30 octobre 2010

Bassidji, de Mehran Tamadon.

Du désert à la ville

En amont de la ville, le désert. De grands drapés de sable en ligne d'horizon, quelques engins à moitié ensevelis : un chantier sans projet, là où l'on attendait la mer. Un chantier donc. Des signes dans le sable. Un livre démultiplié en lutrins rustiques, à même le sol, si rustiques qu'on en oublierait la majuscule : le Livre, sur un lutrin rustique, à même le sol. Des étendards. Des ouvriers marchant sans autre but apparent que celui de fouler la terre. Sur la ligne d'horizon, des pas, et dans ce piétinement peut-être l'impulsion nécessaire au travail de l'Histoire, dont les signes, sous leurs dehors modestes, seraient les outils. Pays construit sur du sable, entre les pages d'un Livre. Pays construit avec les mots d'un orateur, le silence et les larmes des passants arrêtés, des milliers d'empreintes dans le sable, et des milliers de prières. Alliage inattendu de matières viles et nobles, cherchant une forme.
A l'horizon de l'Histoire, le ciel est d'un gris qui hésite entre le sombre et le clair, sur cette absence de mer striée à perte de vue d'étendards. Pyramides de symboles comme tremblées sur le sable.
A moins que les signes ne soient des souvenirs, et les marcheurs des pèlerins louvoyant entre les signes, sur une mer de dunes. A l'horizon, si l'on ferme à moitié les yeux, les rangées d'étendards deviennent rangées de lance, mirages invoqués des vieux combats. Histoire à faire ou à redire inlassablement, l'horizon reste gris, voilé, silencieux. Il n'y a plus de signes qu'éparpillés sur le sable, dessous le ciel où rien ne s'écrit. Et dans l'ombre des pèlerins, les ouvriers. Ou peut-être est-ce l'inverse. Faire ou refaire, dire ou redire l'histoire avec du sable et des souvenirs.

En aval du désert, la ville. Plus d'horizon : des murs, des murs érigés comme brandis devant le ciel sans écriture. Arrachés les étendards et les lances : en rouge et vert toujours, les affiches ne flottent pas, ne conquièrent rien que du déjà acquis, à la surface des murs. Oublier dans le béton le sable. Le visage de l'Histoire s'écrit, en rouge et vert toujours, sur le bitume. En parallèle du désert.
La ville et l'Histoire ordinaire. Enlevez les affiches, oubliez l'étendard, il ne reste plus rien du passé des batailles que ces mots échangés dans une boutique éclairée au néon, comme on échangerait autour d'un café quelques brèves de comptoir. Avec tant de sérieux pourtant, dissimulé sous un humour forcé, comme s'il fallait en avoir honte. Rire de soi pour ne pas rire des idoles. De ce spectacle politisé de l'humour naît une gêne sur laquelle il est difficile de mettre un nom, tant il est dérangeant de sentir, au détour d'une boutade, la timidité profonde de ces hommes souriant sous le regard de Dieu.
Quelques femmes, pourtant, paraissent rire des yeux et du cœur. Peut-être s'amusent-elles du témoin, ce héros picaresque moderne qui en saura d'autant moins, telle est la règle, qu'il multiplie les questions. Peut-être ont-elles toujours été meilleures actrices : femmes transfigurées en concepts sous l'uniforme de la foi. Deux yeux et une bouche où viennent se concentrer les signes et les silences, et les sourires immenses, dans l'embrasure du voile redessinant le corps en étendard.

Appelé à lier le désert et la ville, un seul mot, martyr, nom apposé au tout dernier baptême sur de multiples visages. La ville entière, sur et sous la peau, semble vouée à se faire galerie des héros de l'Histoire surexposés en rouge et vert sur tous les murs, sous des faisceaux urbains. Sable et souvenirs, souvenirs du sable : le martyr devenu otage du quotidien se joue et se rejoue en rituel, dans l'obscurité progressive d'une pièce encombrée de corps. Les lumières s'éteignent. Le martyr perd une à une ses couleurs, et tous ses visages. Comme si le signe, peint et repeint jusqu'aux ténèbres, avait soudain tenté la ville de son évanescence.

Poussée de rouge et vert dans la poussière et l'ombre. Eux paraissent savoir. Moi, de la première à la dernière image, j'ignore toujours quoi faire du mot martyr.

Noémie.

1 commentaire:

Marie a dit…

Ce pays me fascine. Dans le sens qu'il m'attire et me fait peur à la fois.
Martyr... j'ai bien ma petite idée, mais j'irai voir le film pour t'en dire plus ;)