… ben oui, Hostel II. L’Auberge, en version québécoise. J’avais la tête pourrie d’une journée fausse et à Gibert le dvd n’était qu’à 3,50€ ; et puis quand il y a marqué TARANTINO sur quelque chose, même si c’est un pack d’ongles de porc, ça doit être bon.
L’exemple des ongles de porc était pris au hasard, mais en fait, il marche plutôt bien.
J’ai commencé par le II parce qu’il y était question de filles, et non plus de riches américains : quitte à regarder un film gore (ce que je fais rarement) je voulais être sûr de n’avoir aucun moyen de me protéger d’une douloureuse compassion.
Pas de pot : Hostel II n’est pas un film gore. C’est un bon film. Et, accessoirement, un film d’horreur. Les effets gores se comptent sur les doigts de la mains (ceux qui restent) et surtout, surtout, la construction du film avantage la peur sans prothèse et sans ketchup autant que le reste. Il faut attendre 45 minutes pour le magnifique bain de sang versé du dos d’une des nénettes, 45 premières minutes pendant lesquelles la peur naît de ce que vous vivez vous, mesdemoiselles, sans prothèses et sans ketchup, et qui pourtant vous angoisse : mecs lourds, affaires volées, copines irresponsables, tout ça.
On est en plein Boulevard de la Mort, c’est ici qu’on reconnaît la patte du Californien Violent (le surnommer devient vite un genre de hobby, en fait) : aux personnages féminins. Puisque comme Ridley Scott et James Cameron, Tarantino est un immense inventeur de femmes. Les 3 futures poupées découpées sont donc délurées, amusantes, crédibles en somme. Elles parlent pendant une moitié de film, se font charcuter dans l’autre. Diptyque que jouait à deux reprises le grand Boulevard de la Mort. Et le film s’achève sur une émasculation en règles, revanche métaphorisée de la femme moderne sur l’homme du passé - ici représenté par un homme d’affaire macho très années 90, mâtiné de bourreau médiéval. La fin de Stuntman Mike, encore et toujours. Il est là, le diptyque. Boulevard de la Mort / Hostel II. On ne les a pas assez comparés quand le Tarantino est sorti, il aurait fallu. Euh… Mais bon, ce n’est pas ce que je veux faire ici. Plus tard, plutôt.
Je reviens aux effets gores (parce que je tiens à vous donner envie de regarder le film, et que je sens que c’est ça qui vous constipe) : ils sont minimes. C’est un bon film, je vous le répète : Eli Roth sait qu’on ne fait plus peur avec du faux sang, simplement rire. On fait peur avec des pleurs, des supplications, avec le visage angoissé d’une fille se demandant où est passée sa copine depuis qu’elle a disparu avec l’autre, là - celui qui joue Viktor Krum dans Harry Potter 4 (on aurait tellement aimé qu’Hermione se fasse secouer comme ça dans le foutu film de Mike Newell.) (et puis, quelle bonne idée d’avoir servi Krum à Hannibal ! - vous comprendrez en voyant le film.) (je sais, les parenthèses, c’est mal.) (j’arrête)
Eli Roth va même jusqu’à revenir à la bonne vieille méthode qui consiste à cacher l’horreur pour vous la laisser l’imaginer, tenant compte de la loi selon laquelle ce qu’on imagine est toujours pire que ce qu’on voit - même si à notre époque du tout-images, ça devient de moins en moins vrai. Il y a donc un délicieux côté Old School - que l’on peut aussi imputer à QT - à cette scène où, sur un écran de surveillance, un bourreau lève un couteau de boucher devant le visage d’une victime, juste avant qu’un garde ne vienne cacher l’écran au moment où la lame s’abat. On échappe ainsi à la répulsion bête qui nous aurait rendu le film antipathique, et on reste open pour la suite.
Un mot sur le scénario : il n’est pas là pour vous surprendre. Côté Old School, disais-je, ici assez plaisant. On est dans Le Petit Chaperon Rouge, dans Hansel et Gretel, dans une cruauté de contes. Barbe-Bleue, tout ça. Le bain de sang, c’était le kif d’une comtesse hongroise, Bathory, à l’époque de Vlad Drakul. Ajoutez une touche de Frères Grimm… Délectez-vous dès lors de retrouver Igor, le serviteur bossu, et son double positif, le benêt du village qui ne pensait pas à mal mais qui, éconduit par une belle, se vengera. Le vantard qui se dégonfle vite —> “un conte s’achève sur une MORALITE” (cours de 6e). On est bien dans l’Est glacé de l’Europe, d’où viennent nos histoires. De la même manière que QT, lui, fait reposer ses films sur la culture pop des Etats-Unis, Eli Roth fait reposer le sien sur la culture pop de l’Est pauvre. Logique : au début d’Hostel II, des personnages regardent la scène de Pulp Fiction où Vincent Vega raconte à Jules son voyage en Europe. Dernière chose : il y a dans Hostel II une scène où le Grand Méchant directeur d’usine abat sommairement un gosse, tiré au hasard d’une troupe d’enfants perdus à la Peter Pan, version tzigane. Or qu’y a-t-il de plus cruel envers les enfants que les contes ? (Réponse : les films de Spielberg. Ce n’est pas un hasard si ce dernier est aussi attaché aux contes : Pinocchio, Peter Pan, Le Petit Chaperon Rouge, etc.)
Cette exécution sommaire rappelle cependant autre chose. Hostel II repose sur les contes, et sur un autre imaginaire venu d’Europe de l’Est. Je pense à celui des camps d’extermination. Hostel II montre une forme de meurtre devenu industriel, débarrassé du ludique malsain d’autres slasher movie, débarrassé de l’horreur prothèse/ketchup des Saw. La moralité du vantard qui se dégonfle n’est pas le point final. Après les contes, les camps. Le lâche, le sympa, Stuart, comme ils disent, s’avère le plus immonde des deux : c’est la banalité du Mal : Josef Mengele. Comme Tarantino qui lui aussi, avec Inglourious Basterds, a mis les pieds dans le plat en réalisant l’assassinat d’Hitler, Roth lui aussi, 3 ans plus tôt, avait pris à bras le corps le problème du poids de la Seconde Guerre Mondiale et de la Shoah dans les films d’horreur d’aujourd’hui. Alors, bien-sûr, il y aura des fous pour prendre au premier degré le plaisir de la torture. Mais Roth est ailleurs.
Les scènes de torture se déroulent d’abord dans une usine, premier symbole de la mort industrialisée. La jeune femme au bain de sang est apportée comme un cochon, pendue par les pieds, et saignée comme il se doit, nouvelle image de l’industrie. De la même manière qu’Inglourious B. rejouait le présent de la guerre en rendant possible le changement de l’histoire, Roth réinjecte le présent dans un passé risquant toujours d’être figé dans l’hommage. Celui des camps. Certains diront qu’il vaut mieux ça que Spielberg. Peut-être. Je m’en fous, ce n’est pas à moi qu’il faut demander de critiquer Schindler.
Je n’aime pas parler de la Shoah. J’ai toujours une peur bleue de dire des bêtises sans m’en rendre compte. Mais Hostel II y appelle. Je tenais à mettre en valeur un autre de ces films qui secouent les beaufs, rappelle que rien n’est jamais acquis, tout ça, qu’il n’y a de frontière à l’horreur que dans les films.
Première frontière : la musique. Sublime. Est = Violon, of course. La BO ressemble ici par moment au magnifique thème (composé après) de Drag Me to Hell. Quand à la lumière, elle est parfaite. On est loin de l’image documentaire qui vire à présent à la facilité dans l’horreur. Les reflets, les ombres dans les couloirs de l’usine, les cadrages et les caches à l’intérieur des cadrages : parfaits, vraiment. On est loin de la série B, même pour les 10 millions de dollars seulement qu’a coûtés le film.
Seconde frontière : le cynisme ludique. La victime devient bourreau. Elle se déguise en faucheuse. Elle n’arrive à s’en sortir que parce qu’elle est riche. Comme les filles de Boulevard de la Mort, qui étaient riches aussi. On fait un film de pauvres, dans un pays pauvre, mais on fait triompher les riches. Même chose avec Boulevard, qui voulait faire pauvre (Grindhouse) mais faisait triompher les riches (la cascadeuse, le mannequin… tout ça.)
Mmmh… Je crois que c’est tout. Bon et si je vous ai convaincues, évidemment (les lecteurs de ceci ayant été, j’en suis sûr, bien moins réticents), attendez-vous à quelques frissons, en plus du plaisir. Personne ne s’en prend aux yeux de personne, si c’est ce qui vous effraie. Mais le bruit du métal rouillé qui glisse contre la peau charnue du dos de la première demoiselle…
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