27 février 2010

Shutter Island (Point de vue du patient)

Kingsley et la tempête, Di Caprio et la colère, Von Sydow et la mort.


Je vous préviens, je raconte la fin.


Il y a beaucoup de choses qui peuvent choquer dans Shutter Island : rats, noyade, orage, musique de John Cage. Pourtant ce n’est pas ça le pire. Dans le film, les personnages redoutent plus que tout la lobotomie transorbitale : une lame infiltrée sous votre œil avec laquelle on vous gratte quelques fibres nerveuses, ça vous rend docile. Je ne sais pas si je suis devenu docile, mais le film qui m’est passé par l’œil m’a drôlement secoué. Je n’ai pas eu peur des rats, ni de la noyade, ni même du noir. La peur qui est restée est clairement liée à l’impression d’avoir été aussi fou que le personnage principal, pendant toute la durée du film.
Des films à twist de ce genre-là, il y en a plein, à commencer par Sixième Sens ou Dark City, et le moment où l’on réalise que tout ça n’était qu’un vaste foutage de gueule est toujours celui que l’on préfère. Ici, le twist n’est pas là pour faire frémir le spectateur, il est l’objet de la quête d’absolument tout le monde sur l’île – à l’exception du personnage principal.
Ce n’est pas seulement une question de critique. Qu’on envisage d’écrire sur un film ou qu’on soit simplement en train de le regarder pour se détendre, on essaie de comprendre du mieux qu’on peut. On met du sens un peu partout, on s’attache à choper ici et là un ou deux détails qui pourraient faire office de symboles, ou alors des répliques synthétiques et/ou prophétiques. Dans Shutter Island, « Madness is catchy », « Who raised you ? – Wolves », je ne sais pas moi, je suis le plus nul de France en matière de romans à énigme, mais j’essaie de comprendre quand-même parce que, ce qu’il y a d’agréable dans les films, c’est qu’on est sûr qu’il y a du sens quelque part, que les choses n’ont pas été mises ou laissées là par hasard. Il y a un scénario. C’est extrêmement rassurant. Dans la vraie vie, chercher le scénario est vain, il n’y a pas de trame, et pas de symboles, juste des coïncidences.


Alors on est là, avec Di Caprio, et on cherche les symboles – les indices. Puisqu’il s’agit d’une enquête. Il y a bien quelques failles dès le départ, des questions sans réponse que les détectives, pourtant perspicaces, ne posent même pas. Quelque chose sur la légitimité de leur enquête, j’ai oublié quoi. Mais de toutes façons, ça dégénère très vite, l’enquête prend des airs de mascarade pour de bon, les docteurs ne coopèrent pas et les deux inspecteurs se retrouvent en tenue de malades. On continue, pourtant, malgré la blouse blanche et la résolution de l’enquête initiale, à chercher des indices pour « comprendre » le film. Du côté des acteurs, par exemple.
Di Caprio joue à la fois la folie d’Aviator et l’extrême violence des Infiltrés. Sa façon de cligner des yeux en fronçant le nez ; sa façon d’asséner les coups de poing comme Joe Pesci dans Les Affranchis. Ah, la violence, toujours au cœur du cinéma de Scorsese. « Dieu aime la violence » - sacré Marty, il n’y a que chez lui qu’on pouvait entendre ça. La religion et les coups. – Mais c’est une espèce de militaire nazi qui dit ça. – C’est vrai, alors on prend on compte une possible ironie, une désillusion, un éventuel virage dans la représentation de la violence due à la présence dans le film de la Shoah. Comme Tarantino avec Inglourious Basterds, on se dit qu’on tombe sur un réalisateur connu pour avoir été au cœur des débats sur la violence rendue séduisante mettant les pieds dans le plat du « plus grand scandale de l’humanité » (dixit Kubrick).

Notre enquête continue. Ben Kingsley, par exemple. Ben Kingsley, c’est quoi ? Gandhi, oui, mais encore ? Voilà : Ben Kingsley, c’est celui qui a joué, la même année (1993) un Juif dans La Liste de Schindler (Spielberg), et un tortionnaire dans La Jeune Fille et la Mort (Polanski). Ce qui constitue un écart assez impressionnant. Alors, de la même manière qu’on se demande si Di Caprio est du côté du fou d’Aviator ou du policier des Infiltrés, on se demande si Kingsley est du côté du Juste de Schindler ou du monstre de La Jeune Fille et la Mort. Sur Shutter Island, est-ce qu’on torture les malades, ou est-ce qu’on les sauve ? Et c’est pareil avec Von Sydow : est-il celui qui vient libérer du mal (L’Exorciste), ou celui qui en est la source (Minority Report) ? On hésite, on hésite, et en attendant, on se fie à Teddy Daniels, le détective Don Quichotte qui explique tout à Mark Ruffalo, Sancho Pança de service. Euh, Sancho Pança, vraiment ?
Puisque j’ai l’air de vouloir m’attacher aux acteurs, continuons dans cette voie. Mark Ruffalo, oui. C’est quoi, Mark Ruffalo ? C’est 1) Collateral 2) Zodiac et 3) Eternal Sunshine of the Spotless Mind. Soit un flic qui réussit mais se fait buter, un flic qui survit mais qui échoue, et… un manipulateur de neurones. Le détenteur d'une vérité sur les autres (sur Kirsten Dunst dans le film de Michel Gondry). Jim Carrey sous un casque, voyageant dans ses souvenirs, et Ruffalo en espèce de neuro-psychiatre, vous connaissez tous le film à cheveux bleus de Gondry. Là, on pourrait tiquer. Pourquoi ? Parce que sous le casque, je l’ai dit, il y a Jim Carrey. Et Jim Carrey, c’est quoi ? C’est Yes Man ? Oui, mais non. C’est Philip Morris ? Ah, vous chauffez. Alors ? Oui ! Vous avez trouvé ! Jim Carrey, c'est Truman Show (Peter Weir, 1998), soit l’histoire d’un type autour duquel tout est mis en scène, au cœur d’une immense machination, au cœur des regards, au centre des caméras… Exactement, au millimètre près, comme Di Caprio dans Shutter Island. Et puis, vous savez ce que ça veut dire, shutter, en anglais ? Oui, volet, oui. Le shutter désigne aussi un élément des appareils photos, l’obturateur. C’est en manipulant l’obturateur que l’on obtient des images surexposées du style de celles que voit Daniels quand il a ses migraines. Attendez.

J’ai dit : « au millimètre près » ; j’ai exagéré. Truman Show et Shutter Island diffèrent dans la mesure où, dans le premier, la mise en scène vise à maintenir un mensonge, tandis que dans le second, elle veut faire éclater la vérité, jouer le mensonge jusqu’à saturation de ce mensonge - donner chair au mensonge pour en démontrer l’absurdité. Chez Scorsese, comme le dit Jack Nicholson dans Les Infiltrés : « this is not reality-TV !!! » - c’est-à-dire, pas un mensonge qui ment en prétendant être la réalité, mais un mensonge qui dit la vérité en ne prétendant être rien d’autre qu’un mensonge. D’ailleurs, je parle de Jack Nicholson. Autre indice ! Autre fausse piste. Parce que, Jack Nicholson, c’est quoi ? C’est Les Infiltrés, oui, c’est bien, vous suivez. Mais c’est aussi Vol au-dessus d’un Nid de Coucous (Forman, 1975). C’est-à-dire, pour résumer, que Scorsese avait employé, dans son film précédent, un acteur connu pour s’être fait lobotomiser. Ce qui ajoute une aura de lobotomie autour de Shutter Island. C’est cependant un énorme piège. Scorsese se joue de nous, et c’est ce qui a été violent, c’est la raison pour laquelle j’ai eu du mal à dormir après. Je décryptais le film avec la même bonne volonté que le fou.
Il y a des gens qui se moquent des 20 dernières minutes. Mais si elles n’avaient pas été là, on serait ressortis de la salle plutôt peinards, non ? On aurait vu un fou, traumatisé par les camps de la mort, resté fou, fini fou. Et nous, bye-bye, merci Martin. On aurait été conforté dans l’idée que les fous doivent être enfermés, guéris aux médocs, et que l’utopiste du film, joué par Kingsley, est un doux dingue. Seulement sa méthode est un succès : Teddy Daniels guérit. Et ce qu’il y a de terrible, c’est la bonne volonté avec laquelle il veut guérir. Il ne demande que cela, exactement comme vous et moi le ferions. Au sommet du phare, quand sa main tremble et qu’il demande, then what the fuck is that ? Kingsley répond calmement : Chlorpromazine. - What ?!! Oui, qui se fout de nous ? On en doute aussi longtemps que Di Caprio, pas une seconde de moins, pas une de plus. C’est extrêmement gênant.


On ressent la violence avec laquelle Scorsese a construit un faux film de Scorsese. De ça aussi bon dieu, on aurait pu s’en douter : il n’y avait jamais de jazz. Scorsese est connu, comme Tarantino, pour les musiques exceptionnelles qu’il exhume des juke-boxes. Là, il n’y avait guère que de la musique classique. Where’s the jazz ? Jamais, nulle part, sauf… Sauf : lors du retour à la réalité, lors de cet atroce flash-back épiphanique – s’il-vous-plaît, je ne veux même pas en reparler -, que Di Caprio rentre dans sa cabane, s’enfile un verre de whisky, etc. Le jazz revient quand Scorsese recommence à filmer la même réalité que celle qu’il filme habituellement, et qui n’est plus une mise en scène pour un fou.
Une mise en scène dont on a été dupes pendant très longtemps. Et le fait est là. On se sent fou. D'autant plus fou que dans ce Scorsese-là, tout le monde ne l'est pas. Troublante, cette présence des intellectuels. Dans Les Infiltrés, il n’y en avait pas. Comme dans Raging Bull, comme dans Les Affranchis, il n’y avait personne de plus éduqué que les autres pour décortiquer les comportements, apaiser les malentendus. You fuck my wife, c'est par exemple l'un des plus grands malentendus de l'Histoire. Alors, il y avait bien Katharine Hepburn / Cate Blanchett dans Aviator, qui mettait Di Caprio / Hughes tellement mal à l’aise, mais c’est à peu près tout. Ici, Di Caprio reprend en partie son rôle d’homme de violence, mais il est regardé. On pense regarder une nouvelle création scorsesienne, alors qu’on regarde un cobaye.
Ce nazi qui parlait de violence dans la jeep (vous savez : « sacré Marty, il n’y a que chez lui qu’on pouvait entendre ça ») n’était qu’un gardien partisan de la solution radicale qui s’avèrera la meilleure, celle que choisira Di Caprio. Laeddis, l'homme à la balafre, n'est pas joué par De Niro, mais par Elias Koteas. Il lui ressemble : vous avez douté, vous auriez pu être dupés, parce que vous pensiez comprendre, reconnaître, alors que vous étiez toujours dans vos tribulations intérieures ; transformant le visage de Koteas en celui de De Niro de la même manière que Daniels déforme le visage de Rachel Solando, jouée par deux actrices différences selon qu'elle est jouée par une infirmière ou imaginée par Daniels. Quant à Kingsley, il n’est pas un monstre, mais semblait en être un parce qu’il était celui qui voulait nous faire violence : non pas nous torturer - zut, sortez de vos tribulations intérieures - mais nous amener à voir la vérité.

Les Infiltrés s’achevait sur l’image d’un rat, cristallisation de la paranoïa des mafieux. Shutter Island s’achève sur l’image du phare, que l’on a pris, pendant tout le film, pour la cristallisation de la paranoïa du personnage, pour le lieu où les expériences secrètes se déroulaient. Mais le phare était vide, on s’en souvient encore. Etage après étage, porte après porte. Le phare n’était qu’un phare. On quitte la salle avec le sentiment de sa folie, et un peu de jazz au générique. On rentre chez soi, et on écrit une critique qui n’est rien d’autre qu’un cocon où s’emmitoufler dans sa propre folie. Madness is catchy.


Camille.

23 février 2010

La Danse (F.Wiseman)


Les petites danseuses et les abeilles de l'Opéra de Paris

Qu'on se le tienne pour dit : il y a à Châlons-en-Champagne, d'où je viens, une scène nationale, dont l'artiste associé est cette année Kader Belarbi, ancien danseur étoile (pendant 33 ans quand-même) de l'Opéra de Paris [http://www.la-comete.fr/page_type.asp?rec=407&s=227]. Etait donc projeté lundi soir, à la Comète (le petit nom de la scène, pour les intimes que vous ne manquerez pas de devenir) l'immense documentaire de Frédéric Wiseman consacré au ballet de Paris. Immense parce qu'il dure 2h38 : ça impressionne. Pas d'inquiétude ! On ne les voit pas passer - parce qu'on regarde la danse. J'allais écrire "les danseuses". Evidemment. Il y a les plus beaux culs du monde, dans ces 158 minutes. Féminins comme masculins d'ailleurs. Mais j'ai écrit : "la danse". Voilà ce qui impressionne vraiment : on rattrape, avec le documentaire de Wiseman, une vie entière d'ignorance totale de l'art du ballet. On ne comprend d'abord rien aux leçons qui sont filmées : si ces filles sont les meilleures, pourquoi les font-ils travailler autant, comme si elles ne faisaient que de se planter ? Et puis, les minutes passant, on commence à voir où ils veulent en venir, ces vétérans encore bien souples. Les leçons de danse aux petits rats et aux étoiles sont des leçons de ballet au spectateur, qui apprend à distinguer les nuances entre tel geste et un autre, découvre que le ballet académique n'a rien de figé, et décrypte, peu à peu, l'alphabet de la pantomime, le code des corps.
(Sur la photo qui suit, il faut penser que le dessin blanc sur les justaucorps ressemble à un Cri de Munch, sorte de fantôme cousu aux danseurs.)


Le plus beau, c'est qu'à la Comète, après la projection, Kader Belarbi est venu s'asseoir sur une chaise et nous a fait un cours. Où l'on apprit que le documentaire de Wiseman est le portrait d'une sévère boîte à perfection, ce qui ne correspond pas au ressenti des danseurs. Que Roméo et Juliette vient de Serge Lifar, et se danse légèrement penché sur le côté. Que le langage chorégraphique des années 2000 n'est plus celui des années 80 : plus proche du réel, plus filmé, moins photographique. Si vous êtes déjà calé, vous devez me trouver mignon ; si vous ne l'êtes pas, j'espère vous donner envie de vous y mettre. Les nombreux extraits de ballets des plus grands - peut-être même connus des néophytes : Bausch, Preljocaj... - habituent l'oeil aux différences entre les styles chorégraphiques, habituent le débutant aux détails, à la beauté de la chose plus encore qu'à sa technique. Un de ces extraits m'a d'ailleurs particulièrement marqué. Un blockbuster ! La danseuse était déjà particulièrement belle, ce qui m'avait plutôt bien disposé, dès le départ. Robe de satin verte, les épaules nues, un peu asiatique, une oreille décollée, de longs cheveux noirs. Le danseur avait été aperçu quelques séquences plus tôt, il avait dit s'imaginer être Edward aux Mains d'Argent lors d'une chorégraphie où il devait feindre d'avoir peur de blesser sa partenaire. Là, ils dansaient près d'un arbre mort. Aucune idée de ce que c'était. Si quelqu'un sait... Leurs gestes s'emboîtaient avec une telle complexité et une telle perfection, se motivaient l'un l'autre, ça aurait pu ne jamais s'arrêter.
Il y a 6 ou 7 moments d'émerveillement de ce genre-là dans le film. Le reste est plus proche d'un documentaire classique, et orienté : dans son portrait d'une boîte à perfection, Wiseman est bien un peu mystificateur. Les lyres aux fenêtres, que l'on voit de l'extérieur de l'Opéra Garnier et constituent le seul élément reconnaissable une fois à l'intérieur, ressemblent soudain à des barreaux : le monde extérieur n'est filmé qu'à l'occasion d'un déplacement de Garnier à Bastille. L'image d'un apiculteur, sur la coupole de Garnier, métaphorise la beauté que fabriquent les danseuses, recueillie par la directrice du ballet comme on recueille le miel des étoiles fatiguées. Je dramatise à peine. Voir la scène finale d'un entretien entre une débutante ayant eu le concours en juillet, et Brigitte Lefèvre, la directrice en question. On s'attendait peut-être au poncif de la femme maternelle, de la poule qui couve ses oeufs d'or... Mais ça n'a pas grand chose à voir. Brigitte Lefèvre fait plutôt penser à la Anna Wintour découverte il y a peu, dans le documentaire qui lui a été consacré (The Septembre Issue, de RJ Cutler). Voilà pour le propos "informatif".


La Danse est aussi une démonstration de virtuosité en matière de cadrage documentaire. Imaginez seulement : pour un cameraman, filmer dans une pièce dont 3 murs sur 4 sont recouverts de miroirs, c'est tout simplement l'enfer. Parce qu'il ne doit pas s'y refléter, l'ami. Eh bien sur 158mn, on ne le voit pas une seule fois. Il y a les images, mais pas de caméraman : c'est magique. J'ai passé la première heure à regarder les danseurs professionnels autant que ce ballet du cameraman avec les miroirs : lui aussi devait avoir des marques sur le sol, des endroits dont il savait qu'il ne devait pas les dépasser, un point au-delà duquel il ne pouvait pas porter son cadre. Quand il s'agit de garder une étoile dans le plan, la chose n'est pourtant pas facile. Certains stratagèmes sont parfois assez extraordinaires, lorsqu'un mannequin ou le chignon d'une danseuse est opportunément amené par le cadrage devant l'endroit où aurait dû se refléter la caméra.
Et le cadreur (Wiseman himself) ADORE les miroirs. Notamment les lignes qui les séparent, et absorbent l'image des danseurs lorsque leur reflet vient à en chevaucher une. Parfois on oublie ces lignes, on oublie que Wiseman filme un reflet, et on prend les lignes pour des défauts de l'écran du cinéma. Ca m'a fait ça une fois ou deux, et quand les danseurs réels sont soudain réapparus dans le cadre, couvrant leur reflet, l'impression de 3D a été assez extra. J'ai toujours été fasciné par la façon dont on filmait les miroirs sans se faire voir. De ce point de vue-là, La Danse assure le spectacle. Et puis, d'un point de vue plus général, Wiseman trouve une manière originale d'illustrer le vieux principe du documentaire qui veut que l'on n'interfère pas avec ce que l'on étudie.
Le cadrage produit d'autres merveilles en dehors des répétitions : lors des spectacles. La danseuse ne quitte pas le point central de l'écran : la caméra la suit, où qu'elle aille sur la scène. La danseuse ne change pas non plus de taille sur l'écran : lorsqu'elle s'éloigne, zoom avant. Lorsqu'elle se rapproche, zoom arrière. Ce qui reste ? Le pur mouvement. Finalement, se déplacer quand on fait un pas, en danse, c'est contingent : ce qui compte, c'est le geste du pas. Wiseman restitue cela : il débarrasse les gestes du déplacement, et permet au spectateur de ne plus regarder que le corps et les modifications de ses postures. Le documentaire prend alors tout son sens : il ne s'agit pas de montrer ce que l'on verrait si l'on était assis à une place à 150 euros, un soir de représentation. Le plaisir voyeuriste, ou simplement didactique, finalement, on s'en tape. "Voir ce qui se passe à l'intérieur, dans les coulisses de l'Opéra Fucking Garnier, ouh-ouh..." Evidemment que ça peut plaire, mais, je veux dire, n'importe qui peut le faire. Et puis, ça, c'est le boulot des mecs de France 2.

c'est Emilie Cozette, danseuse étoile... -->

Voilà d'ailleurs une chose que l'on aurait trouvé dans un reportage du JT de France 2 : l'INSERT SUR LES POINTES. Ah, l'insert sur les pointes. Je veux dire : gros plans sur les chaussons roses et les lacets, le spectateur se dit : "ay, ouy, ça doit faire mal", et là CUT, plan large de la fille qui danse sans montrer la douleur. Ben oui, mais là, non : ce qu'il y a en revanche, c'est un splendide plan-séquence. Casse-Noisette au piano, et un gros plan sur deux chaussons roses en train de danser. Il pourrait y avoir le fameux CUT, mais à la place, Wiseman dézoome lentement, révèle le survêtement adidas noir au-dessus des pieds, puis le tutu blanc, puis le corps tout entier. Il y a 50 000 fois plus de choses à voir. Et après le dézoomage, le plan dure longtemps, cadre tantôt le reflet, tantôt la danseuse, et on retrouve tout ce dont je vous ai déjà parlé... Perfetto.

<-- et une petite dernière d'Emilie Cozette... Parce qu'elle est quand-même bien jolie.










Camille.

20 février 2010

Do you know my poetry ?

Dead man, Jim Jarmusch, 1995.











Noémie.

15 février 2010

Lucky Luke ? - Ah non, vous faites erreur

Lucky Luke, de James Huth

UNLUCKY MICHEL


[Petit prologue en forme d'aveu sincère, en toute honnêteté, parce qu'on commence à se connaître:] Brice de Nice, du même James Huth, m'a vraiment fait marrer. [Fin du petit prologue en forme d'aveu sincère, en toute honnêteté, parce qu'on commence à se connaître.]

Le plus drôle, dans le Lucky Luke de James Huth, c’est le générique de fin. C’est à peu près le moment où l’on commence à rire. Parce qu’on y découvre enfin un peu d’irrévérence – un peu d’humour, en fait. « Ne cherchez pas Rantanplan, il n’est pas dans le film ». Des choses comme ça. Bon, ce n’est pas encore l’éclate, mais c’est particulier, c’est amusant. On avait ri aussi, un peu plus d’une heure avant. Quand Dujardin avait demandé à son cheval comment on dit « ta gueule », en cheval, pour faire taire un Jolly Jumper possédé par Bruno Salomone. Le cow-boy était assis sur des rails, au milieu du désert. C’était un plan à 10 euros, lumière naturelle, plan fixe, rien du tout. Le meilleur effet : les enfantillages de Dujardin. Mais Lucky Luke a coûté cher, extrêmement cher. Il faudrait l’adverbe convenant au prix en millions d’euros d’un générique et d’un plan fixe avec un acteur dans le désert. Scandaleusement ? Peut-être. Désespérément. Parce qu’il est désespérant de retrouver dans un film de 2009 les mêmes failles, les mêmes bêtises, que dans un film de 1998 : Lucky Luke est la même adaptation ratée de BD que le premier Astérix, celui de Claude Zidi, où il n’y avait jamais que Roberto Benigni à regarder (le dernier Astérix était bien nul aussi, mais Lucky Luke évoque plutôt l’inexpérience du premier plutôt que la vanité du dernier). Le film avait coûté cher aussi, et le réalisateur, les acteurs, les techniciens, avaient été écrasés, contraints, bâillonnés par le poids du budget et du patrimoine dont ils se sentaient dépositaires. Blagues tombant à plat, dialogues trop écrits, humour oublié, perdu en cours d’écriture du scénario… Ce qui arrive quand on est un petit français en train de se dire qu’on va faire américain, avec un budget qu’Hollywood consacre pourtant à son film de fin d’année (celui où les employés se mettent à poil, chantent avec des guirlandes sur la tête, tout ça).
Petit français parce qu’il ne s’agit jamais que de petite culture française, comme dans Astérix. La plupart des blagues ne pouvant être comprises que par le quidam passant au minimum 2 heures par jour devant les émissions de télé. Ca Claude François par ci, ça Cauet, ça Foucault, ça Un Gars Une Fille surtout. C’est ici qu’on se rend compte que Dujardin est devenu un acteur de cinéma : lui, on le voit à peine. Il ne joue littéralement PAS. Je me demande même si un plan sur son visage dure plus d’une seconde : ils devaient avoir peur que le public se rende compte qu’il ne ressemblait pas tant que ça à Lucky Luke, et demande le remboursement. C’est vrai quoi : il FAUT que la ressemblance physique soit parfaite. C’est pour ça qu’on a fait le film ! Ou bien ? Pourquoi ? Une histoire ? Des personnages ? Voyons…
C’est le pauvre tonton Michel qui fait des vannes en fin d’année parce qu’il sait bien qu’il est le tonton Michel, et que c’est son rôle de faire des vannes. Mais alors, imaginez un réveillon dont une bande-annonce diffusant toutes les blagues aurait circulé sur le net. Et tonton Michel serait obligé de les faire quand-même. Reste le générique, qu’on découvre, qui fait sourire, on l’a dit. Reste une blague de Michael Youn, que ça fait marrer d’offrir une sucette à une petite fille, parce qu’il est Billy the Kid. Rire de la pédophilie, c’est déjà délicat. En début de film, et sans véritable humour pour soutenir le second degré, c’est juste la puante cerise sur le gâteau pourri qu’on a envie de garder pour une fin de critique, histoire d’enfoncer le film une fois pour toute, et être bien méchant, alors qu’on hésitait à se retenir.


Camille

8 février 2010

Sherlock Holmes

Le tweed ne fait pas le moine.


Il aurait fallu beaucoup de culot, d'imagination et d'intelligence pour s'attaquer sans dommages à Sherlock Holmes. Pourtant, n'en déplaise aux aficionados d'enquêtes réglées comme du papier à musique, flegme spirituel et autres casquettes à carreaux, le pari avait tout pour séduire : vous connaissiez Sherlock l'impassible, le bien élevé, le rationnel, nous allons en faire une star du rock. Vous aimiez Watson le discret, l'avisé, le raisonnable, nous allons en faire une star du rock.

Let's rock then.


Voici ce qui swingue dans Sherlock Holmes :

1. Robert Downey Junior : la rockstar par excellence. Un génie bouillonnant et turbulent, plus méthodique sur le ring que sur une scène de crime, gentiment égoïste, bref : le seul homme au monde capable d'avoir la classe même en bretelles.

2. La musique de Hans Zimmer : nominée à l'Oscar. Il a même renoncé à son gimmick noire-pointée-noire-pointée-trois-croches-deux-doubles (je sais, ce serait plus simple si je pouvais vous le chanter) pour l'occasion. Plus sérieusement, une musique d'une légèreté et d'une vivacité surprenante de sa part, c'est tout simplement salutaire dans un film à la gloire du ralenti.

3. La photo : c'est vraiment très joli. Seulement, c'est bizarre, ça me dit quelque chose. Et c'est normal, parce que Ritchie a embauché le directeur photo de Sweeney Todd et lui a demandé de refaire la même chose, avec un peu d'Harry Potter et beaucoup de From Hell au milieu. Zut, tout de suite, ça swingue moins.

4. Une jolie scène de combat sur le ring pendant laquelle Holmes torse nu anticipe puis met à exécution une admirable stratégie du K.O. Bonne idée, vraiment, excepté que l'anticipation au ralenti suivie par la mise à exécution en accéléré, on l'avait déjà vue dix minutes plus tôt, dans la toute première scène. Oh, le vilain radoteur.

[5 ? NB : je mets un point d'interrogation pour le décorateur : il a peut-être fait un très joli travail, mais comme Ritchie ne se donne pas la peine de filmer le mythique 221B Baker Street, on n'a aucun moyen de le savoir.]

Ces quelques friandises dûment appréciées, que nous reste-t-il ?


1. Un faux tandem : j'aurais pu vous dire que Jude Law swingue aussi. Le problème, c'est qu'à force d'insister sur le fait que Holmes et Watson sont "frères", Ritchie a fait du second un simple clone du premier. Il finit ses phrases et ses raisonnements, frappe la joue gauche du méchant préamoché par le frangin à droite, partage gentiment ses armes à feu. Bref, on s'ennuie ferme.

2. Un méchant plat : comme si Tweedledee et Tweedledum ne suffisaient pas, on a droit à un méchant qui a la gueule d'Andy Garcia sans être Andy Garcia. Pas de personnalité, pas de passé, pas de mobiles, pas de jeu d'acteur. Tant de rien, c'est presque surprenant.

3. Une Homelette transparente : pire que transparente, insignifiante. Rachel McAdams est même très bien placée pour le titre de jeune actrice la plus insignifiante de la nouvelle génération. Vous pouvez crier à la mauvaise langue, m'accuser de jalousie, mon cavalier était exactement du même avis. Absence totale de tentative de jeu, aucune personnalité, aucun mystère (Irène Adler, quand même !), mêmes mimiques communes que dans tous ses autres rôles. Pour le coup, elle est tellement insignifiante que c'en est surprenant.

4. Un scénario inexistant : déjà, tout le film est construit comme prétexte à une suite, et ça, monsieur Ritchie, c'est vraiment de mauvais goût. En gros, le vrai méchant, celui qui a une personnalité, c'est l'inimitable Professeur Moriarty. Sauf qu'on ne le voit pas. Zut alors.

5. Des dialogues insuffisants : au mieux, vous souriez. Au pire, vous avez dans l'oreille un très désagréable bourdon de déjà-entendu.

6. Une enquête improbable : faire de Sherlock Holmes un super-héros, pourquoi pas ? Le raisonnement type "Vous savez (ah ! cette manie des détectives de rendre des comptes au méchant), lorsque j'étais à 600 mètres de vous, j'ai bien vu que vos chaussures était cousues main, voilà ce qui vous a trahi " s'accepte sans sourciller une fois, peut-être deux. Mais il faudrait quand même expliquer à notre cher détective qu'en attendant l'arrivée du cinéma en odeur, mener toute une enquête par déduction olfactive, c'est un peu ennuyeux.

7. Des images de synthèse : un assez joli pont en construction, et encore. Pour tout le reste, voir Sweeney Todd, Harry Potter VI, From Hell.

8. De la baston : sauf qu'ils ont manifestement oublié d'embaucher un chorégraphe, et promu dans l'urgence le type de la machine à café. Résultat : du Pirates des Caraïbes en soldes, et mal filmé.

9. DES RALENTIS : des tonnes et des tonnes de ralentis, et ô surprise ! surtout dans les scènes de baston. Nous avons bien de la chance.

10. Ah non, en fait non.

Sur ce, chers lecteurs, je vais me coucher, non sans m'ébaudir une dernière fois sur cette inénarrable réflexion de G.O. pour T***rama : "Le scénario, plutôt fin, obéit à l'esprit des romans." Que vous n'ayez jamais eu la curiosité d'ouvrir un Conan Doyle, je vous le concède, madame, les livres sont si chers. Mais tout de même, vous vous faites bien du mal...

Et si vous voulez vraiment mon dernier mot sur le film, je me permettrai cette petite blague : Rudimentaire, mon cher Watson. Je sais, elle est mauvaise. Le film aussi.



Noémie.

7 février 2010

Pourquoi Clooney est nominé aux Oscars - tome 1 : Une Nuit en Enfer


From Dusk Till Dawn - Tarantino/Rodriguez (1996)

Pas que nous soyons fans ou même devenus fans de Clooney, subitement, comme ça. Mais voilà : Oscar du meilleur second rôle en 2006 pour Syriana, nominé au meilleur acteur en 2008 pour Michael Clayton (alors soufflé par Daniel Day Lewis), et nominé à nouveau cette année pour In The Air (réalisé par le fiston du réal de S.O.S Fantômes !), Clooney communique avec nous, et son message est clair, le voici : les enfants, je suis plus qu'un amateur de Nespresso, qu'un docteur maboul pour adolescentes, qu'un sourire Colgate. - D'accord, d'accord, George, on t'écoute.
Début de la rétrospective : Une Nuit en Enfer. Officiellement, un film de Rodriguez (Desperado, Sin City), officieusement, le premier diptyque Grindhouse (première partie de Tarantino, seconde de Rodriguez). Bon, depuis que Tarantino a réussi à faire jouer Mélanie Laurent, plus rien ne nous étonne. Mais voilà :
Une Nuit en Enfer marque les débuts du Clooney hors-la-loi. Avant Hors d'Atteinte, avant les Ocean's, le voilà dans la peau d'un truand en cavale accompagné de son petit frère nerd et violeur, Tarantino himself. Si l'on ignore la seconde partie du film, charcutage kitchissime de figurants maquillés, d'animatroniques et de marionnettes image-par-image, Clooney porte à merveille la première heure, succession de saynètes tarantinesques autour du thème de la prise d'otages. A merveille, mais en douleur : ce qu'on a pris pour un bêtisier sur le dvd était en fait constitué des innombrables prises qu'il lui a fallu pour parvenir à prononcer le rap alambiqué de Tarantino. Et Clooney s'énervait. Ce n'était décidément pas un bêtisier : c'est fou ce que monsieur Nespresso peut devenir antipathique quand il se met à cogner sur la table au bout de la quatrième prise. On attendait les rires de l'équipe, ils ne venaient pas. Spooky.
Bref, Clooney n'a pas toujours été George (sans s s'il-vous-plaît) : ici il est Seth, Seth Gecko, et il fait peur. Son petit frère aussi, mais il lui tient la dragée haute : lorsqu'il braque la pauvre Juliette Lewis sur les cabinets, cesse brutalement les politesses (le I-want-to-know-you-better-shit) avec son otage Harvey Keitel, ou jaillit dans le plan, lors de sa première apparition, un regard caméra derrière son revolver braqué vers l'objectif. Parfois charmeur, évidemment, mais pour ses vrais débuts, occupé d'une violence qui trouble vraiment ce qu'on croyait connaître de lui. On reviendra sur cette violence au moment du tome 2, Les Rois du Désert.

Camille & Noémie

1 février 2010

Edito

Chers tous,

c'est indéniable, nous sommes en 2010. En ce premier février, recevez nos meilleurs voeux pour les 11 mois restants: paix dans le monde, santé, beauté, succès, peu d'acné. Si vous êtes gentils, ou même seulement polis, vous nous souhaiterez en retour inspiration, provocation, séduction, et croissance exponentielle sur la toile. Et puisque j'ai subtilement amené le sujet, parlons-en :

bien chers tous qui avez daigné montrer un intérêt pour Mauvaises langues, parlez de nous ! Communiquez votre enthousiasme à vos proches, invitez vos amis sur notre groupe Facebook, fabriquez des tracts, achetez un porte-voix, arborez un t-shirt à notre nom ! Chantez-nous, dansez-nous, taguez-nous sur les murs, dans le métro, chez vous ! Nous vous aimons, vous nous aimez, aidez-nous !

Nous n'avons rien à y gagner que votre fidèle amitié. Nous avons tant à vous offrir : humour, sarcasme, élégance, culture sans frais pour faire illusion dans les soirées chics. Aux indécis je dis : goûtez, réagissez, aimez, publicitez ! Et aux indécis laids, un bon ami à moi dirait : "Si t'es pas joli, sois au moins poli !". Parce que nous on vous aime, même laids.



Noémie.