3 octobre 2010

The Cat, The Reverend and the Slave, Alain della Negra & Kaori Kinoshita, 2010.

Les Métamorphoses / A l'envers, à l'endroit

Vendredi soir pluvieux, journée éprouvante, moral en négatif, je me retrouve un peu malgré moi au fond de la salle souterraine du Reflet Médicis, à attendre le début d'un film dont je ne connais que le titre : "The Cat, The Reverend, and the Slave". Je ne sais pas ce que vous imaginez à partir d'un titre comme celui-là : moi je pensais à une promenade un tantinet nostalgique dans le Sud étasunien, quelques gros plans sur des épis de maïs grillés, chapeaux massifs, musique country. Chacun ses clichés.

The Cat, the Reverend and the Slave est un documentaire sur Second Life. Le genre de documentaire dont vous sortez en vous apercevant que vous ne saviez décidément rien sur ce que vous pensiez savoir. Tout le monde a entendu parler de Second Life : c'est une sorte de Facebook en string où les walls sont remplacés par des îles tropicales, et derrière le paradis virtuel, un mall où pixel et charnel se monnaient en espèces sonnantes et trébuchantes. L'histoire de cette Jane Doe de l'immobilier devenue millionnaire par l'intermédiaire de son avatar, nous l'avons tous entendue.

Mais il y a dans The Cat, the Reverend and the Slave bien des choses à voir. Certaines sont précisément conformes à ce que nous pouvons imaginer, et elles font mal au coeur : des gros en t-shirt mou vautrés devant un écran, et au centre de cet écran, un "avatar" qui s'oppose à eux sur tous les points, avec une constance pathétique. Les gros flasques sont minces et bronzés, les freluquets timides se réincarnent en dominatrices roulées dans du latex, les chats se font pousser la fourrure.

C'est dans l'autre sens de la marche, que l'on se prend à rêver d'un bouton rewind sur le fauteuil rouge du Reflet Médicis : un bouton pour oublier toute cette désévolution de l'âme, dont on n'aurait bien voulu ne jamais voir et entendre ce que le film nous donne à entendre et à voir. Sans pesanteur aucune, sans les lourdeurs pourtant prévisibles et acceptables d'une axiologie. Les images et les mots se suffisent à eux-mêmes, sobrement appuyés par un montage efficace de la réalité en parallèle du pixel.

Les épousailles virtuelles devenues charnelles, ou comment Bonnie et Clyde se transformèrent en Laurel et Hardy. Elle, énorme jusqu'à paraître avancer par roulements. Lui, tout mince, presque invisible, relatif. Les arguties html leur ont désappris jusqu'à l'effacer l'art immémorial de la dispute conjugale : ils défendent leurs prérogatives virtuelles avec de vrais mots, bouclant implacablement la métamorphose. Le couple semble n'être laid dans le monde qu'à la mesure de sa beauté sur la toile.

Ajoutez le prêtre. Ajoutez l'esclave. Ajoutez le chat. Le passage du réel dans le virtuel est envisageable, presque tolérable : une sorte de pis-aller qui ferait taire le peuple, un opium meilleur marché. C'est dans l'autre sens que les gorges se serrent, lorsque sous l'enveloppe des corps émerge l'avatar. Et l'écran d'incarner soudain la plus angoissante des verticales, dernière mesure, tout juste visible encore, d'une glaçante réversibilité des vies.

Noémie.

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