doivent pas être audibles, ne doivent pas donner l'illusion d'avoir été enregistrés pour être entendus - c'est le Cloverfield du son, si vous voulez. La foule doit couvrir les dialogues, le spectateur doit ressentir l'effort d'attention que doit faire Zuckerberg pour écouter entendre voire comprendre ce que lui disent ses interlocuteurs. Il est là, le film du XXIe siècle ! De la difficulté de s'entendre dans le brouhaha ambiant, de la difficulté de se connaître dans le vacarme d'images, de mots, de status, que constitue Facebook.
Je reviens une seconde sur cette scène d'ouverture : dans les bonus, le monteur explique que sur Zodiac a été mis au point un logiciel qui permet de découper l'écran en deux, quand il s'agit d'un plan large de deux personnes qui discutent. L'avantage, c'est que si l'un des interlocuteurs n'a pas réagi assez vite, mais avec la meilleure réaction possible, toutes 99 prises confondues, alors il est possible de séparer l'écran, d'avancer dans le temps l'image avec la réaction, de manière à ce qu'elle intervienne plus tôt, juste après la réplique de l'interlocuteur. La scène d'ouverture de Social Network fonctionne en partie comme ça, je pense. Regardez, ils sont nominés au meilleur montage, et vous croyez vraiment que Le Discours d'un Roi fait le poids ? Dernière chose : la scène de la boîte de nuit ne permettait pas cette facilité numérique. Pourquoi ? A cause des lumières du dancefloor, constamment changeantes au fond de l'image. Pourtant, la discussion entre Timberlake et Eisenberg est une merveille (mais le meilleur second rôle ira à Christian Bale, Timberlake n'est même pas nominé).
3. Mark Zuckerberg est triste. La signature de Jesse Eisenberg, c'est la tristesse. Sa ligne rouge, son fil rouge je veux dire, est le mot "sad". Il le dit. Intéressant : le seul moment où Eisenberg dit avoir eu un orgasme d'acteur, c'est dans la scène d'ouverture, la plus virtuose pour le comédien, la seule où le personnage est encore avec sa copine. Le restant du temps, la tristesse de l'acteur frustré - Fincher passe son temps à lui demander de ne pas se servir de ses sourcils, par exemple - compose celle du nerd éconduit, et Eisenberg de ne jouer qu'en micro-expressions d'une précision toute fincherienne ("un acteur porno qui contrôle son orgasme", où ai-je lu cette délicieuse comparaison récemment ?). Et, wow ! Eisenberg est nominé au meilleur acteur. Now, let me explain : Javier Bardem pour Biutiful ? Non. Jeff Bridges pour True Grit ? Il l'a eu l'année dernière. Colin Firth ? Devra attendre un an de plus, il fallait lui donner pour Single Man. James Franco ? Il présente la cérémonie. Une chose est sûre : le jeune Franco remettant l'oscar au jeune Eisenberg pour son rôle du plus jeune milliardaire - ça fera date.
4. "Le vrai acte d'anarchie, c'est de porter les habits du roi." David Fincher à Edward Garfield, pendant une répétition. Ou comment Fincher résume Lautréamont, mais c'est une autre histoire. Ou comment Fincher se résume lui-même : dans ses habits à lui - Ben Button, un de ses films les plus intimes -, on lui fait passer l'oscar sous le nez pour le donner à Danny Boyle, Slumdog Millionnaire and so on. Dans les habits du roi - le scénariste Aaron Sorkin, disons - Fincher peut monter sur scène, un oscar en main, et devenir un anarchiste couronné - de la même manière que Scorsese a été reconnu pour Les Infiltrés plutôt que pour Aviator ou Les Affranchis.
A la fin du tournage de Social Network, Fincher fait d'ailleurs quelque chose d'assez étrange, qui doit être motivé par tout un tas de raisons très intimes, pour le coup, et suffisamment fortes pour le pousser à prendre une décision brutalement signifiante : dernier jour de tournage, il reste trois plans à tourner, le deuxième est dans la boîte, il va voir Aaron Sorkin et il lui dit : finis le film, je me casse. Et il se casse. Résultat : lorsque Social Network est dans la boîte, lorsque la liesse éclate, qu'on se serre dans les bras, qu'on se promet de se friender sur facebook - Fincher n'est pas là. Pourquoi ?
- Parce qu'il n'aime pas les câlins, comme Zuckerberg ?
- Parce qu'il ne veut pas s'attacher au film, affectivement, pour éviter la déception de Ben Button aux Oscars ?
- Pour signifier que c'est un film d'Aaron Sorkin (qui a écrit les dialogues) ? (ce qui est faux)
- Parce que, comme le rappellent plus ou moins finement Black Swan et Tron Legacy, on ne peut pas atteindre la perfection, donc qu'une œuvre parfaite est une œuvre inachevée ? ("philosophie de comptoir", dirait Noémie)
- Parce qu'il avait mal au bide ?
Ce départ brutal de Fincher, comme le génie qui a consisté à avoir l'idée de scier la rampe, est l'une de ces miettes qui indiquent que Social Network n'évolue pas dans la même sphère que ses concurrents.
Problème : les concurrents sont de taille à l'oscar du meilleur réalisateur, cette année encore. Bon, éliminons Tom Hooper pour Discours d'un Roi (vous l'aurez compris, si Discours d'un Roi rafle tout, ce post sera le plus ridicule du net) et les Frères Coen, qui ont déjà eu l'Oscar pour No Country For Old Men il n'y a pas longtemps et qui ne sont pas nominés au meilleur montage (condition sine qua non pour obtenir meilleur film). Restent : David O. Russell - qui a percé en même temps que Fincher, en 1998, Les Rois du Désert VS. Fight Club, ils sont tous les deux l'un des six samouraïs d'Hollywood - ce David O. Russell est en lice, avec The Fighter (pas encore vu). Et Aronofsky, avec The Black Swan. Départager Black Swan et Social Network : je ne peux pas non plus. Même si je pense que Social Network est meilleur. Je les aime tous les deux.
5. Social Network est évidemment nominé au meilleur scénario adapté (adapté d'un roman, Les Milliardaires Accidentels, de Ben Mezrich). Alors, Sorkin ou Fincher ? Ils ne récompenseront pas l'un sans l'autre, ce serait absurde, ce serait stupide (ou bien est-ce la raison pour laquelle Fincher s'est barré du tournage avant la fin ????). Or Sorkin l'aura. Donc...
Fincher devant, Sorkin au fond ; je n'aime pas cette image, vous voyez ce qu'elle essaie de dire.
6. Et six, Kevin Spacey, producteur exécutif de Social Network et Oscar du Meilleur Acteur pour American Beauty, note que Social Network est un film à la Mike Nichols. Mais pas le vieux Mike Nichols de Closer ou de Charlie Wilson : celui des années 70, celui du Lauréat et de Catch 22. Je ne vais pas les comparer maintenant, mais il y a effectivement de nombreux points communs intéressants entre Le Lauréat et The Social Network.
Now, le fait est que Le Lauréat est l'un des landmarks du Nouvel Hollywood (= bouquin de Peter Biskind). Et David Fincher, l'un des landmarks du Nouveau Nouvel Hollywood (=bouquin de Sharon Waxman), ce nouveau nouvel Hollywood à l'honneur cette année puisque David Russell est nominé aussi. Or Mike Nichols avait gagné l'Oscar du meilleur réalisateur pour Le Lauréat (il n'avait pas gagné le reste parce que Martin Luther King venait de se faire buter, que In the Heat of the Night était en lice, bref) - alors, cela se jouera entre Russell et Fincher, ou cela ne se jouera pas.
7. The Social Network doit gagner, ou vous ne m'entendrez plus jamais parler des Oscars.
Camille
P.S. : Alors tant que je peux encore en parler : Eddie Murphy n'avait pas eu d'oscar pour Dreamgirls parce que Norbit était à l'affiche, et que l'Académie ne voulait pas se ridiculiser en récompensant l'acteur de Norbit. J'espère qu'il n'arrivera pas la même chose à Natalie Portman, qui doit l'avoir pour Black Swan, mais qui est à l'affiche de Sex Friends ! (il paraît que ce n'est pas nul, mais tout le monde ne le sait pas...)
1 commentaire:
Pour le plaisir d'enfoncer le clou : Natalie Portman fait également des échanges de salives avec un grand benêt blond sur la bande-annonce de Thor. Ca donnerait presque envie d'arriver en retard au cinéma.
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