9 décembre 2009

Le roux, le bon vieillard descend.



Tout commence par une chanson. Au début des années 40, Irving Berlin compose une petite mélodie de noël qu'il intitule sobrement White Christmas, et que l'inénarrable Bing Crosby a l'honneur d'interpréter pour la première fois en décembre 1941, sur les ondes de NBC. Vendue à 50 millions d'exemplaires (ce qui lui vaut d'être répertoriée au Guinness), elle est reprise par Crosby dans le film Holiday Inn (Mark Sandrich, 1942), qui remporte l'Oscar de la meilleure chanson originale. Au coeur de la seconde guerre mondiale, sa mélodie simple et ses paroles nostalgiques touchent le coeur des américains et deviennent un véritable symbole pour les GI's : à la fin de la guerre, White Christmas, présent dans tous les foyers de l'Amérique, est le single le plus vendu de tous les temps.

Au début des années 50, Michael Curtiz (oui, celui du Robin-des-Bois-avec-Errol-Flynn), décide de construire un film autour du phénomène : un film de noël, comme il se doit, mais également un film de soldats. Curieux mélange, me direz-vous. Mais moins de dix ans après la fin du conflit, les GI's de White Christmas sont surtout des personnages de music-hall. Si le film s'ouvre bien sur une scène de bombardements, c'est pour lui offrir un traitement purement comique et inaugurer le célèbre running gag du bras cassé.


Film de noël, film sentimental. Avec le temps, on a pu dire beaucoup de mal de White Christmas, en oubliant que notre approche de la comédie musicale est bien différente de celle du Hollywood des années 50, désireux d'exorciser ce qui pour nous n'est plus qu'Histoire à coups de strass et de numéros de danse. J'ai trouvé, sous la plume d'un fan pourtant, la redoutable expression "a piece of fluff". Ce n'est pas faux. C'est un film tout pétri de bons sentiments, symétrique et prévisible, qui aurait le double tort de ne pas être l'intouchable Singing in the rain, et de n'utiliser que comme prétexte le drame intime et social qui fait le coeur d'un autre très grand film de Noël, It's a wonderful life, de Frank Capra.

Who cares ? White Christmas est l'un de ces films que j'ai pu regarder en boucle durant toute mon enfance, et que je regarderais encore en boucle aujourd'hui si je ne devais pas me contenter d'une VHS ancestrale chez mes parents. Il est en deuxième position de mon palmarès comédies musicales, tout de suite après Singing in the rain, juste avant (oui, avant), Un américain à Paris. Je ne m'en lasse pas. J'en aime les clichés rassurants comme un rituel, et d'ailleurs je le regarde à Noël, tous les ans. Pour l'anecdote, l'une de mes soeurs (je ne vous dirai pas laquelle) à réalisé il y a quelques jours que la chanson ne disait pas "le roux, le bon vieillard descend", mais "l'heure où le bon vieillard descend". Au fond, comme toujours, c'est sa version la meilleure.


De quoi cela parle-t-il ? Pour commencer, on ne change pas une équipe qui gagne. Curtiz n'hésite pas à donner la tête d'affiche à Bing Crosby, créateur mythique de la chanson-titre. Lui trouve un clownesque comparse en la personne de Danny Kaye, pour former un duo d'ex GI's chanteurs devenus stars du music-hall, devenus stars du music-hall un peu usées en quête de sang neuf. Et voici qu'apparaissent deux charmantes créatures nouvelles dans le monde du spectacle, les Haynes Sisters (Rosemary Clooney et Vera-Ellen). Un couple de chanteurs, un couple de danseurs. Un "Napoléon du spectacle" (le rôle est directement inspiré de la réputation que le milieu prêtait à Crosby, invité à s'autoparodier tout au long du film), et un sous-fifre envahissant et brouillon, une grande soeur protectrice et une petite soeur naïve. Ce quatuor parfaitement symétrique part en séjour dans le Vermont et y trouve le général qui commandait aux deux trublions pendant la guerre, devenu gérant morose d'un hôtel en faillite... pour cause d'absence de neige. Dans le secret, la petite bande entreprend donc de monter une revue pour sauver l'établissement et ses occupants (vous reconnaîtrez dans la piquante concierge Mary Wickes, la délicieuse Soeur Marie-Lazarus de Sister Act). Deadline : le soir de Noël...


C'est plein de bons sentiments. So what ? et puis c'est drôle aussi. La scène où Danny Kaye fait semblant de se casser la jambe pour faire diversion est impayable. Plus encore, et c'est l'une des très bonnes idées du film, cette scène en double lors de la rencontre des deux héros et de leurs futures starlettes : après la première représentation de leur show, les Haynes Sisters poursuivies par le Shérif sont contraintes de s'enfuir. Afin de leur accorder du temps, Wallace et Davis, les deux têtes d'affiches, reprennent les trucs en plumes des chanteuses et refont leur numéro à l'identique, pantalon remonté au genou et diadème scintillant au front. Et ça, je vous prie de le croire, c'est un grand moment de cinéma.


C'est bien dansé, vous l'avez vu plus haut. C'est bien chanté aussi. Vous en aurez la preuve avec cette scène dans laquelle Betty, persuadée que Bob Wallace n'est qu'un arriviste, va devoir chanter devant lui un air qui parle d'eux. Et puis, si vous aimez Irving Berlin... Je vous recommande tout spécialement Dancing, redoutable exercice de prononciation anglaise : If by chance their cheeks should meet vingt fois par jour, ça vous forme un orateur.

J'aurais encore mille choses à vous dire, mille extraits à vous montrer. Mais je ne veux pas que vous vous jetiez par la fenêtre en apprenant que le dvd n'existe qu'en édition collector à biiiiiip euros... Pour finir, je voudrais revenir sur ce premier degré qui est bien présent dans White Christmas et dont la critique, surtout contemporaine, fait des gorges chaudes. Le film s'ouvre sur la chanson-titre et se ferme sur elle. Au début, c'est la guerre. A la fin, nous sommes dix ans après la guerre, et les uniformes militaires pourraient n'être plus que des tenues de scène. A ceci près que tous les spectateurs ont ressorti de leur placard les frusques des bombardements devenus habits de fête. Il y a bien là, dans la simplicité du premier degré, un bel et authentique hommage un peu ému à cette petite mélodie d'Irving Berlin qui, comme le vieux militaire, a aidé des soldats à traverser les balles.


Noémie
qui remercie Eléonore et Adélaïde.



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