21 septembre 2010

Hot shots (septembre-octobre 2010)

Hors course : Oncle Boonmee (celui qui se souvient de ses vies antérieures) de Apichatpong Weerasethakul.

Vu au Musée des Abattoirs de Toulouse il y a trois ans : une toile enduite de cambouis et assortie d'un texte dithyrambique de quarante lignes en police 9 sur un petit panneau blanc, expliquant que c'est en réalité le rien absolu de l'Oeuvre qui fait sens : "Par le choix d'un matériau définitoire du quotidien urbain comme par son refus emblématique du narratif sous toutes ses formes, l'artiste pointe avec une virulence sans égal les blessures d'une société contemporaine en perte de repères."A ce moment-là, vous avez deux options : soit renchérir avec des trémolos dans la voix, pour le plaisir d'humilier la personne à côté de vous, qui ne voit également qu'une toile enduite de cambouis, mais qui renchérira de même, parce que nous sommes dans un musée d'art moderne, c'est chic, c'est trop V.I.P., et on ne peut pas s'abaisser à dire tout haut ce que tout le monde essaie en vain de ne pas penser : c'est une toile enduite de cambouis, voilà tout.

C'est là qu'il va me falloir du courage. Il serait de bon ton de vous écrire quelques lignes empreintes d'un respect ému sur cette palme d'or à laquelle tout le monde fait semblant de comprendre quelque chose sans être vraiment sûr qu'il y ait quoi que ce soit à comprendre. J'ai entendu des merveilles sur Boonmee :

"Non, mais tu vois, c'est la sensation qui prime au fond, finalement... Pourquoi voudrais-tu qu'il y ait quelque chose à comprendre ?" (Pourquoi, en effet ?)

"Non, mais c'est le fossé culturel, le problème. Si on était de là-bas, on comprendrait." (Perspective ô combien plus angoissante, à tout prendre.)

ou encore

"Non, mais de toutes façons le narratif c'est quand même grave dépassé." (??????)

Une grande respiration plus tard, voilà en toute honnêteté ce que j'ai à vous dire sur Boonmee : je ne me suis pas vraiment ennuyée, ou pas autant que ce que je craignais. J'ai vu de belles images, et l'égarement narratif de la femme et du poisson m'a même franchement plu. J'ai bien aimé les fantômes. Au début. Je veux bien considérer, par amitié pour certaines personnes que j'estime, la possible pertinence d'une poétique du what the fuck. Mais je la leur laisse.

Je n'ai absolument rien contre Boonmee, dans le fond. Ce qui m'exaspère, c'est d'y retrouver le public de la toile de cambouis.

Navrant : The Runaways, de Floria Sigismondi.

Quand un faiseur de clips se lance dans le cinéma, c'est toujours une très bonne ou une très mauvaise surprise. Floria Sigismondi remporte haut la main la palme de celui/celle qui n'aurait pas dû. Son film est consternant à tous les étages : brassant les clichés du genre avec un premier degré qui aurait pu nous faire rire s'il n'avait pas le double tort d'être scolaire et prétentieux, The Runaways est un désolant collage de déjà-vus découpés dans les grands et les petits films sur l'âge d'or du Rock et du Glam. Un film réalisé comme on fait ses courses à Auchan, avec une liste. Dérives sexuelles : fait. Alcoolisme juvénile : fait. Tentations lesbiennes : fait. Overdose : fait.
Il n'est hélas pas rare de voir un film sans idée. Mais un film qui ne tente même pas, pas une seconde ! d'imposer une touche personnelle, c'est exceptionnel. Les jeunes actrices ne sont pas mauvaises, juste terriblement fades. Il faut dire, à leur décharge, que les rôles ne sont pas écrits. L'histoire est d'un ennui mortel. Aucune tentative de controverse, aucune tentation white trash : on vise un public entre 12 et 15 ans, ignare, le seul à pouvoir être émoustillé par une scène de baiser lesbien filmée, ô surprise ! avec un filtre rouge. Car le comble du comble, pour une réalisatrice de clips (et pas mauvaise en plus), c'est que c'est mal filmé. Les scènes de concert sont correctes. Le reste, une frénésie lassante de caméra subjective sans subjectivité, des gros plans sur le maquillage qui coule, une déferlante pathétique de flous artistiques bon marché. D'ailleurs, plus personne n'ose les tremblements de caméra pour mimer les effets de la drogue. Trop vus. Mais il faut croire que Floria Sigismondi ne va jamais au cinéma.

Presque : Twelve, de Joel Schumacher.


Beaucoup trop conforme au programme du Gossip Girl : The Movie qui devrait nous tomber sur le coin du nez un de ces jours pour présenter un intérêt véritable. Néanmoins (et c'est la seule raison pour laquelle j'en parle), il offre un des très rares exemples de films sauvés par ce fléau de la voix off qui en a coulé plus d'un. La scène d'ouverture est une sorte de remix de Spirit à la sauce Upper East Side. Une silhouette en manteau noir au sommet d'un building, et un nom : White Mike. Le film tourne et tourne autour de ce personnage trop délibérément mystérieux pour lui donner une force. Pour le reste : gosses de riches trompant leur ennui avec des substances illicites trop faciles à obtenir. Vaines tentatives de glauque. Facilités scénaristiques. Chace Crawford ne sait pas pleurer sur commande. Néanmoins, cette voix omniprésente d'un homme de quarante ou cinquante ans, sans relais physique dans le film, d'une unicité de ton presque troublante au fil des variations de discours, rachète une bonne partie du peu de choses qu'il y avait à racheter.

Miraculeux : Des hommes et des Dieux, de Xavier Beauvois.

Je pourrais écrire toute la nuit sans trouver les mots pour vous dire à quel point le film de Xavier Beauvois m'est un émerveillement. Aussi, je voudrais ne rien vous dire du tout, et pourtant il faut que je dise quelque chose, tout le reste n'a été qu'un prétexte pour en arriver là. Je pourrais vous dire que j'ai éprouvé pour la première fois de ma vie, au fond d'une salle un peu moche du MK2 Bibliothèque, le sentiment (pour le moins incongru dans ce contexte) de bénéficier d'un privilège immense : celui de pouvoir me trouver au cinéma, en 2010, et de voir ce film. Je pourrais vous dire que ce film, c'était un rêve que je pensais ne jamais voir réalisé, une idée trop belle pour prendre corps : arriver au sublime par la route de l'absolue sobriété. Je pourrais tenter de mettre un nom sur le miracle : l'effacement derrière l'image d'un cinéaste assez courageux pour laisser une histoire parler d'elle-même.
Je reste en deçà de ma pensée, infiniment. Je ne sais plus quoi vous dire, à vouloir trop vous dire. A n'être presque rien ce film est trop pour consentir à passer par ma plume. Je n'ai rien à vous dire. Je n'ai rien à vous dire sur Des hommes et des Dieux, sinon mon humble certitude d'avoir vu l'une des plus belles et grandes choses qu'il me sera jamais donné de voir. Cela, et le silence inénarrable de mon émerveillement.

Noémie.

15 septembre 2010

Sexy Dance 3D


Enthusiasm is my middle name



On nous a reproché récemment de consacrer toute notre énergie à lapider sans sommation l'essentiel de ce qui nous passait devant les yeux. Ô lecteur mécontent (non sans un soupçon de mauvaise foi, car enfin tu n'avais qu'à lire plus attentivement le nom de ce blog) et frustré, reçois donc de plein fouet et avec gratitude cet enthousiasme réconciliateur : nous avons adoré Sexy Dance 3D ! Et je t'avouerai même que c'était probablement l'un des plus délicieux moments ciné de ces dernières semaines. Foin des goûts d'esthètes, l'histoire est strictement la même que celle de tous les autres films du genre. Chez moi, on appelle ça "film de bowling", parce que, quand nous étions petites, ma plus jeune sœur regardait en boucle - ET sur Disney Channel- un film qui racontait exactement la même chose, à cette différence près (mais elle est subtile) que les protagonistes arboraient d'ignobles chaussures... de bowling, au lieu des baskets argentées édition limitée de Sexy Dance 3D (non, ce n'est pas hors sujet, c'est même l'ultime enjeu du film, quand on y regarde de près. Si.). Or donc Sexy Dance 3D est comme toujours une histoire de clans qui s'affrontent sans merci sur les sentiers de la gloire. Le clan des méchants multiplie les coups bas, celui des gentils riposte sans faire la moindre entaille à son honneur, et gagne après avoir eu la gentillesse de commencer par perdre, suspense (!) oblige. Ajoutez à tout cela une énième RoméoJuliettade à rebondissements, et vous savez tout. Ne m'accusez pas de spoiler. La vérité, c'est que tout cela n'a aucune importance, et que l'un des grands mérites de cette production-là est de ne même pas essayer de lui en donner. Les sentimentalités verbales passent sans qu'on ait eu le temps d'en souffrir tandis que, tout réjoui derrière ses lunettes par les prouesses d'une 3D admirable, le spectateur heureux glisse confortablement de clip en clip. Rien de plus, rien de moins : ralentis, effets de matière, muscles et nombrils, chorégraphies de caméra dans la chorégraphie des corps. C'est bienfaisant, tonifiant, rythmé, spectaculaire sans prétention : un feelgood movie comme on les aime, dont le seul défaut est de vous maintenir pendant les deux ou trois heures suivantes dans une lutte inconfortable entre cette furieuse envie de danser qui vous vrille les jambes, et l'ultime écho de lucidité qui vous murmure au creux de l'oreille "N'essaie pas. N'essaie pas... N'essaie pas..." A part ça, on adore.

Noémie.

* * *

Une adolescente


Elle s’appelle Cameron/Pace. C’est elle qui a inventé Pandora - après avoir été elle-même inventée par James Cameron et Vince Pace. Elle a les yeux de Wall-E. Leur courbe fait le tour de l’écran, passe derrière les images. C’est une caméra 3D. La seule, l’unique.

Depuis Avatar, elle a eu peu d’amants. Une histoire avec Joe Dante, The Hole, profonde et belle, paraît-il – jamais venue en France. Depuis un an, Cameron connaît ses premiers émois, et multiplie les partenaires ; ce ne sont pas tous des Lumière, mais, dieu qu’ils sont jolis. En ce moment, on lui connaît un danseur et un geek : soient Sexy Dance 3D et Resident Evil : Afterlife.

Le surnom du premier appelle à la méfiance, même s’il importe peu ici de défendre les qualités profondes des deux bellâtres. Précisons que son nom d’origine est Step Up, ce qui a au moins le mérite de le détacher de l’orbite des teen movies décérébrés dont les titres tournent toujours autour du mot Sex. Step Up 3D, donc, est un danseur, avant tout. C’est le troisième volet d’une franchise, qu’il ne faut pas confondre avec Street Dance, dont un volet en 3D est sorti au mois de mai – attention cependant : ce n’était pas Cameron/Pace, mais une mocheté qui rêve de lui ressembler (j’ignore son nom, je sais juste qu’elle travaille dans le traitement des images en post-production).

Step Up 3D, c’est en quelque sorte le spin off des danseurs filmés avant le générique de This Is It : ces jeunes émus aux larmes rien qu’à l’évocation, face à une caméra numérique, de la liberté que leur apporte la danse. Seulement, il n’est pas seulement question de danse. Un peu de cinéma : Luke, leader du crew, rêve d’être cinéaste. Ce désir de s’intéresser au cinéma – nouveau chez John Chu, déjà réalisateur de Sexy Dance 2 -, c’est l’influence de Cameron/Pace, qui donne soudain au film un supplément d’intérêt. Et une beauté hallucinante.

La danse, comme le théâtre, est un art du corps, contrairement au cinéma qui s’attache avant tout à l’image, au dessin : à la représentation du corps. Les choses changent. On ne s’en rendait finalement guère compte avec Avatar, qui ne laissait pas le temps d’observer ce que ce type de 3D appliquait aux corps humains, s’intéressant plutôt aux extra-terrestres. Recevant ces nouveaux corps en même temps que leur nouveau relief, le spectateur n’avait pas eu le temps de réaliser à quel point la profondeur était différente de tout ce qu’on avait pu voir jusque là, ne faisant que constater qu’il existait un autre type de 3D que celle, toute en jaillissement, du Futuroscope, créneau vacant où Piranha 3D est venu se loger. Sur Terre, les qualités de Cameron se voient plus encore que sur Pandora. Et le danseur était celui qu’il lui fallait pour lui permettre de révéler comme le volume des corps est l’une des choses qu’elle sait faire le mieux, plus encore que tout effet de profondeur, ou de jaillissement.

Sexy Dance 3D se situe dès lors au croisement de la comédie musicale et de la performance chorégraphique live, cette dernière tirant jusqu’à aujourd’hui sa force de la présence physique, à proximité de l’œil du spectateur, des danseurs. La scène de théâtre était un espace en trois dimensions où se mouvaient des volumes, chose que le cinéma ne pouvait restituer, comblant cette pression hypnotique de l’espace théâtral par un jeu sur les cadrages, les couleurs, les décors : fabriquant de la comédie musicale pour étoffer la danse en 2D des images. Eh bien oui, les choses en changé. Cameron/Pace a rendu leur épaisseur aux avant-bras, aux gorges, aux crânes. Littéralement sensible lorsqu’un raccord fait passer le visage de la danseuse Sharni Vinson d’un écran d’ordinateur à la lumière du soleil, en pleine rue.

Pour autant, la comédie musicale est restée, inscrite dans un réel beaucoup moins stylisé qu’à l’époque où le monde se devait d’épouser et de suivre la beauté des mouvements pour leur rendre de l’ampleur. Ce qui aboutit à un plan-séquence d’anthologie, au cours duquel deux personnages rejouent I won’t dance dans une rue, pourchassés par les figurants qui, eux, ne basculent pas dans le monde merveilleux où tout le monde connaît des chorégraphies par cœur. John Chu a bien compris que la 3D était un jeu : ses personnages s’emparent de deux tableaux et, se cachant derrière, leur font jouer un passage chorégraphique tout en jambe : buste en 2D, jambes en 3D ; les dimensions dansent entre elles, l’osmose est accomplie.

Et le souvenir n’est plus le même. Là est la révolution : dans la mémoire que l’on a du film en quittant la salle. Lorsque l’on repense à un film, on en visualise des images entourées de noir, un écran avec une salle autour. Un cadre, quoi. Plus avec Step Up 3D, qui s’inscrit dans la mémoire à la manière d’un vrai numéro de danse. On revoit les corps. Il n’y a plus d’écran à se rappeler : puisqu’il y avait de la profondeur, une pièce, et, entre l’œil et le fond de la pièce, les quelques centimètres d’un cou, d’un bras, d’une main. Ce sont des souvenirs de théâtre.

On évitera poliment, comme pour Avatar, d’épiloguer sur le scénario qui achemine les images jusqu’au générique de fin. On épiloguera, en revanche, sur ce même générique. Signe d’une émulation créatrice peu commune dans les films de street-dance, qui, habituellement, se contentent de reproduire quelques tics de clips (comme cela arrive parfois dans les moments creux, justement, de cet épisode). La première partie de ce générique est constituée d’un festival de trucs visant à jouer avec la 3D, jusqu’à ce qu’apparaisse un danseur assis sur une chaise, au milieu d’une surface en linoléum. A droite de l’image, les crédits défilent du bas vers le haut, selon une courbe qui les fait s’éloigner de l’écran lorsqu’ils passent en son milieu. A gauche, l’écran à totalement disparu. Il n’y a rien d’autre à voir, rien d’autre à distinguer, que ce linoléum, cette chaise, et ce danseur.

Dans Le Projet Andersen, le metteur en scène québécois Robert Lepage avait eu l’idée de projeter un générique d’ouverture à sa pièce sur un écran creux, dont la cavité n’était révélée au public qu’à l’instant où l’acteur y bondissait. On ressent le même trouble devant ce générique de Sexy Dance 3D, non pas tant hypnotisés, cependant, par l’effet de profondeur, que par les mouvements de l’homme assis : ses mains et ses bras suffisent à une chorégraphie qui rejoue à la fois l’histoire du film et son régime visuel. Les doigts dessinent un écran, exactement comme lorsqu’un réalisateur veut préparer son cadre. Puis en dessinent un autre, un autre, et pivotent : l’écran a changé de sens ; un mouvement de bras vient traverser la ligne sur laquelle s’étaient échafaudés les plans imaginaires, vaste mouvement de bras parodiant les effets de jaillissement – qui voudraient agripper le public, que le public voudrait attraper – mouvements plus discrets qui consistent juste à profiter de l’espace ainsi tracé. Plus tard, les doigts forment un cœur, c’est la romance neuneu qui passe, furtivement, puis une main rejoint un œil, mime une caméra qui se volatilise aussitôt, quelques plans à nouveau, quelques mouvements de danse, mouvements de plans… On ne peut qu’être bluffé par le dernier partenaire de Cameron/Pace, qui sait refléter son regard, et la rendre aussi belle qu’elle le rend érotique.

Camille.

12 septembre 2010

De Venise à Pandora, en passant par Deauville

Chaque année, Venise et Deauville se déroulent en même temps, début septembre. Si les deux festivals n'ont ni la même envergure, ni la même ambition, il est quand-même difficile, pour qui n'y est pas encore rôdé, de choisir auquel se rendre. Mauvaises Langues a donc choisi de ne pas (pouvoir) choisir. N'a pas bougé de Paris, et se contentera de ces quelques fugitives remarques de dimanche soir.
Cannes et Venise 2010 : deux présidents hollywoodiens. Burton, Tarantino. On sait que Burton a choisi de privilégier la découverte, le voyage, l'altérité, en remettant la Palme d'Or à Weerasethakul ; une altérité pas si lointaine puisqu'il est facile de voir de la Planète des Singes ou du Big Fish dans Boonmee. Que je proposerais de regarder comme un paysage plus que comme un film. Comme une rêverie de promeneur solitaire. Une connexion à une autre jungle, en fait.
Tarantino aussi récompense à Venise un film qui peut tout aussi bien sembler son opposé que son semblable : je n'ai bien entendu pas vu Somewhere mais, connaissant le style de Coppola, j'imagine facilement qu'elle peut être portée par une douceur et un calme plutôt rares chez le réalisateur d'Inglourious Basterds. Sofia Coppola, c'est le contraire du suspense. Elle n'écrit pas des dialogues, mais des silences. Mais en même temps, elle est un pur produit du cinéma hollywoodien, et en la récompensant elle, Tarantino récompense aussi le cinéma américain (Somewhere est un film sur les films, d'après ce que j'ai cru comprendre) et papa Francis Ford, qui recevra quant à lui un Oscar d'honneur courant mois de novembre (lors de cette même cérémonie que Godard hésite à honorer de sa présence) (je parie qu'il ira.).
Ensuite, évidemment, Tarantino, grand inventeur de femmes, suit le mouvement des Oscars qui avaient récompensé la première réalisatrice de l'histoire en la personne de Katryn Bigelow. Ça lui ressemble aussi, à QT : deux femmes réalisatrices récompensées en même pas un an d'intervalle, c'est du grand spectacle.
Pour autant, ceux qui s'étaient réjouis de voir gagner un Thaïlandais à Cannes sont plutôt déçus de voir gagner l'Américaine à Venise, d'autant que son film n'a pas l'air d'être un chef-d'œuvre, et qu'en plus ça se voyait, d'autres concurrents (notamment le Chinois Wang Bing et l'Acteur Vincent Gallo) assurant la concurrence et accentuant le contraste. De l'extérieur, je dirais que c'est un bon compromis entre festivals, mais, évidemment, je n'ai vu aucun film, et on n'a demandé de compromis à personne.
Et Deauville ? Béart récompensant un cinéaste colombien à un festival du film américain me fait penser à Huppert récompensant son pote Haneke à Cannes, en 2009. Quelque chose de Madame l'Actrice qui ne peut pas faire comme tout le monde. Bien entendu je n'ai toujours pas vu le film en question, Mother and Child, de Rodrigo Garcia, Naomi Watts et Annette Benning, histoire de maternité compliquée et Béart avait déjà joué dans une histoire de mère torturée, dans Vinyan, sorti en 2007, qui se passait en Thaïlande, après le tsunami.
D'une certaine manière, Deauville et Venise ont échangé leur palmarès. Pourquoi pas...

Tout ça pour en revenir à la jungle de Pandora, oui, on y est allé, mercantilisme et compagnie, tant pis. Et au Max Linder encore, dans la fosse. Alors, cette Spéciale Édition ?, ben ce ne sont jamais que 8 minutes, rien à voir avec la director's cut de Kingdom of Heaven ou le remaniement général d'Alexander Revisited. Les scènes additionnelles majeures sont au nombre de 4 :
- la scène de l'école avec les impacts de balle dans le tableau.
- la scène de chasse au Sturmbeast.
- la scène de connexion entre Jake et Neytiri.
- l'euthanasie de Tsu'tey.
La première est un ajout de noirceur, le deuxième est un déferlement tribal d'imagerie de synthèse pas loin du troupeau de corythosaures déchaînés dans Jurassic Park 3, mais filmé comme du Michael Bay, et sur fond de War, l'une des meilleures compositions de Horner pour le film. On retrouve cette douce incapacité à cesser d'être bouche-bée pendant deux minutes, on ne se plaint pas. Ce ne sont jamais que des images. La troisième scène amène à se poser cette question cruciale : comment les Na'vi font-ils les bébés ? S'il leur suffit de se connecter pour jouir ? On pense en rigolant à la scène d'amour par procuration de Demolition Man. On se dit que s'ils ont un pagne, c'est qu'il doit y avoir quelque chose à cacher. L'arbre de la connaissance a-t-il été détruit par les Terriens, avec les bulldozers ? Si la procréation est entièrement distincte du plaisir, n'est-ce pas la justification possible de la différence fondamentale entre humains et Na'vi ? On pourrait y passer des heures, un soir de cuite. Quant à la quatrième scène, elle est étrange, vraiment. Assez sauvage - Jake plante une immense lame dans le bide de son nouveau frère - pourtant, au moment où la lame entre, c'est Jake's First Flight qui retentit, la musique que l'on entend quand il vole pour la première fois avec Neytiri. J'imagine que le but est de dire : il meurt, il rejoint Eywa, ô joie. C'est aussi la musique d'un homme qui s'envoie en l'air, sur un autre qui meurt. De la même manière qu'on n'aurait jamais cru que Cameron s'offrirait un happy end aussi radical que celui qui consistait à réécrire l'histoire américaine (Tarantino tue Hitler dans Inglourious Basterds, Cameron fait gagner les Indiens dans Avatar), il ne recule pas devant un final qui consiste à affirmer que la mort n'est pas un événement spécial, ni grave, juste le passage d'une forme d'incarnation de la Vie à un autre. Ce qui rend la mise à mort de Tsu'Tey aussi anodine que celle de Will Turner à la fin de Pirates des Caraïbes 3. Est-ce que ça pose problème ? Qui s'en soucie ?

Sinon, et puisque je parle de musique : il est intéressant de constater comme celle-ci a été remixée, à plusieurs moments, de manière à atténuer l'émerveillement. Par exemple, les sons électroniques qui ouvrent Becoming One of the People sont joués à la flûte. L'effet n'est pas le même. Ils savaient que les gens qui verraient cette Spéciale Edition auraient déjà vu le film. Il aurait été absurde de rejouer la découverte. Du coup, ce qui est transmis est plutôt de l'ordre de l'apaisement, comme si on avait l'habitude de fréquenter le home tree, qu'on était juste à l'aise à l'intérieur, et plus vraiment étonné.
Le reste des minutes est constitué de ces petits morceaux de phrase que Cameron avait coupés en se disant que c'était toujours cinq secondes en moins sur la route des 30 minutes en moins que le bon sens exigeait de son montage. De fait, les plans s'allongent, quasi-imperceptiblement : la scène du vol gagne une vrille, la chute de Home Tree est plus longue et plus violente, le combat entre le thanator de Neytiri et l'AMP de Quaritch s'agrandit d'un plan, etc.
Et puis c'était la première fois que je voyais Avatar avec mes lunettes de vue. J'ai réalisé que je ne l'avais jamais vu jusqu'à présent qu'assez flou. Et ça, ça vaut tous les Blu-Ray du monde. Ôtant les lunettes 3D et mes lunettes, j'ai sincèrement eu l'impression de redevenir un humain aveugle aux yeux tout juste assez bas-de-gamme pour regarder finir un dimanche soir dans la station de Grand Boulevards.
Sur ce, bonne semaine à tous, et vous pouvez filer voir Des Hommes et des Dieux plutôt qu'Avatar Redux ou Sexy Dance 3D (dont on parlera aussi, de toutes façons, dans un post à venir...)

Camille


4 septembre 2010

Green Zone

TOUS AU VERT

"It was a total waste for your army to come to Iraq, right ? "


Saïd Taghmaoui, Les Rois du Désert, 2000.


Savez-vous pourquoi il y a autant de pub pour le DVD de Green Zone ? Bus, abribus, métro, partout ? Parce que le film a fait un bide, et qu'il lui manque même 6 millions pour rembourser son budget de 100 millions de dollars. En réalité, c'est déjà cuit : la promo a coûté 40 millions en plus des 100 millions. Bref. Un gouffre financier, cette guerre. Je veux dire, ce film.

C'est ce qui arrive quand on veut jouer à Apocalypse Now. Et la séquence d'ouverture de Green Zone, explosion sur Bagdad qui gonfle jusqu'à atteindre la taille des flammes sur les photos du Time Magazine, fait clairement référence au sublime this is the end... des Doors sur fond de napalm, au début du film de Coppola. Ce qui n'est pas absurde, puisque Paul Greengrass se serait bien vu inscrire sur la pellicule cette célèbre vérité, que l'Irak aura été un nouveau Viet-Nâm (d'ailleurs, ce sont aussi les Chinois qui ont gagné, puisque ce sont eux qui contrôlent à présent le pétrole de l'ancienne dictature). Aujourd'hui Obama retire ses troupes (et les balance en Afghanistan ; on n'a pas fini de regarder des films de guerre).

Bref, Green Zone sort en DVD, il y a de l'actu autour de l'Irak, alors...


L'Afghanistan, c'était l'endroit où commençait le premier Iron Man. Sorti en même temps qu'Iron Man 2, Green Zone voulait aussi, de manière un peu plus sérieuse, dénoncer l'imbécillité du rêve américain qui consiste à rêver d'une privatisation de la paix mondiale. Dans Iron Man 2, l'armée américaine veut s'approprier l'armure de Tony Stark. Dans Green Zone, elle veut s'approprier les bombes irakiennes. C'est un premier point (pas le plus intéressant).

Green Zone rappelle aussi Les Rois du Désert, sorti en 2000, dont on avait parlé ici. Même histoire de marines paumés lancés dans une poursuite aveugle, d'un peu d'or ou d'usines à bombes ; et Clooney, comme Damon, finissait par se rendre compte que la vérité était ailleurs. Il y a cependant une différence entre le film de David Russell et celui de Paul Greengrass. Les Rois du Désert pointait un scandale : il y avait une guerre civile en Irak, à laquelle les Américains restaient indifférents. Green Zone pointe le scandale inverse : il y a une guerre civile en Irak, et les Américains veulent aider alors que ce n'est pas leur problème. Dans les deux cas, c'est la guerre, c'est absurde, ce n'est pas ce qu'il faut. Obama est-il sur le point de trouver un juste milieu ? Pfft

Demandez toujours leur avis aux réalisateurs Doug Liman et Ken Loach, dont les films sur l'Irak ont été diffusés à Cannes en mai 2010, contrairement à Greengrass, qui avait pourtant sorti son film au moment du festival (le 14 avril), mais ce n'était vraiment pas son jour, on l'a ignoré. Détail amusant : Doug Liman est celui qui a entamé la saga Jason Bourne (continuée par Greengrass). Bref, il y avait en mai 2010 une trilogie qui s'était dessinée : Greenzone, Fair Game de Doug Liman -sortie prévue dans un peu plus d'un mois - et Route Irish, de Ken Loach (sur la privatisation de l'armée !) - sortie le 3 septembre en Norvège (wtf ?, je sais) et prochainement en France.


Je n'ai pas l'intention de défendre Green Zone. Les pubs sur les bus servent à rembourser le studio : il ne faut pas les croire quand elles vous vendent "le film d'action de l'année", c'est faux, il ne s'agit pas d'un film d'action mais d'un film politique, plus proche des histoires de Tom Clancy, les trucs de John Le Carré, tout ça. Je vous déconseille donc d'acheter le DVD pour une soirée que espéreriez aussi palpitante que celle où vous aviez regardé La Mort dans la Peau. Mieux vaut revoir La Mort dans la Peau, d'ailleurs.

Quelques remarques encore, pourtant. Greengrass est le réalisateur de Vol 93, le film sur le 11-Septembre qui prétendait montrer ce que personne n'avait vu, dans le 4e avion. Filmer ce que personne n'a vu, c'est à nouveau le programme de Green Zone, titre qui renvoie à une zone sécurisée de Bagdad, ville où l'on ne voit rien parce que 1) il n'y a rien à voir (pas d'armes de destruction massive) et 2) il fait toujours nuit, le green de la zone en question étant celui des lunettes de vision nocturne. L'endroit toujours vert, parce que toujours noir.

Greenzone est le Rois du Désert de la dernière Guerre du Golfe. Les Américains ne sont plus avides d’or, mais d'armes de destruction massive (Weapons of Mass Destruction, WMD). Et en chemin, ils abandonnent leur quête, constatant que l’Irak va être abandonnée à la guerre civile, qu’il faut plutôt aider les civils. Ce qui a changé depuis l'an 2000, avant que la Guerre du Golfe ne recommence ? Dans Les Rois du Désert, il y avait l’humour. Les Américains étaient juste cons. Là, ce sont des tortionnaires avides. Voir Jason Isaacs, qui se met à chercher le « carnet » sur le corps de Miller avec la même avidité que celle qui le fait chercher les WMD.


Ironie aussi : en 1998, Damon jouait pour Spielberg le soldat Ryan, qu'un capitaine Miller incarné par Tom Hanks venait sauver. Aujourd'hui le troufion de la 101e a monté en grade : le soldat incarné par Damon dans Green Zone s'appelle Miller. Et Miller ne sauve pas le soldat Ryan. Ni le sergent Rawi, d'ailleurs. Apocalypse Now, Les Rois du Désert, Soldat Ryan, Green Zone : autant de films où les soldats errent sans savoir où aller, errent dans la cambrousse à la recherche d'une absurdité.

A la fin de Green Zone, il y a donc cette mise à mort du sergent Rawi par le sympathique indic, Freddy. Subite explosion de violence. Passionnant coup de feu. "C'est mon pays", déclare-t-il, pour se justifier, "j'ai le droit de régler les problèmes comme je veux, sans que les américains s'en mêlent" (bon, ce n'est pas la citation exacte, hein). C'est la même scène que dans Inglourious Basterds, quand Diane Krueger (Freddy/Diane Krueger, c'est marrant) flingue le papa du petit Max. L’Américain Brad Pitt est arrivé pour temporiser la situation, le méchant est sur le point de survivre... Mais rejaillit soudain la colère de celui qui est concerné par le problème, de celui qui a souffert (Freddy l'irakien, Diane qui s'est pris une balle dans la jambe), et qui tire. Il y a 20 ans, ce coup de feu final de Green Zone aurait pu faire scandale, on lui aurait reproché de faire passer les Arabes pour des fous ou des hors-la-loi, puisqu'il était important à l'époque d'expliquer qu'il n'y avait pas, en Mésopotamie, que des terroristes. Aujourd'hui, la mise à mort de Rawi par Freddy est rendue possible - visible, montrable - parce que Diane Krueger a fait pareil. Il n’y a plus de différence entre un Arabe barbare fantasmé par Hollywood, et une Beauté qui cède à l’envie de vengeance (même chose dans Kick Ass, d'ailleurs).



Le dernier film auquel Green Zone m'a fait penser, c'est enfin La Chute du Faucon Noir, de Ridley Scott, autre grand film de guerre pré-11-Septembre, sorti début 2002. Jason Isaacs y jouait aussi. Il y jouait alors l'un des héros. En 2010, il a changé de camp : Hollywood a pris du recul, Isaacs a peut-être envie de se racheter, son rôle est celui du cinglé qui s'oppose à la quête de vérité du Soldat Miller. Plus largement, Green Zone joue le pendant non-glorifiant de La Chute du Faucon Noir au moment où un hélicoptère Black Hawk traverse l'image, et se crashe hors-cadre, traduisant une volonté d'ignorer le film de Ridley Scott dans lequel le crash des hélicos est un magnifique événement en images de synthèse, plein-cadre, plein de poussière.


Greengrass en Green Zone est décidément sur le terrain de Ridley Scott, lui-même en passe de se racheter d'avoir réalisé La Chute du Faucon Noir, puisqu'il a réalisé, en 2008, Body of Lies, tableau des Arabes et des Américains sur le terrain qui n'avait plus grand chose à voir avec la production Bruckheimer de l'an 2002. D'ailleurs, le scénariste du Robin des Bois de Scott n'est autre que Brian Helgeland, scénariste de Green Zone. J'avais pensé à l'époque faire un poste autour de Helgeland, sur Green Zone et Robin des Bois. Il se serait aussi appelé "Tous au vert". Mon dieu, quel bon moment on aurait passé.


Camille

P.S. : Brian Helgeland est aussi co-scénariste de SALT. Mais soyons sympas, faisons comme si nous n'avions rien remarqué...