30 janvier 2010

Tears in Wonderland


Disney (1951)



Del Toro (2006)



Miyazaki (2001)

26 janvier 2010

Les Fils de l'Homme


A Mauvaises Langues, on aime bien cuisiner. Plutôt nul avec les nutriments, je veux proposer ici une harmonie entre films : des théories fumeuses, ou la construction de séries officieuses, genres de recettes inédites, de coffrets dvd de Noël inédits.
Ce qui donne aujourd'hui : La Chute du Faucon Noir + La Route + Incassable. On shake, on laisse cuire (dans le tag "théories fumeuses", on se moque bien de la chronologie - ici 2001, 2009, 2000) - et on voit : Les Fils de l'Homme (Alfonso Cuaron, 2006). Guérilla, apocalypse grise et plans séquences : essayez de regarder ça dans l'ordre. Dans votre mémoire, l'amoncellement d'images formera un gâteau où les ingrédients se marieront étrangement. Ce sera bien.
L'expression consacrée faisant office de paratonnerre étant ici : mutatis mutandis (petite pensée pour M.Levy, prof de latin qui m'a appris cette expression-là, et fut en son temps l'un des quatre rédacteurs de feu Starfix, magazine de SF que vous pourrez trouver dans tous les bons magasins empoussiérés.) Comme dans La Route, la post-apocalypse repose sur la nécessité absolue de transmettre, d'assurer la filiation, de ce point de vue La Route pourrait même se dérouler 10 ans après Les Fils de l'Homme : la petite fille a grandi, elle est à présent un petit garçon, et déambule avec son père (un rescapé du Projet Humanité de Cuaron) en quête de nourriture. Quant à Michael Caine, il n'est pas si mort que ça, et s'est transformé en Robert Duvall. L'âge concorde, vous verrez.
Ce n'est absolument pas pour dire ça que j'ai commencé ce post. Pardon, oubliez tout. Je voulais parler d'images de synthèse. Evidemment. Et d'une autre combinaison d'ingrédients.
Regardez : chez Cuaron, il y a cet extraordinaire plan-séquence où la femme accouche. Oui : le plan commence quand la porte s'entrouvre et que le chien entre dans la chambre, et s'achève après l'accouchement, quand le bébé se détend sur le sein de sa mère. Vous vous êtes peut-être demandé comment l'actrice avait pu accoucher comme ça, au moment de la prise. Il y avait eu une autre tentative d'accouchement plein film, c'était dans un Oliver Marchal, MR73, une horrible daube dépressive qui finissait sur un plan documentaire de vagin dilaté et de tête de bébé sanguinolente. Ici, non. Le bébé sort en parfaite synchro avec le travelling de la caméra portée, au bon moment... Vous l'avez deviné, le bébé est une image de synthèse. Comme la mandragore du Labyrinthe de Pan (j'en profite pour saluer Doug Jones, Faune chez Benicio del Toro et Gainsbourg démoniaque chez Sfar, Noémie l'a reconnu au jeu de ses doigts), il s'agissait sur le plateau d'une patate, remplacée plus tard par ordinateur. Computer Generated délivrance : c'est le moment où les ordinateurs ont véritablement commencé à s'approprier l'image de la vie humaine.

Je m'explique. Les Fils de l'Homme. Ce bébé, là. Bon, ce n'est pas Jar-Jar Binks. Ce n'est pas Gollum. Ce n'est pas Spiderman. C'est un humain nu, sans costume. C'est de la chair, c'est un visage. C'est un amont de pixels. Une image de synthèse : la première à reproduire aussi fidèlement le corps humain. Les scénaristes et les animateurs trouvent toujours un moyen de tomber d'accord, de commencer par les films les plus simples. De commencer par un bébé full-CG avant de passer à un adulte.
Le film où l'image de synthèse (qu'on appelle donc Graal, si vous avez lu mon bazar sur Avatar) devient adulte, c'est Ben Button. D'abord un bébé-CG, abandonné à la maison de retraite... Puis le Brad Pitt de synthèse vieux sur le corps du nain (le Graal à proprement parler, le visage adulte). Puis quoi ?? Alors, vous avez vu le film ou pas ? Arrive enfin Brad Pitt, rajeuni de 20 ans, par ordinateur. Le Graal manipulé : si vous avez vu Indiana Jones 3, vous savez qu'il sert de Fontaine de Jouvence. Et c'est ici le trucage repris par Avatar, lorsque Sigourney Weaver est rajeunie de 20 ans sous sa forme na'vi. Avatar se dirige ensuite vers un autre emploi du corps humain recréé en images de synthèse, une nouvelle étape. Voilà.
Non mais, c'est pas si fumeux que ça, si ? 1) Les Fils de l'Homme = l'image d'un bébé. 2) Ben Button : du bébé au rajeunissement et 3) Avatar, du rajeunissement à... Neytiri, pour faire court. Enfin, je crois.
Et vous savez quoi ? On doit pouvoir trouver d'autres points communs entre Cuaron et Cameron. Chacun, à leur manière, tentent de faire oublier la matérialité de la caméra. C'est le plan séquence à l'intérieur de la voiture chez le premier (mais où passe la caméra ??? demandez-le vous, c'est amusant) ; ce sont tous les travellings impossibles (à travers les lianes, à travers les branches, dans le ciel, dans la jungle, etc.) chez le second (qui n'emploie plus de caméra : sur Pandora, c'est l'image qui se déplace, pas l'objectif.) C'est un point commun ; vous en faites ce que vous voulez.
Il y en a un autre : le 11-Septembre vu comme un événement pré-historique. Chez Cuaron, les avions et les tours sont dessinés sur les murs voûtés des égoûts. En peintures rupestres, littéralement. Chez Cameron, c'est dans une civilisation primitive que se produit l'événement traumatique à l'échelle de l'effrondrement des Tours Jumelles (l'Arbre Maison s'effondre). En 2010, le 11-Septembre semble à ces cinéastes à la fois très proche et complètement archaïque, tant les conséquences en ont été nombreuses, tant il a changé de choses.

C'est joli, hein ? Le David a sauté sur une mine, comme un enfant afghan.


Bon. Si vous regardez Les Fils de l'Homme et que vous en arrivez à cette image-là, prenez une grande inspiration, c'est le début d'un des plans-séquence les plus longs, les plus virtuoses de ces dernières années. Avec celui du début de Snake Eyes. Et maintenant que vous m'y faites penser, quand Noémie aura lancé la mode des tops, je ferai celui des meilleurs plans-séquence.
Mmmh... Bon, je crois que c'est tout. A la prochaine, thanks for reading !


Camille

24 janvier 2010

Formidable

Le souffle au cœur, Louis Malle, 1971

"Il bande! Un enfant de chœur qui bande, t'as pas honte petit voyou!"

"Ce qu'il nous faudrait, c'est un Clémenceau
- Ou un de Gaulle
- Ou un Maréchal Pétain"

"Tu connais le tennis épinard?
- Non
- Tu vas voir, c'est un sport d'adresse"

"Tu vas pas le faire dépuceler par une fille qui louche quand même, ça
le traumatiserait pour le restant de ses jours."

13 janvier 2010

Le pays où l'on n'arrive jamais

La Route, John Hillcoat.

Couleurs disparues. Déchets d'arcs-en-ciel laissés à la douleur des hommes. Et loin, si loin des fleurs oubliées de l'avant
- une poignée de pastels qui ne dessinent rien, virant au noir sur une feuille sale, machinalement
- une canette de soda, le rouge étrange, la douceur de l'ambroisie
- l'éternité violente des emballages plastiques que l'homme, héros sans conte, roi sans descendance, sema au long des routes dans le lointain printemps
- un plaid à grands carreaux réchauffant un cadavre au bord de la mer

Dans la forêt de pierres du dernier âge, l'homme chasse l'homme après la mort des loups. Pierres tombant en silence, une à une, dessus la terre sourde et qui ne retient plus.

Apocalypse sans racines, hideuse affranchie de Dieu et du monde. Contre ce rêve un autre rêve sans foi, manichéisme nécessaire, les bons et les méchants, tant il n'y a plus à voir que le noir et le blanc.

La mer enfin, et son bleu disparu. Mur auquel on se heurte au terme de la route, miroir sali laissant l'homme et l'enfant face à l'enfant et l'homme. Miroir déformant par miracle, rendant la mère contre le père lassé. Longer la mer éteinte, devant l'insoutenable absence de l'horizon.


Noémie.

12 janvier 2010

Notre avis est indispensable, 2009 Part 3


5. Star Trek, de JJ Abrams

La bande-originale la plus écoutée de l'année : Michael Giacchino, après le final de Cloverfield et le bonheur ajouté au stress de M:I 3, ose à nouveau cette espèce de grandeur musicale naïve et bourrin. Ajoutée aux plus belles images galactiques d'ILM depuis Star Wars III, au rythme dont Abrams a le secret, et au zoom avant le plus grisant de l'année - 3 hommes tombent en flèche, dans un soudain silence, devant le soleil... Ca a l'air de rien, mais...





4. Jennifer's Body, de Karyn Kusama

Parce que c'est l'histoire adolescente qu'il faudrait montrer aux jeunes pour les déniaiser en avance, avec Les Beaux Gosses de Sattouf : un vrai cynisme jeté à la figure du public cible, Megan Fox tapie dans son corps de déesse n'hésitant plus, façon Louise Bourgoin, à la jouer crade. Et l'un des plans les plus fascinants vus cette année : Jennifer puisant à pleines mains le sang au ventre ouvert d'un ado non plus libidineux, mais éviscéré. Bon appétit.





3. L'Etrange Histoire de Benjamin Button, de David Fincher

Le rateau immérité de l'année. Il y a l'ombre de bien des films sur Ben Button, qui se voulait film-somme, et s'est retrouvé oublié. Trop morbide, peut-être : on ne regarde pas la vieillesse en face comme un divertissement. Mais pour quelques travelling de trop, combien d'instants parfaits : la ballet nuptial de Cate sur fond de jazz, le père Button face au crépuscule, le nourrisson mort de vieillesse dans les bras de son ancienne amante...




2. Inglourious Basterds, de Quentin Tarantino

Les films de Tarantino devraient être hors-concours, quand on en vient aux classements. Parce qu'il triche ! Ce type a fait un pacte avec le Diable. On ose à peine repenser au film tant sa richesse excède la mémoire : tout y était décuplé par le rythme donné à l'instant, le jeu d'acteur au millimètre d'Auguste Diehl (photo) dans cette bon dieu de "scène de la taverne", jusqu'à l'orgasme final : WRITTEN AND DIRECTED BY QUENTIN TARANTINO - works every time.





1. Watchmen, de Zack Snyder

La mélancolie de Dieu. Un travelling survolant un cimetière devant les Tours Jumelles, sur fond de Sound of Silence. Sur Mars, face à l'émouvante étrangeté de l'horloge abstraite du DrManhattan, c'est Prophecies, de Philip Glass, qu'on entend. Deux des plus grands moments musicaux de l'année. Ce qu'ajoute Snyder au comics, c'est la toute-puissance de sa caméra, et le contre-point du son apporté aux images silencieuses. Un film comme un rêve.

Notre avis est indispensable, 2009 part 2


5. L'inespéré : Slumdog Millionaire, Danny Boyle. Croisé sur le chemin de Damas, le feelgood movie qui a fait oublier à Hollywood ses préjugés de vieille fille, et offert la nuit des Oscars à une bande de gamins hilares en costume. Exit douxième degré et et autres mises en abyme intempestives, vive l'Amour naïf, les saris, la musique indienne et les jeux télévisés. Et que ceux qui n'ont jamais eu envie de se trémousser sur Jai Ho me jettent la première pierre.



4. L'engagé : Ponyo sur la falaise, Hayao Miyazaki. La plus belle croisade écolo d'une année cinéma qui en a vu d'autres, avec un Nicolas Hulot à perruque, veste Mister Jack et boucles d'oreilles Mère Grand. Mais surtout, la bienheureuse consécration de l'héroïne dodue courant sur les vagues avec une ardeur wagnérienne, et la revendication d'un art de vivre rose et simple comme une tranche de jambon. Au placard Anja Rubik, adoptons le cri de guerre de Ponyo, "Ham !".



3. L'anti-rides : Star Trek, J.J. Abrams. C'est beau, vif, intelligent. Ca parle klingon. Le héros se fait casser la gueule toutes les 12 minutes, et c'est filmé dans la joie et la bonne humeur avec des bouts de ficelle et des miroirs autocollants. Sur grand écran, avec des tsioutsioutsiou électroniques pleins les oreilles et le score décomplexé de Michael Giacchino, ça redonne à toutes les fibres de votre carcasse une insoutenable légèreté : Live long and prosper, everyone.



2. La bombe : Démineurs, Kathryn Bigelow. Le film de mecs ultime est un film de femme, et cette femme a tout compris. Bagdad dans la poussière, et le désir furieux de partir sacrifier sa vie sur l'autel du hasard. Sous la poussière, une terre usée rendue à l'héroïque jeunesse des Titans. Ralentis, plans larges, hard rock. Le monde est un terrain de jeu.



1. L'audacieux : Away we go, Sam Mendes. Guéri des Noces rebelles comme on revient d'entre les morts, Mendes retrouve la foi sur les chemins du doute, dans les pas de deux inconnus qui, gardant le courage de croire aux grandes vérités simples, apprennent l'art secret d'habiter en poètes un monde où tout, sinon l'Amour, est offert à l'érosion. Un film immense dans son humilité.

Notre avis est indispensable, 2009 part 1

Le Ruban Blanc, Michael Haneke : Citer la Palme d'Or dans mon top de fin d'année est évidemment très convenu et consensuel et absolument dépourvu d'audace ou d'imagination. Le fait est que ce film est d'un bout à l'autre une leçon de cinéma magistrale : intelligence du cadre, richesse du propos (le proto-nazisme, sérieusement...), splendeur de la photographie, tout ici confine au chef-d'œuvre.
Meilleurs couinements d'enfants battus, meilleure image, meilleurs acteurs dans la catégorie chatons mignons (voir image).

Morse, Tomas Alfredson : Citer un film de vampires suédois dans mon top de fin d'année est évidemment très attendu et pourrait éventuellement me faire passer pour une abonnée des Inrocks, voire de Télérama. Le fait est que ce film est d'un bout à l'autre un époustouflant éloge du trouble : dépouillement du plan doublé d'un sens très graphique du décor, ambigüité des personnages, absence totale de complaisance, scénario génial et maltraitance du spectateur.
Meilleur implicite sexuel avec des mineurs, meilleurs bruitages, meilleure scène pyrotechnique (voir image).

Ponyo sur la Falaise, Hayao Miyazaki : Si ce film ne figure pas dans votre top 5 de l'année, c'est simplement que vous n'avez pas de cœur. Et n'avoir pas de cœur, c'est tout bonnement horrible.
Meilleur coloriage, meilleur tsunami, meilleur message d'amour en morse.

http://medias.lemonde.fr/mmpub/edt/ill/2009/01/08/h_4_ill_1139660_idiots-anges-bis.jpg
Des Idiots et des Anges, Bill Plympton : De ce film, je conserve une vision aussi nette que le trait de Plympton est filandreux : d'une noirceur quasi insoutenable, c'est une œuvre à charge contre l'humain, avec sa bêtise crasse et sa veulerie, sa hideuse libido, sa propension toujours renouvelée au mal le plus quotidien. Si vous voulez envoyer vos enfants au catéchisme en toute bonne conscience, n'allez jamais le voir.
Meilleur homme volant, meilleur taille-crayon, meilleure introduction au pessimisme philosophique et à Schopenhauer.

http://weeklyrot.files.wordpress.com/2009/03/haleyrorschach.jpg
Watchmen, Zack Snyder : Ce film est une énorme boursoufflure de pop culture et d'argent, ce qui pourrait annoncer une catastrophe mais en fait finalement une sorte de merveille bancale et extrêmement jouissive. Il faudra songer à sanctifier Zack Snyder au nom du mauvais goût universel et du marché des drogues neuro-stimulantes.
Meilleur personnage (Rorschach), meilleure BO, meilleur générique d'ouverture, meilleure réplique : "None of you seem to understand. I'm not locked in here with you. You're locked in here with me."

11 janvier 2010

His name spelled backwards was Krap Nek

J'ai vu Ken Park pour la première fois au cinéma, à l'automne 2003. Mes souvenirs convoquent, avec l'image d'une salle presque vide, la sensation d'une jouissance immédiate et coupable. La cruauté gratuite de ce film, sa soif enragée de destruction, sa complaisance à se vautrer dans le purin, m'apparaissaient comme le manifeste d'un cinéma témoin, l'écho amplifié d'un cri adolescent traditionnellement bâillonné par le puritanisme.

Deux semaines plus tard sortait Elephant. Sur une même trame de fond (la double pulsion de sexe et de mort, le besoin pathologique de reconnaissance d'une jeunesse abandonnée), Van Sant signait une œuvre diamétralement opposée, où la violence se dessinait par nuances, où la beauté formelle de chaque plan sublimait l'errance de ses personnages. Et ce qui me frappe douloureusement aujourd'hui, alors que je revois Ken Park, c'est combien la puissance d'incarnation qui innerve Elephant fait défaut à ce film.


Les deux œuvres sont pourtant souvent semblables, au point d'adopter des procédés narratifs identiques : la présentation des protagonistes à l'aide d'un carton portant leur prénom, la segmentation des scènes par personnage, les effets de recoupement temporel et spatial, etc. Le film de Van Sant pousse même plus avant la dimension dramatique de son sujet puisqu'il typifie à l'extrême ses intervenants, à l'image des fonctions du théâtre classique. Le jock, le nerd, le skater, la petite grosse, tous des misfits de l'imaginaire lycéen, habitent paradoxalement davantage le film que les adolescents lourdement caractérisés de Clark et Korine.


La même critique peut être formulée à l'égard du traitement du sexe dans Ken Park. Assez cru pour choquer (et enthousiasmer) un public de vierges effarouchées, il reste finalement trop délibérément explicite pour provoquer l'émoi d'un spectateur averti, tant en matière de jeux polissons qu'en expériences cinématographiques. Il faut pourtant excepter de ce jugement les dix dernières minutes du film, qui constituent l'une des plus belles scènes de sexe que j'ai pu voir au cinéma. Conçue comme un contrepoint absolu à la noirceur du film, elle s'étire dans une lumière ouatée, tandis que la caméra parcourt sans peser les corps enchevêtrés des trois héros survivants. Le film ne s'accomplit donc pleinement que sur son thème mineur. Et c'est sur un sentiment doux-amer que s'achève cette redécouverte, comme l'acte de clôture d'une adolescence trop longtemps prolongée.