Je ne m’étais jamais intéressé à Millénium pour une raison très simple. Je n’aime pas tellement tellement les scènes de viol. Ce n’est pas le cas de tout le monde. Il y a chez beaucoup de lecteurs de polars, spectateurs de policiers, amateurs de films gores ou porno, une #concupiscence morbide# proche de celle qu’éprouvait le public du Colisée qui les pousse à apprécier les scènes les plus horribles et les plus réalistes possibles. Si le livre a du succès, si le film suédois a eu du succès, si Fincher a réalisé la version américaine, c’est parce que les gens aiment ça. Pas parce qu’ils aiment la façon de réfléchir de l’héroïne, Lisbeth (pas moins surdouée que n’importe quel détective de base), pas parce qu’ils aiment le cinéma suédois, pas parce qu’ils aiment la perfection visuelle permanente du moindre Fincher. Parce que la violence les attire.
Attention, hein. Comme quasiment tout le monde, j’aime la violence au cinéma. Fight Club est l’un de mes films oreillers, ceux que je serre contre mon ventre quand j’ai besoin d’aller mieux. La violence qui défoule, la violence qui fait violence, qui secoue, qui réveille – I’m all for it.
J’avais donc soigneusement évité Millénium. Sauf que je ne raterais pour rien au monde un film de David Fincher. Je l’ai dit plus haut, il a l'un des yeux les plus incroyables du monde. Ses plans sont des bijoux, des merveilles d’orfèvrerie taillés au quart de seconde près. Donc : direction le Max Linder. Les deux scènes de viol m’ont bien fait gerber, d’autant que l’une d’elles reprenait la scène du paresseux dans Se7en qui, avec celle où E.T. ressuscite, doit être l’une des scènes de film m’ayant inspiré le plus d’horreur. Tout cela était un peu trop joli, bien trop joli et le problème c’est que tout le film est splendide, mais qu’on n’a pas vraiment l’impression que Fincher ait fait beaucoup plus que de gentiment titiller le surdoué en lui pour remettre en scène le crime suédois (je n’ai pas vu l’original, mais je parie que le fossé esthétique qui sépare les deux versions doit être à peu près le même qu’entre Morse et Laisse-moi entrer).
Une trouvaille. L'idée que si les victimes se sont fait kidnapper, c'est parce qu'elles n'osaient pas fuir face au danger. "La peur de vexer est plus forte que la peur de souffrir", dit le tortionnaire à cet imbécile de Mikael Blomkvist. Je préfère le cynisme de Fincher quand il s'exprime autrement que par des scènes d'agression interminables (mais n'est-ce-pas tout simplement la véritable idée forte du bouquin d'origine ?)
Pour le reste, les idées sont surtout celles de n'importe quel policier bien ficelé. Cela suffit à Fincher, enquêteur dans l'âme. Souvenez-vous de Sur la terre des dinosaures, faux documentaire anglais : les animateurs, en reconstituant les diplodocus en images de synthèse, avaient fait découvrir des choses aux paléontologues que les fouilles seules n’avaient pas permis de découvrir. Zodiac aurait aimé reproduire cela, contribuer à faire avancer l'enquête réelle. Les scènes de meurtre y sont reconstituées avec une méticulosité scientifique – au buisson près. Aujourd’hui, Fincher réouvre l’enquête fictive de l’homme qui n’aimait pas les femmes. La reconstitue minutieusement. Et la résout, sauf qu’elle l’avait déjà été, résolue, dans le film précédent, dans le livre précédent. Tout ça est un peu vain, mais ce n’est pas gênant, je ne suis de toutes façons pas un très grand adepte des histoires policières : parce que c’est comme les maths. Ou on a toujours bon et on aime ça, ou on se plante toujours, et on laisse tomber. Aussi n’ai-je pas pris un plaisir particulier à me rendre compte que le seul suspect était le coupable.
Pour ce qui est du rythme du film, il m’a semblé tout juste raisonnable, loin de la frénésie de Social Network. Ici tout peut se comprendre et s’entendre comme dans un bon vieux Philip Marlowe. A un détail près, très énervant. On sait depuis Benjamin Button l’intérêt porté par Fincher au vieillissement des visages. Ou aux visages, plus simplement. Que la victime assassinée dans les années 60 ait la même tronche que l’héroïne qui enquête sur sa mort cinquante ans plus tard ne peut pas être un hasard. Harriet et Lisbeth se ressemblent. Le film ne l’explique pas, et le générique défile trop vite pour qu’on ait le temps de vérifier (j’écris délibérément avant d’être allé regarder sur imdb). Cela n’a l’air de rien mais c’est très encombrant : on attend une variation sur l’idée que le mal revient, que les victimes sont les mêmes, que l’enquêtrice est liée à la victime, mais non, on reste collé au roman policier avec twist final (incompréhensible, qui plus est*). On sent la possibilité d’une boucle temporelle (une explosion due à une fuite d’essence n’a pas lieu dans les années 60, mais se produit cinquante ans plus tard, par exemple) mais elle n’est pas exploitée. Les fausses pistes, dans les films policiers, c’est évidemment normal… Quand on peut choisir de ne pas les suivre. Celle-là est encombrante.
Camille
* ENORME SPOILER : comment Harriet a-t-elle fait pour se métamorphoser en un autre membre de sa famille sans que personne ne s’en rende compte ? j’ai loupé un truc ? anyone ?