22 juin 2011

L'anti-guide médisant de la fête du cinéma 2011

Mauvaises Langues vieillit sans que nous nous souciions de ses anniversaires, et déjà une seconde fête du cinéma s'offre, lascive, cambrée sur un fauteuil en satin rouge, à nos tendresses sarcastiques

C'est toujours avec nostalgie que je constate que l'opération dure aujourd'hui 5 jours et non plus 3, comme au tournant du millénaire, quand j'étais lycéen. Au cinéma Casino de Châlons-en-Champagne, quand personne n'avait encore l'ADSL mais des forfaits internet de 24h/mois - quand on ne voyait les films qu'au cinéma et, province oblige, en français -

- c'est avec une joie intense que je recevais, après une place payée... Mais oui... 40 francs ! - mon PASSEPORT. Un machin en papier de plusieurs pages, qui se voulait une sorte d'agenda où noter les films que je verrais ensuite - pour 10 francs. La foule des ados, dont j'étais, se pressait devant l'entrée du cinéma comme devant celle de la cantine, et ce furent les premières journées où, grisé, j'enchaînai les films, avec un minimum de trois par jour, pendant trois jours. C'est à une fête du cinéma que j'ai découvert Matrix, Sexe Intentions, Gladiator, Shrek 2... (mais aussi Nos Amis les Flics et Riders, hum). Souvenir très clair d'être allé voir Matrix deux fois dans la même journée

Maintenant c'est plus pareil ! Sur cinq jours, vous vous apprêtez à découvrir les blockbusters de l'été 2011. Ils ont coûté deux, voire trois fois plus cher que ceux de 1999. Il n'y a pas un climax en images de synthèse à la fin, mais des trucages numériques dès le premier plan. Ah vous ne voulez pas d'Américains ? Ok, ok. Il y en a pour tout le monde.

Comme l'année dernière, je vous présente les cases, et vous laisse lancer les dés.

1. Thor
2. Pirates des Caraïbes 4
3. Fast & Furious 5
4. X-Men Origins
5. L'élève Ducobu
6. Blitz
7. Kung Fu Panda 2
8. Minuit à Paris
9. The Prodigies
10. Une Séparation, Omar m'a tuer, Pater
11. Blue Valentine
12. Beginners, Pourquoi tu pleures

Attachez vos ceintures : le moment où nous donnons notre OPINION sur des films que nous n'avons en partie PAS VUS,
- c'est maintenant.

1. et 2. Thor et Pirates, vous savez ce qu'on en pense : de la 3D qui perce les yeux, du gâchis - de Kenneth Brannagh d'un côté, de Johnny Depp de l'autre. Le saviez-vous ? Depp a signé un contrat de 60 millions pour faire Pirates 4 (pour se faire pirater, aussi).
-- 60 millions de dollars = budget complet de Jurassic Park.
-- Honnêtement, je pense que personne, pas même le plus génial des artistes, peut garder accès à sa veine créative si c'est un chèque pareil qui l'y pousse. Un artiste doit être libre. Avec 60 millions à amortir, vous n'êtes pas libre. L'art des stars, c'est d'arriver à rester bons malgré des salaires faramineux - les Brad Pitt, les Tom Cruise. Mais guess what ? Il y a une différence entre 20 millions, salaire habituel des mastodontes, et 60 millions.

Quoi qu'il en soit, si vous cherchez les hommes hyper-musclés (Thor) ou les hommes maquillés (Pirates 4), vous passerez un bien meilleur moment à la gay-pride (ce samedi 25) (pour être exact, la parade atteint Bastille au moment où je vous parle ; ... : faites comme si.)


3. Fast & Furious 5 est, en attendant Transformers 3, notre bourrin préféré. C'est une resucée de La Vengeance dans la Peau, bon, certes, oui, et on aurait pu vous faire un post entier sur la liste des points communs, d'accord. C'est aussi un remake de Heat. Mais un bon remake, alors. Ok, ce n'est pas original du tout. Ce qui reste ? Les cascades. Et Vin Diesel, qui est loin d'être mauvais. Qui ne se prend pas pour ce qu'il n'est pas, en tout cas. Il reste celui qui a dit : "les gens me croient stupide. Mais je fais un métier que j'aime, et que je gagne ma vie avec. Un homme stupide y serait-il parvenu ?" - ou quelque chose du style d'extrêmement convaincant.


Il y a aussi un réalisateur derrière tout ce bazar, Justin Lin, que l'on ne prenait pour personne lorsqu'il est arrivé sur Fast 3, et a quand-même rudement bien appris. La où Jason Bourne était un chant d'amour au choc, à la jouissance de la chair écrasée/éclatée contre du solide, Fast 5 est un mélodrame hyper-romantique à la gloire de la masse et de sa douce capacité à démolir tout ce qui est susceptible de laisser gicler de la poussière ou du sang, ou les deux. Tout est pensé en termes de poids dans Fast 5. On ne vole pas des dollars, mais des kilos d'argent. Le flic dépêché à Rio est tout simplement plus lourd que Diesel (c'est Dwayne Johnson). Et le film s'achève sur une scène époustouflante de masse d'arme géante rasant la ville - même scène qu'au début de Seuls Two, mais, comment dire ? En mieux. Pardon à Eric et Ramzy, je suis sûr qu'ils me comprendront.

4. X-Men Origins. Bien fait, bien joué, bien casté - exception faite de January Jones, la femme-diamant, frustrante et énervante : elle passe le film à côté de Kevin Bacon, l'homme qui a incarné le premier homme invisible que la cohérence avait poussé à être nu en permanence (dans Hollow Man, de Paul Verhoeven !), et se permet de transformer sa combinaison de latex en diamant ; seul son corps devrait en être capable pourtant. Début d'un nouveau topos du XXIe siècle : le sous-marin qui jaillit de l'océan. Si, vous avez déjà vu ça (dans Transformers 2, mais chut).



(vous voyez bien que ça ne l'aurait pas gênée du tout d'être cohérente, January Jones.)










5. L'élève Ducobu. Le film à la gloire des tricheurs ? Sorti alors que les concours nationaux n'ont jamais été aussi ridicules (un texte fake servi à l'agreg d'histoire, le sujet de Bac S sur internet avant l'épreuve, les pubs pour devenir prof comme pour voter EDF ou devenir concierge, 850 postes au Capes de maths pour 1000 candidats). L'élève Ducobu, donc, où l'on prononce "prof" comme on crie "ennemi" dans les couloirs décrépis, où l'on caresse dans le sens du poil l'élite des élèves qui avait bien besoin de ça. Ce n'est pas comme si l'éducation nationale n'était pas déjà un gros bordel, et la risée du monde professionnel. Bah ! A quoi bon jouer les rabat-joie ? C'est une comédie. Vous êtes censés passer deux plaisantes heures en compagnie d'un Pugsley Addams jaune passé à la moulinette du "ah-cette-bonne-vieille-quatrième-république" (et sponsorisé par Miel Pops) qui nous a déjà infligé Le Petit Nicolas, Faubourg 36, j'en passe et des pires. Vraiment pas de quoi se plaindre, hein.


6. Jason Statham s'est rendu plutôt sympathique avec Expendables. Mais la tagline de Blitz nous plonge dans la perplexité, à tel point qu'on en aurait presque fait un sujet de philo : "Contre un tueur de flics, une justice hors-la-loi - Commentez le concept de justice hors-la-loi, vous avez 4 heures". Et puis Blitz, ça évoque immanquablement la blitzkrieg, et les nazis. Alors je ne comprends pas bien le but du jeu. Je croyais que les types qui font les affiches s'y connaissaient en connotations. Ou bien est-ce effectivement le cas ?
Il y avait une autre tagline dans le même genre, il y a peu, une affiche avec Dwayne Johnson, Faster : "Lente est la justice. Expéditive sera sa vengeance." Quand on a grandi pendant le cinéma culpabilisé de l'ère où l'Amérique vengeait aveuglément le 11-Septembre en Irak, on a du mal à avaler tous ces films qui ne se posent pas un minimum de questions avant d'exécuter les coupables (le moment où les studios se sont dit : "ah ouais, on a à nouveau le droit ? ah ben cool" - c'est Taken - et c'est un produit Besson). Ce qui confirme que Fast 5 est, comme son producteur Vin Diesel, loin d'être complètement bête : à la fin, Dwayne Johnson descend un type de la manière la plus arbitraire qui soit ("That's for my crew", ça vient de là) - mais c'est tellement énorme qu'on en rit. Géniale dérision. Fast 5 est à Dwayne Johnson ce que Expendables est à Statham.
Le pire, c'est qu'il paraît que les films comme Faster ou Blitz se laissent très largement regarder. Le côté obscur a toujours eu son charme.


et surtout faites des études, c'est important












7. Kung Fu Panda 2. Très simple. Lunettes 3D verboten. La fin se passe dans le noir, vous n'y verrez que dalle. Quant au film, il est réservé aux moins de 12 ans qui n'ont en mémoire aucun film, et trouveront cela génial drôle original ska-doosh yaaah-maman-achète-moi-un-panda, sans se rendre compte qu'il n'ont rien pigé, mais c'est ça qui est bien : il n'y a rien à piger. C'est du tout cuit. Du fat gâteau. C'est l'histoire du film, d'ailleurs. Un type (le panda, donc) veut accéder vite-fait à la sagesse intérieure. Son maître lui dit : "non, c'est difficile." A la fin du film, 90mn plus tard, il a accédé à la sagesse intérieure. Le maître est jaloux, personne n'est censé parvenir à ses fins aussi facilement. Eh bien, si. Kung Fu Panda n'a qu'à sortir le chéquier, enfiler les stars au casting, même si elles ne sont là que pour faire joli sur le poster, les dollars rentrent tout seuls.

8. Minuit à Paris. Ceux qui ont encore en tête le Woody philosophe des années 70 rejetteront en bloc. Les autres le consommeront comme une coupe de Champagne (la comparaison n'est pas de moi). Bon, Carla Bruni pue. Et pour un Allen, les répliques délicieuses manquent un peu. Ce doit être la musique, ce bon dieu de jazz, qui rachète absolument tout.

9. La bande-annonce de The Prodigies ne donne pas envie. Le film fait un bide. Libre à vous de jouer les héros...

10. Une séparation, Omar m'a tuer, Pater : vous pouvez nous accuser de ce que vous voulez parce que nous regroupons ces trois films qui n'ont rien à voir l'un avec l'autre, si ce n'est qu'ils sont ceux que vous choisirez si vous décidez de ne pas profiter des entrées peu chères pour ne pas vous goinfrer de sucreries US. Nous n'en avons vu aucun, mais savons de source sûre qu'Une séparation est du réalisateur de "Darbarra -yelly", que Noémie (à qui je dois de connaître le titre original et de le prononcer aussi bien) avait aimé sans s'y attendre ; qu'Omar m'a tuer est avec Sami Bouajila (qui aura le César du meilleur acteur pour ce rôle, et le mérite probablement) ; qu'il vaut mille fois mieux voir Pater que La Conquête.

11. Blue Valentine est une nouvelle mise en boîte des subtilités d'une relation amoureuse naissante. Quand vous serez marié(e) depuis 10 ans ou propriétaire d'un pavillon à la campagne, vous ne jurerez plus que par ce genre de films. Un neveu inconscient vous tirera même une larme en vous offrant à Noël le coffret Blue Valentine/Closer/(500) jours ensemble/Eternal Sunshine of the Spotless Mind. Nous serons en 2025. Michelle Williams aura 55 ans et fera des comédies romantiques un peu nulles. Mais vous aurez Avatar 3 en Blu-Ray. Ce ne sera donc pas si terrible.

12. Beginners et Pourquoi tu pleures arrivent en fin de liste et ne devraient pas franchement être vos priorités, sauf si vous fantasmez encore sur Mélanie Laurent (Beginners) ou Benjamin Biolay (Pourquoi tu pleures).

bon appétit

[Nostra culpa : nous avons finalement vu 30 minutes de Beginners. Ce n'était pas mal du tout. Parce que Mélanie Laurent a un rôle muet, d'abord, et que ça lui va plutôt bien ; aussi et surtout parce qu'il y a derrière tout ça un réalisateur, Mike Mills, qui a beaucoup d'idées, et des jolies.]

Restent des films comme Noir Océan ou L'Affaire Rachel Singer, qui nous intéressent beaucoup, et dont on ne dira rien sans les avoir vus, en gage d'amour partial et arbitraire ! Mais aujourd'hui c'est la gay pride. Considérez ça comme un free hug.

Bonne fête du cinéma à tous !



Camille

20 juin 2011

Bright Star, de Jane Campion

Le fat, la boulette et les petits lardons

Je me revois assise en tailleur sur un tapis cher, pendant la soirée d'anniversaire de cette fille que je ne connaissais pas, entourée de gens que je ne connaissais pas. Résignée, je ne demandais rien à personne et grignotais tranquillement un bout de quiche froide, en attendant que ça passe, lorsqu'un importun vint coloniser le secteur ouest de mon tapis. Très vite, il fallut se rendre à l'évidence : le spécimen faisait partie de ce sous-genre singulier d'ennuyeux prompts à jeter leur dévolu sur les solitaires auxquels ils pensent pouvoir imposer leurs Vies, Rêves, et Opinions, tout à leur aise, et dont ils attendent même, parfois, de la reconnaissance. 

Or donc le fat, puisque c'est ainsi qu'on l'appelle, s' y connaissait un peu en cinéma. J'ai le vague souvenir d'une démonstration fort assurée visant à dénoncer la surévaluation naïve des talents de Cocteau réalisateur, comme son adaptation des Enfants terribles le donnait à voir. Moi, qui ne demandais rien, j'ai appliqué consciencieusement le principe de la force d'inertie, et me suis bien gardée de lui faire remarquer que Les Enfants terribles était un film de Melville. Je tiens pour acquis qu'en matière d'importuns les probabilités de vaincre sont souvent du côté de la réaction minimale.

Je ne sais pas comment, et alors que je ne demandais toujours rien, il en est venu à parler d'un petit film assez réussi, Bright Star. C'était un vrai compliment : à maintes reprises, il avait tenu à m'informer qu'on n'avait plus rien fait de bien au cinéma depuis Michael Powell. Un petit résumé du petit film s'ensuivit, puis un gros exposé de son maigre point de vue. Tout gonflé d'aise, il attaqua en confiance la péroraison, car il avait gardé, comme il se doit, le meilleur pour la fin. Le principal mérite du film, c'était que Jane Campion y accomplissait un véritable exploit : elle avait réussi à nous faire croire que son héroïne, pourtant vraiment trop ronde, était presque jolie

Je n'ai découvert le film que ce week-end. Mais j'en avais vu alors quelques images, assez pour prendre la mesure de l'exploit. Je suis restée bouche bée, et le morceau de quiche vacilla dans ma main. Lui pérorait toujours, l'oeil brillant dans le vague. M'eût-il vraiment regardée, il aurait sans doute tenu le même discours, sans se soucier du fait qu'emballée dans les robes taille Empire de Bright Star, j'aurais probablement été plus proche du saucisson gagnant à la Foire au Gras de Castelsarrasin que d'Abbie Cornish. Plus grave encore, ignorant les primes exigences du savoir-vivre au féminin, j'étais en train de me nourrir de quiche. Et même que dans la quiche, il y a de la crème. Et du gruyère. Et des lardons. 

Paralysie d'un instant ou instinct de survie, j'ai donné tout ce qui me restait à la force d'inertie. Mais en voyant le film hier, j'ai tout de même regretté de ne pas lui avoir collé mon bout de quiche dans la figure.  










Noémie

8 juin 2011

Dancing Queen

L'adorable Leslie Caron dans An American in Paris, de Vincente Minnelli (1951).










Noémie

PS : Si cela vous intéresse, Leslie Caron vient de publier ses mémoires. Le livre s'intitule Une française à Hollywood, il est édité chez Baker Street et elle en parle ici.

4 juin 2011

Pirates of the Caribbean : On Common Tides

Le gros problème de Rob Marshall

Pour une fois, il semblait que nous n'étions pas les mauvaises langues. Tous ceux qui s'étaient lancés avant nous revenaient meurtris, découragés, tous les membres plissés des cicatrices d'un long sommeil. Et nous, qui aimons contredire les autres, nous y sommes allés le sourire aux lèvres et presque la fleur au fusil, nous disant qu'il n'en fallait pas plus que Johnny Depp et quelques sirènes pour faire rêver les âmes simples que nous sommes. Nous sommes venus, nous avons vu. Nous n'avons même pas ri. 

Elle non plus.

Peu sensibles aux charmes des tapis rouges et autres réjouissances people, nous n'étions pas à Cannes. Néanmoins, nous avions ouï-dire qu'il s'en était trouvé quelques uns pour estimer, entre deux bâillements, que le quatrième opus de Pirates des Caraïbes avait le mérite non négligeable de retourner "aux sources*" d'une tradition piratesque et cinématographique qui a fait ses preuves. La tentation était forte, en effet, de ramener dans une trajectoire intelligible les derniers lambeaux d'une saga qui, au fil d'un troisième opus très obstinément placé sous le saint patronage du what the f*ck, en avait égaré plus d'un. Il y avait de quoi. Drapé malgré lui dans le voilage décent d'un réquisitoire aussi long qu'un tentacule de Kraken, Pirates III avait sombré sous les charges retenues contre lui, au nom du droit à la compréhension et du fichu bon sens.
* Les pirates sont à la recherche de la fontaine de jouvence = lol.


Parce que vous avez cru, vous, que le bon sens était leur point fort ? 

Je ne reviendrai pas en détail sur ce sujet brûlant, Camille vous en a parlé très récemment, et on ne voudrait pas trop passer pour des monomaniaques. Toujours est-il que, replacé dans le contexte d'ensemble d'une saga à l'évolution unique en son genre, le troisième Pirates avait pour lui une incontestable cohérence. Mais si. Ne partez pas, je m'explique.
Le premier volet était une perfection d'équilibre entre un usage efficace des traditions propres au genre, et un imaginaire plus singulier, dessiné de A à Z par un usage ludique du second degré. Régnant avec bonheur sur les dialogues et les personnages secondaires, inspirant à la mise en scène ses plus belles réussites, aux combats ses instants virtuoses, le second degré se personnifia tout bonnement, dès les premières minutes, sous les traits exquis de Jack Sparrow. Tout était fidèle et tout était léger, parce que joyeusement tenté par l'absurde. Personne, pas même Hans Zimmer, ne se prenait au sérieux. Et c'était bon.
Comme tout second volet qui se respecte, Dead Man's Chest avait pris le parti de la surenchère. Entre coeur en saumure et équipage d'anchois humanoïdes, nous étions bien installés dans le second degré au carré, c'est à dire, si vous suivez bien, le quatrième.
Matheux d'un jour ou de toujours, taupins d'hier, vous avez deviné la suite : au troisième épisode, c'est au carré de quatre qu'il fallait s'attendre, et c'est ce que nous avons eu. Logiques, les multiples Jacks ! Logiques, le fameux Up is Down, et la Calypso titanesque ! Logiques, les crabes porteurs de bateau,et Keith Richards, et le mariage en plein combat, même ! Au troisième épisode, le seizième degré règnait, les marins d'eau douce eurent le mal de mer, et les autres, et tous, ou presque, finirent par s'abîmer dans les eaux sombres du maëlstrom. Pourtant, tout cela n'était que prévisible, c'était juste une histoire de carrés.

J'en fais un peu trop, sans doute. La vérité, c'est que j'éprouve à cet instant précis une flemme monumentale de vous parler du quatrième épisode. Mais ne partez pas encore, vous l'aurez voulu, j'y vais.
Si vous êtes consciencieux, vous avez déjà pris une feuille et fait votre petit calcul : 16 x 16 =  ... 256. Mais si vous vous imaginez un seul instant avoir la bonne réponse, c'est que vous ne connaissez pas Rob Marshall. Rob Marshall, en effet, a un gros problème. Ce n'est pas qu'il est mauvais en mathématiques, je n'en sais rien, et je n'en ai cure. C'est que Rob Marshall est un homme fidèle, et qu'il s'est uni, il y a de longues années déjà, au premier degré. Adieu mathématiques, d'aucuns crieront "Hourra !", ne vous réjouissez pas trop vite, Rob Marshall est là.

Ca aurait pu être drôle si on ne l'avait pas déjà vu 35 fois en bande-annonce.

Et c'est catastrophique. Dès les premières minutes, quelque chose cloche. L'Apparition de Jack, instant virtuose de tous les opus, est ratée, téléphonée, déjà vue, drame ! Mais la fleur au fusil toujours, nous nous accrochons. Il va bien finir par se passer quelque chose.
Au détour d'une rue, au terme d'une évasion commune - à une chouquette près - et mal filmée, voici Keith Richards, qui entraîne son fils dans une taverne où le rhum coule à flots. Les corsages se délacent, les marins se tapent dessus, c'est Disneyland. Heureusement, il y a .... Keith Richards ? Quelque chose cloche terriblement, et il nous faut encore quelques minutes pour mettre le doigt dessus : Sparrow père et fils sont en train d'avoir une conversation normale.


Le Père - Salut Jack, alors on a des ennuis hein ? 
Le Fils - Eh oui Papa, c'est pas évident d'être un pirate.
Le Père - Tu vas chercher la fontaine de jouvence, c'est bien ça ? 
Le Fils - Oui Papa. 
Le Père - Alors note bien sur ta liste de courses : calices en argent. Voilà.
Le Fils - Merci Papa, au revoir Papa.

... ou quelque chose de ce genre. Pourtant, on avait bon espoir, encore, à cause de cette histoire d'imposteur qui se prend pour Jack et recrute à sa place. On attendait de joyeux petits quiproquos, on espérait, quand même, qu'ils n'oseraient pas nous mettre une Pénélope moustachue dans les pattes. Mais Pénélope est l'imposteur, Marshall a la flemme de faire des quiproquos, et au détour d'un duel qui n'est qu'une plate copie de la belle bagarre Sparrow-Turner du début du I, c'est irrémédiablement fichu.

Le reste suit. Tout est très sérieux, et très déjà vu. Comme Besson, Marshall se prend pour Midas, et croit transformer tout ce qu'il touche en or, même lorsqu'il le fait en baillant. Il a manifestement oublié que le roi Midas a lui aussi un gros problème.
Le premier degré règne d'une main de fer sur une terre molle où rien ne prend racine. Aux fantômes de Will et Elizabeth, nul renaissance n'est offerte. Lentement, sans conviction, nos petits héros s'alignent entre les larges feuilles d'une végétation exotique, si mal filmée que, pour le compte, on aurait pu faire aussi bien en studio. Nos petits héros s'alignent, et ne se déploient pas. Il y a un curé amoureux d'une sirène. Il est bien niais, le pauvre. Il y a ce malheureux Gibbs, qui se traîne avec l'air de souffrir cruellement des intestins, et que l'on a ramené là parce que les gens l'aiment bien, sans trop savoir qu'en faire, comme le chien bavard des Men in Black. Nul, parmi les vivants, ne nous fait oublier les morts. Jack reste seul. On voudrait croire qu'il a fait le film pour la dernière blague, parce qu'elle est drôle, oui. A peine.

Elle a raison. Tous aux chaloupes !

Lassée devant le film, je me lasse plus vite encore de vous en lister les faiblesses. Elles vont, elle aussi, de carré en carré, dans une eau lavée des souvenirs de la tempête. Le film de Marshall patauge avec un air benêt dans un petit clapotis qui donne, vous l'ai-je déjà dit ? bien sommeil. Il est une scène, cependant, qui brille à être cent fois plus mauvaises que les autres, et ce n'est pas peu dire. Un petit tango entre Jack et sa belle, sur le pont du bateau, mal filmé (!), et toujours assorti d'une conversation civilisée des plus sérieuses. Comme si Marshall, à la moitié de son film, commençait à se rendre compte qu'il peut être utile de s'appeler Spielberg quand on veut refaire Indiana Jones, et tentait de nous offrir enfin quelque chose. Mais ce quelque chose n'est rien. Alors, saisi un instant par l'intuition glaçante de n'être rien lui-même, Marshall pleure et se lamente.

Stances de Rob Marshall

Percé jusques au fond du coeur
D'une atteinte à prévoir et néanmoins mortelle
Misérable artisan d'un banal solennel
Et servile jouet des méchants producteurs,
Je reste sans idée et mon film abattu
Cède au coup qui le tue.


Mais non, ne pleure pas. Personne n'y croyait, de toutes façons.

Nos bannières emportées par la houle, c'est en secouristes que nous arpentons désormais les sentiers de la fontaine de jouvence. Cherchant des blessés, nous reconnaissons des cadavres. Nous savons leur nom. Nous savons celui de leur meurtrier. Que reste-t-il de Jack ? Les rats ont quitté le navire, et le navire, sans maître et sans amarres, flotte au hasard des scènes, sans poésie, sans horizon. Nous quittons le navire. Entre les eaux croupies des mares et les lames rêvées des tempêtes, nous avons choisi. Nous retournons, résolument, At World's End : où la folie demeure.


Noémie

2 juin 2011

L'Aigle de la 9e

The Descent 3


L'Aigle de la 9e Légion ne passe plus que dans une salle à Paris, mais pas n'importe laquelle : l'UGC Orient-Express. C'est ce tout petit multiplexe situé au fin fond des Halles, au niveau du métro. Raison pour laquelle il porte son nom : on y entend passer les wagons du RER, un étage plus bas. Cela n'est pas sans charme. Devant un film à grand spectacle, vous avez l'impression que la cavalerie va traverser l'écran. Devant un film d'horreur, vous vous sentez dans les entrailles perturbées de la Terre.

Ce qui est précisément le cas de The Eagle. The Eagle, c'est un film de Kevin Mac Donald, mais je l'ai regardé en étant persuadé qu'il était du réalisateur de The Descent, Neil Marshall. Jusqu'à la fin. C'est dire si l'homme a de la personnalité. Je regardais le film et je me disais : ha oui... Bonne transposition des thématiques... Pas mal... Descente dans les entrailles, l'Ecosse à la place des grottes... Hum hum.

Si j'ai confondu, c'est parce que la disparition de la 9e légion au-delà du mur d'Hadrien, en 117 après Jésus-Christ, a inspiré un autre film : Centurion. Qui, lui, est bien de Neil Marshall. Je suis excusé, si, si. A ceci près que Centurion raconte la disparition elle-même tandis que l'Aigle de la 9e raconte comment le fils du Centurion retourne en Ecosse découvrir pourquoi son père a disparu. C'est un diptyque officieux comme on les aime. Ou alors, des films jumeaux comme Armageddon/Deep Impact, Pic de Dante/Volcano, Capote/Scandaleusement Célèbre, Le Monde de Nemo/Gang de Requins, BREF - vous avez compris.



Détail amusant : ceux qui ont vu Centurion (dont je ne fais pas partie) ne l'ont pas aimé. Ils ont été déçus.
Second détail amusant : ceux qui ont vu The Descent 2 (dont je fais partie) ne l'ont pas aimé. Ils ont trouvé ça naze.
Chacun de ces films essayait de renouer avec ce qui avait fait le succès de The Descent ; aucun n'y est parvenu. L'Aigle de la 9e légion, si. En d'autres termes : Kevin MacDonald a réalisé un meilleur film de Neil Marshall que Neil Marshall lui-même, et une meilleure suite à The Descent que The Descent 2. Balèze.


(à voir l'affiche de Centurion, et la tagline, "l'histoire s'écrit dans le sang", je connais une fan de 300 qui risque d'aimer.)






Quels sont donc les ingrédients du slasher movie rupestre sorti en 2005, que l'on retrouve dans ce petit peplum que plus personne n'ira voir ?
Univers sexué : ladies spéléologues, gentlemen légionnaires.
Ennemis préhistoriques : des grottes infestées d’australopithèques cannibales aux peuplades barbares des terres s’étendant au-delà du mur d’Hadrien, il n’y a qu’une demi-journée de cheval, à peine.
L’Écosse, rongée par l’obscurité et la brume, peuplée de cadavres et d’hommes couverts de boue, est un nouveau monde souterrain ; et comme les filles de Marshall réglaient leurs comptes entre elles à coup de piolet au fond des abîmes, le petit soldat rejoint les Highlands pour régler un conflit son père.

Flavius (Channing Tatum, qui connaît son Russell Crowe sur le bout des doigts) est en effet le fils du centurion responsable de la disparition de la 9e légion dans les montagnes d’Ecosse, et de l’aigle qui en était le symbole ; il part donc à sa recherche escorté d’un esclave autochtone, incarné par un Jamie Bell en plein trip roots après le tournage high-tech du Tintin de Spielberg. On passera sur quelques scènes de bromance humide, en admettant qu’elles fassent partie du paysage culturel sous Hadrien. La reconstitution historique ne manque d’ailleurs pas de charme : comme pour remédier à son manque d’imagination, le film s’attache au moindre détail avec minutie. Dialectes d’époque, culte à Mithra, scènes de chasse, de chirurgie...

Cette descente vers le Nord sauvage est encore et toujours une descente de la tête aux tripes, un retour aux pulsions, à l’animal. La caméra s’attarde alors sur la nature : une épée dans le courant d’un ruisseau, des pierres au premier plan, une bataille dénuée de musique, où seuls comptent les coups et les cris. Des trucs déjà vus, mais à leur place. Mark Strong, par exemple, croisé en chemin. De l’art de colorier sans dépasser les bords. Mark Strong, c'est le nouveau méchant par excellence, le nouvel Alan Rickman, le nouveau Gary Oldman : voyez-le dans Sherlock Holmes, Kick Ass ou Robin des Bois, c'est toujours un plaisir.

La quête des héros les conduit jusqu’au fond d’une grotte, où est entreposé l’aigle entre deux cérémonies tribales dont il est l’idole. Dans son meilleur rôle, Tahar Rahim en chef de clan confère malgré l’argile qui le recouvre une personnalité à ce qui n’aurait pu être (ça n’aurait gêné personne) qu’une force en action, une puissance de course lancée aux trousses des héros dans une dernière partie sauvage et efficace de remontée vers le Sud (le genre de scène qui vous donne envie de revoir Apocalypto alors que vous êtes convaincu que c'est une merde). Eden hors-civilisation, univers primitif qu’il ne s’agit pas de conquérir mais de traverser, on n’est pas très loin de Malick et de son christianisme libre à la limite du paganisme – le héros de L’Aigle est monothéiste et voue un culte au Soleil. Foi du charbonnier ou du membre facebook, il ne s’agit jamais que de retrouver la nature, comme on peut rêver de paysages après des heures passées devant un écran d’ordinateur.

Camille

P.S. Le lien du nom de Channing Tatum conduit à un extrait de Sexy Dance 2. Si vous n'êtes pas allé voir, vous devriez. Parce qu'on ne dira jamais assez de bien de John Chu.