30 mars 2010

Alice in Wonderland

Il y a longtemps que je t'aime

Cher Tim,

Il m’est arrivé un drame, jeudi dernier. Un drame, que dis-je, un accident, une blessure, une tragédie déguisée en dilemme. J’en perds mes mots, je noie désespérément la chose dans les hyperboles bon marché, pour n’avoir pas à la dire : je ne m’en remets pas. Toute la nuit du jeudi, toute la journée du vendredi, j’ai erré, hagarde, dans les limbes absurdes de l’incrédulité, invoqué les plus puissantes ressources de l’auto-persuasion, rassemblé dans un écran de ténèbres tous les voiles du déni. Las ! Dans un cri de rage et de douleur, il a bien fallu me rendre à l’évidence.

Ton dernier film, je ne l’ai pas aimé.

Il y a longtemps que je t’aime. Je t’avouerai même, avec un tremblement de fierté dans la plume, que je suis celle que je suis en partie grâce à toi. Tes contes, tes dessins, tes films sont classés par ordre d’ivresse dans un coin bien rangé de ma pauvre cervelle, pieusement chéris. Je t’aime dans les noirceurs poétiques d’Edward aux mains d’argent et de Sleepy Hollow, la légèreté confiante de Big Fish, la rieuse mélancolie d’Ed Wood, le burlesque artisanal de Beetlejuice et de Mister Jack. Je t’adore dans l’absolu dangereux de Sweeney Todd.

Ton Alice, je l’attendais comme le Messie. Depuis l’annonce du projet, j’avais la foi : Alice ne pouvait être que ton chef-d’œuvre, c’est bien simple, c'était l'évidence même, Lewis Carroll l’avait écrit pour toi.


Mais ton Alice, je ne l’aime pas.


Je comprends ce que tu as essayé de faire. J’ai envisagé tous les sens cachés, toutes les clefs, tous les mystères. J’ai tout tenté pour l’aimer malgré moi. J’ai ri de ces incultes prétentieux qui t’ont reproché d’avoir trop peu lu, quand il est évident que tu as tout construit par un retour au texte, quand tout ton film est émaillé de références subtiles (et parfois subtilement détournées) au livre, que seuls les lecteurs attentifs de Carroll auront reconnues. Tu as consacré tant d’énergie, trop sans doute, à ne pas réutiliser l’adaptation de Disney, au point que c’en devient frustrant : nous avoir fait rêver pendant des semaines sur cette belle image d’Alice au milieu du jardin des fleurs parlantes, et n’en presque rien montrer, ce n'était guère gentil. Non, ce n’est pas ta lecture que je remets en cause : avoir construit toute ton histoire à partir du premier poème de De l’autre côté du miroir, c’était une belle idée. Donner au Chapelier certains traits d’Alice (la quête obsessionnelle des mots commençant par une certaine lettre de l’alphabet), et à Alice certains traits de la Reine Blanche du Miroir (la capacité à croire en six choses impossibles avant le petit déjeuner), scinder Alice en deux, en cent, rêvée et rêvant, l’était aussi. Surtout, faire d’Alice, le nom d’Alice, le mythe Alice, l’objet même de ton film, la question obsédante et l’éternelle réponse, c’était même, je le reconnais, une idée de génie.

Mais ton Alice, elle est antipathique. Cette Mia Wasikowska dont tu nous promettais monts et merveilles, elle est froide, elle est vide ! Trop insignifiante psychologiquement pour qu’on lui pardonne ses raideurs, trop peu piquante dans son égoïsme pour qu’on se prenne à l’aimer malgré nous. Le début et la fin du film, empruntant maladroitement les chemins de Peter Pan et ses forêts de correspondances, sont bien loin de suffire à lui faire prendre corps. Non, la seule chose finalement (et Dieu ! que c’est frustrant) qui semble rendre justice à Alice, c’est l’unique piste (mais c’est probablement l’une des plus belles choses qu’il ait jamais écrites) sur laquelle Danny Elfman a vraiment travaillé, la dernière, celle que l’on entend lorsque tout est fini et qu’Avril Lavigne a enfin fermé sa gueule. Là seulement, en fermant les yeux, j’ai connu un instant de grâce, et en entendant les chœurs répéter à contretemps, obstinément, tourbillonnant, son nom, j’ai compris ce que tu avais voulu faire de ton Alice, et ce que tu n’avais pas fait.

Cher Tim, je t’ai aimé intransigeant, orgueilleux dans cet imaginaire arachnéen face auquel tout pliait : toi, hésiter à choisir ! Perdue dans les vives couleurs des fleurs absentes, ton Alice est vouée à la fadeur des demi-teintes. Ton film est trop, ou trop peu noir : quelle belle idée que de faire vraiment tomber ces têtes, et d’en emplir les douves ! Quelle belle inspiration, trop brève, que cette traversée des douves, la minuscule Alice sautant maladroitement sur les visages blancs flottant dans l’eau sanglante ! Ton film est trop, ou trop peu absurde, et la guiguendélire finale du Chapelier, à laquelle Carroll aurait applaudi des deux mains, ne trouve pas plus que les têtes coupées la cohérence d’une esthétique. Quelle belle idée, pourtant, que ce combat dont tout le monde ignore la cause (car il était intéressant, c’est vrai, de faire systématiquement taire aux personnages les exactions de la Reine de Cœur, alors que tout le monde peut voir les têtes flottant dans les douves…), auquel une danse absurde tient lieu de triomphe ! Que n’as-tu su choisir !

As-tu été soudain pris de timidité face à l'illustre source ? As-tu trop fait confiance à ce texte que tu jugeais fait pour toi ? As-tu été à ton tour victime des millions de dollars ? As-tu courbé l’échine devant les obstinations simplistes des producteurs ? Ton film n’est guère plus (je suis malade de te le dire) qu’un lâche tissu d’idées mortes à la naissance et de jolies images. Non qu’il n’y ait quelques moments de grâce, quelques moments à toi : l’arrivée d’Alice chez le Chapelier Fou et cette longue table où tout est sale, vieux, flétri. Le voyage en Chapeau au cours duquel ledit Chapelier récite comme une incantation le fameux poème d’où tout (tout ?) est parti. Non qu’il qu’il n’y ait de très, très belles images : la 3D n'était pas qu'un accoutrement fashion, et il y a dans Alice un travail appliqué sur les détails, les effets de texture (les cartes en armure de la Reine de Cœur, la fourrure du Bandersnatch). Ton Lapin aux yeux roses, avec son air malade, tes valets-grenouilles ou poissons sont parfaits, mais le Chat ! Ton Chat n’est qu’une grosse peluche molle, une version-chat du Sully de Monsters Inc., et ton Loir une synthèse lassante du Ripitchip de Narnia et du Chat Potté de Shrek.


Je te le dis tout net : le plus grand défi d’adaptation, le plus galvanisant, est bien celui qui a causé ta perte. Il n’y a pas de scénario, c’est un fait. Mais même cela, je te l’aurais pardonné si tu étais parvenu à donner corps à tes héros. Certes, il est difficile d'offrir une épaisseur à des personnages de contes, et plus encore lorsque, comme chez Carroll, leurs intérêts monomaniaques les éloignent de toute parenté avec la psychologie humaine. Tu leur as donné des prénoms. Tu leur a donné une apparence caractéristique : l’énorme tête de la Reine de Cœur, qui t’a sans doute été inspirée par les illustrations de l’édition originale, et ces courtisans ridicules affublés, par mimétisme, de faux nez, seins et oreilles disproportionnés, oui, c’était encore une bonne idée. Mais j’en ai fini avec le recensement des bonnes idées : le drame, c’est qu’il y en a, en quantité, et qu’elles sont très loin de suffire à faire un bon film.


Tu les a unis, ces minces héros, sous la bannière prophétique du Frabious Day, par l’absurde nécessité de tuer le Jabberwocky sans que personne ne sache pourquoi. Mais ce qui s’accepte de dessins, animés ou non, ne s’accepte pas d’êtres de chair, et voir tout ce joli monde se battre à la fin, sans motivation et sans raison, n’est rien de plus qu’ennuyeux. J’ai tout essayé, pourtant. Par amour pour toi, je me suis même abaissée à l'éternelle et détestable hypothèse du second degré. Je me suis dit que la grande leçon du film était précisément dans le sérieux de cet absurde final, cette bataille, ce meurtre sans raison. Je me suis imaginé qu’il y avait dans le meurtre une symbolique à la Peter Pan : le meurtre de la Raison, du Père (mais il est déjà mort),que sais-je, de l’Enfance... Mais si tu avais relu Barthes, tu te serais souvenu que tout langage est pré-signifiant, celui des images comme celui des mots. Tu aurais compris que l’Absurde se refuse à passer par une blonde en armure brillante, escaladant les ruines pour occire le Dragon avec la détermination farouche de Gandalf face au Balrog : une très belle image saturée de sens jusqu'à n'en plus avoir, que nous avons vue cent fois, jusqu’à ne plus rien éprouver face à elle qu’un impardonnable ennui. Il me faut bien ajouter (crois-moi, j’ai tant de peine à t’accabler ainsi) que la consternante mise en scène de ce face à face (vers lequel tout le film s'est construit !) entre Alice et le Jabberwocky, lourdement rythmé par la scansion des « six choses impossibles à croire avant le petit déjeuner », n’en fait, en guise de point d’orgue, que celui de ces nombreux refrains pseudo-métaphysiques à dix centimes qui jalonnent la molle aventure, et que Carroll, pour le coup, aurait impitoyablement conspués : le ridicule accès de lucidité du Chapelier, les sages paroles du bon papa décédé que l’on retrouve sur les lèvres de la jeune fille : "You're mad, bonkers, off your head! But I'll tell you a secret: all the best people are."Ces simplifications bon enfant, même le dessin animé de 1951 ne les avaient pas osées. Elles sont indignes de Carroll, comme elles sont indignes de toi.


Cher Tim, je me sens trahie. J’avais la foi, je ne l’ai plus, ou je ne sais plus si je l’ai encore. Comment as-tu pu échouer face à ton plus beau défi ? Il me semble que Jack Skellington (et sans doute, je veux le croire, c’était involontaire) a enlevé de sous le sapin ce beau cadeau dont je me faisais une joie, et laissé à la place non pas un canard vampire, ni même une poupée maléfique, mais un beau livre emballé dans un papier discount, dont on aurait arraché presque toutes les pages. J’en ai les larmes aux yeux.


Adieu, pour quelque temps, que je me ré-enivre au toi d’avant, que je retrouve la foi pour la suite. Tu m’as trouvée sévère, sans doute, impitoyable. Je l’ai été autant que je t’aime, et il y a longtemps que je t’aime.


Noémie.

28 mars 2010

Réaction épidermique suscitée par la très abondante prolifération de Robert Pattinson sur les murs du métro (part 1)


La Chèvre


[wtf]

J’adore Twilight. Sortant de la salle, je suis euphorisée pour deux ans. Le premier volet m’avait déjà transportée : une histoire d’une inoriginalité à couper le souffle pour quiconque s’est un jour intéressé au fantastique. Des parti-pris visuels encore inexplorés sinon dans la sphère fort restreinte des pubs pour le papier toilette. Des éclairages de cage d’ascenseur. Un jeu d’acteur que l’on avait perdu l’habitude de voir depuis la grande époque de Days of our lives. Des maquillages récupérés sur le tournage de Hedwig and the Angry Inch (John Cameron Mitchell, 2001). Et surtout, surtout, Robert Pattinson. Sa pâleur Vache Kiri. Ses rougeurs boticelliennes. Son gloss. Ses difficultés d’élocution.

rpattz dancing Pictures, Images and Photos
Tout le monde l’aura remarqué (pour ma part, j'ai failli verser une larme), RPatzz n’est plus ou trop peu au firmament de Tentation, second volet de la saga. Abandonnant sa belle au début du film sous quelque prétexte fallacieux (voir ses difficultés d’élocution, supra), il laisse à un jeune loup la place tant convoitée d’obscur objet du désir. Réapparaissant à l’occasion sous forme de panneaux de signalisation sur la route tourmentée de Bella, il tente en vain de ramener l’attention vers lui au cours des dernières minutes, dans la grande scène sacrificielle avortée de l’exposition (copyright : Anne Rice). So long for RPattz.

[wtf]

Le jeune loup n’ayant pas grand-chose d’autre à offrir que son impressionnante musculature (on regrette le sacrifice de sa longue chevelure façon Lords of Dogtown, c'était classe. Et puis vous savez ce qu'on dit, Samson, etc...), le champ est entièrement libre pour le grand soir de Bella Swann. Mais de grand soir, point. Car Bella a la guigne.


Combien de chances y a-t-il pour que vous vous entailliez le doigt avec le ruban cadeau qui enveloppe votre cadeau d’anniversaire ? Cela arrive, me direz-vous. Soit.
Mais franchement, se péter la gueule à moto parce que votre amoureux vous apparaît sans prévenir et sous forme d'ectoplasme (???) au coin de la route (en termes nautiques, ça s'appelle un naufrageur, et c'est très dangereux), c'est une performance. Mieux encore : prendre soin de se jeter sous l'effet du profond malheur depuis la plus haute falaise du quartier, et rater son suicide. A un tel niveau de guigne, Perrin ferait petit joueur.

La chèvre aime gambader dans les champs : vêtue de voiles, elle sautille au ralenti sur un gazon menthe-à-l’eau fleuri par un décorateur sadique : trois fleurs bleues, trois fleurs jaunes, trois fleurs jaunes. Nous voici à nouveau dans l’univers Lotus de Catherine Hardwicke.


[...]

Chères Twilightiennes éperdues, j’ai longtemps attendu le moment de partager avec vous la riche palette d’émotions que fait invariablement naître en moi votre film culte.

[....]

Je ne peux pas. C’est trop.

Vivement Eclipse.

[wtf]

Noémie.

PS : cher lecteur, encore une petite surprise pour toi si tu cliques ici.

27 mars 2010

Réaction épidermique suscitée par la très-abondante prolifération de Robert Pattinson sur les murs du métro (part. 2)

Sentiment du gouffre et monosyllabes : Twilight 2, direction d’acteurs ou pet training ?

Il faut voir Robert Pattinson, la bouche toujours déformée par ses crocs comme s’il portait un appareil dentaire, dans le dernier plan de Twilight 2 : « Marry me, Bella ». Ok. Robdward ne touchera pas à Kristla tant qu’ils ne seront pas mariés : cette explicitation finale du sous-entendu mormon contenu dans le premier épisode surprend comme la promesse d’un glauque avenir, un peu comme si Sarko reconnaissait qu’il voit pas ce qu’on reproche à Pétain. Edbert se retient de mordre Belsten, de prendre son sang qui n’est autre, nous sommes d’accord, que celui de son hymen percé ; seulement voilà : ils finiront bien par se marier, et par consommer ça, non ? Après au moins deux films d’abstinence, ça devrait être trash. Violent et gore : aurévillien. Il n’en sera rien, je vous rassure, selon le résumé des livres sur wikipédia : même après le mariage (qui n’a lieu qu’au 4e tome, ce qui nous fera une bonne grosse trilogie de l'abstinence), le film continuera dans le teasing façon Lolita con qui le caractérise. Twilight incite à la baise bien plus que Le Syndrome du Titanic incite à l’écologie. Habituellement, les pulsions sont libérées dans l’œuvre, d'une manière ou d'une autre. Là, rien, jamais. Combien de midinettes résisteront à leur Robert perso quand le bellâtre aura sorti son croc ?
« Bella, elle, elle ne l’a pas fait avant…
Et puis…
Si elle ne l’a pas fait c’est qu’Edward ne le voulait pas…
Et mon Edward a bien envie… »
Et bim ! Joyeuses Pâques ! Les fans de Twilight seront les premières à se faire dépuceler derrière les portes. Quant aux mecs qui auront regardé ça, et n’auront pas vraiment partagé la souffrance de titine, comment se défouleront-ils ? A l’église ? A confesse ? Devant youporn plutôt, dont le film de Chris Weitz est un immense spot de pub. L’apologie de l’abstinence n’est jamais qu’une apologie de l'onanisme, puisque le film entier passe son temps à faire bouillir les hormones à coup d’abrutis en short et de midinettes bouche ouverte, pour s’achever sur une frustration énorme. J’ai failli écrire Christ Weitz. Haha. Ca devait sûrement mieux leur convenir que la bien nommée Hardwicke.
Vu comme ça, le film a l’air amusant. N’allez cependant pas le voir au cinéma, et n'achetez surtout pas le dvd : on ne donne pas d’argent à un film aussi radin. 60 millions de dollars pour le deuxième épisode d’une série à succès, c’est du foutage de gueule. Téléchargez-le et regardez-le entre amis - un soir de beuverie qui se changera peut-être en partouze exutoire.
Quel rapport avec le titre ? Ne cherchez pas, c'était de la masturbation intellectuelle.


Camille

22 mars 2010

La princesse et la grenouille (Musker & Clements, 2010)

Back to basics


Voilà un film sur lequel je m'étais jurée d'écrire un bel article. Je l'ai vu en avant-première, j'avais le temps. J'ai tout essayé, ça ne venait pas. Pas d'idée satisfaisante, et surtout, aucune envie de répéter le peu que tout le monde avait trouvé à dire : le retour de Disney à l'animation 2D, la première princesse noire, et bla et bla et bla. Pourtant, quand j'ai vu qu'il avait été supplanté par Up aux Oscars (que j'ai aimé, là n'est pas la question), j'ai été un peu énervée, j'ai commencé à me dire qu'il fallait s'insurger, d'une façon ou d'une autre. Pour finir, c'est ma soeur qui s'est insurgée, contre moi et Mauvaises Langues, parce qu'on n'avait rien dit de La princesse et la grenouille, alors qu'on l'avait promis à Zuzu qui nous avait si gentiment permis de le voir. Or donc, me suis-je dit, il est vraiment temps de réparer le mal.


Nous autres geeks de Disney (voilà, c'est dit), on était très angoissés bien avant la sortie du film parce que John Lasseter (monsieur Pixar, le nouveau chef de la boutique, pour ceux qui ne se tiendraient pas au courant) avait laissé entendre que si cette tentative de retour à l'animation traditionnelle ne fonctionnait pas, il y renoncerait définitivement. Et c'est vrai qu'après les plantades tonitruantes d'Atlantide, La planète au trésor et La ferme se rebelle (gros wtf : !), on était inquiets, tous geeks que nous sommes [NDA : je n'ai vu que le premier des trois, et je regrette de vous dire que c'est en effet mauvais, à l'exception d'une réplique inénarrable qui mettra la larme à l'oeil -de rire- aux initiés.]


Lorsque le film est sorti après des mois d'angoisse, on était très contents. La princesse et la grenouille (tous les geeks vous le diront) a tout ce qu'on peut attendre et aimer de la part de Disney. C'est très joli, d'abord. Oubliés, les visages carrés d'Atlantide et les muscles en tire-bouchon d'Hercule, on revient à une ligne plus douce, celle qui nous a donné les plus belles images de La petite sirène ou La belle et la bête. Ce qui est assez amusant, d'ailleurs, c'est que graphiquement parlant le film a vraiment valeur de somme. Lasseter a voulu réunir la meilleur équipe et exiger d'elle ce qu'elle a pu nous donner de mieux : Tiana a les mimiques de Mulan, les passants semblent sortis de Rhapsody in Blue et le méchant Dr. Facilier marche et danse comme un Jafar qui aurait avalé le Génie.


Et puis, c'est très drôle. Le tandem Ray-Louis (Nouvelle Orléans = Jazz = Ray et Louis, vous suivez ?) vaut largement Timon et Pumba (grands musiciens aussi, vous en trouverez la preuve ). Et je ne vous parle pas de Joujou le serpent inutile et de Mama Odie dont la performance gospel vaut aussi son pesant de gombo (c'est par ici).

Et puis, c'est très joli. Comment, je vous l'ai déjà dit ? Ah mais je ne vous ai pas parlé des décors : la Nouvelle Orléans et ses bateaux à aube, le bayou, l'antre mystérieuse où le Dr. Facilier abrite ses mystérieux amis de l'au-delà... (attention, c'est culte). L'histoire est charmante, et la structure classique du conte trouve loin de l'Europe, dans les couleurs jazzy de Randy Newman, une fraîcheur et une énergie nouvelles. Oui, disons-le tout net, on a été émus : la chanson de Ray à Evangeline, on a aimé. Comment ça, c'est cucu ? Les amis, on parle Disney, pas de malentendu. Si vous avez envie de sérieux, allez donc lire ceci ou cela.

Ah, et puis pendant que j'y pense et à propos de malentendus : merci à la pwahahahihihihouhouhou critique de Mme G.O. de Télébanana (je n'y peux rien, c'est encore elle), qui pointe une fois de plus et bien malgré elle les méfaits de la désinformation en nous expliquant que Disney a attendu l'élection d'Obama pour promouvoir une princesse noire (on lui rappellera gentiment que le type européen connaissait des variantes depuis longtemps : Mulan était quand même un peu bridée et Jasmine plutôt bronzée. Et par ailleurs, que le projet de La princesse et la grenouille est bien antérieur à ladite élection, et même à l'annonce de la candidature d'Obama. Nous, à Mauvaises langues, on vérifie nos sources.). Surtout, elle trouve que le propos social du film est scandaleusement insuffisant. Le jour où les contes feront du social, chère madame, on ira s'exiler sur la Lune en espérant que ses habitants arrivent encore à parler autre chose que politique.


Or donc chers amis, si vous n'avez pas totalement renié le petit vous-même qui connaissait Sous l'océan par coeur et pleurait toujours à la mort de Mufasa (non, je ne mets pas de lien, c'est trop triste), allez donc voir La princesse et la grenouille : un bon Disney (quoi qu'on en dise) n'a jamais fait de mal à personne, et c'est un vrai bon Disney, parole de geek. Je vous promets que dans un moment d'absence certains d'entre vous se prendront même à tenter le 3615 Evangeline : un grand classique qui n'a jamais aussi bien fonctionné. Je ne sais pas si ça marche. Mais j'en connais qui ont déjà tenté le coup...

Noémie.

PS : Si vous avez envie de poursuivre, l'article de geek, le vrai, l'ultime, il est , chez Zuzu, bien sûr.

19 mars 2010

Percy Jackfuckingson (C.Columbus)

Deconstructing Percy Jackson

10:05pm
Camille

hé, gringo

10:05pm
Noemie

?

10:06pm
Camille

j'ai vu PERCY JACKFUCKINGSON

10:06pm
Noemie

ouais

10:06pm
Camille

:'(
:'(

NIVEAU TWILIGHT !

et je pèse mes mots.

10:06pm
Noemie

ahahah

tu m'étonnes

10:06pm
Camille

HALLUCINANT.

Avec des amis, j'aurais pris un pied monstre

10:06pm
Noemie

hihihi

10:06pm
Camille

tout seul, c'était d'un emmerdement

10:06pm
Noemie

^^

10:06pm
Camille

c'est étonnant

c'est comme si personne n'avait jamais vu Last Action Hero

10:07pm
Noemie

c'est le cas

10:07pm
Camille

retour aux films débilissimes des années 80

avec - c'est INCROYABLE

Un héros blanc, une chaudasse, et UN SIDEKICK BLACK QUI FAIT DES BLAGUES !!!!

WTF !!!

Comment on peut oser faire ça !

10:07pm
Noemie

ohlalala

pfiou

10:07pmCamille

et genre le sidekick black est un satyre, alors il est tout le temps en chaleur

mais on voit jamais de meufs

10:08pm
Noemie

et les effets spéciaux ?

10:08pmCamille

Ben Uma Thurman avec des serpents qui lui sortent du crâne, ça en jette

mais le reste... pffff

du paintbrush en mode automatique

c'est tellement mal filmé

10:08pm
Noemie

waow

mais je veux dire, même pas des petits trucs sympas avec la foudre ?

10:09pm
Camille

l'hydre de lerne est un copié collé des dragons du Règne du Feu

10:09pm
Noemie

c'est bien une histoire de foudre non ?

10:09pm
Camille

les effets de flotte... Bah on a vu ça dans Le Seigneur des Anneaux en mieux hein

10:09pm
Noemie

mais LA FOUDRE

10:09pm
Camille

oui oui la foudre

ben c'est un éclair comme celui du Zeus de Hercule

d'un mètre de long

10:09pm
Noemie

ah ouais

génial

10:10pm
Camille

et quand tu le pointes sur un mec, ça fait PIOUVVV !!!

et le mec est éjecté cinq mètres plus loin en disant aïe

10:10pm
Noemie

genre le pistolet laser de Buzz

10:10pm
Camille

et alors il doit y avoir une guerre et tout et là t'as un mec qui se lève et qui dit : "SOYONS RATIONNELS. LA GUERRE NE RESOUD RIEN."

Ô_o

10:10pmNoemie

pwahihihihi

franchement, c'est bien la peine d'aller chercher des personnages mythologiques pour faire ça.

10:11pm
Camille

et tu sais quoi ? cinq minutes après, Zeus dit : LET THERE BE PEACE ! et ils font tous la paix et finalement ils sont amis

10:11pm
Noemie

effectivement, je pense qu'avec Elise on aurait bien rigolé.

hihihihi

bienvenue chez les bisounours

10:11pm
Camille

et alors le scénario le scénario

en fait on accuse Percy d'avoir volé la foudre

du coup quand il y a des orages y a pu d'éclairs

c'est pour ça que Zeus il veut faire la guerre

10:11pm
Noemie

oula

10:11pm
Camille

et donc il croit que c'est Percy qui l'a volé

10:11pm
Noemie

ben évidemment

10:11pm
Camille

alors qu'en fait c'est Luke, le fils d'Hermès !

mais Luke on croit que c'est un gentil

10:12pm
Noemie

zut alors

alors qu'EN FAIT NON !

twist de ouf

10:12pm
Camille

parce qu'au début il donne à Percy le bouclier magique qui permet de pas mourir dans toutes les situations

10:12pm
Noemie

ah oh

10:12pm
Camille

et alors ils partent dans les USA trouver les perles magiques de mes couilles de je sais pus quoy

et A LA FIN

Percy fait tomber le bouclier par terre, sans le faire exprès tu vois

et dedans y a quoi

LA FOUDRE DE ZEUS !

qu'il se trimballait depuis le début

alors là il se dit WTF ??

et Luke vient, fait un rire de méchant à 1000 dollars et dit : "je pensais que tu le donnerais aux méchants sans le faire exprès"

alors Percy prend la foudre, fait PIOUVV !!! et lui balance 250 litres d'eau dans la gueule

Zeus dit LET THERE BE PEACE ! et c'est fini.

10:13pm
Noemie

waou

^^

c'est désopilant

10:14pm
Camille

et la fille

FILLE D'ATHENA

est plutôt canon

est née le même jour que moi, la même année... (coup de vieux là)

a toujours la bouche ouverte

et joue comme une pizza

10:15pm
Noemie

tiens donc, la bouche toujours ouverte c'est à la mode

10:15pm
Camille

mais oui, le vieux sous-texte sexuel

parce qu'évidemment le sidekick noir satyre est en fait un gros GAY

je crois que s'il avait pu être latino en plus d'être noir, ç'aurait été parfait - parce que je n'ai pas mentionné qu'en plus d'être noir et gay, il est handicapé

10:16pm
Noemie

sans blague

10:16pm
Camille

vu qu'il doit cacher ses jambes de satyre, il marche avec des béquilles

10:16pm
Noemie

c'est de la minorité au carré, ça

10:16pm
Camille

un truc de dingues

pareil avec Pierce Brosnan

tu crois que c'est un mec dans un fauteuil roulant

MAIS NON !!!

en fait c'est un centaure qui arrive à se démancher le tronc de son corps de cheval et à le mettre sur un fauteuil roulant

WTF

10:17pm
Noemie

????

sérieux ?

10:17pm
Camille

C'EST HALLUCINANT

10:17pm
Noemie

et le corps du cheval, il fait quoi pendant ce temps ?

10:17pm
Camille

ben on n'en sait rien, on s'en fout

il se balade dans l'espèce de prairie conne qui sert de monde de l'au-delà

10:18pm
Noemie

moi je trouve que ça c'était une vraie question

10:18pm
Camille

mais oui

mais on sait pas

et puis c'est tellement pompé sur Harry Potter

parce qu'en fait Percy Jackson, une fois qu'il apprend qu'il est un demi-dieu,

va à l'école des demi-dieux dans un monde parallèle

10:18pm
Noemie

ah ben c'est du Chris Colombus quoi

10:18pm
Camille

ben non, c'est du JK Rowling en l'occurrence

alors il s'entraîne un peu, et après il va faire la guerre

et c'est des gros malins parce que le scénar de quête dans les USA est plus ou moins pompé sur la quête des Horcruxes dans Harry Potter 7

le coup de "je vais sauver ma mère’’, gna gna gna

à la fin quand il se réconcilie avec son père

je te cite le dialogue :

"I'LL BE HERE WHEN YOU NEED ME. IN YOUR THOUGHTS... AND IN YOUR DREAMS. ALWAYS."

10:20pm
Noemie

^^

10:20pm
Camille

WHAT THE FUUUUUUUUUUUCK

pffff

ah oui et j'ai pas mentionné le moment où ils doivent repartir des enfers

ils y allaient à 3 pour sauver un mec (la mère de Percy en fait)

et ils passent le film à chercher dans tous les USA 3 perles qui permettent de rentrer des enfers

et alors ils veulent repartir et là

ah ben !!! ah ben guignon !!! on est 4 !! et on n'a que 3 perles !!! ah ben di don on s'y attendait pas !!

ils sont CONS mais ils sont CONS

alors qui c'est qui reste ?

t'as Percy qui dit : "nan, nan, c'est à moi de rester là, les gars..."

et tu sais on y croit vaaaaaaachement

10:22pm
Noemie

^^

10:23pm
Camille

et finalement le sidekick dit : "I'M YOUR PROTECTOR. I HAVE TO STAY. THAT'S WHY I'M HERE. THAT'S WHAT I'M SUPPOSED TO DO."

les scénaristes ont RECOPIE LE MANUEL DU SCENARIO !!!

"The sidekick has to stay. That's why he's here. That's what he is supposed to do."

c'est DINGUE

10:24pm
Noemie

^^

c'est certainement très nul mais c'est très rigolo quand tu le racontes. Bon je dois filer ! biz



C'n'N

La princesse et la grenouille

Comment ça vous ne l'avez toujours pas vu ? Courez-y, on vous en parle bientôt.


16 mars 2010

Shutter Island (point de vue du médecin)

Eli, Eli, lama sabachthani


[Attention : SPOILERS]
J’ai entendu dire que les vingt dernières minutes de Shutter Island ne servaient à rien. Comme c’est naïf. Comme si Shutter Island était un film à twist, l’un de ces films que l’on ne revoit pas une fois qu’on connaît le « truc ». Comme si Martin Scorsese, à son âge, en était encore à concevoir un film comme une bonne blague qui ne vaudrait que pour le « Je t’ai bien eu » final.
Les vingt dernières minutes révèlent combien Shutter Island est infiniment plus qu’un film à twist, qu’un film d’angoisse. Ou plutôt, que l’angoisse n’est pas celle que l'on croit. Pas seulement.

Certes, Shutter Island se construit en profondeur comme un hommage assumé au genre du film de fou dont il reprend tous les codes, tous ces signes visuels du délabrement moral que nous connaissons par cœur, que nous nous délectons à revoir : la tempête, les grilles ouvertes, la nudité animale du corps de l’interné, les lampes qui s’éteignent et se rallument, ponctuant l’instant comme un texte, l’île mystérieuse et l’asile, enfin, jamais aussi terrifiant que lorsqu’il est vide. Ajoutez à cela une musique presque étonnante de classicisme, toute d’harmoniques grinçantes à la Stravinski, déployée sur le temps dramatique avec une économie hitchcockienne.

Derrière les signes de l’angoisse, nous cherchons, aux côtés de Teddy Daniels, les indices du mystère. C’est là que le bât blesse. Shutter Island est l’histoire d’une enquête dont la résolution est connue, dès l’origine, et immédiatement travestie. L’histoire d’un homme qui reconstruit le réel comme une énigme qu'il fait en sorte de ne pas résoudre alors que tout le monde l’y pousse. Pour employer les grands mots, un refoulement.

L’enquête, à l’inverse de l’angoisse, se construit donc au fil de signes que l’on refuse de voir, que l’on regarde parfois, sans vouloir les lire. C’est le principe de l’inconscient, qui parle à notre esprit un langage contradictoire, plurivoque, tel qu’en dernier recours, au sortir d’un rêve aux multiples visages, on est acculé à faire le choix d’une interprétation dont nous ne pouvons pas prouver qu’elle est la bonne. Refusant de faire ce choix, Teddy Daniels se condamne à réduire les indices scientifiques à des signes ambigus, qui ne doivent surtout pas, à aucun prix, faire sens. Car si tel était le cas, c’est alors que nous serions gagnés par la vraie folie, la véritable angoisse : celle qui sature le réel, sans aide de l'imagination.


L’inconscient contre le réel, contre le regard. De ces mécanismes du refoulement témoigne l’un des rêves de Teddy Daniels, au cours duquel il parle à sa femme dans leur appartement. Premier signe, déchiffré : lorsqu’elle se tourne, il aperçoit son dos brûlée, réminiscence onirique d’une tentative de suicide à laquelle il veut attribuer sa mort, mais qui, nous ne le savons pas encore, a échoué. Deuxième et troisième signes, dangereux, sur lesquels le regard glisse cette fois sans les lire : la robe de la jeune femme est trempée, et sur son ventre s’élargit une tache de sang. Indices refoulés, révélateurs d’une contradiction par le rêve du scénario construit par le fou, contradiction que résume à contretemps la question posée au fantôme adorable, retrouvé dans la tempête : « Baby, why are you all wet ? ». Cruauté sans bornes de l’inconscient refusant à l’esprit mourant l’aumône d’une folie salutaire.

Car la folie de Daniels n’est, dans le fond, qu’un mécanisme de défense. Ne pouvant changer le réel, ne pouvant vivre avec le réel, il déforme l’esprit. Le regard domestiqué par la douleur devient capable de voir ce qui n’est pas mais lui reste nécessaire : la mystérieuse exilée dans sa caverne, le corps de son associé balloté par les vagues, au pied de la falaise. Indices imaginés qui, confirmant la théorie du complot, infirment celle du destin.

La folie de Daniels est l’indice trop visible autant que le symptôme d’un incurable tragique de la conscience, source de l’ultime angoisse, la plus profonde, la seule à laquelle aucun des médecins, fidèle de la lobotomie ou du dialogue thérapeutique, n’a de réponse : ce n’est pas la folie qui est vide de sens, c’est le réel. Il est impossible pour les yeux de l'esprit de regarder en face ce monde dans lequel une mère peut tuer ses enfants et demander la mort à leur père sans qu’aucun sens transcendant ne vienne expliquer, racheter, justifier cela. Ce que cherche Teddy Daniels dans la tempête, c’est ce Dieu muet qui seul pourrait lui rendre des comptes. Et en l’absence de Dieu, la mort.

Et ce sera la mort, inévitablement. Non qu'il n'y ait pas de Dieu dans Shutter Island. C’est bien pire : on n’en sait tout simplement rien. Dieu est l’éternelle enquête sans solution, celle qui aboutit d’autant moins que l’on a le courage de garder les yeux ouverts. Personne ne sait. Personne ne peut savoir. Si Dieu est là, il reste tragiquement muet devant les signes de l’horreur qui saturent le regard, et ne laissent à Teddy Daniels que la force de fermer les paupières, obstinément.

Aucune rédemption ne sera donnée au sortir de la folie. Il ne reste plus à l’homme que le rôle du monstre. Ou celui de Dieu, puisque la place est à prendre. Mais elle n'a plus de privilège à offrir que celui de la violence. On se souvient de cette scène glaçante peut-être imaginée par Daniels, au cours de laquelle le directeur le fait monter dans sa voiture, et lui explique qu’ils sont tous deux de la même trempe, le roi comme le fou : celle des forts auxquels il revient, en l'absence de justice, de faire tourner le monde.

Nuls autres signes ne seront donnés que ceux de la violence des hommes. Mû par les plus généreux désirs, l’homme ne peut offrir à l’homme la guérison de l’âme, et si ce phare vers lequel tous les indices convergent est vide, c’est que la vérité l’est également : nue, invulnérable, glaçante dans son absence de justice.

Malheur aux hommes qui forcèrent un désespéré à rompre son bouclier de folie, car s’il y a un sens à cette vérité, ce désespéré a perdu la force d’en envisager seulement l’hypothèse. Dépouillé de tout par le silence de Dieu, Teddy Daniels n’a plus dans son dénuement que l’amère richesse d’une sagesse invivable et que dit laconiquement cette question par laquelle il fait comprendre au médecin que la guérison aura signé sa mort : Which would be worse : to live as a monster, or to die as a good man ? Et le monstre sous les traits du fou de rappeler douloureusement sa présence. Dans l'aveu final de sa lucidité, Teddy Daniels fraternise avec les grands maudits du roman gothique : damné errant crucifié dans les limbes sans mots d’une demi-vie, les mains sanglantes, attendant sans foi la mort charitable et l'instant d’oublier enfin, avec l’impossible salut, le silence assourdissant de Dieu.

Et le patient épuisé, rendu à sa vérité malade, d’entrer dans la mort les yeux ouverts.


Noémie

10 mars 2010

Nine (R.Marshall)

Top 9 de Nine

Puisque Nine n’est pas un film mais, au choix, un voyage touristique (chaque star visite Rob Marshall et en exige ce qu’il a de plus folklorique) ou une kermesse (chaque star vient faire son numéro, s’en va, et vous êtes priés d’applaudir mollement), voilà le top 9 des prestations. Hot-dog offert.



1. My husband makes movies (la première de Marion Cotillard)

Mieux lotie musicalement que les autres, c’est vrai, mais on n’en est pas moins surpris par sa manière d’habiter ce récitatif non-chorégraphié où seuls son visage et ses larmes assurent le spectacle. Et puis elle chante vraiment bien.



2. Be italian (celle de Fergie)

Flash-news : il aura fallu attendre Nine pour découvrir que Fergie-des-Black-Eyed-Peas a une voix. Mieux lotie visuellement que les autres, c’est vrai, tantôt filmée sur une plage en noir et blanc jouant avec la mythologie Marilyn, tantôt sur ce décor grossièrement italiano qu’on est écœuré de voir, mais qui est mieux employé ici qu’ailleurs. Ni le sable, ni les tambourins, ni les chaises ne sont vraiment originaux (cf. Cell Block Tango dans Chicago, du même Marshall), cependant l’insert sur sa main agrippant le gras de sa cuisse nous donne la chance de voir, pour la seule fois du film, un peu de vraie chair.


3. Take it all (la deuxième de Marion Cotillard)

Le meilleur moment du film : entre les images d’une scène de rupture en couleur s’interposent soudain les images en noir et blanc de Marion Cotillard en catin, s’effeuillant rageusement, sans ravaler ses larmes. On est étonnés autant qu’impressionnés : la petite française entre en concurrence directe avec la panthère Zeta-Jones de Chicago, qui avait plus ou moins droit à la même chorégraphie (niveau inventivité, Marshall est au point mort), et, s’en sortant bien, gagne ses galons de star hollywoodienne pour de bon.


4. Cinema italiano (celle de Kate Hudson)

Cette fois il y avait bien une idée : un numéro de danse en forme de défilé de mode, vendu comme un hommage à l’élégance italienne telle que la grande époque de Cinecittà nous a appris à l’aimer. Sauf que, en guise de Vogue, nous avons droit à la mini-jupe à paillette de Barbie Pouffe et à une infecte macédoine de clichés italiens (gnagnagna italiano, gnagnagna italiano, bis, ter, quinter) : cette fois c’est l’overdose.




5. A call from the Vatican (celle de Pénélope Cruz)

Pénélope Cruz telle que vous l'avez toujours vue : caliente (que ce soit dans Bandidas, Vanilla Sky ou Vicky Cristina Barcelona). Satin rose, lingerie cheap - on est très, très loin de la comédie musicale hollywoodienne : on est dans un peep-show, à Pigalle.





6. Guarda la Luna (celle de Sophia Loren)

Pour être honnête, on ne se souvient de rien d’autre que de son visage momifié (et pour cause, elle joue la maman morte de Day-Lewis), et absolument pas de la chanson elle-même, ni de la mise en scène. Au mieux (mais c’est involontaire) un argumentaire très efficace contre les dangers de la chirurgie esthétique à outrance.


7. I can't make this movie (la pire de Day-Lewis)

Day-Lewis paraissait fier du défi que constituait sa confrontation avec une telle brochette de stars. En dépit de la qualité très moyenne des prestations concurrentes, défi non-relevé : il chante mal. Quant aux chorégraphies, mises en scène, éclairages de ses numéros de singe dans les décors – rien de mémorable. Mais alors, rien.


8. Unusual way (celle de Nicole Kidman)

Un seul numéro pour notre bien-aimée Satine, exilé à la toute fin du film, et qu’on attendait comme le Messie. La pression montait à mesure de notre impatience : on comptait sur le vieil adage qui veut qu’on garde le meilleur pour la fin. Las ! Oubliées balançoires et hauts-de-formes, Diamonds are a girl’s best friends : on a droit à In an unusual way, en la regardant tourner autour d’une fontaine éclairée avec de gros seaux de lumières, comme si elle avait perdu quelque chose. A la place du haut-de-forme, un borsalino écrabouillé censé la rendre plus humaine, moins divine. Raté aussi : Kidman reste Kidman, telle que vous l'avez toujours vue (cf.Cruz).





9. Folies Bergère (celle de Judi Dench)

Son numéro est l’un des premiers – faire passer Judi Dench après Nicole Kidman aurait été un peu cruel. Nous rétablissons l’ordre que mérite le film, et vous abandonnons à l’amertume de ce numéro qui fait juste de la peine. Beaucoup de peine.



Camille & Noémie (C'n'N)

6 mars 2010

Pourquoi Clooney est nominé aux Oscars – tome 2 : Les Rois du Désert.


Three Kings, David O. Russell, 1999.

Au début des Rois du Désert, on s’imaginait naïvement qu’on allait voir une bonne comédie bien grasse sur les joies de la vie du troufion des sables. On a ouvert des yeux ronds comme des billes devant le générique tonitruant où défilaient biceps et divertissements potaches sur un flow digne des thémas West Coast de MTV. Une bourrinade sympathique et culottée : sortez la bière et les Curly, on va rigoler.
Les 4 premières minutes, c’était vaguement marrant. Mark Wahlberg avec un keffieh sur la tête, règlement de compte entre spécimens féminins débarquées dans le cadre sous un fallacieux prétexte de reportage, naïveté du bleu de service.
A la cinquième, on avait complètement fini de rigoler. Les Rois du Désert n’est pas une comédie : c’est un film crade et violent où les fillettes pleurent leur mère abattue sous leurs yeux, où personne n’est capable d’être fidèle à une ligne de conduite, opportuniste ou généreuse. C’est l’histoire d’un cessez-le-feu en forme de grosse blague, où l’on a tellement de raisons de tuer qu’on les tire au sort comme des cartes de tarot : l’or, la peur de Saddam, la vengeance, l’or, la peur de mourir, l’or.
Cela dit, si vous regardez le film après ce paragraphe, vous louperez le principal. Ce qu’il faut lire avant Les Rois du Désert, ce sont les journaux people de l'époque. Les Rois du Désert aurait besoin d’un exergue. Quelque chose comme : Clooney et David O. Russell ne pouvaient pas se blairer, et se sont écharpés pendant le tournage. Ils ont poursuivi la bagarre des années après, par interviews interposées ("George Clooney peut aller se faire mettre"). Le plus fou, c’est que Clooney s’était battu bec et ongles pour avoir le rôle, à une époque où il était surtout le docteur Colgate. Bref, ça n’était pas non plus une franche rigolade sur le plateau.
C’est peut-être pour ça qu’on est bien incapables de vous dire, finalement, ce qui distingue la performance d’acteur de ce Clooney-là. On aurait envie de croire à une forme d’anti-jeu, purement défensif, déterminé par l’instinct de survie : oublié le bel enjeu de création artistique, le vrai défi est d’arriver au bout du tournage avec un nombre raisonnable de dents. Violence d’un autre genre, très déstabilisante, que le spectacle de cette agressivité contenue et pourtant incapable de demi-mesure. Conséquence remarquable de cela : Russell reprochait au docteur Colgate de cligner des yeux pour passer le temps ; Clooney en réaction ne cligne des yeux – vous pouvez vérifier, on vous en prie – que trois fois, en 114 minutes. Cela lui donne un air violemment neutre, parfois hagard, comme un type avec un puissant mal de crâne qui s’obligerait quand même à crapahuter dans le désert avec ses petits camarades. Ce qui, finalement, est une sacrée performance.

Noémie & Camille

4 mars 2010

Cinq films asiatiques que vous auriez dû voir

(mais vous vous êtes méfié car au fond, ils sont tout de même fourbes, ces jaunes)

Three Times, Hou Hsiao-Hsien, Taiwan, 2005

Il est temps d'élever un mouvement de protestation contre la laideur au cinéma, et autour de vous en général. Un film de Hou Hsiao-Hsien peut vous permettre de soutenir l'odeur du métro et la bassesse de vos voisins pendant plus d'une semaine. Ici, ce seront la grâce de Shu Qi et l'ourlet de ses lèvres, le lancinant refrain de Smoke Gets in Your Eyes, la subtile violence de la mise en scène du couple, l'érotisme trouble des non-dits et des corps dévoilés dans le noir. A prolonger avec Millenium Mambo.


Les Anges Déchus, Wong Kar-Wai, Hong Kong, 1995

Parce qu'avant le cataclysme My Blueberry Nights, le réalisateur hong kongais faisait de vrais films, inspirés par la Nouvelle Vague et empreints d'une folie démesurée, frôlant la vulgarité à tout instant, intensément beaux. Celui-ci constitue sans aucun doute l'une des plus poignantes peintures de la solitude données à voir au cinéma. Pour retrouver cette frénésie, voyez aussi Chungking Express. Pour la mélancolie, Nos Années Sauvages.


Suzhou River, Lou Ye, Chine, 2000

Suzhou River, comme Le Silence de la Mer de Melville, a la grâce des films fauchés, tournés à la va-vite dans l'illégalité. Ce film entravé est fragile, fébrile malgré son calme apparent, comme les flots contradictoires de la rivière et des amours qu'elle héberge. C'est une histoire de sirène et de rançon, de cabaret et de méduse, de fascination triste et de souvenirs qu'on jette à l'eau. Bien sûr, vous n'en sortirez pas immunisé contre la tentation de la chute, mais se jeter dans la Seine, c'est bon pour Honoré. Soyez plus ambitieux.


Printemps, Été, Automne, Hiver... et Printemps, Kim KiDuk, Corée du Sud, 2003

J'ai lu tout et n'importe quoi sur le cinéma de Kim KiDuk, et malheureusement l'opinion la plus erronée est également la plus répandue. Rien dans son oeuvre n'est contemplatif. C'est tout le contraire : sa caméra crée incessamment de l'événement dans le plan, du mouvement, de la nouveauté, de la sensualité (le film en regorge de part en part). D'ailleurs contemplatif est un mot inventé par quelques rustres journalistiques pour dire "chiant" façon Chronic'art. Dans la foulée, voyez aussi Locataires, son autre chef d'oeuvre.


Shara, Naomi Kawase, Japon, 2003

Peut-être avez-vous vu La Forêt de Mogari , le dernier film de cette réalisatrice (je suis pleine d'espoir). Peut-être même avez-vous été déçu par sa symbolique un peu molle et ses ficelles trop apparentes. C'est bien légitime. Maintenant, ravalez votre désillusion et voyez Shara. L'histoire d'un enfant qui perd son jumeau (littéralement "spirited away", enlevé par un esprit), de sa découverte de l'amour à travers un deuil inachevé, de sa rage à l'égard d'une famille qui a su, du moins en apparence, oublier. La grande force du film est de prendre le contre-pied de son sujet : tout y est solaire, hanté du désir de renouveau, sensuel jusqu'à l'étouffement. Un peu de moiteur pour attendre l'été.

1 mars 2010

D'après les Césars 2010




















Bon, on ne va pas vous refaire le palmarès complet : pour ça, il y a google. Tous geeks qu'on est, on comprend quand-même les gens qui se foutent de ce genre de conciliabule de riches. Et puis les récompenses, c'est des accessoires ; mais qu'est-ce qu'il y avait autour ?
- La robe de Laetitia Casta (pardon, il fallait que ça sorte. Cf. photo).
- Un Prophète cartonne : ok, parfait. 9 récompenses. On lui souhaite l'oscar du meilleur film étranger, même si on a vu aucun des autres films nominés. Un nouveau gangster rafle la mise, après le magnifique hold-up de de Mesrine en 2009. M'enfin bon, tout ça ne changera rien au fait que devant Un Prophète, on a eu l'impression d'accomplir notre putain de devoir civique.
- Ce qui nous amène à mentionner le doublé absurde de Tahar Rahim, à la fois Meilleur Espoir masculin et Meilleur Acteur. Un seul, n'importe lequel, on était d'accord. Mais là... C'est très con, et les gens qui vous diront le contraire sont rares. Tahar Rahim lui-même n'en fait pas partie. Parce qu'il est modeste. Du coup, on ne va pas argumenter 107 ans sur les raisons de notre désaccord, on mentionnera juste Florence Loiret-Caille, nominée au Meilleur Espoir Féminin alors qu'elle avait 15 ans de cinéma derrière elle (soufflée samedi soir par Mélanie Thierry, 10 ans de cinéma), tandis que François Cluzet, soufflé aussi, était nominé au César du Meilleur Acteur pour deux rôles (A l'origine et Le dernier pour la route, Cluzet ayant aussi déjà été nominé au meilleur acteur en 1995).
- Les nominations au césar du meilleur film étranger étaient un joyeux bordel : Cameron, Van Sant, Eastwood et Boyle aux côtés de Xavier Dolan (20 ans tout court) et La Panique au Village. Finalement c'est Eastwood qui l'emporte (Gran Torino). Et vous savez pourquoi on rigole ? Parce qu'Eastwood, en plus de son César d'honneur en 1998, avait déjà remporté le César du meilleur film étranger 2 fois : pour Bird en 1989 et Sur la route de Madison en 1996.
- Alors quand on voit Isabelle Adjani récompensée pour la 5e fois, on se marre encore. Meryl fucking Streep n'a eu l'oscar que 2 fois malgré 17 nominations, alors on se dit que la concurrence est quand-même plus rude à Hollywood - ou que le jury a moins peur de se renouveler, ce qui paraît malheureusement plus crédible.
- Riad Sattouf reçoit le César du Meilleur Premier Film pour Les Beaux Gosses : enfin de l'espoir, du vrai ! Vous preniez encore Les Beaux Gosses pour une comédie à la con, mh ? Revoyez-le : c'était un vrai film.
- Gérard Depardieu roule en mini. Je pensais blaguer, et puis on l'a vu descendre. Comment on fait entrer 4 éléphants dans un placard ? Now you know.
- La robe de Laetitia Casta...
- La robe de Laetitia Casta.
- La robe de Laetitia Casta.
Sérieusement. Vous avez vu la photo : elle était nue. Mais pas "nue" au sens où les mannequins posent nus, puisque ses seins, sans soutien-gorge, pas refaits pour deux sous, étaient plutôt ceux d'une femme qui n'a plus 20 ans (depuis 12 ans), qui a eu 3 enfants. Elle avait déjà surpris en 2006 en arborant un buisson noir sous ses aisselles dans Le Grand Appartement, de Pascale Thomas. Après sa Brigitte Bardot somptueuse dans Gainsbourg, elle nous remet les pieds sur Terre. Elle aussi, modeste. Et pour être modeste derrière un voile transparent à 6000 euros, il faut du talent. Ce qui ne l'empêche pas d'évoquer Hollywood : ce genre d'éclat est bien loin de l'ambiance pépère des Césars où les riches saluent peu les pauvres, et où l'on vient EN NOIR. Qui que vous soyez, si vous finissez par être invités aussi au conciliabule du Châtelet, mettez de la couleur (et prévenez-nous).

Pour finir, une citation qui fait du bien par où elle passe, empruntée à un producteur (scénariste ? machiniste ? pft, pas trouvé) du Prophète : "Les gens du cinéma sont des gens supérieurement intelligents à la moyenne des hommes politiques qui nous gouvernent."
See ? Ca sert à rien, mais ça fait du bien. Comme tout un tas de choses. Comme ce post.

P.S. : Avec le chapeau, c'est Jacques Audiard.