12 septembre 2010

De Venise à Pandora, en passant par Deauville

Chaque année, Venise et Deauville se déroulent en même temps, début septembre. Si les deux festivals n'ont ni la même envergure, ni la même ambition, il est quand-même difficile, pour qui n'y est pas encore rôdé, de choisir auquel se rendre. Mauvaises Langues a donc choisi de ne pas (pouvoir) choisir. N'a pas bougé de Paris, et se contentera de ces quelques fugitives remarques de dimanche soir.
Cannes et Venise 2010 : deux présidents hollywoodiens. Burton, Tarantino. On sait que Burton a choisi de privilégier la découverte, le voyage, l'altérité, en remettant la Palme d'Or à Weerasethakul ; une altérité pas si lointaine puisqu'il est facile de voir de la Planète des Singes ou du Big Fish dans Boonmee. Que je proposerais de regarder comme un paysage plus que comme un film. Comme une rêverie de promeneur solitaire. Une connexion à une autre jungle, en fait.
Tarantino aussi récompense à Venise un film qui peut tout aussi bien sembler son opposé que son semblable : je n'ai bien entendu pas vu Somewhere mais, connaissant le style de Coppola, j'imagine facilement qu'elle peut être portée par une douceur et un calme plutôt rares chez le réalisateur d'Inglourious Basterds. Sofia Coppola, c'est le contraire du suspense. Elle n'écrit pas des dialogues, mais des silences. Mais en même temps, elle est un pur produit du cinéma hollywoodien, et en la récompensant elle, Tarantino récompense aussi le cinéma américain (Somewhere est un film sur les films, d'après ce que j'ai cru comprendre) et papa Francis Ford, qui recevra quant à lui un Oscar d'honneur courant mois de novembre (lors de cette même cérémonie que Godard hésite à honorer de sa présence) (je parie qu'il ira.).
Ensuite, évidemment, Tarantino, grand inventeur de femmes, suit le mouvement des Oscars qui avaient récompensé la première réalisatrice de l'histoire en la personne de Katryn Bigelow. Ça lui ressemble aussi, à QT : deux femmes réalisatrices récompensées en même pas un an d'intervalle, c'est du grand spectacle.
Pour autant, ceux qui s'étaient réjouis de voir gagner un Thaïlandais à Cannes sont plutôt déçus de voir gagner l'Américaine à Venise, d'autant que son film n'a pas l'air d'être un chef-d'œuvre, et qu'en plus ça se voyait, d'autres concurrents (notamment le Chinois Wang Bing et l'Acteur Vincent Gallo) assurant la concurrence et accentuant le contraste. De l'extérieur, je dirais que c'est un bon compromis entre festivals, mais, évidemment, je n'ai vu aucun film, et on n'a demandé de compromis à personne.
Et Deauville ? Béart récompensant un cinéaste colombien à un festival du film américain me fait penser à Huppert récompensant son pote Haneke à Cannes, en 2009. Quelque chose de Madame l'Actrice qui ne peut pas faire comme tout le monde. Bien entendu je n'ai toujours pas vu le film en question, Mother and Child, de Rodrigo Garcia, Naomi Watts et Annette Benning, histoire de maternité compliquée et Béart avait déjà joué dans une histoire de mère torturée, dans Vinyan, sorti en 2007, qui se passait en Thaïlande, après le tsunami.
D'une certaine manière, Deauville et Venise ont échangé leur palmarès. Pourquoi pas...

Tout ça pour en revenir à la jungle de Pandora, oui, on y est allé, mercantilisme et compagnie, tant pis. Et au Max Linder encore, dans la fosse. Alors, cette Spéciale Édition ?, ben ce ne sont jamais que 8 minutes, rien à voir avec la director's cut de Kingdom of Heaven ou le remaniement général d'Alexander Revisited. Les scènes additionnelles majeures sont au nombre de 4 :
- la scène de l'école avec les impacts de balle dans le tableau.
- la scène de chasse au Sturmbeast.
- la scène de connexion entre Jake et Neytiri.
- l'euthanasie de Tsu'tey.
La première est un ajout de noirceur, le deuxième est un déferlement tribal d'imagerie de synthèse pas loin du troupeau de corythosaures déchaînés dans Jurassic Park 3, mais filmé comme du Michael Bay, et sur fond de War, l'une des meilleures compositions de Horner pour le film. On retrouve cette douce incapacité à cesser d'être bouche-bée pendant deux minutes, on ne se plaint pas. Ce ne sont jamais que des images. La troisième scène amène à se poser cette question cruciale : comment les Na'vi font-ils les bébés ? S'il leur suffit de se connecter pour jouir ? On pense en rigolant à la scène d'amour par procuration de Demolition Man. On se dit que s'ils ont un pagne, c'est qu'il doit y avoir quelque chose à cacher. L'arbre de la connaissance a-t-il été détruit par les Terriens, avec les bulldozers ? Si la procréation est entièrement distincte du plaisir, n'est-ce pas la justification possible de la différence fondamentale entre humains et Na'vi ? On pourrait y passer des heures, un soir de cuite. Quant à la quatrième scène, elle est étrange, vraiment. Assez sauvage - Jake plante une immense lame dans le bide de son nouveau frère - pourtant, au moment où la lame entre, c'est Jake's First Flight qui retentit, la musique que l'on entend quand il vole pour la première fois avec Neytiri. J'imagine que le but est de dire : il meurt, il rejoint Eywa, ô joie. C'est aussi la musique d'un homme qui s'envoie en l'air, sur un autre qui meurt. De la même manière qu'on n'aurait jamais cru que Cameron s'offrirait un happy end aussi radical que celui qui consistait à réécrire l'histoire américaine (Tarantino tue Hitler dans Inglourious Basterds, Cameron fait gagner les Indiens dans Avatar), il ne recule pas devant un final qui consiste à affirmer que la mort n'est pas un événement spécial, ni grave, juste le passage d'une forme d'incarnation de la Vie à un autre. Ce qui rend la mise à mort de Tsu'Tey aussi anodine que celle de Will Turner à la fin de Pirates des Caraïbes 3. Est-ce que ça pose problème ? Qui s'en soucie ?

Sinon, et puisque je parle de musique : il est intéressant de constater comme celle-ci a été remixée, à plusieurs moments, de manière à atténuer l'émerveillement. Par exemple, les sons électroniques qui ouvrent Becoming One of the People sont joués à la flûte. L'effet n'est pas le même. Ils savaient que les gens qui verraient cette Spéciale Edition auraient déjà vu le film. Il aurait été absurde de rejouer la découverte. Du coup, ce qui est transmis est plutôt de l'ordre de l'apaisement, comme si on avait l'habitude de fréquenter le home tree, qu'on était juste à l'aise à l'intérieur, et plus vraiment étonné.
Le reste des minutes est constitué de ces petits morceaux de phrase que Cameron avait coupés en se disant que c'était toujours cinq secondes en moins sur la route des 30 minutes en moins que le bon sens exigeait de son montage. De fait, les plans s'allongent, quasi-imperceptiblement : la scène du vol gagne une vrille, la chute de Home Tree est plus longue et plus violente, le combat entre le thanator de Neytiri et l'AMP de Quaritch s'agrandit d'un plan, etc.
Et puis c'était la première fois que je voyais Avatar avec mes lunettes de vue. J'ai réalisé que je ne l'avais jamais vu jusqu'à présent qu'assez flou. Et ça, ça vaut tous les Blu-Ray du monde. Ôtant les lunettes 3D et mes lunettes, j'ai sincèrement eu l'impression de redevenir un humain aveugle aux yeux tout juste assez bas-de-gamme pour regarder finir un dimanche soir dans la station de Grand Boulevards.
Sur ce, bonne semaine à tous, et vous pouvez filer voir Des Hommes et des Dieux plutôt qu'Avatar Redux ou Sexy Dance 3D (dont on parlera aussi, de toutes façons, dans un post à venir...)

Camille


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