29 novembre 2011

Teen-movies et littérature classique

Dans mon post d'hier, il y avait une capture d'Easy A, avec Emma Stone. L'occasion de constituer l'un de ces coffrets DVD de Noël rêvés comme on (je?) les aime :

Les Adaptations de Romans Sentimentaux en Milieu Scolaire. (29,99€)

Les Américains en raffolent (enfin, il y en a trois) et un certain Français Très Français s'y est essayé aussi.


Easy A se veut une adaptation de La Lettre Écarlate, par exemple.

Personne ne le dit, évidemment.
















Bon, et puis, on se souvient tous de Cruel Intentions, adapté de Laclos. D'ailleurs : si quelqu'un lit ces quelques phrases perdues, sachez qu'il existe une suite à Cruel Intentions : Cruel Intentions 2 (eh oui). Amy Adams, débutante, remplace Sarah Michelle Gellar dans le rôle de Merteuil. C'est un de ces films où Adams fait sa Mel Gibson : elle se vautre dans la boue. Espèce de perversion bizarre, à la Deneuve dans Belle de Jour, qu'elle reproduit dans plusieurs autres de ses films (Il Etait Une Fois, Donne-moi ta main) - le genre de truc qui fait bander Aronofsky, en somme.


J'aurais aimé gardé La Belle Personne pour la fin, mais disposer les images de ce post me colle la migraine. La Belle Personne, teen movie tourné à Molière, dans le XVIe : voilà tout.


Impossible de réussir à placer correctement Emma et l'affiche de son adaptation, Clueless, sorti en 1995, à l'époque où nous pensions encore qu'il ne fallait pas regarder ce genre de films bêtes. Paul Rudd y tient l'un de ses premiers rôles. (Puisqu'on parle de ceux qui ont débuté dans de bons films bêtes, rappelons Chris Evans, aka Captain America, quarterback chantant de Sex Academy.) Comme dans Easy A, le personnage principal de Clueless, joué par Alicia Silverstone et sa bouche, s'exprime dans un anglais châtié qui constitue le souvenir des textes d'origine, signés Austen ou Hawthorne.

Dans tous les cas, ce langage fait du personnage principal une sorte de freak trop doué pour son âge, le résultat ayant plus de piquant dans Clueless puisque la fille plutôt intelligente y est dépeinte comme la sotte de service, tandis que les jolies phrases d'Emma Stone dans Easy A servent surtout à l'accouchement du personnage cinématographique de l'actrice - celui qu'elle tiendra, en gros, dans la majorité de ses rôles : une fille plutôt douée que son bel esprit marginalise un peu, une beauté trop intelligente pour son entourage (voir, déjà, Supergrave et Crazy Stupid Love).

En fait, le beau français et l'articulation très-lyrique des bobos d'Honoré correspondent aussi à cette rémanence du matériau d'origine dans les dialogues. Pas qu'ils s'expriment comme Madame de La Fayette, mais peu de monde, même rue du Ranelagh, se fendrait d'un superbe "je suis dans une absolue détresse amoureuse", comme le fait alors Garrel.

Pourquoi, mais alors pourquoi me casser ainsi la tête sur ces films-là, maintenant, soudain ? Et vous bassiner avec ?

Tout a commencé quand Easy A s'est retrouvé en occase à Gibert - Amy Adams, Emma Stone, je serais prêt à regarder n'importe quelle daube pour regarder jouer ces deux-là (et encore, je n'ai pas été voir La Couleur des Sentiments). Quelques jours plus tard, Thursday Night Live au Studio des Ursulines (près de la rue d'Ulm, je crois) : cinéclub des 3e jeudi de mois spécialisé dans la comédie américaine. La dernière fois, c'était Clueless... La Belle Personne est typique des films de novembre, sans un seul rayon de soleil, comme si la lumière avait été le cadet des soucis du réalisateur. Ronin est comme ça aussi. Mais le lien entre Frankenheimer et Honoré ne suffirait pas à faire un coffret 2DVD pour Noël, je pense, même à 9,99€.

Depuis vous-savez-quoi, il est devenu impossible de finir le moindre discours par "bref, ...". Ce n'est pas plus mal. Il faudrait créer une série qui s'appellerait "donc voilà", ça ferait du ménage.

Pardon encore pour le casse-tête visuel. A la prochaine.


Camille.

28 novembre 2011

De l'inquiétude






(Easy A, Liar Liar, Black Swan, Centurion)

C.

23 novembre 2011

Who framed Munchausen ?


J'ai découvert Les Aventures du Baron de Munchausen à la télé, vers Noël 1992. J'avais 6 ans, les deux heures du film m'avaient semblé durer des mois au Paradis et je passai tout le reste des années 90 à chercher dans le programme télé une rediffusion qui ne vint jamais, m'empêchant de l'enregistrer en cassette pour l'apprendre par cœur. L'image de la mort frôlant l'homme sur son boulet de canon est le seul souvenir net qui me restait.

Il y a deux mois, j'ai trouvé le DVD en occasion, à Gibert. Ce matin, fébrile, je l'ai revu.
Je n'ai cependant pas l'intention de réécrire La Recherche avec Terry Gilliam en lieu et place de Madeleine.

John Neville, le Baron de Munchausen, est mort samedi dernier, 19 novembre 2011. Il avait 86 ans.


Camille

14 novembre 2011

Une page de PUB et des yeux bleus

Aussi étrange que cela pourra vous paraître, nous avons une page facebook [ici] sur laquelle nous ajoutons, parfois, quelques commentaires plus ou moins sérieux...
Come and join us !
Parce que, les statistiques, c'est sympathique ; mais rien ne vaut un petit pouce bleu levé haut vers les cieux (ou vers la barre d'outils, au minimum).

[Brave, prochain Pixar, prévu fin juin 2012.]

C'n'N

11 novembre 2011

Contagion, de Steven Soderbergh

C'est du propre ! 


Une petite introduction de circonstance. 

De Steven Soderbergh, si je n'avais vu que les Ocean's, Girlfriend Experience, The Informant ! et les deux Che, je vous aurais dit mercredi soir, en revenant de Contagion : "C'est normal. Il a fait un film froid sur un sujet brûlant. C'est son style." Et vous n'en auriez pas passé un meilleur moment pour autant. Non que Contagion soit un mauvais film. C'est un parti-pris courageux, comme tout film choral. C'est très bien mis en scène, et mieux encore filmé. Plutôt bien joué. Un peu long sans doute, comme tout film glacé.

Soderbergh aime bien mettre l'humain en bocal.

Si vous avez vu autre chose de Soderbergh que la série des Ocean's, vous le savez déjà : Steven Soderbergh est un cinéaste misanthrope. Je ne parle pas de l'homme, dont je ne sais rien. Mais son cinéma est misanthrope, dehors comme dedans. A l'extérieur, son parcours est rythmé par une alternance financièrement correcte entre les films "commerciaux" que nous avons probablement tort d'aimer, qui rapportent, et les expérimentaux indigestes qui se fichent pas mal que nous les aimions ou pas, et que nous n'aimons pas, d'ailleurs, même lorsque nous affirmons le contraire pour faire chic. Avoir "aimé" Girlfriend Experience ou The Informant !, c'est comme avoir "aimé" ce monochrome numéro 4539875, Triangle isocèle vert sur fond vert, au centre Pompidou : la seule chose qui nous plaît vraiment, c'est l'idée d'avoir compris quelque chose qui échappe à tout le monde, alors qu'il n'y a rien à voir, ni à comprendre. 

Triangle isocèle vert sur fond vert ou Métaphore contemporaine
par Noémie L., 2011, Centre Pompidou, 898786755 $

A l'intérieur du cinéma de Soderbergh, c'est la même chose : chaque film s'élabore à partir de plans préliminaires uniquement constitués de lignes de démarcation entre l'oeil et les hommes. Non, nous n'entrerons pas dans l'esprit de celui-là, nous ne saurons presque rien de sa douleur. Nous la montrerons, à distance, comme la croissance d'une plante que l'on se garderait bien de goûter, car tous les hommes ont le même goût, et toutes les douleurs se ressemblent. De là, sans doute, sa prédilection pour le film choral. L'oeil y papillonne d'une émotion à l'autre, sans que la main trouve le temps d'aller toucher les rires, goûter les larmes. Contagion est exactement cela : les personnages sont autant d'esquisses, très propres, auxquelles il ne sera pas accordé une seconde de jeu au delà du temps réglementaire. 

Une grimace et au lit : l'art de gérer le péril Cotillard.

Tous les personnages se valent : le courage du Père est de même nature, exactement, que celui du Médecin. La Martyre n'a pas plus de panache que l'Escroc. Tous sont des Héros, et aucun ne l'est. Soderbergh ne s'intéresse à l'Homme qu'avec une majuscule, sans jamais s'aventurer sur les terres de l'humain, de peur que toutes ses douleurs et ses rêves, ses caractères, ses grandeurs, ses rechutes, ses larmes et son sang, tout ce sale, ne viennent contaminer la clarté froide de sa vision. Non, il ne manque rien à Contagion, c'est juste un film de Soderbergh. Bien désinfecté.

Celui qui me trouve la photo d'un VRAI sourire de Soderbergh gagne 
l'inestimable monochrome présenté ci-dessus. 

Voilà ce que je vous dirais si je n'avais pas vu Traffic. Qui est, indubitablement, un film choral de Soderbergh. Seulement voilà : Traffic est un chef d'oeuvre, et Contagion n'en est pas un. Je perdrais beaucoup de temps à vous expliquer ce qu'il n'y a qu'à voir, ou revoir, pour comprendre. Un constat cependant, qui fait toute la différence : Traffic est un film qui parle des hommes. Ont-ils trompé la vigilance de l'Oeil pour y glisser, entre deux plans, un peu de cette chair douloureuse qui les encombre autant qu'elle leur offre une vérité ? Ou bien l'Oeil a-t-il consenti, le temps d'un miracle, à ce que la main effleure le sale ? Je n'ai que faire d'une comparaison, et vous de même. Je préfère consacrer le temps qu'elle exigerait à revoir Traffic, ou même une seule scène, une seule image contre laquelle j'échangerai sans état d'âme tout les Ocean's, et le gros Che bipède, et les longueurs étales de Girlfriend Experience, et tout le reste : Michael Douglas au chevet de sa fille droguée, posant ses lèvres tremblantes sur son front pâle, lourdement couronné par une ombre de mort.

Noémie

1 novembre 2011

Tintin ou l'amertume (Pour en finir avec Tintin)


NON
Il n'était pas couru d'avance que nous n'aimerions pas. Parce que Star Wars : Episode I, Indiana Jones 4, Avatar et Harry Potter 7.2, attendus avec autant d'impatience, ne nous avaient pas laissé, en leur temps, ce goût d'eau croupie dans la bouche. Il n'y a rien d'écrit ici cependant. Parce qu'il est difficile de trouver l'enthousiasme nécessaire au moindre papier après avoir vu Milou se prendre un pis en images de synthèse dans la tête. Image dégradante pour la vache, Milou, les images de synthèse, Spielberg, vous, moi - ah oui, et pour Hergé aussi. Les habitants de la ville marocaine détruite par Tintin et Haddock avec autant de désinvolture qu'un bidonville dans Bad Boys II ne sont pas aussi dégoûtés que ceux qui attendaient de Spielberg un film de Spielberg.


Rien d'écrit.

Et surtout pas ceci : il y avait beaucoup de bonnes choses dans Indiana Jones 4. Spielberg a avoué récemment n'avoir jamais voulu faire un film avec des extra-terrestres, ce n'était pourtant pas le plus grave. Ce qui avait le plus déstabilisé, c'étaient ces marmottes qui s'incrustaient dans le combat de la séquence d'ouverture. C'étaient ces singes qui infestaient la course-poursuite dans la jungle. Cate Blanchett, impériale, se débarrassait d'un de ces horripilants primates tout droit sortis des logiciels de Jumanji avec la même rage que l'aurait fait le spectateur, s'il avait pu en choper un. C'était sans compter sur le fait que, si les hommes de Cate Blanchett tombaient dans le vide sans vergogne, Spielberg sauvait les singes, qui se rattrapaient in extremis à une branche providentielle.

Les bestioles ont donc survécu et pullulent dans Tintin. Le chat du début se rattrape à un lustre exactement comme le singe se raccrochait à la branche, on se demande d'ailleurs si les animateurs n'ont pas commencé à faire comme chez Disney, où l'on réutilisait des schémas d'animation pré-établis d'un film à l'autre en ne modifiant que l'aspect du personnage. Il n'y a malheureusement pas que le chat. Milou s'en sort plutôt bien, en dépit du fait que les personnages canins ont le don de m'énerver (Men in Black II, en tête). Il y a aussi ce rat qui squatte l'écran pendant bien 30 secondes. C'est un film de Spielberg, ça n'arrive pas souvent, ça ne dure pas longtemps - 1h40 - et il faut qu'un bon dieu de rat squatte les millions de dollars.

Spielberg ne voulait pas faire Indiana Jones 4. Qu'il le tourne quand-même pour les fans, son ami Georges, Harrison Ford, Shia LaBeouf, vous, moi, passe encore. Mais qu'il se jette ensuite sur Tintin, qui ne pouvait pas être autre chose qu'une variation sur Indiana Jones, m'échappe complètement. Autre problème : ce qui fait le charme d'Indiana Jones, c'est qu'il ne garde JAMAIS le trésor qu'il découvre, et que ce trésor n'est jamais simplement fait d'argent. A la fin du Royaume du Crâne de Cristal, les personnages découvrent un bazar qui ressemble à s'y méprendre à la remise des Frères Loiseau du Secret de la Licorne. Le bazar finit détruit. Tintin et Haddock, eux, veulent le pognon. Les pièces d'or, les bijoux, les espèces sonnantes et trébuchantes, je vous en prie, objectez-moi que Tintin ne cherche qu'à écrire son prochain article, je n'ai qu'une envie qui est de vous croire, mais le film s'achève quand-même sur un alcoolique repenti qui devient rentier.

Quand le film d'un grand réalisateur s'achève et que son nom n'est pas le premier au générique, c'est qu'il y a un problème. Ce n'est pas une question d'humilité. C'est une question d'attachement à l'œuvre finie. Prenez les Georges Lucas, les Quentin Tarantino... Leur nom est toujours le premier à apparaître. Prenez les bons Spielberg. A la fin de Tintin, le nom de Peter Jackson apparaît avant celui de Spielberg qui, comble du comble, n'apparaît qu'en tant que "lighting consultant" - consultant aux éclairages.

Peter Jackson doit réaliser la suite. Le film annoncé est une adaptation des Sept Boules de Cristal et du Temple du Soleil. Tout le monde trépigne d'excitation. Peter Jackson dans les montagnes ! L'Amazonie de Hergé filmée comme Skull Island ! - Attendez, je ne comprends pas : Spielberg n'a adapté que Le Secret de la Licorne, non ? (et un peu du Crabe aux Pinces d'Or, je sais). Rien du Trésor de Rackham le Rouge. Il faut donc imaginer que Jackson n'adaptera que les Sept Boules de Cristal. Et qu'en 2016, on se contentera d'Objectif Lune. Tant pis pour les sous-marins en forme de requin, l'éclipse salvatrice et les combinaisons orange bibendum, que vous rêviez de voir. Vous n'aurez qu'à regardez les dessins animés, ils sont très bien.

On reste là devant le clavier, on aimerait mettre des mots sur ce qui nous a manqué, sur ces trois ans passés à attendre, rien ne vient. On est comme sonné, bouche-bée.


Je dis film pour enfants parce que devant moi, une fillette de 4 ou 5 ans riait beaucoup des bêtises d'Andy Serkis en Haddock. Andy Serkis est comme ça : c'est un tonton sympa. Il fait rire les enfants. Il imite à merveille Gollum, et fait vraiment trop bien le singe - le gorille, le chimpanzé. Il sait même faire Popeye ! - cela n'en fait pas un grand acteur, pardon tonton. Puisque c'est bien lui, et pas seulement sa voix, qui donne vie à Haddock. Et puisque le capitaine a clairement le premier rôle dans ce Tintin (ce dernier n'étant qu'une pâle, ô si pâle numérisation de Mutt Williams [c'est-à-dire Shia LaBeouf dans Indy 4]).


Problème : ce film pour enfants est émaillé de sous-entendu sexuels assez troublants. L'un des marins du Karaboudjan, improvise Serkis, a été condamné pour "animal-husbandry" - zoophilie en VF, "saute-mouton" dans les sous-titres. Sakharine a couché avec la Castafiore pour arriver à son bras au concert. Il n'y a rien de tel pour faire boiter un film qui aurait pu marcher. Sans parler de ce qu'il y a de plus bancal dans l'ensemble : Spielberg emploie l'outil numérique le plus réaliste possible, glorifie la toute-puissance des ordinateurs - même quand il n'y a pas le moindre souffle, poils et cheveux ondulent et gesticulent, c'est d'un agaçant - pour faire volte-face au dernier moment : Tintin est conçu comme un cartoon, truffé de gags de cartoon, d'invraisemblances de cartoon. J'appelle "invraisemblance de cartoon" le fait que Tintin glisse dans la poche arrière de son pantalon son portefeuille avec le parchemin dedans, et je sais que je suis indulgent.

Ces quelques blagues bancales sont les preuves que Spielberg s'est retenu, exactement comme il ne s'était pas retenu à l'époque d'Indiana Jones et le Temple Maudit, de Jurassic Park, de Soldat Ryan. Le résultat est un film hollywoodien sur-formaté, dans lequel la patte Spielberg ne se lit que littéralement -citation ad nauseam de ses précédents films - ou alors, plus techniquement, à travers le plan-séquence de 6 minutes qui commence quand Tintin chope les trois parchemins, qui le suit tandis que la ville s'écroule, et qui s'achève sur un ponton.

Seulement, le problème avec les films en performance-capture, c'est qu'il redéfinissent la notion de virtuosité. Or la virtuosité, c'est ce qui a longtemps caractérisé Spielberg, c'est ce qui sauve ses films fragiles (1941, Amistad, Indiana Jones 4). La virtuosité, c'est parvenir à se détacher des contingences réelles. A les survoler. A les congédier d'un mouvement du poignet et à jouer comme un dieu avec l'outil qu'on a entre les mains, piano, caméra, stylo plume, rhétorique. Cela flirte toujours avec le creux, la vanité. Le summum de la virtuosité au cinéma, demandez à qui vous voulez, c'est Hitchcock (et son fils De Palma), Welles (et son fils P.T. Anderson) - et Spielberg : c'est le plan-séquence. La Corde, La Soif du Mal ; Minority Report, La Guerre des Mondes. Question : où est la virtuosité à réaliser un plan-séquence dans un univers numérique ? On ne jouit plus de la prouesse technique - et je suis certain que c'est cela qui plaisait à Spielberg aussi - on jouit de la certitude d'être absolument libre.

L'est-on vraiment ?

Un trapéziste qui aurait des ailes serait-il toujours aussi heureux de réaliser des prouesses ?


En un mot comme en cent : suffit-il de passer à travers cinquante vitres, de mettre la caméra en face de dix mille surfaces réfléchissantes, pour se convaincre que la caméra n'existe plus et que l'on fait du cinéma comme un dieu, magiquement, par la pure force de la pensée ? La liberté qu'offre la performance-capture est un bon vieux piège hybristique, un pacte faustien. Elle n'est pas effective, elle aliène le réalisateur à son imaginaire, à sa solitude, aux limbes de lui-même. Pire : elle est une liberté hypocrite, un honteux mensonge, dans le monde hyper-codifié du divertissement grand public.

Tintin a coûté 135 millions de dollars. Ce n'est pas beaucoup. Rappelez-vous ce précédent post, sur la crise, la dévaluation du budget des films. La performance-capture est en train de se constituer en tant que cinéma de substitution, de blockbuster du pauvre. La chose stupide étant que pour, mettons, 200 millions - et je suis certain que Spielberg pouvait se le permettre - le combat de grues, l'extraordinaire assaut du bateau de Haddoque (Verbinski ne s'en est probablement toujours pas remis), le plan-séquence dans Bagghar, tout cela pouvait être réalisé live, et on aurait même pu, avec les thunes restantes, retoucher par ordinateur le visage des acteurs pour qu'il soit conforme aux personnages de Hergé. Dans tellement de séquences, j'ai regretté de n'avoir sous les yeux que du virtuel. Le duel à l'épée entre le chevalier de Hadoque et Rackham le Rouge, pendant lequel la mèche est plusieurs fois allumée puis éteinte. Réalisée live, cette séquence aurait été brillantissime. Je n'ai vu qu'un animatic amélioré, désolé. [animatic = story-board en 3D]

Si on avait la force d'écrire, on développerait peut-être cette histoire de la performance-capture qui prend un nouveau tournant ici, en même temps que celui du cinéma en relief (en clair : l'un comme l'autre commencent à gaver). La 3D, en effet, n'est pas ici pour donner de l'épaisseur aux images, contrairement à ce que, naïvement et logiquement, on aurait tendance à imaginer. Elle ajoute seulement de la définition. Une image en 3D est en encore plus haute définition qu'une image en haute définition, mais en 2D. Je ne suis pas convaincu que le cinéma ait besoin d'être en si haute définition. Pas celui de Spielberg en tout cas, pas un cinéma qui joue à adapter un livre des années 1940 en imitant les films des années 1980. Quand Tintin, dans son vieux pantalon et son vieux pull, attrape un vieux pistolet, je ne suis pas choqué si l'image semble vieille, ou, au minimum, analogique. Je n'y fais pas attention. Je regarde le film, pas la haute définition.

Obsédé par l'outil numérique, Spielberg en oublie que l'eau mouille. Voyez Tintin menacer les deux pilotes de l'hydravion avec un pistolet qu'il vient de sortir de la mer. Cela marche peut-être dans une BD, mais pas du tout dans un film qui se gargarise d'avoir recréé l'eau la plus crédible possible. Voyez également ces trois feuilles de vieux parchemin tremper cinquante fois dans un torrent furieux, et cependant rester parfaitement lisibles. Ce ne sont que deux exemples parmi les innombrables trous scénaristiques que même Michael Bay n'aurait pas laissé passer.

Les coupables ont leur nom sur l'affiche, comme au temps des éxécutions : Edgar Wright, Steven Moffat, Joe Cornish. Ce sont eux, scénaristes, qui font reposer le dernier Spielberg sur un pitch à la Very Bad Trip 2 : Haddock doit déssaoûler pour se ressouvenir. Ce sont eux qui citent Shakespeare sans vérifier leurs sources, et font dire à un Haddock extatique : "Aaah... Stuff dreams are made OF", version amateur du texte d'origine, Shakespeare, La Tempête : "We are such stuff dreams are made ON." Dites tout de suite que vous trouvez que ça ne change rien. Ok, allez voir un spécialiste et dites-lui la même chose. Sans en être un moi-même, il me semble que d'un côté, les rêves sont fabriqués avec nous tout entiers (of us), et de l'autre, avec nous comme base (on us) : si je voulais faire le malin, j'ajouterais ici que c'est le problème de Spielberg, qu'il a fait son film avec les attentes des fans au lieu de le faire à partir de ces attentes - mais avec lui seul. Sinon, je ne vois pas pourquoi il s'autociterait autant. Spielberg n'est pas quelqu'un de vaniteux. Les clins d'œil sont des preuves de soumission au public.

Pendant longtemps, cette histoire a été celle de Francis Ford Coppola - des 1985 à 2000, grosso modo. Depuis, Coppola s'est libéré du système et fait ses propres films - tous des chefs-d'oeuvre : L'Homme Sans Âge, Tetro, Twixt (comme ça, je n'ai pas encore vu le dernier ? ça ne change rien.) Cela fait deux films de suite que Spielberg est prisonnier. Et je m'inquiète : la 3D a pourri l'Alice de Tim Burton, le Tintin de Spielberg ; Scorsese sort Hugo Cabret en décembre et en 3D, il paraît que c'est son premier film pour enfants, j'ai peur, je tremble, je n'irai peut-être pas.

A l'origine, Robert Zemeckis était le seul à être maudit : Pôle Express, Beowulf, Scrooge. Tintin donne l'horrible impression que Spielberg a été contaminé. Non seulement la performance capture n'est pas tellement meilleure que celle de Beowulf (que j'aime assez, soit dit en passant), mais il y a une scène où Haddock devient dingue après avoir bu un verre de whisky qui est littéralement un emprunt à Roger Rabbit. De là à dire que Spielberg a traversé une mauvaise passe geek sous l'influence de Zemeckis, il n'y a qu'un pas, et je le franchis, parce que j'ai vu Real Steel. Produit par Spielberg et Zemeckis, Real Steel raconte l'histoire d'un type (Hugh Jackman, au hasard) pilotant des robots de boxe avec une manette qui est exactement celle qu'utilisent les réalisateurs pour leurs films en performance-capture. A la fin du film, Jackman transmet ses mouvements de boxe au robot exactement comme les acteurs en combinaison transmettent leurs mouvements à leurs avatars numériques. Bref, Real Steel ne vaut qu'en tant que film-programmatique geek, et Spielberg a un peu mieux à faire (War Horse, en l'occurrence, croisons les doigts).

Je réécoute la musique, en décalage avec les images (en particulier lors de l'image ci-dessus, vous verrez). Lorsque Tintin se fait poursuivre par un chien de garde, la musique est, à peu de chose près, celle d'Indiana Jones poursuivi par un tank. Dévaluation, dévaluation... Que la poursuite en question s'achève sur l'un de ces gags empruntés à Hergé, qui marchent sur deux cases mais pas sur un écran géant, et la scène tombe à plat.

Je repense au plan-séquence de Bagghar, que j'attends de revoir en dvd, au ralenti, pour voir s'il ne recèle pas quelques vraies trouvailles qui m'auraient échappées.

Je repense à l'arrivée grandiose du bateau par-dessus les dunes...

Et je pousse un soupir d'une heure quarante.


Camille


P.S. Quant à Gad Elmaleh, ne le cherchez pas. Il incarne une sorte de gros Spielberg arabe (wtf, oui) et on ne reconnaît ni sa voix, ni ses gestes. Un caprice de réalisateur qui s'ennuie, en somme : "faites venir Gad Elmaleh..."