31 décembre 2011

Notre avis est indispensable, 2011

The Green Hornet, Les émotifs anonymes, Au-delà, Les Chemins de la liberté, Black Swan, Tron Legacy, Jewish Connection, Halal Police d’état, 127 heures, Le Discours d’un Roi, Paul, True Grit, Never let me go, Fighter, Sucker Punch, Rango, The Ballad of Genesis and Lady Jaye, Essential Killing, Rio, Pina, Thor, Fast & Furious 5, Minuit à Paris, L’Aigle de la 9e Légion, The Tree of Life, King of Comedy, Very Bad Trip 2, Pirates des Caraïbes 4, X-Men Origins, Kung Fu Panda 2, Transformers 3, Hors Satan, Harry Potter 7.2, Happy Happy, Bad Teacher, Cars 2, Super 8, Mr. Popper et les Pingouins, Mes Meilleures Amies, Les Contes de la Nuit, My Little Princess, Captain America, Green Lantern, Melancholia, Cow-boys & Envahisseurs, Comment tuer son boss, La Guerre des Boutons, Et maintenant on va où ?, La Planète des Singes Origins (?!), L’Apollonide, Crazy Stupid Love, Drive, Toast, We need to talk about Kevin, Les Trois Mousquetaires, The Artist, Real Steel, Dream House, Tintin, Forces Spéciales, Contagion, Clueless, 50/50, Twilight 4, Or Noir, L’Ordre et la Morale, Time Out, Shame, Mission : Impossible 4, Frangins malgré eux, Polisse, Hugo Cabret.

Quel est le meilleur moment pour poster un top ? On les voit commencer à fleurir, timidement, au début de la deuxième quinzaine de décembre. Et puis, tandis que les bêtisiers se multiplient à la télé, les tops prolifèrent, eux, dans les magazines. Mais le meilleur moment, c’est le 31. A la toute fin de l’année : nous avons vu Hugo Cabret hier et il faut bien en tenir compte.

Un top n’est pas seulement la liste des films vus, c’est aussi la liste des films pas vus. Il ne faut pas s’imaginer que nous annonçons ici les films dont pensons qu’ils ont été les meilleurs de 2011 ; ce sont les meilleurs parmi ceux que nous avons vus. Si ça se trouve, les 5 films que nous aurions préférés cette année, nous les découvrirons en dvd, incidemment, dans plusieurs autres années distinctes, et réaliserons après coup que tous ces films sublimes datent de 2011. Même si, à la vérité, nous croyons dur comme fer que si nous sommes allés voir les films cités, c’est parce que ce sont ceux que nous voulions le plus voir. Qu’un film rencontre ses attentes est un miracle suffisant pour nous indiquer sa rareté, et nous apporter la certitude que c’est un chef-d’œuvre.

Behold, the tops ! :

Le top 5 de Camille

5. Essential Killing, de Jerzy Skolimowski


Essential Killing est un premier poème. On n'y aime pas des scènes en particulier, on aime ce qu'il fait au spectateur. Pas seulement mal, pas seulement peur. C'est un film sans paroles, sans musique, quelque chose y parle très fort cependant. Pour en parler il faudrait le cerner, pour le cerner il faudrait le revoir attentivement. Qu'est-ce qu'on tue quand on tue ? Qu'est-ce qui est l'humain ? Ce genre de truc. C'est aussi un album de rock. Une suite de morceaux hard ou slow, mais dans lequel les scènes se répondent comme les chansons d'un CD. On n'est pas loin de Tarantino. Le générique de fin est la clé.

4. Drive, de Nicolas Winding Refn


Drive aurait figuré dans ce top 5 s'il n'y avait eu que le seul mouvement du bras dans l'ascenseur, celui de ce chevalier damné arrachant un baiser au silence avant de rejoindre la galaxie sanglante qui l'aspire au fin fond de son noyau en fusion. C'est lyrique, je sais ; ceux qui ont vu ce mouvement du bras savent que c'est à peu près comme ça qu'on a envie de parler au moment où il arrive. Seulement il y a aussi le suspense étincelant de la scène du braquage. Le tic-tac et la détonation. Et puis le calme d'un héros stoïcien comme je les aime. Du Michaux. Drive, c'est Plume possédé par Rambo.

3. Tree of Life, de Terrence Malick


Comme je regrette de ne l'avoir vu qu'une seule fois au Max Linder. Tree of Life y était plus qu'un film, c'était l'expérience mystique qu'il doit être, quelque chose de brutal, de physique, dont la détonation traversait l'écran, cet écran aboli par la flamme comme une âme que l'on voit onduler par moments. Traversait l'écran il prenait aux poumons, pas aux tripes, ni au cœur. Ce n'était plus du cinéma puisque personne ne filmait, que l'on était là où on ne peut pas filmer, hors des galaxies, au temps des dinosaures, dans l'espace entre une mère et son fils, là où passe l'amour. Et si c'était un film, rien qu'un film ? Alors ce serait l'un des plus forts, l'un des plus beaux jamais réalisés.

2. Black Swan, de Darren Aronofsky


Partis comme cela, évidemment, qu'est-ce qui peut surpasser Tree of Life ? Nathalie Portman. Vous m'auriez montré les pubs pour Dior que j'aurais répondu la même chose. Pourtant il n'y a sur cette pub que l'image de son visage. Black Swan va chercher au-delà, prospecte plus loin et touche ainsi à la destruction chez la femme, ce qu'il y a de plus profond et de plus sale - tout ce qu'aime Aronofsky, if you ask me. Et la caméra ne lâche rien, proche d'une chair qu'elle embrasse même quand elle saigne ou pleure ou crève. C'est de la pure saleté, de la douleur douce, et il y a cette musique qui embroche le visage de Portman déchirée, et le spectateur avec.

1. L'Apollonide, de Bertrand Bonello


Mais alors que peut-il y avoir au-delà de Tree of Life et de Black Swan ? Bonne question. Je n'y croyais pas, et pourtant. Voici le dernier poème. Je pourrais passer ma vie à regarderL'Apollonide. On est à nouveau collés à de la chair qui hurle, enveloppée dans du film. Dans beaucoup de cinéma. De la lumière, du son, de la musique, de l'actrice. Tout brûle, tout crie, et finalement tout se ramène à un calme qui est à la fois résignation et sérénité. "Faites comme si j'étais morte", c'est ça, c'est jouir enfin de ne plus avoir à vivre, quitter ses souffrances et regarder la laideur de loin. L'Apollonide est cette distance. Sans elle, on est dans la merde, voilà tout.


Le top 5 de Noémie

5. Une erreur : The Ballad of Genesis and Lady Jaye, de Marie Losier


Un film que je n'ai pas aimé, d'abord. Puis une rencontre : Marie Losier, créature minuscule comme les fées des vieux contes, ses yeux tristes et doux, son sourire. J'ai compris, et avec retard j'ai aimé, sans restriction. Le geste unique derrière ce film, geste de pur amour, sans idéal et sans complaisance, comme une main tendue, un pas en avant vers une morte et une vivante. Et toute entière dans ce geste, avec son inaltérable douceur, ce merveilleux petit bout de femme infiniment riche de ce qu'elle donne, envolée à l'instant de se laisser saisir. 

4. Une vraie joie : Hugo Cabret, de Martin Scorsese


Dernière toile de l'année 2011, et une fin en beauté comme on en a rarement : le conte de noël dans toute sa splendeur, avec ses bons sentiments, son happy end, ses quelques larmes et sa musique qui vous gonfle le coeur. Surtout, un film porté par une énergie bienveillante extraordinaire, dont il raconte l'histoire : celle d'un homme vaincu et réparé, dont les yeux éteints, croisant ceux d'un petit sauvageon, renouent avec les étoiles. 

3. Une souffrance : Shame, de Steve McQueen (le réalisateur, pas l'acteur mort)


Si vous voulez savoir ce que j'ai pensé du film, vous pouvez aller là. Et sinon, Michael Fassbender est l'un des acteurs les plus émouvants que l'on puisse avoir le privilège d'observer sur une toile. Touchée.

2. Des fractales : Drive, de Nicolas Winding Refn


La perfection faite film. Musique planante, lumières lentement portées sur la nuit, amour, vengeance, grandes passions de l'âme. Rien n'y manque. Et rien n'y pèse. L'unique baiser, les coups, le véhicule intercepté par l'ombre, sa trajectoire inaltérée. Une beauté froide.

1. Un éblouissement : Tree of Life, de Terrence Malick


Un film que l'on voudrait garder pour soi comme un trésor trouvé dans un champ, qui avait toujours été là, sans doute, mais que l'on était trop occupé pour voir. A peine saisi, pourtant, voilà qu'il exige d'être mis entre toutes les mains : l'herbe se redresse là où il se cachait, nos doigts s'immobilisent dans l'air, là où le don s'est fait sans que l'on ait eu le temps d'y réfléchir. Et la voici, cette lumière, passant de main en main dans le silence habité des certitudes, déployée en rayons de visage en visage, vie éternelle.

Le top fouine commun (en clair, les films dont on se repassera des scènes en boucle pour conjurer les mauvais soirs) :

5. Transformers 3, de Michael Bay
4. Fast & Furious 5, de Justin Lin
3. Harry Potter 7.2, de David Yates
2. Mission : Impossible 4, de Brad Bird
1. Tron Legacy, de Joseph Kosinski

Et on n'oublie pas les esthètes, voici le top-bouse :

5. Cars 2, de John Pomdetter
4. Green Lantern, de Bruno Coquatrix
3. Forces Spéciales, de Steven Wizoo
2. Pirates des Caraïbes 4, de Bob l'Eponge
1. Twilight 4 : Constipation, de Nathalie Kosciusko-Morizet.

 Et surtout, joyeux passage en...



C'n'N

A little treat

A une époque, dans le magazine UGC que l’on piquait au cinéma quand on arrivait en avance et qu’il fallait s’attendre à attendre avant le début des bandes-annonces, on retrouvait toujours une sorte d’interview marrante, en troisième page. Avec leur nouvelle formule, l’interview a disparu, peut-être en raison des conséquences néfastes qu’elle pouvait avoir sur ceux qui y avaient avoué pleurer devant Crossroads et détester Citizen Kane. Avec Noémie, on se l’était fait pour nous, fin 2010 ; on le relit maintenant avec un léger sourire amer : comme vous pourrez le constater à la fin, les films les plus attendus de 2011 n’auront pas été les plus réussis…


* A quel film devez-vous votre premier souvenir de cinéma ?

Camille : Orca. Je me souviens avoir appris ce soir-là l’expression « pleurer comme une madeleine ». Quand ils éventrent la mère et que le fœtus tombe sur le pont du bateau.

Noémie : Blanche-Neige. En réalité je ne me souviens absolument pas du film, j’ai été traumatisée par l’une des publicités qui le précédaient, et dans laquelle la caméra tombait dans un escalier tournant. Et j’ai rêvé de faire cette chute moi-même pendant des dizaines d’années.


* Quel est le chef-d’œuvre officiel qui vous gonfle ?

Camille : Le Mépris.

Noémie : Oncle Boonmee.

* Quel classique absolu n’avez-vous jamais vu ?

Camille : La Maman et la Putain.

Noémie : Les Tontons Flingueurs.

* Quel est le film unanimement jugé mauvais que vous aimez quand même ?

Camille : Alexandre.

Noémie : Underworld.

* Quel est le film que vous avez le sentiment d’être seul à aimer ?

Camille : Matrix Reloaded.

Noémie : Velvet Goldmine.

* Quel film aimeriez-vous faire découvrir au monde entier ?

Camille : L’Homme Sans Âge.

Noémie : Ville Portuaire.

* Quel film montreriez-vous en boucle à votre pire ennemi pour le torturer ?

Camille : N’importe quel Robert Bresson.

Noémie : N’importe quel Meg Ryan.

* Quel film faut-il voir pour y découvrir un aspect essentiel de votre personnalité ?

Camille : Qui veut la peau de Roger Rabbit.

Noémie : Blade Runner.

* Quel film vous a fait verser vos plus grosses larmes ?

Camille : The Hours.

Noémie : La Route.

* Quel film emporteriez-vous sur une île déserte ?

Camille : Star Wars III.

Noémie : Gladiator.

* Quel film attendez-vous avez le plus d’impatience ?

Camille : Tintin.

Noémie : Sucker Punch.

C'n'N

23 décembre 2011

Hots Shots de fin d'année

Deux films qui n'ont rien à voir

MI4 : Protocole Fantôme, de Brad Bird

Il n'y a pas moins intime qu'un Mission Impossible. Néanmoins, y consacrer sa pause digestive du début d'après-midi, dans l'IMAX désert (si) du Disney Village, aurait presque été synonyme de confort sans un épisode de voltige à Dubaï très contrariant pour l'estomac. Nous étions sept dans la salle, l'écran immense, avec tout un abîme à nous partager. Ca fait beaucoup de vide par personne. 


Dans cette atmosphère cosy à laquelle il ne manquait qu'une tasse de thé et quelques scones, nous avons passé un fort bon moment. On peut penser tout ce que l'on veut de Tom Cruise, sa scientolographotétraparanormologie, sa fille en talons hauts et sa femme sous Prozac, ce qu'il fait est toujours bien fait. Pas de surprise : ce MI4 est exactement ce qu'un MI doit être. Un feuilleté action/plan d'action croustillant et bien doré à l'image de synthèse, moelleux à l'intérieur comme le muscle bien entretenu du quinqua nouvelle génération, aux réflexes pyrotechniques et au cheveu brillant. Presque rien n'est crédible et tout est très joli. 


Le problème avec les films honnêtes, c'est qu'il se trouve toujours quelques énergumènes prompts à se jeter dessus pour y plaquer avec du gros scotch quelques méditations sur l'art, les théories de la représentation et du récit, les supposés sous-textes politiques, et la vie même. A chaque saga ses thuriféraires de la dernière heure, comme à chaque guerre ses résistants de la dernière seconde : pour le plaisir gratifiant de médire du dernier-né, on se met à trouver dans ses prédécesseurs des trésors de philosophie, un génie de l'intrigue, une vraisemblance aussi souveraine que la main de Dieu sur la glaise où s'esquisse l'homme, un gros paquet de sens. Mais je m'égare. De quoi parlions-nous donc ? De La Démocratie en Amérique ? De Jean-Luc Godard ? Du Pari pascalien ? Tout cela n'a pas grand-chose à voir avec Mission Impossible, à un détail près : moi aussi, je parle en code. Mais vous l'aviez compris. 

Une petite photo bien lol de Léa Seydoux pour terminer. 
On t'aime Léa, même quand on ne comprend pas très bien ce que tu mimes. 
Ni à quoi tu sers.

Shame, de Steve McQueen

En guise d'apéritruc, une salve d'applaudissements pour notre bien-aimé confrère F. de A nous Villiers-le-Bel qui nous rappelle avec un imparable sens du détail que le Steve McQueen dont il est question est "le réalisateur de Hunger, pas l'acteur mort"*. 

(...)

Revenant à mes moutons, la petite blague faite, je n'ai plus du tout envie de rire. Le film de Steve McQueen est de ces constructions intransigeantes qui lentement mais sûrement vous prennent à la gorge et vous désarment, tout envahis d'une implacable lourdeur d'être. Une palette de lumières blanches déployées sur des images toujours un peu trop longues, pour que nous soyons obligés de voir. Une filature sans clefs, sans expertise, partageant avec sa cible un glaçant inconfort. 


Poussant les portes du Max Linder, nous pensons être prêts pour Shame. Nous croyons, comme souvent, qu'il suffit de savoir de quoi parle le film. S'il doit parler de nous, nous arrivons comme brisés d'avance, tout frémissants, presque flattés, le mouchoir dans la poche. S'il doit parler d'un autre, nous entrons dans la salle comme on en sortirait, tranquilles et propres sur nous, l'oeil connaisseur. 


Que s'est-il donc passé ? A croire que nous venions observer l'Autre, nous en sommes ressortis tout nus, et plus fragiles, avec la certitude inattendue que Shame n'avait jamais parlé que de nous. La peau à vif, comme si à détailler Brandon, son âme avec son corps, nous avions oublié le nôtre dans la neige, des heures durant, des heures. 


Noémie

* Authentique.

3 décembre 2011

Twilight 4 - Cataplasme

Pour ceux qui nous croiraient malades, quelques mots sur Twilight 4, que nous sommes bien-sûr allés voir, et au Mk2 Bibliothèque encore, tradition oblige. Très vite pendant la séance, l'atmosphère s'est détendue, nos éclats de rires ont conquis quelques autres rang qui ont peu-à-peu cessé de prendre au sérieux ce film où l'on vous fait passer pour du grand spectacle des huskies géants qui reçoivent des droites pendant 10 minutes. A la fin pourtant, certains fans nous regardaient de travers. Ceux qui auraient probablement le mieux aimé nous tuer s'embrassaient langoureusement, enlacés, debout au dernier rang, de temps en temps ils se regardaient dans le blanc des yeux, on s'est demandés avec horreur si le mec s'était pas plus ou moins servi de la scène de mariage entre Edward et Bella pour faire sa demande.

"Quoi, j'ai lancé, ne nous faites pas croire que vous nous en voulez d'avoir un peu gloussé.
- Ça fait un an qu'on l'attendait, a répondu une jolie brune au rang derrière nous. Vous avez ruiné la séance, vous n'avez pas honte ?"

Aux rangs de devant, sur les côtés aussi, les gens l'avaient entendue. Un type est intervenu : "Nous vous avons sauvé du piège intellectuel mortel qui aurait consisté à prendre ces conneries au sérieux." Je l'ai remercié avant de renchérir : "Avouez que la mère qui donne un collier à Bella en disant que c'est son premier bijou de famille, juste avant la nuit de noce, ça fait con.
- C'est les sous-titres.
- Avouez que les loups qui s'engueulent par voix-off interposée, ça fait con.
- Toujours moins que de les faire parler vraiment.
- Avouez que le type qui casse le lit en faisant l'amour pour la première fois, jouit quatre secondes plus tard et ne retouche plus jamais sa femme parce qu'il a peur de la brutaliser, ça fait pas seulement con, ça fait glauque.
Elle s'est tournée vers sa voisine et lui a raconté un truc sur un garçon qui battait sa copine quand il jouissait trop vite. Là, il s'est passé quelque chose d'assez intéressant : les deux filles ont eu l'air de faire une concession.
- Oui, ça...

Comme si les fans de Twilight savaient que c'est nul et qu'ils l'acceptaient. Partant de là, je ne serai pas surpris si les salauds cupides qui produisent tout ça ne demandent pas délibérément aux réalisateurs d'être mauvais. Un peu comme le type moche qui s'enlaidit encore plus pour faire rire son entourage, être sûr d'être accepté en répondant aux attentes des gens. Je vous dis, dans la salle, la moitié du public était venue pour rigoler. Si ça se trouve, le cœur de cible, c'était nous.

J'ai demandé à la brune ce qu'elle aimait dans Twilight. Sa copine blonde a répondu :
- Taylor Lautner est très beau.
Ce qui rejoint ce que j'écrivais dans mon dernier post : Twilight se vend comme du porno et ne joue que sur les pulsions sexuelles. C'est même pire que du porno, puisque Twilight entretient la frustration là où même le plus naze des films X finit par une éjaculation.
Elle m'a traité de vicieux.
- Est-ce que ça ne vaut pas mieux ?, j'ai poursuivi : Twilight ressemble à une longue inception visant à persuader que 1) Buter des criminels n'est pas si grave 2) On n'avorte pas, même si le bébé est un monstre qui vous bouffe de l'intérieur (cette fille qui passe son temps à corriger "bébé" quand on dit "fœtus"...) et 3) Tout est meilleur si c'est faux.

J'aurais été ravi de me taire à ce moment-là et de partir mais des dizaines d'yeux hostiles s'étaient rivés sur moi et attendaient que je continue de parler pour saisir une opportunité plus facile de me clouer le bec.


- Dans Twilight, on boit du sang contenu dans des poches en plastiques et on le boit à la paille ; on transforme quelqu'un en vampire non pas en le mordant mais en lui faisant une piqûre. Tout est décalé, démonté, tout ce qui est vrai, direct, charnel et sincère est délayé. Mordre Bella pour la première fois et la dépuceler auraient dû constituer un seul et même acte mais ça aussi est décalé : il la saute, et la mord deux heures plus tard - et seulement une fois qu'elle est morte ! (petite scène de nécrophilie assez sympa, je reconnais : cette bouffée d'air ouvertement malsain faisait un bien fou).
Si vous enlevez les vampires et les loups-garous, et ne gardez de Twilight que ce qui est un miroir de la réalité, vous n'obtenez pas seulement un film con comme Sarah Palin (il est plusieurs fois question d'Alaska dans la saga, si je ne m'abuse), vous obtenez un plaidoyer pour la survie en milieu aseptisé. Et c'est ce que vous voulez : pas un film qui soit bon, mais un film qui corresponde à ce que vous attendez. Vous-même avez dissocié la chaîne naturelle de cause à effet qui veut qu'on aille voir un film parce qu'il est bon. Déconnectés de la réalité.


A ce titre, le dernier plan du film n'est pas seulement scandaleux, il est symptomatique. Le gros plan sur les yeux rouges de Bella qui ressuscite sous forme de vampire est un plagiat honteux du dernier plan d'Avatar, tout le monde y a pensé. Pourtant, Twilight est le contraire d'Avatar : là où le film de Cameron est entièrement technologique mais dégoûté de la technologie, Twilight est cheap et rêve d'un monde où rien n'est direct, ou tout est médiatisé et passe par un outil. Twilight, c'est le cri du singe dans 2001 Odyssée de l'espace, du singe qui se rend compte qu'il peut taper sur un autre singe avec un os plutôt qu'avec ses poings. Les loups en image de synthèse, c'est encore ça : Twilight ressemble à l'adaptation de ces tableaux beaufs sur lesquels des huskies posent devant la Lune. Eh ben, c'est le cri de singe des types qui sont contents d'avoir recréé ces images merdiques par le truchement d'un ordinateur plutôt qu'avec des gros pastels.
- Tous les films hollywoodiens sont cyniques comme ça. C'est une industrie, on l'accepte, on le sait, a fait remarquer la brune.
- Oui, sauf qu'ici le cynisme des producteurs n'est aucunement filtré par la créativité d'un réalisateur. C'est du cynisme à l'état pur. Y avait-il vraiment besoin de faire deux épisodes pour ce dernier livre ? Ici, tout dure quinze plombes parce qu'il faut tenir deux heures. On a même droit à une scène où machin fait ses bagages. Rien, absolument rien d'important ou même d'utile à l'histoire ne se passe entre le mariage et l'accouchement. Et ce rien n'est même pas intéressant, comme pouvait l'être le rien de la première partie en forêt d'Harry Potter et les Reliques de la Mort.
Vous êtes les victimes de ce que le cinéma peut faire de plus corrompu, de plus laid et de plus cupide, et vous ne savez même pas pourquoi vous choisissez d'y céder."

J'étais content de ma conclusion. Il y avait à présent une ambiance de merde. Le flûtiste du générique de fin s'était enfin pendu. La blonde et la brune sont parties sans sourire. J'avais l'air très con. Personne n'étale sa science comme ça à la fin des films. Et sûrement pas à la fin de Twilight. On n'apprend rien à personne, on se rend antipathique et on a l'air prétentieux. Les gens y vont pour faire quelque chose de bête. Ils le savent. Ils aiment Twilight et savent que c'est mauvais : c'est la signature de la saga. Sinon, qui accepterait un final débile comme le coup de foudre entre Taylor Lautner et le bébé ? Le prénom de ce bébé : Renesmée ? La tronche de gastroentérite que tire Kristen Stewart du début à la fin ?

Aussi ne dirons-nous aucun mal du prochain qui sortira. Espérons que nos agents infiltrés au service des sous-titres nous serviront encore quelques beaux bijoux de famille.


C.


P.S. Bien entendu, tout était vrai dans ce qui vient d'être raconté.

29 novembre 2011

Teen-movies et littérature classique

Dans mon post d'hier, il y avait une capture d'Easy A, avec Emma Stone. L'occasion de constituer l'un de ces coffrets DVD de Noël rêvés comme on (je?) les aime :

Les Adaptations de Romans Sentimentaux en Milieu Scolaire. (29,99€)

Les Américains en raffolent (enfin, il y en a trois) et un certain Français Très Français s'y est essayé aussi.


Easy A se veut une adaptation de La Lettre Écarlate, par exemple.

Personne ne le dit, évidemment.
















Bon, et puis, on se souvient tous de Cruel Intentions, adapté de Laclos. D'ailleurs : si quelqu'un lit ces quelques phrases perdues, sachez qu'il existe une suite à Cruel Intentions : Cruel Intentions 2 (eh oui). Amy Adams, débutante, remplace Sarah Michelle Gellar dans le rôle de Merteuil. C'est un de ces films où Adams fait sa Mel Gibson : elle se vautre dans la boue. Espèce de perversion bizarre, à la Deneuve dans Belle de Jour, qu'elle reproduit dans plusieurs autres de ses films (Il Etait Une Fois, Donne-moi ta main) - le genre de truc qui fait bander Aronofsky, en somme.


J'aurais aimé gardé La Belle Personne pour la fin, mais disposer les images de ce post me colle la migraine. La Belle Personne, teen movie tourné à Molière, dans le XVIe : voilà tout.


Impossible de réussir à placer correctement Emma et l'affiche de son adaptation, Clueless, sorti en 1995, à l'époque où nous pensions encore qu'il ne fallait pas regarder ce genre de films bêtes. Paul Rudd y tient l'un de ses premiers rôles. (Puisqu'on parle de ceux qui ont débuté dans de bons films bêtes, rappelons Chris Evans, aka Captain America, quarterback chantant de Sex Academy.) Comme dans Easy A, le personnage principal de Clueless, joué par Alicia Silverstone et sa bouche, s'exprime dans un anglais châtié qui constitue le souvenir des textes d'origine, signés Austen ou Hawthorne.

Dans tous les cas, ce langage fait du personnage principal une sorte de freak trop doué pour son âge, le résultat ayant plus de piquant dans Clueless puisque la fille plutôt intelligente y est dépeinte comme la sotte de service, tandis que les jolies phrases d'Emma Stone dans Easy A servent surtout à l'accouchement du personnage cinématographique de l'actrice - celui qu'elle tiendra, en gros, dans la majorité de ses rôles : une fille plutôt douée que son bel esprit marginalise un peu, une beauté trop intelligente pour son entourage (voir, déjà, Supergrave et Crazy Stupid Love).

En fait, le beau français et l'articulation très-lyrique des bobos d'Honoré correspondent aussi à cette rémanence du matériau d'origine dans les dialogues. Pas qu'ils s'expriment comme Madame de La Fayette, mais peu de monde, même rue du Ranelagh, se fendrait d'un superbe "je suis dans une absolue détresse amoureuse", comme le fait alors Garrel.

Pourquoi, mais alors pourquoi me casser ainsi la tête sur ces films-là, maintenant, soudain ? Et vous bassiner avec ?

Tout a commencé quand Easy A s'est retrouvé en occase à Gibert - Amy Adams, Emma Stone, je serais prêt à regarder n'importe quelle daube pour regarder jouer ces deux-là (et encore, je n'ai pas été voir La Couleur des Sentiments). Quelques jours plus tard, Thursday Night Live au Studio des Ursulines (près de la rue d'Ulm, je crois) : cinéclub des 3e jeudi de mois spécialisé dans la comédie américaine. La dernière fois, c'était Clueless... La Belle Personne est typique des films de novembre, sans un seul rayon de soleil, comme si la lumière avait été le cadet des soucis du réalisateur. Ronin est comme ça aussi. Mais le lien entre Frankenheimer et Honoré ne suffirait pas à faire un coffret 2DVD pour Noël, je pense, même à 9,99€.

Depuis vous-savez-quoi, il est devenu impossible de finir le moindre discours par "bref, ...". Ce n'est pas plus mal. Il faudrait créer une série qui s'appellerait "donc voilà", ça ferait du ménage.

Pardon encore pour le casse-tête visuel. A la prochaine.


Camille.

28 novembre 2011

De l'inquiétude






(Easy A, Liar Liar, Black Swan, Centurion)

C.

23 novembre 2011

Who framed Munchausen ?


J'ai découvert Les Aventures du Baron de Munchausen à la télé, vers Noël 1992. J'avais 6 ans, les deux heures du film m'avaient semblé durer des mois au Paradis et je passai tout le reste des années 90 à chercher dans le programme télé une rediffusion qui ne vint jamais, m'empêchant de l'enregistrer en cassette pour l'apprendre par cœur. L'image de la mort frôlant l'homme sur son boulet de canon est le seul souvenir net qui me restait.

Il y a deux mois, j'ai trouvé le DVD en occasion, à Gibert. Ce matin, fébrile, je l'ai revu.
Je n'ai cependant pas l'intention de réécrire La Recherche avec Terry Gilliam en lieu et place de Madeleine.

John Neville, le Baron de Munchausen, est mort samedi dernier, 19 novembre 2011. Il avait 86 ans.


Camille

14 novembre 2011

Une page de PUB et des yeux bleus

Aussi étrange que cela pourra vous paraître, nous avons une page facebook [ici] sur laquelle nous ajoutons, parfois, quelques commentaires plus ou moins sérieux...
Come and join us !
Parce que, les statistiques, c'est sympathique ; mais rien ne vaut un petit pouce bleu levé haut vers les cieux (ou vers la barre d'outils, au minimum).

[Brave, prochain Pixar, prévu fin juin 2012.]

C'n'N

11 novembre 2011

Contagion, de Steven Soderbergh

C'est du propre ! 


Une petite introduction de circonstance. 

De Steven Soderbergh, si je n'avais vu que les Ocean's, Girlfriend Experience, The Informant ! et les deux Che, je vous aurais dit mercredi soir, en revenant de Contagion : "C'est normal. Il a fait un film froid sur un sujet brûlant. C'est son style." Et vous n'en auriez pas passé un meilleur moment pour autant. Non que Contagion soit un mauvais film. C'est un parti-pris courageux, comme tout film choral. C'est très bien mis en scène, et mieux encore filmé. Plutôt bien joué. Un peu long sans doute, comme tout film glacé.

Soderbergh aime bien mettre l'humain en bocal.

Si vous avez vu autre chose de Soderbergh que la série des Ocean's, vous le savez déjà : Steven Soderbergh est un cinéaste misanthrope. Je ne parle pas de l'homme, dont je ne sais rien. Mais son cinéma est misanthrope, dehors comme dedans. A l'extérieur, son parcours est rythmé par une alternance financièrement correcte entre les films "commerciaux" que nous avons probablement tort d'aimer, qui rapportent, et les expérimentaux indigestes qui se fichent pas mal que nous les aimions ou pas, et que nous n'aimons pas, d'ailleurs, même lorsque nous affirmons le contraire pour faire chic. Avoir "aimé" Girlfriend Experience ou The Informant !, c'est comme avoir "aimé" ce monochrome numéro 4539875, Triangle isocèle vert sur fond vert, au centre Pompidou : la seule chose qui nous plaît vraiment, c'est l'idée d'avoir compris quelque chose qui échappe à tout le monde, alors qu'il n'y a rien à voir, ni à comprendre. 

Triangle isocèle vert sur fond vert ou Métaphore contemporaine
par Noémie L., 2011, Centre Pompidou, 898786755 $

A l'intérieur du cinéma de Soderbergh, c'est la même chose : chaque film s'élabore à partir de plans préliminaires uniquement constitués de lignes de démarcation entre l'oeil et les hommes. Non, nous n'entrerons pas dans l'esprit de celui-là, nous ne saurons presque rien de sa douleur. Nous la montrerons, à distance, comme la croissance d'une plante que l'on se garderait bien de goûter, car tous les hommes ont le même goût, et toutes les douleurs se ressemblent. De là, sans doute, sa prédilection pour le film choral. L'oeil y papillonne d'une émotion à l'autre, sans que la main trouve le temps d'aller toucher les rires, goûter les larmes. Contagion est exactement cela : les personnages sont autant d'esquisses, très propres, auxquelles il ne sera pas accordé une seconde de jeu au delà du temps réglementaire. 

Une grimace et au lit : l'art de gérer le péril Cotillard.

Tous les personnages se valent : le courage du Père est de même nature, exactement, que celui du Médecin. La Martyre n'a pas plus de panache que l'Escroc. Tous sont des Héros, et aucun ne l'est. Soderbergh ne s'intéresse à l'Homme qu'avec une majuscule, sans jamais s'aventurer sur les terres de l'humain, de peur que toutes ses douleurs et ses rêves, ses caractères, ses grandeurs, ses rechutes, ses larmes et son sang, tout ce sale, ne viennent contaminer la clarté froide de sa vision. Non, il ne manque rien à Contagion, c'est juste un film de Soderbergh. Bien désinfecté.

Celui qui me trouve la photo d'un VRAI sourire de Soderbergh gagne 
l'inestimable monochrome présenté ci-dessus. 

Voilà ce que je vous dirais si je n'avais pas vu Traffic. Qui est, indubitablement, un film choral de Soderbergh. Seulement voilà : Traffic est un chef d'oeuvre, et Contagion n'en est pas un. Je perdrais beaucoup de temps à vous expliquer ce qu'il n'y a qu'à voir, ou revoir, pour comprendre. Un constat cependant, qui fait toute la différence : Traffic est un film qui parle des hommes. Ont-ils trompé la vigilance de l'Oeil pour y glisser, entre deux plans, un peu de cette chair douloureuse qui les encombre autant qu'elle leur offre une vérité ? Ou bien l'Oeil a-t-il consenti, le temps d'un miracle, à ce que la main effleure le sale ? Je n'ai que faire d'une comparaison, et vous de même. Je préfère consacrer le temps qu'elle exigerait à revoir Traffic, ou même une seule scène, une seule image contre laquelle j'échangerai sans état d'âme tout les Ocean's, et le gros Che bipède, et les longueurs étales de Girlfriend Experience, et tout le reste : Michael Douglas au chevet de sa fille droguée, posant ses lèvres tremblantes sur son front pâle, lourdement couronné par une ombre de mort.

Noémie

1 novembre 2011

Tintin ou l'amertume (Pour en finir avec Tintin)


NON
Il n'était pas couru d'avance que nous n'aimerions pas. Parce que Star Wars : Episode I, Indiana Jones 4, Avatar et Harry Potter 7.2, attendus avec autant d'impatience, ne nous avaient pas laissé, en leur temps, ce goût d'eau croupie dans la bouche. Il n'y a rien d'écrit ici cependant. Parce qu'il est difficile de trouver l'enthousiasme nécessaire au moindre papier après avoir vu Milou se prendre un pis en images de synthèse dans la tête. Image dégradante pour la vache, Milou, les images de synthèse, Spielberg, vous, moi - ah oui, et pour Hergé aussi. Les habitants de la ville marocaine détruite par Tintin et Haddock avec autant de désinvolture qu'un bidonville dans Bad Boys II ne sont pas aussi dégoûtés que ceux qui attendaient de Spielberg un film de Spielberg.


Rien d'écrit.

Et surtout pas ceci : il y avait beaucoup de bonnes choses dans Indiana Jones 4. Spielberg a avoué récemment n'avoir jamais voulu faire un film avec des extra-terrestres, ce n'était pourtant pas le plus grave. Ce qui avait le plus déstabilisé, c'étaient ces marmottes qui s'incrustaient dans le combat de la séquence d'ouverture. C'étaient ces singes qui infestaient la course-poursuite dans la jungle. Cate Blanchett, impériale, se débarrassait d'un de ces horripilants primates tout droit sortis des logiciels de Jumanji avec la même rage que l'aurait fait le spectateur, s'il avait pu en choper un. C'était sans compter sur le fait que, si les hommes de Cate Blanchett tombaient dans le vide sans vergogne, Spielberg sauvait les singes, qui se rattrapaient in extremis à une branche providentielle.

Les bestioles ont donc survécu et pullulent dans Tintin. Le chat du début se rattrape à un lustre exactement comme le singe se raccrochait à la branche, on se demande d'ailleurs si les animateurs n'ont pas commencé à faire comme chez Disney, où l'on réutilisait des schémas d'animation pré-établis d'un film à l'autre en ne modifiant que l'aspect du personnage. Il n'y a malheureusement pas que le chat. Milou s'en sort plutôt bien, en dépit du fait que les personnages canins ont le don de m'énerver (Men in Black II, en tête). Il y a aussi ce rat qui squatte l'écran pendant bien 30 secondes. C'est un film de Spielberg, ça n'arrive pas souvent, ça ne dure pas longtemps - 1h40 - et il faut qu'un bon dieu de rat squatte les millions de dollars.

Spielberg ne voulait pas faire Indiana Jones 4. Qu'il le tourne quand-même pour les fans, son ami Georges, Harrison Ford, Shia LaBeouf, vous, moi, passe encore. Mais qu'il se jette ensuite sur Tintin, qui ne pouvait pas être autre chose qu'une variation sur Indiana Jones, m'échappe complètement. Autre problème : ce qui fait le charme d'Indiana Jones, c'est qu'il ne garde JAMAIS le trésor qu'il découvre, et que ce trésor n'est jamais simplement fait d'argent. A la fin du Royaume du Crâne de Cristal, les personnages découvrent un bazar qui ressemble à s'y méprendre à la remise des Frères Loiseau du Secret de la Licorne. Le bazar finit détruit. Tintin et Haddock, eux, veulent le pognon. Les pièces d'or, les bijoux, les espèces sonnantes et trébuchantes, je vous en prie, objectez-moi que Tintin ne cherche qu'à écrire son prochain article, je n'ai qu'une envie qui est de vous croire, mais le film s'achève quand-même sur un alcoolique repenti qui devient rentier.

Quand le film d'un grand réalisateur s'achève et que son nom n'est pas le premier au générique, c'est qu'il y a un problème. Ce n'est pas une question d'humilité. C'est une question d'attachement à l'œuvre finie. Prenez les Georges Lucas, les Quentin Tarantino... Leur nom est toujours le premier à apparaître. Prenez les bons Spielberg. A la fin de Tintin, le nom de Peter Jackson apparaît avant celui de Spielberg qui, comble du comble, n'apparaît qu'en tant que "lighting consultant" - consultant aux éclairages.

Peter Jackson doit réaliser la suite. Le film annoncé est une adaptation des Sept Boules de Cristal et du Temple du Soleil. Tout le monde trépigne d'excitation. Peter Jackson dans les montagnes ! L'Amazonie de Hergé filmée comme Skull Island ! - Attendez, je ne comprends pas : Spielberg n'a adapté que Le Secret de la Licorne, non ? (et un peu du Crabe aux Pinces d'Or, je sais). Rien du Trésor de Rackham le Rouge. Il faut donc imaginer que Jackson n'adaptera que les Sept Boules de Cristal. Et qu'en 2016, on se contentera d'Objectif Lune. Tant pis pour les sous-marins en forme de requin, l'éclipse salvatrice et les combinaisons orange bibendum, que vous rêviez de voir. Vous n'aurez qu'à regardez les dessins animés, ils sont très bien.

On reste là devant le clavier, on aimerait mettre des mots sur ce qui nous a manqué, sur ces trois ans passés à attendre, rien ne vient. On est comme sonné, bouche-bée.


Je dis film pour enfants parce que devant moi, une fillette de 4 ou 5 ans riait beaucoup des bêtises d'Andy Serkis en Haddock. Andy Serkis est comme ça : c'est un tonton sympa. Il fait rire les enfants. Il imite à merveille Gollum, et fait vraiment trop bien le singe - le gorille, le chimpanzé. Il sait même faire Popeye ! - cela n'en fait pas un grand acteur, pardon tonton. Puisque c'est bien lui, et pas seulement sa voix, qui donne vie à Haddock. Et puisque le capitaine a clairement le premier rôle dans ce Tintin (ce dernier n'étant qu'une pâle, ô si pâle numérisation de Mutt Williams [c'est-à-dire Shia LaBeouf dans Indy 4]).


Problème : ce film pour enfants est émaillé de sous-entendu sexuels assez troublants. L'un des marins du Karaboudjan, improvise Serkis, a été condamné pour "animal-husbandry" - zoophilie en VF, "saute-mouton" dans les sous-titres. Sakharine a couché avec la Castafiore pour arriver à son bras au concert. Il n'y a rien de tel pour faire boiter un film qui aurait pu marcher. Sans parler de ce qu'il y a de plus bancal dans l'ensemble : Spielberg emploie l'outil numérique le plus réaliste possible, glorifie la toute-puissance des ordinateurs - même quand il n'y a pas le moindre souffle, poils et cheveux ondulent et gesticulent, c'est d'un agaçant - pour faire volte-face au dernier moment : Tintin est conçu comme un cartoon, truffé de gags de cartoon, d'invraisemblances de cartoon. J'appelle "invraisemblance de cartoon" le fait que Tintin glisse dans la poche arrière de son pantalon son portefeuille avec le parchemin dedans, et je sais que je suis indulgent.

Ces quelques blagues bancales sont les preuves que Spielberg s'est retenu, exactement comme il ne s'était pas retenu à l'époque d'Indiana Jones et le Temple Maudit, de Jurassic Park, de Soldat Ryan. Le résultat est un film hollywoodien sur-formaté, dans lequel la patte Spielberg ne se lit que littéralement -citation ad nauseam de ses précédents films - ou alors, plus techniquement, à travers le plan-séquence de 6 minutes qui commence quand Tintin chope les trois parchemins, qui le suit tandis que la ville s'écroule, et qui s'achève sur un ponton.

Seulement, le problème avec les films en performance-capture, c'est qu'il redéfinissent la notion de virtuosité. Or la virtuosité, c'est ce qui a longtemps caractérisé Spielberg, c'est ce qui sauve ses films fragiles (1941, Amistad, Indiana Jones 4). La virtuosité, c'est parvenir à se détacher des contingences réelles. A les survoler. A les congédier d'un mouvement du poignet et à jouer comme un dieu avec l'outil qu'on a entre les mains, piano, caméra, stylo plume, rhétorique. Cela flirte toujours avec le creux, la vanité. Le summum de la virtuosité au cinéma, demandez à qui vous voulez, c'est Hitchcock (et son fils De Palma), Welles (et son fils P.T. Anderson) - et Spielberg : c'est le plan-séquence. La Corde, La Soif du Mal ; Minority Report, La Guerre des Mondes. Question : où est la virtuosité à réaliser un plan-séquence dans un univers numérique ? On ne jouit plus de la prouesse technique - et je suis certain que c'est cela qui plaisait à Spielberg aussi - on jouit de la certitude d'être absolument libre.

L'est-on vraiment ?

Un trapéziste qui aurait des ailes serait-il toujours aussi heureux de réaliser des prouesses ?


En un mot comme en cent : suffit-il de passer à travers cinquante vitres, de mettre la caméra en face de dix mille surfaces réfléchissantes, pour se convaincre que la caméra n'existe plus et que l'on fait du cinéma comme un dieu, magiquement, par la pure force de la pensée ? La liberté qu'offre la performance-capture est un bon vieux piège hybristique, un pacte faustien. Elle n'est pas effective, elle aliène le réalisateur à son imaginaire, à sa solitude, aux limbes de lui-même. Pire : elle est une liberté hypocrite, un honteux mensonge, dans le monde hyper-codifié du divertissement grand public.

Tintin a coûté 135 millions de dollars. Ce n'est pas beaucoup. Rappelez-vous ce précédent post, sur la crise, la dévaluation du budget des films. La performance-capture est en train de se constituer en tant que cinéma de substitution, de blockbuster du pauvre. La chose stupide étant que pour, mettons, 200 millions - et je suis certain que Spielberg pouvait se le permettre - le combat de grues, l'extraordinaire assaut du bateau de Haddoque (Verbinski ne s'en est probablement toujours pas remis), le plan-séquence dans Bagghar, tout cela pouvait être réalisé live, et on aurait même pu, avec les thunes restantes, retoucher par ordinateur le visage des acteurs pour qu'il soit conforme aux personnages de Hergé. Dans tellement de séquences, j'ai regretté de n'avoir sous les yeux que du virtuel. Le duel à l'épée entre le chevalier de Hadoque et Rackham le Rouge, pendant lequel la mèche est plusieurs fois allumée puis éteinte. Réalisée live, cette séquence aurait été brillantissime. Je n'ai vu qu'un animatic amélioré, désolé. [animatic = story-board en 3D]

Si on avait la force d'écrire, on développerait peut-être cette histoire de la performance-capture qui prend un nouveau tournant ici, en même temps que celui du cinéma en relief (en clair : l'un comme l'autre commencent à gaver). La 3D, en effet, n'est pas ici pour donner de l'épaisseur aux images, contrairement à ce que, naïvement et logiquement, on aurait tendance à imaginer. Elle ajoute seulement de la définition. Une image en 3D est en encore plus haute définition qu'une image en haute définition, mais en 2D. Je ne suis pas convaincu que le cinéma ait besoin d'être en si haute définition. Pas celui de Spielberg en tout cas, pas un cinéma qui joue à adapter un livre des années 1940 en imitant les films des années 1980. Quand Tintin, dans son vieux pantalon et son vieux pull, attrape un vieux pistolet, je ne suis pas choqué si l'image semble vieille, ou, au minimum, analogique. Je n'y fais pas attention. Je regarde le film, pas la haute définition.

Obsédé par l'outil numérique, Spielberg en oublie que l'eau mouille. Voyez Tintin menacer les deux pilotes de l'hydravion avec un pistolet qu'il vient de sortir de la mer. Cela marche peut-être dans une BD, mais pas du tout dans un film qui se gargarise d'avoir recréé l'eau la plus crédible possible. Voyez également ces trois feuilles de vieux parchemin tremper cinquante fois dans un torrent furieux, et cependant rester parfaitement lisibles. Ce ne sont que deux exemples parmi les innombrables trous scénaristiques que même Michael Bay n'aurait pas laissé passer.

Les coupables ont leur nom sur l'affiche, comme au temps des éxécutions : Edgar Wright, Steven Moffat, Joe Cornish. Ce sont eux, scénaristes, qui font reposer le dernier Spielberg sur un pitch à la Very Bad Trip 2 : Haddock doit déssaoûler pour se ressouvenir. Ce sont eux qui citent Shakespeare sans vérifier leurs sources, et font dire à un Haddock extatique : "Aaah... Stuff dreams are made OF", version amateur du texte d'origine, Shakespeare, La Tempête : "We are such stuff dreams are made ON." Dites tout de suite que vous trouvez que ça ne change rien. Ok, allez voir un spécialiste et dites-lui la même chose. Sans en être un moi-même, il me semble que d'un côté, les rêves sont fabriqués avec nous tout entiers (of us), et de l'autre, avec nous comme base (on us) : si je voulais faire le malin, j'ajouterais ici que c'est le problème de Spielberg, qu'il a fait son film avec les attentes des fans au lieu de le faire à partir de ces attentes - mais avec lui seul. Sinon, je ne vois pas pourquoi il s'autociterait autant. Spielberg n'est pas quelqu'un de vaniteux. Les clins d'œil sont des preuves de soumission au public.

Pendant longtemps, cette histoire a été celle de Francis Ford Coppola - des 1985 à 2000, grosso modo. Depuis, Coppola s'est libéré du système et fait ses propres films - tous des chefs-d'oeuvre : L'Homme Sans Âge, Tetro, Twixt (comme ça, je n'ai pas encore vu le dernier ? ça ne change rien.) Cela fait deux films de suite que Spielberg est prisonnier. Et je m'inquiète : la 3D a pourri l'Alice de Tim Burton, le Tintin de Spielberg ; Scorsese sort Hugo Cabret en décembre et en 3D, il paraît que c'est son premier film pour enfants, j'ai peur, je tremble, je n'irai peut-être pas.

A l'origine, Robert Zemeckis était le seul à être maudit : Pôle Express, Beowulf, Scrooge. Tintin donne l'horrible impression que Spielberg a été contaminé. Non seulement la performance capture n'est pas tellement meilleure que celle de Beowulf (que j'aime assez, soit dit en passant), mais il y a une scène où Haddock devient dingue après avoir bu un verre de whisky qui est littéralement un emprunt à Roger Rabbit. De là à dire que Spielberg a traversé une mauvaise passe geek sous l'influence de Zemeckis, il n'y a qu'un pas, et je le franchis, parce que j'ai vu Real Steel. Produit par Spielberg et Zemeckis, Real Steel raconte l'histoire d'un type (Hugh Jackman, au hasard) pilotant des robots de boxe avec une manette qui est exactement celle qu'utilisent les réalisateurs pour leurs films en performance-capture. A la fin du film, Jackman transmet ses mouvements de boxe au robot exactement comme les acteurs en combinaison transmettent leurs mouvements à leurs avatars numériques. Bref, Real Steel ne vaut qu'en tant que film-programmatique geek, et Spielberg a un peu mieux à faire (War Horse, en l'occurrence, croisons les doigts).

Je réécoute la musique, en décalage avec les images (en particulier lors de l'image ci-dessus, vous verrez). Lorsque Tintin se fait poursuivre par un chien de garde, la musique est, à peu de chose près, celle d'Indiana Jones poursuivi par un tank. Dévaluation, dévaluation... Que la poursuite en question s'achève sur l'un de ces gags empruntés à Hergé, qui marchent sur deux cases mais pas sur un écran géant, et la scène tombe à plat.

Je repense au plan-séquence de Bagghar, que j'attends de revoir en dvd, au ralenti, pour voir s'il ne recèle pas quelques vraies trouvailles qui m'auraient échappées.

Je repense à l'arrivée grandiose du bateau par-dessus les dunes...

Et je pousse un soupir d'une heure quarante.


Camille


P.S. Quant à Gad Elmaleh, ne le cherchez pas. Il incarne une sorte de gros Spielberg arabe (wtf, oui) et on ne reconnaît ni sa voix, ni ses gestes. Un caprice de réalisateur qui s'ennuie, en somme : "faites venir Gad Elmaleh..."