30 octobre 2010

Bassidji, de Mehran Tamadon.

Du désert à la ville

En amont de la ville, le désert. De grands drapés de sable en ligne d'horizon, quelques engins à moitié ensevelis : un chantier sans projet, là où l'on attendait la mer. Un chantier donc. Des signes dans le sable. Un livre démultiplié en lutrins rustiques, à même le sol, si rustiques qu'on en oublierait la majuscule : le Livre, sur un lutrin rustique, à même le sol. Des étendards. Des ouvriers marchant sans autre but apparent que celui de fouler la terre. Sur la ligne d'horizon, des pas, et dans ce piétinement peut-être l'impulsion nécessaire au travail de l'Histoire, dont les signes, sous leurs dehors modestes, seraient les outils. Pays construit sur du sable, entre les pages d'un Livre. Pays construit avec les mots d'un orateur, le silence et les larmes des passants arrêtés, des milliers d'empreintes dans le sable, et des milliers de prières. Alliage inattendu de matières viles et nobles, cherchant une forme.
A l'horizon de l'Histoire, le ciel est d'un gris qui hésite entre le sombre et le clair, sur cette absence de mer striée à perte de vue d'étendards. Pyramides de symboles comme tremblées sur le sable.
A moins que les signes ne soient des souvenirs, et les marcheurs des pèlerins louvoyant entre les signes, sur une mer de dunes. A l'horizon, si l'on ferme à moitié les yeux, les rangées d'étendards deviennent rangées de lance, mirages invoqués des vieux combats. Histoire à faire ou à redire inlassablement, l'horizon reste gris, voilé, silencieux. Il n'y a plus de signes qu'éparpillés sur le sable, dessous le ciel où rien ne s'écrit. Et dans l'ombre des pèlerins, les ouvriers. Ou peut-être est-ce l'inverse. Faire ou refaire, dire ou redire l'histoire avec du sable et des souvenirs.

En aval du désert, la ville. Plus d'horizon : des murs, des murs érigés comme brandis devant le ciel sans écriture. Arrachés les étendards et les lances : en rouge et vert toujours, les affiches ne flottent pas, ne conquièrent rien que du déjà acquis, à la surface des murs. Oublier dans le béton le sable. Le visage de l'Histoire s'écrit, en rouge et vert toujours, sur le bitume. En parallèle du désert.
La ville et l'Histoire ordinaire. Enlevez les affiches, oubliez l'étendard, il ne reste plus rien du passé des batailles que ces mots échangés dans une boutique éclairée au néon, comme on échangerait autour d'un café quelques brèves de comptoir. Avec tant de sérieux pourtant, dissimulé sous un humour forcé, comme s'il fallait en avoir honte. Rire de soi pour ne pas rire des idoles. De ce spectacle politisé de l'humour naît une gêne sur laquelle il est difficile de mettre un nom, tant il est dérangeant de sentir, au détour d'une boutade, la timidité profonde de ces hommes souriant sous le regard de Dieu.
Quelques femmes, pourtant, paraissent rire des yeux et du cœur. Peut-être s'amusent-elles du témoin, ce héros picaresque moderne qui en saura d'autant moins, telle est la règle, qu'il multiplie les questions. Peut-être ont-elles toujours été meilleures actrices : femmes transfigurées en concepts sous l'uniforme de la foi. Deux yeux et une bouche où viennent se concentrer les signes et les silences, et les sourires immenses, dans l'embrasure du voile redessinant le corps en étendard.

Appelé à lier le désert et la ville, un seul mot, martyr, nom apposé au tout dernier baptême sur de multiples visages. La ville entière, sur et sous la peau, semble vouée à se faire galerie des héros de l'Histoire surexposés en rouge et vert sur tous les murs, sous des faisceaux urbains. Sable et souvenirs, souvenirs du sable : le martyr devenu otage du quotidien se joue et se rejoue en rituel, dans l'obscurité progressive d'une pièce encombrée de corps. Les lumières s'éteignent. Le martyr perd une à une ses couleurs, et tous ses visages. Comme si le signe, peint et repeint jusqu'aux ténèbres, avait soudain tenté la ville de son évanescence.

Poussée de rouge et vert dans la poussière et l'ombre. Eux paraissent savoir. Moi, de la première à la dernière image, j'ignore toujours quoi faire du mot martyr.

Noémie.

25 octobre 2010

Expo Science-Fiction à la Villette

Sanctuaire





"Nous vous invitons de l'autre côté de la frontière des certitudes, et en belle compagnie !" (Préface du livre de l'expo...)


On ne sait jamais quoi répondre à ceux qui nous disent que la science-fiction ne sert à rien. Car leur répondre serait forcément offensant, à un moment ou à un autre, cela reviendrait à expliquer pourquoi ce ne sont que de vieux éteints dont l'imagination est morte, et pas seulement l'imagination, mais la simple intelligence qui est celle de n'importe quel lecteur de poésie capable de voir dans l'emploi des images autre chose que ce qu'elles montrent. Je restai ainsi bouche-bée, poliment bouche-bée, l'autre jour, en entendant : "la science-fiction, je peux pas. Il n'y a pas de lien avec le réel. Le fantastique, oui, parce qu'il y a un lien. Mais la science-fiction, non." Mais cette sensibilité bas de gamme est partout, jusqu'au sommet de la Sorbonne, Paris-4 pour faire joli, dont le directeur de l'UFR de littérature comparée asséna un jour à Noémie, qui voulait travailler sur Barjavel : "la science-fiction est un sous-genre. Barjavel n'a rien inventé." Je peux comprendre qu'on soit indifférent à la science-fiction, même qu'on ne l'aime pas. Mais qu'on la rejette comme ça, ça me brise le cœur.
A l'exposition créée par la Villette, ouverte il y a une semaine et qui s'y tiendra jusqu'au 3 juillet, il y a un panneau sur lequel les grandes avancées de la science sont mises en parallèle avec les grands moments de la littérature SF. On peut y lire, en 1943 : Barjavel, Le Voyageur Imprudent. Invention de la notion de paradoxe temporel, dit "paradoxe du grand-père" (un homme voyage dans le passé, tue son grand-père, donc il n'existe pas, donc il ne peut pas tuer son grand-père, donc il existe, donc il le tue, etc.) Noémie et moi avons alors partagé une petite pensée pour Didier A., directeur d'UFR, et puis nous avons passé notre chemin.
Ceci est un spot de pub. Si vous êtes mordu de SF, cette exposition sera pour vous le paradis sur terre. Sinon vous passerez un bon moment, instructif, divertissant, agréable ; mais c'est aux mordus que je m'adresse ici. Ceux-là ont à portée de RER, de train - et croyez-moi, si vous venez de loin, le déplacement vaudra le prix du billet grandes lignes - le sanctuaire des sanctuaires. L'expo science-fiction de la Cité des Sciences et de l'Industrie est en effet consacrée à la science-fiction au cinéma.

Nous ne nous y attendions pas. Un week-end par an, depuis 2006, année de ses 20 ans, la Villette est entièrement gratuite. C'est un peu comme Noël : rien de fondamental, mais manquer l'occasion, c'est mutiler le déroulement des saisons. L'être humain a besoin de rituels. Nous voilà donc, samedi matin, gratuitement entrés, dans ce que nous pensions être la première salle d'une petite expo visitée en 20 minutes, consacrée aux voyages vers la Lune.

Pour la première fois, la Cité des Sciences s'est associée à la Bibliothèque Nationale. Résultat : un premier émerveillement imprévu devant un Hetzel, l'un des Jules Verne originaux, de 1867. Peu après, nous verrons un manuscrit de Villiers de l'Isle-Adam (La Nouvelle Eve), jusqu'au climax de la contribution Bnf : la page 6 du manuscrit de La Planète des Singes, dans la marge duquel la main de Pierre Boulle a griffonné : "un singe ? oui. Une planète avec des singes. A approfondir."

Juste derrière, dans une vitrine, les costumes du remake de Tim Burton. Mais à ce moment-là, nous ne touchions déjà plus le sol, et ce n'était pas ce que nous avions vu de plus beau. A partir de maintenant cet article vire à la litanie geek.

Le premier choc date de la vitrine consacrée aux combinaisons spatiales. C'est bien celle de Bud Brigman, dans Abyss, que vous avez devant vous, à côté de celle de Bruce Willis dans Armageddon (la visière est encore cassée). La grosse, dorée, vient du Sunshine de Danny Boyle. Sur un écran, des extraits d'Apollo 13, qui n'a pas volé son oscar des meilleurs effets spéciaux. Je veux devenir astronaute. C'est trop tard. Tristesse passagère.

En 2006, c'est l'expo Star Wars qui avait créé l'événement. L'expo SF en est la continuation, le sequel. Plus de moyens. Plus de tout, avec quelques élément du premier épisode : on découvre ainsi, ce samedi-là, des story-boards originaux de L'Empire Contre-Attaque. Regardez, sous le dessin, un type qui ne savait pas découper droit a grossièrement collé un papier tapé à la machine sur lequel sont notés les éléments nécessaires à la réalisation du plan. Derrière, vous verrez une maquette originale des croiseurs impériaux employés dans la scène du champ d'astéroïdes. Un peu plus loin, vous verrez une réplique du costume de C3-PO. Le R2-D2 qui se tient à ses côtés, en revanche, est l'original.


Tout autour de vous, des écrans diffusent des extraits de films. Et vous entendez, au loin, le générique de Star Trek... Vous allez voir. Vous passez à côté d'une maquette d'un des petits frères de l'USS Enterprise. Sur des mannequins, voilà les costumes de la série originale. 1966. A côté, un petit topo sur Dune (il paraît que le réalisateur de Taken et de From Paris with Love va prendre la suite de David Lynch. Quand on voit ce qu'un autre poulain Besson a fait du Choc des Titans, ça fait envie.)

Ils ont l'air un peu rigides comme ça ; ils sont beaucoup plus vivants en vrai.

Vous n'êtes pas au bout de vos surprises. La SF, c'est le voyage dans l'espace et dans le temps aussi ; à l'étage, toute une pièce est consacrée aux reliques de Retour vers le Futur. Des choses qui n'ont rien à faire avec la science-fiction, tout en la résumant parfaitement : l'un des objectifs inavoués de l'expo est bien de faire la nique aux Didier A., de montrer que la science-fiction n'est pas un sous-genre décérébré mais l'une des formes les plus nobles, les plus modernes et les plus belles de la poésie. De montrer qu'il n'est rien de notre société qu'elle n'ait pas interrogé, manipulé, modifié. Qu'elle est l'expression des rêves de nous autres pauvres pollueurs, et de nos cauchemars. Que la question, que l'enveloppe en soit signée Montaigne ou Asimov, est toujours la place de l'homme seul dans l'univers vide. La science-fiction (le raccourci de Montaigne à Zemeckis secoue un peu, accrochez-vous), c'est donc aussi cette guitare Gibson avec laquelle Michael J. Fox fait tomber amoureux ses parents en leur jouant Johnny B. Goode, c'est son chapeau de cow-boy (regardez à l'intérieur, il y a le nom de l'acteur), ce sont ces accessoires, de faux journaux : en 1989, date de réalisation du second film, on s'était amusé à imaginer que la Reine Diana rendrait visite à Hill Valley en 2015.



Vous êtes redescendus. D'un étage, pas sur terre. Dans la vitrine consacrée aux robots, le costume de Robocop se tient à côté de Sonny, le robot d'I, Robot. Derrière, la statue d'un Terminator sans revêtement braque le buste du T-1000 couvert d'impacts de Terminator 2. A côté se trouve Robby, le robot aux airs de mixeur de La Planète Interdite (Fred Wilcox, 1956). Sur les écrans, la scène où un Transformer s'extrait majestueusement d'une piscine suit un extrait de Barbarella (Roger Vadim, 1968). Vous passez à côté d'une affiche de Mondwest, de Michael Crichton (le Jules Verne moderne, c'était lui, mais ils n'en parlent pas beaucoup...) et vous arrivez au costume de Rick Deckard, le Harrison Ford de Blade Runner. Le costume de policier du Cinquième Elément n'impressionne pas autant, mais fait plaisir à voir quand-même, de même que le masque de Mangalore qu'on verra un peu plus loin. Le Cinquième Elément, c'est - avec Barbarella - le film de SF français le plus célèbre, il est donc mis à l'honneur (typiquement le genre de film que je serais bien incapable de juger, l'ayant vu environ 450 fois étant ado).


Quartier d'expo sur les utopies, les dystopies, les uchronies, la première d'entre elles date de 1872, un type avait imaginé ce qu'aurait été le monde si Napoléon avait gagné à Waterloo. Peu après, beaucoup de Starship Troopers : costumes de soldats, maquette gigantesque du vaisseau piloté par Denise Richards. Quelques tests sur les lois de la robotique édictées par Asimov (reprises dans I, Robot : "un robot ne peut faire de mal à un humain", etc. - à ce sujet, j'ai vu hier L'œil du mal, remake produit par Spielberg de La Mort aux Trousses, avec un robot tout-puissant à qui on a inculqué la constitution américaine en guise de lois de la robotique - à voir.)

Les commissaires de l'exposition auraient pu s'en tenir là. Ils s'étaient déjà procuré une statue grandeur nature du premier Alien, importation directe du musée Giger en Suisse ; le costume de Rip Torn dans Men In Black II ; le masque d'extra-terrestre utilisé à la fin de Rencontre du 3e type ; la maquette du Narcissus, vaisseau avec lequel Ripley s'échappe... Mais non. Il manquait quelque chose. En 1984, William Gibson a écrit Neuromancien, inventant le concept de cyberespace, rendant possible l'invention de la matrice des frères Wachowski. Ce qu'Alien est aux films d'extra-terrestres, ce que Retour vers le Futur est aux films de voyages dans le temps, ce que Star Wars est aux odyssées spatiales, Matrix l'est aux films sur le monde virtuel. Les commissaires se sont donc débrouillés pour obtenir de quoi remplir une salle entière.

Mais je me rends compte qu'il est temps de laisser parler les images.



http://www.cite-sciences.fr/francais/ala_cite/expositions/science-et-fiction/accueil


Ceux qu'il faut remercier : Ugo Bellagamba, Patrick Gyger (rien à voir avec H.R.), Roland Lehoucq, Clément Pieyre, mais surtout Evelyne Hiard et Sophie Lecuyer.

11 € plein tarif / 8 € tarif réduit / gratuit pour les moins de 6 ans.

Le tarif réduit s’applique aux moins de 25 ans et étudiants, 60 ans et plus, titulaires de la carte famille nombreuse et personnels de l'éducation nationale.




Camille. (merci à JB Wagner pour les photos)

19 octobre 2010

Sous l'océan 2 : K-19

K-19, le fabriquant de veuves. De Katryn Bigelow.


C'est Peter Saarsgaard. Il a peur de mourir.


Ca, c'est ce qu'on appelle communément un masque mortuaire. En général, on le met sur les gens quand ils sont déjà morts. Dans K-19, Peter Saarsgaard l'enfile lui-même, de son vivant.

Ceci est une réécriture du radeau de la méduse. A 100 millions de dollars, en 2002.

Comme Warren Beatty a produit Bonnie & Clyde pour relancer sa carrière, en 1967, Harrison Ford a co-produit K-19 pour relancer la sienne. Ce qui se produit quand un acteur produit un film dans lequel il joue : il y excelle.

Le style, tout en détails, de K.B. Dans Démineurs, un homme essuie la sueur sur le visage du sniper. Dans K-19, un marin essuie la buée sur les lunettes de celui qui est entré dans le caveau où réparer le réacteur nucléaire.
Et comme dans Démineurs, il n'y aura pas ici d'action à proprement dit : de la même façon que Jeremy Renner s'acharne à empêcher le spectacle des explosions en Irak d'avoir lieu, il s'agit ici de désamorcer un sous-marin nucléaire russe. La première partie de K-19 aussi consiste à esquiver la vraie action, puisqu'il n'y est question que des entraînements que le camarade-capitaine Vostrikov inflige à son équipage. Avant l'accident, qui n'est toujours pas la vraie action, mais inocule une angoissante réalité à la nécessité d'agir des personnages.

Oui, parce que le réacteur fuit. On a entendu l'Adagio au Clair de Lune de Beethoven, musique classique et images sous-marines, un peu comme dans Master & Commander, sorti un an plus tard ; et un peu comme Panic Room, sorti au même moment, dans lequel la caméra traverse les murs, Bigelow a traversé toutes les parois métalliques jusqu'à l'endroit où ça pète. A la fin de l'Adagio, à la fin du travelling impossible, le réacteur s'est mis à fuir. Les marins-démineurs russes de ce sous-marin géant - en images de synthèse, une première par rapport à USS Alabama et U-571, qui n'utilisaient que des maquettes - entrent donc dans la chambre mortuaire où ils attraperont le cancer. Un cancer foudroyant, incroyable déflagration émotionnelle. K.B. est une femme qui réalise des films d'hommes qui se font mal. C'est une maître ès violence. On a les larmes aux yeux quand les marins ressortent à l'air libre.

Ceci est un marin ressorti à l'air libre. La croix, symbole de l'opium du peuple, donne une impression d'américan-touch ("May god be with you") et en même temps souligne que ces types, terrifiés par la mort, n'avaient d'autre choix que de renier leur communisme natal pour retourner à une foi rassurante.

Harrison Ford au sommet de sa forme. On sait qu'un acteur est au sommet de sa forme quand il donne l'impression d'être possédé par Marlon Brando. Ici, Harrison Ford en Colonel Kurtz.

Souvenez-vous. C'était en juin, je crois. On avait pompeusement inauguré un tag "Sous l'océan" consacré aux films de sous-marin parce que vraiment personne n'en parlera jamais assez. J'avais écrit sur USS Alabama de Tony Scott et U-571 de Jonathan Mostow, et à la fin je disais : prochain volet, K-19. Bon, voilà, l'été a passé, la nature se prépare à mourir (les affiches du Royaume de Ga'Hoole vont d'ailleurs particulièrement bien avec la lumière d'automne, je trouve) et il serait temps de tenir parole. Alors on a regardé K-19, de Katryn Bigelow.

Des trois, c'est clairement le meilleur. USS Alabama est un blockbuster de chez Bruckheimer ; pro-américain, naïf, pas de troisième adjectif, tant pis pour la cadence majeure. Et U-571 est un film d'action, dans lequel le sous-marin est un outil de jeu vidéo à secouer dans tous les sens, avec des américains dans un sous-marin nazi, aussi étrangers à leur vaisseau qu'un gamer de base est étranger au personnage de Zelda qu'il secoue avec sa manette Playstation. On avait aimé U-571, hein, pas de méprise. Et on aime Zelda aussi, d'ailleurs. Le fait est que, comparé aux deux autres, K-19 est le seul vrai film.

USS Alabama est une pièce de théâtre classique, en fait. Respect des 3 unités, remember. Et U-571... Mince, je me répète. Un film d'action, oui. Tout ça pour entériner l'idée d'une trilogie du film de sous-marin étendue de 1995 à 2002 : quels autres films important pourrions-nous citer ? Les autres grands films de sous-marin - Das Boot, A la poursuite d'Octobre Rouge - sont antérieurs à tout ça. Plus rien depuis, parce qu'aujourd'hui le cinéma d'action a besoin d'espace. De place où ranger les images de synthèse à 1 million de dollars. K-19, en 2002, ne savait déjà plus trop où les mettre, si ce n'est dans quelques inserts où la caméra se retrouvait dans le sillage des hélices de l'engin numérique propulsé vers la surface (mais c'est vraiment très joli et dynamique et tout ce que vous voudrez).
Ce que nous avons découvert : le film de sous-marin est un genre plus codifié encore que le western. C'est-à-dire que les passages obligés sont encore plus précis. Il n'y a pas 36 choses à faire dans une boîte de conserve. 1) Plonger au plus profond (Bigelow rend ça très bien, fait très peur, on voit la tôle se tordre depuis l'extérieur) 2) Se foutre sur la gueule au plus profond. D'où la récurrence de la scène de mutinerie. Le capitaine et le second DOIVENT se détester. Bon, dans U-571, le capitaine (Bill Paxton) meurt vite. Mais dans K-19, le capitaine est Harrison-Indiana Jones-Ford, et le Second, Liam-Qui Gon Jinn-Neeson. Deux pointures, en somme. Les scènes d'acteur décoiffent. On est toujours, encore un peu, au théâtre. K-19, en bon 3e épisode de cette trilogie des sous-marins, reprend le meilleur de ce qui s'était fait avant lui.

Le cinéma d'aujourd'hui a besoin d'espace, et de fait, en regard de ce qui constitue les codes du film de sous-marin (hommes enfermés dans une boîte de conserve et mutinerie) - le dernier film de sous-marin en date n'est autre que Star Trek, petite merveille de blockbuster signée JJ Abrams (foncez voir sur YouTube le teaser de son prochain film, Super 8, et jouissez). Mais Armageddon aussi était un film de sous-marin, for chrissake ! Oh ! Mais le scénariste d'Armageddon s'appelait JJ Abrams aussi. C'était le même type que le réalisateur de Star Trek, en fait.
Mais revenons-en à K-19. Et revenons-en à la Guerre Froide, comme à l'époque d'USS Alabama. Sauf qu'on était alors restés du côté des Américains. C'était l'épisode I de la trilogie de l'immersion. L'épisode II, U-571, impliquait un premier déplacement de perspective : les américains se retrouvaient dans un sous-marin allemand. Ce qui s'appelle épouser le point de vue de l'ennemi. K-19, troisième partie dialectique oblige, opère une synthèse des épisode I et II (les hollywoodiens sont de grands dialecticiens) : retour à un film fabriqué depuis un seul camp, mais cette fois, le passage d'un camp à l'autre ayant eu lieu dans l'épisode II, on est chez les Russes. La Guerre Froide vue de l'autre côté. Magnifique. Et de fait, c'est à nouveau la même histoire que chez Tony Scott : est-ce qu'on déclenche la guerre nucléaire ou pas ? Est-ce que, depuis cet espace exigu où j'essaie de passionner mon public, je détruis le monde entier OU PAS ? (Sauf que dans K-19, c'est involontaire. Le K-19 fuit. Inspiré de faits réels : ces hommes ont vraiment sauvé le monde en 1962 : il fallait empêcher leur bombe nucléaire de black submarine d'exploser à proximité d'une base de l'OTAN, ce qui impliquait d'aller choper le cancer en réparant la plomberie du système de refroidissement.)

Ce qui reste, c'est que comme dans USS Alabama, l’ennemi est invisible : ce sont les radiations. Le film de sous-marin est toujours une métaphore de l’ennemi intérieur, de cet ancien savoir qui veut qu’on est toujours soi-même son propre ennemi. George Lucas lui-même le met en scène au moment où Luke, dans L'Empire contre-attaque, descend dans la grotte de Dagobah et décapite Dark Vador, pour découvrir son propre visage derrière le masque.
Dans le sous-marin, on est enfermé avec soi-même. Et on s’affronte soi-même, toujours. Pas l'adversaire, pas la guerre, pas la paix. On s'en fout. Mais soi. Son propre pays. Sa propre capacité à donner des ordres et à en recevoir. Son courage, sa soumission. D'où le passage obligé de la mutinerie. Il n'est pas simple d'accepter que notre perte ne peut être causée que par nous.

... Voilà. Forrest Gump dit "That's all I have to say about Viet-Nâm", aussi, de la même manière, vous dirai-je enfin :

"That's all I have to say about submarine movies."

Camille.

6 octobre 2010

De l'avenir proche des gugusses en costumes

Mutantscapeshommearaignéedieuscandinavecréationfric et images


Quelque chose est sur le point de se passer "du côté de chez Spiderman", comme aurait dit Marcel Proust (qui se serait sans doute passionné pour le sujet). Enfin, chez Spiderman : chez les superhéros.
Et nous ne pouvons nous empêcher de penser à Bryan Singer, réalisateur des deux premiers X-Men et de Superman Returns, qui a appris ces jours-ci ce que nous venons de découvrir :

- Darren Aronofsky (Requiem for a Dream, The Wrestler) réalisera Wolverine 2.
Bizarre, cette manie qu'a Marvel, studio mercantile, d'attirer de vrais réalisateurs dans son escarcelle - comme Kenneth Branagh aussi, qui bosse sur Thor, annoncé à la fin du générique d'Iron Man 2.

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Tandis que Matthew Vaughn (Kick Ass) est toujours attaché à un autre prequel X-Men, X-Men First Class. Je sais, c’est bizarre. A priori, Wolverine 2 et X-Men First Class sont deux films différents. Typique de Marvel, cette façon de ne reculer devant aucune surexploitation de filon.

- C’est d’ailleurs à ce même prequel, X-Men First Class, que Bryan Singer reste attaché en temps que scénariste et producteur.

- Et Zack Snyder (300, Watchmen) réalisera Superman Returns 2 (??!) - ce dernier étant produit par... Christopher Nolan (The Dark Knight, Inception).


RECAPITULONS
.

Au grand match qui consiste à faire semblant de sauver le monde en costumes, on aboutit à quatre équipes finalistes.

1) Les tâcherons : Gavin Hood (X-Men Origins), Jon Favreau (Iron Man 2), et Joss Whedon (l’homme de Buffy contre les vampires), qui bosse sur The Avengers, gros melting pot dégoûtant de personnages Marvel.

2) Les auteurs : Kenneth Branagh, Darren Aronofsky, et Marc Webb (500 Jours ensemble), qui bosse sur le reboot de Spiderman (peut-être pas un "auteur" dans l'absolu, mais c'est quand-même un type qui vient du cinéma indépendant, ce qui aux yeux de Marvel suffit à lui donner un certain cachet).

3) Les surdoués : Bryan Singer et Christopher Nolan.

4) Les iconoclastes : Zack Snyder (Watchmen) et Matthew Vaughn (Kick Ass).

Les surdoués bossent avec les iconoclastes (Singer/Vaughn, Nolan/Snyder) tandis que, pour contrer ce danger qualitatif, Marvel compense sa pente bourrin (Hood, Favreau, Whedon) en embauchant des auteurs (Branagh, Aronofsky, Webb). Avouez que vous feriez pareil.


Début des résultats le 4 mai 2011, sortie du Thor de Kenneth Branagh...

Camille.

3 octobre 2010

The Cat, The Reverend and the Slave, Alain della Negra & Kaori Kinoshita, 2010.

Les Métamorphoses / A l'envers, à l'endroit

Vendredi soir pluvieux, journée éprouvante, moral en négatif, je me retrouve un peu malgré moi au fond de la salle souterraine du Reflet Médicis, à attendre le début d'un film dont je ne connais que le titre : "The Cat, The Reverend, and the Slave". Je ne sais pas ce que vous imaginez à partir d'un titre comme celui-là : moi je pensais à une promenade un tantinet nostalgique dans le Sud étasunien, quelques gros plans sur des épis de maïs grillés, chapeaux massifs, musique country. Chacun ses clichés.

The Cat, the Reverend and the Slave est un documentaire sur Second Life. Le genre de documentaire dont vous sortez en vous apercevant que vous ne saviez décidément rien sur ce que vous pensiez savoir. Tout le monde a entendu parler de Second Life : c'est une sorte de Facebook en string où les walls sont remplacés par des îles tropicales, et derrière le paradis virtuel, un mall où pixel et charnel se monnaient en espèces sonnantes et trébuchantes. L'histoire de cette Jane Doe de l'immobilier devenue millionnaire par l'intermédiaire de son avatar, nous l'avons tous entendue.

Mais il y a dans The Cat, the Reverend and the Slave bien des choses à voir. Certaines sont précisément conformes à ce que nous pouvons imaginer, et elles font mal au coeur : des gros en t-shirt mou vautrés devant un écran, et au centre de cet écran, un "avatar" qui s'oppose à eux sur tous les points, avec une constance pathétique. Les gros flasques sont minces et bronzés, les freluquets timides se réincarnent en dominatrices roulées dans du latex, les chats se font pousser la fourrure.

C'est dans l'autre sens de la marche, que l'on se prend à rêver d'un bouton rewind sur le fauteuil rouge du Reflet Médicis : un bouton pour oublier toute cette désévolution de l'âme, dont on n'aurait bien voulu ne jamais voir et entendre ce que le film nous donne à entendre et à voir. Sans pesanteur aucune, sans les lourdeurs pourtant prévisibles et acceptables d'une axiologie. Les images et les mots se suffisent à eux-mêmes, sobrement appuyés par un montage efficace de la réalité en parallèle du pixel.

Les épousailles virtuelles devenues charnelles, ou comment Bonnie et Clyde se transformèrent en Laurel et Hardy. Elle, énorme jusqu'à paraître avancer par roulements. Lui, tout mince, presque invisible, relatif. Les arguties html leur ont désappris jusqu'à l'effacer l'art immémorial de la dispute conjugale : ils défendent leurs prérogatives virtuelles avec de vrais mots, bouclant implacablement la métamorphose. Le couple semble n'être laid dans le monde qu'à la mesure de sa beauté sur la toile.

Ajoutez le prêtre. Ajoutez l'esclave. Ajoutez le chat. Le passage du réel dans le virtuel est envisageable, presque tolérable : une sorte de pis-aller qui ferait taire le peuple, un opium meilleur marché. C'est dans l'autre sens que les gorges se serrent, lorsque sous l'enveloppe des corps émerge l'avatar. Et l'écran d'incarner soudain la plus angoissante des verticales, dernière mesure, tout juste visible encore, d'une glaçante réversibilité des vies.

Noémie.