2 février 2011

Au-delà















L'Art d'un Grand-père




Il se passe des choses incroyables sur les Grands Boulevards. Souvent, le Max Linder y est pour quelque chose : nous y avons découvert The Dark Knight, Tetro, Avatar... Hier il n'y était pour rien : nous y avions vu Au-Delà. En revanche, nous avons constaté à la sortie que nous avions partagé la séance avec Victor Hugo. Coïncidence incroyable : nous avions un dictaphone. Rencontre à chaud.

nous : Monsieur Victor Hugo ?
Lui : Oui ?
nous : Vous étiez à la séance d'Au-Delà ?
Lui : Oui. Je m'intéresse beaucoup à Clint Eastwood. Il est rare d'assister à une agonie aussi longue. Son cinéma est un cinéma de mourant. En général, les cinéastes sont plutôt vivants. Pas lui. Chacune de ses oeuvres est un testament, plus ou moins réussi.
nous : Celui-là est raté, non ?
Lui : Euh, oui.
nous : Nul ?
Lui : Non. Un film nul, un navet, ne gâche rien. Ici, il y a un potentiel évident, ce qui en fait un film raté. Mais je me demande même s'il faut dire "un film". Comme Ken Park, Au-Delà suit la valse lancinante des films choraux qui passent d'un personnage à un autre dans un ordre qui ne change absolument jamais. 1,2,3 ; 1,2,3 ; 1,2,3... Jusqu'à la partouze finale où tout le monde se rencontre. A ceci près qu'il y avait une unité de ton chez Larry Clark, que l'on ne retrouve pas dans Au-Delà. Les scènes avec Cécile de France sont complètement nazes (sauf le tsunami, évidemment) ; celles avec le gamin font penser à Harry Brown (un film qui imite les vieux Clint Eastwood, mais avec Michael Caine) ; et celles avec Matt Damon sont parfaites. Donc il n'y a pas "un" film. Il y a trois courts, un peu comme dans les Paris Je t'Aime et compagnie. Logiquement, la partouze finale est moitié réussie (la moitié où Damon rencontre le gamin), moitié foirée (et bien foirée) quand il rencontre Cécile de France.
nous : Oui, le coup de violons à l'eau de rose qui voudrait passer pour de l'audace, quand Cécile de France se retourne avec sa moumoute tentaculaire et sourit... Ce genre de retour au lyrisme pompier marche (parfois) chez Minghella (à la fin du Patient Anglais, par exemple), ici, c'est catastrophique.
Lui : La vérité, c'est qu'Eastwood n'en avait rien à foutre. Il commence à comprendre qu'il ne mourra pas de si tôt. Il continue de faire des films testamentaires, mais il n'y croit plus vraiment. Toute la partie française a été réalisé par la seconde équipe, je ne vois pas d'autres explications.
nous : Y a-t-il eu un moment où vous avez eu envie de hurler "what the fuck" ?
Lui : Bien-sûr. Quand le journaliste annonce à Cécile de France qu'il a couché avec sa remplaçante. On s'en tape.

nous : Le tsunami, en revanche...
Lui : Ah, oui ! Le tsunami ! C'est pour ça que j'y suis allé au Max Linder ! Pour faire court, disons que les Eastwood à effets spéciaux sont produits par Spielberg. Le dernier en date, c'était Mémoires de nos Pères. Malheureusement, ici, Spielberg ne s'est occupé que de la séquence d'ouverture. La Mort à la Plage, c'est son rayon (c'était déjà le point commun entre Soldat Ryan et Mémoires de nos Pères !).
nous : Et, contrairement à 2012, mais comme dans La Guerre des Mondes, ici, on remarque tout un tas de petits figurants numériques se faire dégommer. Un bonheur de Néron.
Lui : Ouais. Plus sérieusement, Au-Delà permet de comparer le réussi et le raté. De ce point de vue, c'est une leçon de cinéma : il y a, au sein du même film, des scènes de nanar et des scènes de chef-d'oeuvre. Nanar : le jeu de Cécile de France. Chef d'oeuvre : celui de Bryce Dallas Howard. Même fonctionnement avec le thème de l'enfance meurtrie. Dans l'histoire anglaise, nous avons une redite des malaises déjà disséqués dans L'Echange, film lourd (l'enfant, le double, la maman folle...)

nous : D'ailleurs, vous avez reconnu l'actrice qui fait la mère ?
Lui : Non ! Dites-moi.
nous : C'est Cléopâtre. Dans Rome.
Lui : Ah oui. Bref, Eastwood retourne au pathos dans la partie anglaise, avec la pluie, les violons, les larmes... Quelque chose de très convenu, sans force - voir la scène où le petit écarte la foule pour se jeter aux pieds du cadavre de son jumeau... En revanche, dans l'histoire américaine, l'idée d'enfance meurtrie est biaisée, plus intéressante. Parce qu'on la devine à travers le regard de l'adulte, la blessure de l'adulte. Bryce Dallas Howard pleure, le visage caché par ses cheveux anciennement sensuels. Tout est fait en légèreté : et le personnage disparaît tout de suite après qu'on ait révélé son secret.
nous : Bryce Dallas Howard. Oui.
Lui : Ne m'en parlez pas. J'ai eu du mal à garder les yeux ouverts. J'avais l'impression de regarder le soleil. Elle est sublime. Elle surclasse les Megan Fox, les Zooey Deschanels, les Amy Adams. La scène de séduction en cours de cuisine est d'un érotisme insoutenable !
nous : Le jeu tout en lèvres...
Lui : Une déesse. Les hommes d'un certain âge doivent avoir un truc pour sublimer les jeunes femmes. Regardez Stephen Frears avec Gemma Arterton, dans Tamara Drewe.
nous : Au-Delà n'avait pas besoin de Cécile de France, c'est certain.
Lui : Oui. Mais comme je l'ai dit, Eastwood se foutait d'Au-Delà. Il n'y avait pas assez de matériau en lui pour en faire un long-métrage. C'est pourquoi il a besoin, à chaque scène, de repartir à zéro dans un genre différent. Le film catastrophe, puis le film fantastique, puis le film social, la comédie romantique, le film de cuisine (un genre très à la mode, vous devriez en parler sur votre blog)... Une fois qu'il a fait le tour de tous les genres qu'il était possible d'agglomérer, le film se dégonfle. Vous savez, passé un certain âge, les idées sont comme les jours. Plus on en a eu, moins elles ont d'importance.
nous : C'est pourquoi les scènes de grand spectacle sont expédiées avec une certaine nonchalance.
Lui : Je pense, oui. C'est la différence entre l'art des grands-pères et celui des jeunes gens. Cela n'a rien à voir avec le fait d'être gâteux ou non.
nous : Eh bien monsieur Victor Hugo, nous vous remercions !
Lui : Oui, oui... Non mais, vous savez, en vérité, je n'ai pas détesté. J'adore les histoires de médiums. Les idées sur la mort, ce qu'il y a après. L'idée qu'il puisse y avoir, scientifiquement parlant, un Après. C'est galvaudé, je sais... Je vous rappelle que je viens du XIXe siècle !



C'n'N

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