27 juillet 2012

Vacances...

Quelques affiches qui vendent du rêve (ou pas)

et dédicacées, en plus.
Pour vous les amoureux Méline et Valentin.

Pour ma soeur Eléonore, qui lit rarement mon blog 
mais qui ne regrettera pas d'être venue cette fois.

Pour mon pire ennemi.
(Ô Angoisse)

Pour ma soeur Adélaïde, qui comprendra.

Pour Camille, qui aime beaucoup Rohmer.
(private joke inside)

Pour toi, dépressif contemporain qui aimait la vie 
en moule-bip, et que les magazines féminins sectaires
et Sacha Baron Cohen ont poussé au Prozac 
et au caleçon de bain disgracieux. 

Pour toi Jérôme, que Jack Benny fait rire.
(" ! "pour initiés)

Pour mon DJ préféré, qui n'a pas volé les siennes.

Pour ma mère, qui ne lit jamais mon blog, et pour 
mon cousin Emmanuel, qui a un côté Hulot, 
voire plusieurs.

Bonnes vacances à vous, un suicide enjoué à ceux qui n'en ont pas, et à très vite, pour quelques mots sur le dernier Nolan, entre autres.

Noémie

24 juillet 2012

Ta punition, ma pauvre Angèle...

  C’est d’être toi, et d’avoir à vivre avec ça
-en d’autres termes de ne pas mourir, et de recevoir la vie, encore fillette, comme un châtiment


 Ce n’est pas très optimiste, Holy Motors
 C’est même complètement dépressif, le héros fume et boit mais ne mange pas
 Et tout le monde aime, écrit, se pâme (sauf quelques-uns qui en sont revenus)
 
 Il y a bien des raisons qui semblent claires de l’admiration suscitée par le film. D’abord il est très beau, je veux dire, beau comme un Spielberg ou comme un Ridley Scott : le Carax sait tenir sa caméra, c’est certain, et puis il y a cette forêt de symboles, cette orgie de sens – comme il peut y avoir orgie de preuves après un meurtre
-  en général, cela cache quelque chose

Holy Motors, a priori abscons, a deux manières d’être explicite.

            La première, la moins intéressante, tient à ces clés disséminées ici et là : « Théo » est le nom de la victime et celui de la boîte de prod de Carax ; c’est Carax l’homme qui se réveille au début ; l’une des Limousines a la voix de Michel Delahaye, éminent critique ; Henry James est remercié au générique parce que la scène du moribond est inspiré d’un de ses dialogues, etc. – il y a moyen de rigoler pendant des heures. Le film est saturé d’intertextualité, d’inter-tout, et Carax en bon petit littéraire qu’il est sait faire sonner ses phrases, faire sonner ses plans – son côté Spielberg/Scott – et citer qui il faut quand il faut.

            La deuxième manière, c’est qu’il sait qu’il sait le faire – et se promène d’un genre de cinéma à un autre en permanence, en errant : on croit entendre après chaque séquence que « bon, ça, c’est fait ». C’est là le sentiment du héros, celui du devoir accompli. Or voilà peut-être ce qu’est surtout Holy Motors. Et l’origine du parfum d’amertume qui l’enveloppe.

-   des moteurs qui tournent à vide

 

 Car l’amertume ne saurait venir de ce qui est explicite. On n’est pas dans Les Muppets : Holy Motors se fout bien de l’avancée de la motion capture au cinéma. On n’est pas dans Avatar : Holy Motors se fout bien de l’écologie, même si Lavant soupire à un moment donné « j’aimais bien les forêts ». On n’est pas non plus dans To Rome with Love : Holy Motors se fout bien que la scène de Monsieur Merde soit une parabole de la société du spectacle, de l’abrutissement des artistes et de leur public, etc. Tout ça, c’est explicite, on s’en fout. On s’en fout d’autant plus que l’une des beautés du film, c’est de montrer, de rappeler qu’après tout – oui – on s’en fout.

 « la beauté du geste » ? Qui y croit encore ? Vraiment ? Si c’est ça l’enjeu du film, c’est qu’il est en péril, que l’on commence à s’en foutre précisément et pas seulement le public des idiots mais l’acteur lui-même (voir les remarques du personnages de Piccoli à son égard).

 Nous sommes plongés dans ce futur proche dans lequel rien n’a changé, sinon que le cinéma a disparu et que les gens se content d’une beauté explicite, genre Eva Mendes maquillée, drapée d’or au Père Lachaise
      
            Et le héros est immortel
            Après l’entracte, Lavant meurt quatre fois
            Ça ne prend jamais.
Écoutez les répliques sur la mort qui bercent le film, disposées ça et là par le savant petit littéraire : la mort donne son prix à la vie (explicite, premier degré facile), elle guérit de la vie ; en clair (second degré, toujours un peu facile) ne jamais mourir, comme le héros, est une damnation (voir la vieille : « j’ai peur de ne jamais mourir », et Piccoli, chef des damnés : « à une époque j’ai même cru que j’allais mourir. »)

 Alors Carax se fout de son film ?
 Oui.
 Prend sa virtuosité à deux mains, la fait tourner à plein régime, fait chauffer le moteur
-  et cale à pleine vitesse
-  précisément de manière à joyeusement flinguer les pieds de l’œuvre.

C’est ce qui est sublime ici. Pas une scène qui ne soit faussée. Il y a cette hésitation entre beauté et vérité qu’a cernée la fillette
-  Angèle, qui a choisi de ne pas mentir, et la vérité est bien laide…

 

Il y a tous ces effets tous purulents de cinéma : la fausse charge du film français contre le cinéma américain, la beauté trop éblouissante pour être honnête de la scène avec les capteurs – et ses ralentis à la John Woo, ses monstres numériques à la David Fincher (monsters turned into lovers) – le zoom absolument grotesque sur Kylie Minogue se prenant pour Nicole Kidman dans Moulin Rouge qui perce, qui littéralement troue et déchire le satin magnifique des refrains qui l’entourent (lovers turned into monsters)

 Who were we… Who were we…
-   toujours ce tendre désir d’un retour au passé puis

            THERE WAS A CHIIIIIIIIIIIIILD……..

* * *

Il y a la forêt de symboles et cette forêt ouvre et recouvre le film
-     ce bel avion du premier plan : d’où vient-il ? que veut-il ?
-    le réalisateur réveillé par la salle de cinéma mitoyenne à sa chambre d’hôte : qui est-il ? on se croirait dans un Rubik’s Cube scénaristique à la Charlie Kaufman

et sous la forêt
            la dynamite
             les plans trop lourds, les plans grotesques, le gros spectacle
-     le sang qui jaillit des plaies comme dans Sweeney Todd
-    la sonnerie du plan ORSEC qui se déclenche à l’approche de Voltaire
-    le vieillard qui meurt dans un souffle : « adorée !.... »

grotesque vous dis-je
et beau pour ça

parce qu’à ces moments-là c’est comme si le film doutait
comme s’il s’apprêtait à repartir juste après être venu (au sens anglais du terme « to come », qui est double) et
            oh, c’est la première image du film, un homme qui arrive, fait brusquement demi-tour, repart
            Alors quoi, Carax est un dandy ?
                       Ça me ferait mal
Sous les symboles, sous la condensation des films, sous le dandysme, il y a autre chose
            En-dessous
                                   Et cette clé-là le film nous la donne.

« la souffrance n’est pas ce qu’il y a de plus profond… mais elle est quand-même très, très profond. »
                                   (élue plus belle réplique du film par votre serviteur – justement parce qu’elle reflète ce mouvement d’autodestruction du sens, d’aller et venue, de rétractation subite, d’hésitation vaincue par la résignation…)

            Sous ce foutoir disais-je
                       Il y a la souffrance

La souffrance et les chiens

 

            Il y a trois chiens dans Holy Motors, souvent proches des humains, géographiquement et ontologiquement.
            Le bébé du début est remplacé aussitôt dans la travée entre les sièges du public par un chien lourd et probablement bête
            Les chiens dorment toujours auprès des hommes
            Comme eux, se réveillent pour une vie qu’ils oublient sitôt qu’ils l’ont vécue
            Vont chercher – demi-tour – et rapportent, constamment contents – c’est pour ça qu’on les aime, paraît-il
            Mais les chiens n’ont aucun sens de la beauté : les chimpanzés non plus, que retrouve Lavant à la fin, sur ces ultimes mensonges : « C’est moi », puis : « notre vie va changer… »

* * *
            Mais alors si la souffrance n’est pas au plus profond, qu’est-ce qu’il y a ?
-          il y a ce truc indicible
Kylie Minogue avant de chanter murmure : « i have this feeling… » - la voilà qui s’approche du feeling en question, court vers lui, s’arrête avant de l’atteindre, de le nommer – demi-tour – et chante.

Et l’enfant de la chanson, l’enfant de l’amour passé, comment s’appelait-il, ce CHILD ? – elle ne nous le dit pas

Il ne peut pas y avoir cinquante choses indicibles dans un film. Sinon c’est le bazar. Ni cinquante, ni deux, d’ailleurs.

Holy Motors prend place dans un futur proche où rien n’a changé mais où l’on s’est mis à douter de l’existence de la beauté. Les actes semblent vides, accomplis pour quelqu’un qui ne regarde plus. C’est un monde sans caméras et un monde sans amour.
-          plus de lovers. Juste des monsters.
Le moteur du monde est à deux doigts de caler, ne tourne plus qu’à la souffrance seule et à ce qu’elle recouvre
                        La tristesse
                        Qui hésite sans cesse à tout abandonner

 

Ce n’est pas très optimiste, Holy Motors
            La trajectoire du film part de l’amour – le visage de la fillette derrière le hublot – et rejoint la solitude absolue – le comédien seul avec ses trois singes – en passant par la mort, la violence, la folie. Lavant se tait d’abord (la vieille, la motion capture, Monsieur Merde) et meurt après l’entracte (le tueur, Théo, le ministre, le vieillard)

            Du silence à la mort, de l’amour à la solitude
            Et pourtant tout le monde aime

Ce doit être parce que c’est beau
Et s’il n’y a plus que la tristesse de belle
Alors laissons tomber le bonheur

c.



12 juillet 2012

Paris Cinéma : le palmarès officieux !

Après l'annonce très officielle du palmarès de convention, voici les prix, les vrais, décernés par le Jury des Blogeurs et du Web. Ca tient un peu de la private joke si vous n'avez pas vu les films de la compétition, et pour les dotations nous n'avions pas un gros budget, parce que c'est la crise.

Néanmoins, proclamons.


prix du meilleur acteur animal dans un second rôle : le cochon de Just the wind, qui fait très bien le mort.
Okay, ça fait trop peur.
dotation : un grand plat argenté, un lit de salade et une pomme.

prix de l'instant wtf du festival : la fin Seigneur des Anneaux feat. Vol au-dessus d'un nid de coucous de Beyond the Hill
Quelque chose comme ça en effet.
dotation : une compilation K7 des plus belles musiques originales des films de Kusturica

prix du menu le plus alléchant : la langue de boeuf de A simple life
Il faut s'appeler Ann Hui pour rendre ce truc-là appétissant.
dotation : un portrait en pied chez Studio Harbourt

prix de la scène la plus castratrice/féministe/American Pie : le noyau d'avocat piégé de Rebelle
Quand on tape "avocat piégé" sur Google, on tombe sur DSK et Luca Rocco Magnotta.
Vous m'excuserez d'avoir privilégié les vertus apéritives de cette composition photographique.
dotation : un grand sac de tacos parce que c'est bon avec le guacamole

prix du camouflage le plus mortel : la peau de chèvre de Beyond the Hill
En effet, il est méconnaissable.
dotation : un décollement de racines chez Jack Dérange


prix de la sape trop classe : le costume de réparateur de climatiseurs d'Andy Lau dans A simple life
Ex aequo : le costume de réparateur de climatiseurs de Chris Beney le jour des délibérations
"Quarante ans d'éducation pour en arriver là."
dotations : une paire de lacets chacun + un puzzle de 1000 pièces à l'effigie de François Mitterrand

prix du meilleur maquillage à la truelle : les fantômes blancs de Rebelle
On SOURIT pour la photo !
dotations : un lot de nez de clown + un DVD de clips de Michael Jackson

prix du rire anxiogène : le chat zombie de King of Pigs
Je vous déconseille fortement de googler "chat zombie". 
dotation : une muselière et un ruban rose

prix du soulagement dans les bois : Just the Wind (petite commission seulement MAIS en plan rapproché)
Ex aequo : Beyond the Hill (petite ET grosse commission MAIS dissimulées par un buisson)
"Vous n'avez rien compris, c'est un message politique."
dotation : un rouleau de papier hygiénique triple épaisseur et un exemplaire dédicacé par le jury de Comment chier dans les bois

prix du torse humide : le beau gosse de Beyond the Hill
Grrrrrrrrrrrr...
dotation : une serviette éponge et le numéro de téléphone de Valérie Fred

prix de la touche sexy (paritaire et dans le texte)
Fred : Andy Lau qui "transpire le sexe climatisé"
Voilà.
Chris : "On voit un peu de nibards dans Tabou"
Je vous déconseille fortement de taper juste "Tabou" dans la barre de recherche. 
dotation : un climatiseur pour la demoiselle de Tabou et une paire de faux nibards pour Andy Lau (paritaire, on a dit)

prix du plus beau couvre-chef de la compèt : le petit chapeau mou d'Allen Fong, avec une mention spéciale pour l'éternel galurin de Leos Carax et la chose informe qui couvre la tête sympathique de Denis Lavant
Voilà.
L'année prochaine, on remet le bob à la mode.

dotation : une plume de coq bleue et un coup de brosse serviable

prix du film le plus moite : Tabou
Vous l'aurez compris, il y a avait dans cette sélection un certain nombre d'animaux angoissants.
dotation : un geste de la main affectueux bien qu'un tantinet distant

prix de la boisson exotique à rapporter de voyage : la sève hallucinogène de Rebelle
Le jury des blogeurs et du web reconnaît y avoir puisé sa féconde inspiration.
dotations : un shaker + une boîte de Fringles

prix du juré relou (décerné par Jérôme) : "Fred pour son programme et Noémie parce qu'elle le veut"
Ca n'a pas été facile tous les jours, mais nous y sommes arrivées.
dotation : une bonne fessée (grrrrrr)


la boisson officiel du Jury des Blogeurs et du Web : vodka-tonic
Le Jury des Blogeurs et du Web reconnaît y avoir entretenu sa féconde inspiration.
dotation : mon poids en biscuits d'apéro

notre mère à tous : Ivan  Drago
Ou comment déclencher une vague incontrôlable de candidatures pour le jury 2013
dotation : notre amour éternel, notre respect filial inconditionnel et un ex-voto en forme de sapin dans l'église Sainte Margotte de Parapluie-sur-Orge


Le Jury des Blogeurs et du Web remercie ses partenaires Emmaüs, Harbourt, Jack Dérange et Starducks, vous incite fortement à encenser Tabou, vous supplie de mettre un vent à Just the Wind (faciiiiile), et vous dit à l'année prochaine.

Noémie



8 juillet 2012

The amazing douchebag Spiderman



 Il y a bien eu ce moment où le logo Columbia est apparu sur l'écran de l'UGC Normandie, comme il l'avait fait en 2002, en 2004 et en 2007, à l'époque chérie où l'image de Sophia Lauren en Statue de la Liberté apparaissait en même temps que la première note au violon, ténue comme un fil d'araignée, du somptueux thème de Danny Elfman.

 Je me suis dit, si la Columbia est là, c'est que Marvel n'était pas seul aux commandes. Et vous connaissez Marvel : c'est un mot qui veut dire triomphe de la laideur dans une langue qui n'existe pas encore. Columbia, c'était bon signe, même si la note de violon avait disparu. Et puis le titre s'est affiché en biais, collé à une toile parcourue d'arachnides - comme en 2007, toujours, et je souriais vaguement.


Et puis...

Et puis le film a commencé.

* * *

  La promo du film veut que s'il était déjà temps de refondre Spiderman, c'est que depuis Spiderman 3, en 2007, s'était opérée une révolution chez les teens. Oui : FACEBOOK. Il était temps de présenter un Peter Parker qui a Facebook. Mark Webb, Spiderman, World Wide Web : il y avait moyen de rigoler. Comment, je ne sais pas, mais je ne suis si scénariste ni hollywoodien, j'ai pas l'esprit qui va jusque là. Malheureusement, ni éxécutifs ni scénaristes ne sont allés très loin non plus.

 Pour commencer, Peter Parker n'a pas de compte Facebook - contrairement au héros de Kick-Ass, par exemple. Ça part mal... Non, à la place, le Spiderman de l'ère post-facebook décolle les touches de son clavier d'ordinateur avec ses nouveaux doigts, joue sur son portable au milieu de sa toile d'araignée parcourue de mignons petits lézards et - ah ! Sire, c'est une révolution ! - passe un coup de fil à sa copine alors qu'il porte encore son masque, là où le Parker de Sam Raimi passait ses coups de fil à visage découvert et à partir des cabines téléphoniques.

 Wait, WHAT ? 
 C'était pour ça, le remake ? Remplacer les cabines par des portables ? Personne n'a pensé à leur dire qu'un Spiderman sans fil, c'est un Spiderman qui se casse la gueule ?


 Mais tout ça n'est rien à côté du vrai gros problème posé par la refonte du personnage de Peter Parker. 
 En effet, Peter Parker est devenu ce qu'on appelle, en cette ère post-Facebook qui est la nôtre, un gros douchebag de première catégorie.

Spider-douchebag et sa douchette
J'aimais que Tobey Maguire soit laid. Il n'avait tellement pas la tête du héros. On se disait que c'était quelqu'un qui avait l'habitude d'échouer partout ailleurs qu'en maths et quand il enfilait son masque, c'était pour réussir dans de nouveaux domaines autant que pour se débarrasser de sa maudite tronche de cake. Aussi The Amazing Spiderman est-il mort et enterré dès l'instant où apparaît Andrew Garfield. Vous ne me ferez jamais avaler qu'une jolie gueule comme la sienne a beaucoup de mal à se procurer les services génitaux des copines.

 

"Andrew Garfield fait oublier Tobey Maguire en deux minutes." Euh, non
  Pourtant, il y avait de l'idée. Le réalisateur, Mark Webb, avait réussi à faire croire dans (500) Jours Ensemble que Joseph Gordon-Lewitt pouvait avoir des problèmes avec les filles. Mais c'était un travail de Titan : il avait fallu montrer, tout au long du film, comment le héros tuait l'amour qu'aurait pu avoir pour lui le personnage de Zooey Deschanel. Webb était donc un choix judicieux : il fallait faire du joli Andrew Garfield un looser aussi - doublé d'un superhéros. Pas simple.
 Et c'est dans ce genre de situations que le vieil adage prend tout son sens : 

"N'est pas Sam Raimi qui veut."

  Prenez maintenant la fille. Gwen Stacy, qu'interprête Emma Stone. Elle voudrait nous faire oublier Bryce Dallas Howard dans le même rôle.

J'aime bien Emma Stone m'enfin bon, je me marre.
 Il y a une scène comme ça où Andrew et Emma flirtent dans un couloir du College. Lumière tamisée. Plan large façon "allez-y les gars, improvisez, on a deux minutes pour caler du jeu d'acteur et faire croire que les personnages sont authentiques". Andrew cabotine et gonfle ses joues mignonnes, bombe son skate sympa porté en bandoulière et bafouille.

 
 Quant à Emma, alors qu'on lui a encore rien demandé, elle est déjà en chaleur. Comme elle sait pas trop s'y prendre, elle laisse son cavalier prendre le dessus de la manœuvre, danse sur ses talons, serre les cuisses sous sa minijupe, croise ses chaussettes montantes jusqu'au-dessus du genou... FAKE
 FAKE
 FAKE
 FAKE 
Ces acteurs sont FAKE ce jeu est FAKE cette sympathie est FAKE cette scène est FAKE ces hésitations sont FAKE, Stone surjoue l'intello sympa et j'ai envie de me casser de la salle

 - mais je reste.

  Donc, pour la peine, quelques critiques anodines, avant d'évoquer l'infâme catastrophe de douchebaguerie qui plombe l'ensemble (si vous êtes pressés, scrollez directement jusqu'aux trois prochaines étoiles, hein, je vous en voudrai pas).

* * *

1) Comme dans toutes les productions Marvel, le bad guy est extrêmement laid (pâle resucée reptilienne du splendide Venom de l'épisode précédent).

Venom à droite, Spidey à gauche.
2) Comme dans toutes les productions Marvel, l'auto-citation est de mise et l'on retrouve, comme dans Avengers, une scène avec de la musique classique par-dessus une baston (caméo de Stan Lee dans la bibliothèque, facile mais rigolo).
3) Comme dans toutes les productions Marvel, on vole aux meilleurs sans vergogne : James Cameron encore, l'azote liquide pour se débarrasser d'un méchant, on a rien trouvé de meilleur depuis Terminator 2
4) Comme dans toutes les productions Marvel, c'est une arnaque. Le film ne répond pas aux questions importantes vendues par la pub. D'abord, on ne sait toujours pas comment fait Parker pour respirer sous ce putain de masque. Ensuite, la "vérité sur ses parents" n'est pas révélée, à peine évoquée dans la séquence post-générique.

Non mais, je suis malhonnête. Qui se soucie de la vérité des parents de Spiderman ? Hein ? Moi, par exemple, je m'en fous. Sérieusement : pourquoi va-t-on voir un Spiderman ? Pour rencontrer sa famille ? Come on. On y va pour voir un type voler d'immeuble en immeuble en criant de joie : that's why. On y va pour choper le vertige !

Question : est-ce que Mark Webb nous fout le vertige ? 
Réponse : bah pas vraiment, non.

 Les plans de vol, que Sam Raimi réussissait systématiquement, sont plutôt sans intérêt - à l'exception de DEUX, qui vous collent de sérieux frissons : une bientôt célèbre "scène des grues", parfaite, et le plan final, apogée de la 3D, pourtant simple update des plans nocturnes de Spiderman 3 (avec de la pluie en bonus - sauf que la pluie, voyez Matrix Revolutions et Dark Knight Rises, c'est normalement réservé aux épisodes 3... Loi de la surenchère oblige, attendez-vous à voir Spiderman jouer dans la neige d'ici 2016).

Spiderman 3, ça ça foutait le vertige
 Sinon le scénario est bourré d'invraisemblances que l'on passe en général aux enfants qui jouent aux Lego. Marque criante de l'inconséquence qui est la marque de fabrique du film : il faut juste que la scène ait du style sur le coup. Quintessence du film-food (contraction de film et de fast-food, si si).

 Pour expliquer ça, je vais spoiler la fin. Le dernier plan de la dernière scène est un Double Cheese. Tout y est absolument NORMAL. Nutrition express, aucune subtilité, aucune inventivité. On balance ce qu'aiment les jeunes à grandes louchées piochées dans le sac à M&M's avec des mains sales - des flocons, un mort, un cri étouffé recouvert de violons. Cette façon de balancer cette sauce préconçue conduit à des invraisemblances risibles, comme celle qui consiste à laisser un compte-à-rebours à la vitesse normale pendant un ralenti. C'est révélateur : ces types ne savent même plus ce qu'est un ralenti. Pour eux, il s'agit juste de mecs qui font semblant, façon Alain Chabat dans La Cité de la Peur. Même la distorsion du temps est FAKE.

Voilà, fin du spoiler.

hop
  Oh et, tant que j'y suis encore, même la musique est FAKE. Danny Elfman n'est plus, on a mis le James Horner d'Avatar à la place pour faire bander les jeunes, leur glisser par inception l'idée qu'ils regardent un film aussi chouette que celui de James Cameron. Mais quand il joue l'intro au piano de la scène du portrait dans Titanic juste avant le premier baiser entre les deux héros, je crie au FAKE et je crie au SCANDALE aussi.
 Pour cette scène du baiser, Peter joue au macho, ferre Gwen du bout de son fil et se la ramène dans les bras avant de lui rouler un chaste patin. C'est stylé ? C'est FAKE - il se prend juste pour Indiana Jones à la fin du Temple Maudit.

D'autant qu'Indiana Jones se permet de faire ça juste après avoir renoncé à la fortune et à la gloire... alors que Peter Parker s'apprête juste à se jeter dessus.
 
 Et surtout, infâme catastrophe, le coup du macho, là

C'est une chose que Peter Parker n'aurait jamais osé faire

* * *

Lui le looser, lui l'ancien solitaire, l'ancien Forever Alone, d'où sort-il ce gimmick à la Harrison Ford ?
(et où est passé l'éjaculat arachnéen collé à la cuisse de Gwen, quand sa mère débarque ? hein ?)

 La trilogie de Sam Raimi tournait autour de l'idée de responsabilité. C'était : comment se mettre au service des autres, quels que soient les pouvoirs qui sont les nôtres. Il ne s'agissait pas seulement d'arriver à être Spiderman, mais plutôt de questions du style :

- Comment se montrer digne du sacrifice de son Oncle Ben ? (acte 1) 
- Comment être là pour sa Tante May devenue veuve ? (acte 2)
- Comment devenir un fiancé digne de MJ ? (acte 3)



 Le fait d'être le superhéros le plus génial, le plus fort et le plus moulé de la galaxie n'était pas primordial. Spiderman n'était rien sans les New-Yorkais, Peter Parker n'était rien sans sa tante, sans son ami Harry, sans MJ surtout. La trilogie de Sam Raimi racontait comment Peter Parker cessait d'être un nerd, mais aussi d'être un égoïste. Comment il apprenait à vouloir s'ouvrir aux autres après avoir découvert qu'il le pouvait.  Sa culpabilité n'était pas une friandise mignonne, comme chez Andrew Garfield. Et quand Maguire souffrait, il le méritait. Et quand il était ridicule, il l'était à fond, sans compassion de personne.


 La version d'aujourd'hui exige du public qu'il prenne en pitié un Peter Parker chou et épanoui qui, du début à la fin, ne pense qu'à lui. L'idée même que ses erreurs aient des conséquences est effacée : comptez : trente minutes après la mort de son oncle qui devrait le ravager de honte, le voilà déjà en train d'emballer Gwen Stacy en se prenant pour Harrison Ford (j'y pense : dans (500) Jours Ensemble, Joseph Gordon-Levitt traversait une phase douchebag d'auto-exaltation narcissique - il venait de sauter Zooey Deschanel - se regardait dans une glace, et y voyait le reflet de... Han Solo.)


 Vous allez me dire : dans le Spiderman de Raimi aussi, Parker emballe une fille peu après la mort de son oncle. Oui, mais c'est sous le masque. Mary Jane n'apprend pas avant la fin de l'épisode 2, et dans un contexte très particulier, que Peter est le superhéros de ces dames. Dans Amazing Spiderman, c'est sans masque que Peter emballe Gwen, et en plus de manière à lui signifier que c'est lui le héros. Double-jouissance narcissique : JE suis Spiderman et JE t'accorde un baiser.

  ça pue 

 Voilà tout la différence entre Spiderman et The Amazing Spiderman : il y en a un qui s'exclame hey, je ne suis pas seulement Spiderman : je suis Amazing !

* * *

 La différence fondamentale entre le Parker de Raimi et le douchebag de Webb se joue à la toute fin du film.   
 A la fin du Spiderman de Raimi, Peter Parker renonçait vraiment. Il quittait Mary Jane et ne se retournait pas ; Mary Jane ne savait pas, de plus, pourquoi Peter refusait leur histoire d'amour. Ce renoncement à Kirsten Dunst constituait le plus bel effet spécial du film, sa plus jolie prouesse.



 A la fin du Spiderman de Marvel, non seulement Gwen sait pourquoi Parker lui dit devoir renoncer à leur histoire mais, comble du comble, le gamin ne peut s’empêcher de relancer son ex d’une petite blague qui la fait sourire. Gwen est un moucheron que Spiderman veut garder dans sa toile, dans sa poche, dans son cocon, traçant en moins de cinq minutes un trait sur sa résolution larmoyante. Voilà toute la différence entre un film sur un ado devenu héros et découvrant ce que c’est qu’être grand et responsable, et un film sur un ado devenu héros et se branlant à s’en démancher le poignet sur l’image de marque qu’il récupère, et le style, et les meufs. Pas que ce soit grave en soi - prenez Green Hornet ou Kick Ass, c'est la même chose et ça fait très plaisir - à ceci près que Green Hornet et Kick Ass sont ouvertement des anti-héros. Alors que Spiderman, bon...


 Je pourrais continuer comme ça pendant des heures. Tous les renoncements de cet Amazing Peter Parker sont des FAKE. Il ne s'agit jamais que d'un type capable de construire des toiles, métaphoriques ou non, pour capturer les gens, les manipuler et les bouffer. Spiderman plus que jamais, oh, sûr, mais alors, le comic est lu à l'envers.

 Spiderman, c'était d'abord et avant tout l'histoire d'un ado qui apprenait à ne plus être un homme-araignée, justement.

 

 Voyez le film et ne perdez jamais de vue toutes ces preuves de l'altruisme factice de Parker.
 Devenu un superhéros, il devient pas plus courageux, juste hyperviolent (coordinateur des cascades : Vic Armstrong ; légende à Hollywood, papa des combats d'Indiana Jones - Harrison Ford, oui oui, encore lui.) Quant à la meilleure scène du film, c'est celle où, ayant capturé un malfrat, il s'amuse à l'humilier : "yeah, this is kinda funny" - se comportant exactement comme le Spiderman noir de Spiderman 3, version cruelle du héros, qui mettait justement en question ce type de comportement.

Spiderman 3, toujours
La scène où Parker humilie devant sa famille le père de sa future petite-amie est révélateur aussi, vous verrez. Amazing Spiderman est une pub interminable pour l'arrogance et l'égoïsme ; on reprochait à Jacques Audiard de faire endurer à ses héros (Un prophète, De rouille et d'os) des supplices qui n'étaient qu'autant d'épreuves de la Star Academy - ce n'était rien à côté de ça.

 

 Peter Parker n'est plus qu'un ado gavé de sa puissance, barbouillant de sa vanité les murs de la ville - où est le plan où ses câbles pendent aux murs ? Ce plan-là manque. Où sont les conséquences de sa vanité ? Il ne suffit pas de ramener des œufs à sa tante, de pleurer et de sauver le monde pour cesser d'être un douchebag égoïste et narcissique.


Écoutez seulement le dialogue dans la scène du baiser, après la scène d'humiliation du beau-père.
 "I created him"
 "I need to talk about me"
 "I have to fix it" 
 Ses responsabilités ne sont que coquetterie, il les porte comme son skate sur le dos. Dans le fond, il n'est jamais question que de se faire le cul de Gwen Stacy avant qu'elle ait 18 ans. On se dit, allons, c'est fait exprès. Le narcissisme était au cœur de Spiderman 3, ils ne font que reprendre cette thématique-là. Eh non. Sous couvert de cours de littérature, Peter Parker reçoit à la fin du film un cours de scénario.
 Voici la leçon : "Il n'y a qu'un type de scénario. C'est WHO AM I ?"
 Tout est là, à ceci près que "Connais-toi toi-même" est devenu "Intéresse-toi à toi-même et deviens tellement cool que plus personne ne songera à te reprocher sérieusement de t'aimer autant."

 S'il n'y a qu'un seul plot au cinéma, c'est : comment je fais pour laisser les autres passer avant moi. Disons, dans 90% des plots, c'est ça. Le personnage doit devenir cette bulle permettant d'éterniser l'instant où un homme est arrivé à s'agenouiller devant la nécessité de sauver, de rendre service, ou de s'effacer.

 

  A l'origine, Spiderman existait parce que les ados pouvaient enfin dire d'un superhéros : "il est comme nous". Aujourd'hui, Spiderman ne fait plus que flatter les penchants égoïstes, narcissiques et stupides des jeunes avec un portable à la place de la main, et leur entourage enfermé dans ce portable. "Il est comme nous" est devenu : "je suis comme lui". L'accent n'est plus mis sur le fait que les superhéros peuvent être des adolescents, mais que les adolescents peuvent être des superhéros : Spiderman n'est plus que l'histoire d'un type qui s'aime déjà  beaucoup et apprend à s'aimer de manière décomplexée, tout en faisant en sorte que les autres se mettent à l'aimer aussi. Et le renoncement qui faisait toute la beauté (intérieure) de Tobey Maguire a disparu.

 

 Spiderman 3 était d'ailleurs le seul épisode à renoncer au finale éclatant avec un Spiderman de synthèse en vol. Il s'achevait sur cette dernière image, gros plan du héros dans les bras de sa bien-aimée.
 Nulle lueur de victoire dans les yeux de Peter Parker. 
 Il a retrouvé MJ qui lui a pardonné, certes, mais ne s'en réjouit même plus. Il pense à ce qu'il a perdu, à ceux qui se sont sacrifiés pour lui.
 Dans ce dernier plan de l'un des films les plus boursouflés de l'histoire du cinéma se cachait quelque chose d'infiniment précieux, et de plutôt rare. Ça coûtait cher. Mais c'était beau.


C.