20 juin 2011

Bright Star, de Jane Campion

Le fat, la boulette et les petits lardons

Je me revois assise en tailleur sur un tapis cher, pendant la soirée d'anniversaire de cette fille que je ne connaissais pas, entourée de gens que je ne connaissais pas. Résignée, je ne demandais rien à personne et grignotais tranquillement un bout de quiche froide, en attendant que ça passe, lorsqu'un importun vint coloniser le secteur ouest de mon tapis. Très vite, il fallut se rendre à l'évidence : le spécimen faisait partie de ce sous-genre singulier d'ennuyeux prompts à jeter leur dévolu sur les solitaires auxquels ils pensent pouvoir imposer leurs Vies, Rêves, et Opinions, tout à leur aise, et dont ils attendent même, parfois, de la reconnaissance. 

Or donc le fat, puisque c'est ainsi qu'on l'appelle, s' y connaissait un peu en cinéma. J'ai le vague souvenir d'une démonstration fort assurée visant à dénoncer la surévaluation naïve des talents de Cocteau réalisateur, comme son adaptation des Enfants terribles le donnait à voir. Moi, qui ne demandais rien, j'ai appliqué consciencieusement le principe de la force d'inertie, et me suis bien gardée de lui faire remarquer que Les Enfants terribles était un film de Melville. Je tiens pour acquis qu'en matière d'importuns les probabilités de vaincre sont souvent du côté de la réaction minimale.

Je ne sais pas comment, et alors que je ne demandais toujours rien, il en est venu à parler d'un petit film assez réussi, Bright Star. C'était un vrai compliment : à maintes reprises, il avait tenu à m'informer qu'on n'avait plus rien fait de bien au cinéma depuis Michael Powell. Un petit résumé du petit film s'ensuivit, puis un gros exposé de son maigre point de vue. Tout gonflé d'aise, il attaqua en confiance la péroraison, car il avait gardé, comme il se doit, le meilleur pour la fin. Le principal mérite du film, c'était que Jane Campion y accomplissait un véritable exploit : elle avait réussi à nous faire croire que son héroïne, pourtant vraiment trop ronde, était presque jolie

Je n'ai découvert le film que ce week-end. Mais j'en avais vu alors quelques images, assez pour prendre la mesure de l'exploit. Je suis restée bouche bée, et le morceau de quiche vacilla dans ma main. Lui pérorait toujours, l'oeil brillant dans le vague. M'eût-il vraiment regardée, il aurait sans doute tenu le même discours, sans se soucier du fait qu'emballée dans les robes taille Empire de Bright Star, j'aurais probablement été plus proche du saucisson gagnant à la Foire au Gras de Castelsarrasin que d'Abbie Cornish. Plus grave encore, ignorant les primes exigences du savoir-vivre au féminin, j'étais en train de me nourrir de quiche. Et même que dans la quiche, il y a de la crème. Et du gruyère. Et des lardons. 

Paralysie d'un instant ou instinct de survie, j'ai donné tout ce qui me restait à la force d'inertie. Mais en voyant le film hier, j'ai tout de même regretté de ne pas lui avoir collé mon bout de quiche dans la figure.  










Noémie

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