27 décembre 2009

Blondes



The private lives of Pippa Lee, Rebecca Miller, 2009.

The private lives of Pippa Lee se construit comme un jeu de poupées gigognes. Trois blondes. Une adolescente sans repères (Blake Lively) enfermée dans le corps et les manières d'une parfaite housewife au crépuscule de sa jeunesse (Robin Wright). Et derrière cette énigme à deux têtes, l'ombre d'une mère dépressive et étouffante (Maria Bello). Sans surprise, l'histoire de Pippa-Robin est coupée de flash-backs explicatifs plus ou moins bien amenés, mettant en scène Pippa-Blake domptée et Pippa-Maria reniée, désespérément aimée. Trois blondes portant avec plus ou moins d'aisance le tablier de la maîtresse de maison. Une mère et une fille qu'un film seul pouvait réunir au même âge, trop différentes et trop semblables. Entre les deux, la belle et triste jeunesse isolée, sans cohérence, pas vraiment vécue.


Commençons par là. La jeunesse, c'est Blake Lively, la blonde sans profondeur de Gossip Girl. Or, il y a une Gossip Girl dans Pippa Lee, comme il y a chez le directeur photo de Rebecca Miller un goût certain pour les couvertures de mode. Depuis Gossip Girl cependant, elle a appris à parler en ouvrant presque la bouche. Sans se départir de l' inspiration Vogue, Blake incarnant Pippa-image a bien, et c'est peut-être accidentel, cette élégance triste qui caractérise Pippa-ridée, Pippa-visage. En filigrane de quelques plans bien composés se lit une angoisse morbide de sa propre insignifiance, que relaie efficacement la surprenante séance photo de sm lesbien. Aussi l'absence de transition menant de Blake à Robin, qui pouvait apparaître comme un manque de subtilité, n'est que le reflet logique de l'histoire intime de Pippa : la jeunesse trop vive, trop richement prometteuse pour s'assumer, a été brutalement fixée, rangée dans le corps vieilli par nécessité de l'énigme.


Derrière elle, le spectre de la mère. Très beau personnage, admirablement servi par le jeu tout en nuances de Maria Bello, que cette mère dépressive asservie à ses médicaments, épuisante de contradictions que Pippa-enfant subit sans comprendre, que Pippa-adolescente fuit pour ne pas s'y découvrir. Desperate housewife le jour, tablier à fleurs et mise en plis millimétrée, étranglée dans le carcan de sa perfection trouble. Femme noyée la nuit, le visage délavé de maquillage épars, dans les violents débuts de la vieillesse.


Sanglée dans les pesantes apparences de l'équilibre, Pippa-Robin dissimule sous ses belles manières les séquelles contradictoires de ce double égarement. Mais en dépit de ce que pouvait suggérer le titre, il ne s'agit pas tant de révéler la Pippa Lee cachée que de donner à voir la dissimulation même. Cela, le film ne l'aurait jamais réussi à lui seul : pour quelques bonnes idées, en particulier sonores (l'accentuation des bruits du quotidien qui rendent inaudibles les mots des autres, quelque part entre Lynch et Tati), beaucoup de partis-pris plus discutables voire grotesques (la scène de jeu vidéo figurant l'émancipation de Pippa, les seconds rôles estampillés wannabe Woody Allen), et souvent peu originaux (la lecture freudienne du somnambulisme comme expression du ça brimé).

Robin Wright Penn y parvient sans effort, avec une sobriété et une élégance de jeu telles qu'il m'a rarement été donné de les voir. Dès les premiers instants, alors que le carcan social est encore pleinement fonctionnel, elle entame à coups de petits riens la lente déconstruction de son personnage. D'un geste un peu trop gracieux, d'un mot à peine trop aimable, d'un regard éloigné, elle donne à lire la douloureuse inadéquation entre le moi et ses formes.


Avant d'entrer dans la salle, j'avais parié sur un "film de rides", susceptible de gagner aisément à son actrice la gloriole si répandue d'oser montrer au public les marques de son âge. Les premières images me donnaient raison : un gros plan sur le visage de Robin Wright cerclé dans un miroir, et sur la main qui vient maquiller les rides, corriger l'oeil un peu tombant. Mensonge dénoncé du maquillage, vieillissant la jeunesse en souffrance, décomposant dans les larmes de rage les traits anticipés de la vieillesse.
Il n'était pas plus surprenant que le film raconte ce rajeunissement de la dernière chance qui tente toutes les femmes de cinquante ans, la fuite en avant contre le temps qui passe, l'homme jeune contre le vieux mari, l'envol en bohème. Ce qui est surprenant, c'est que le rajeunissement se soit en effet produit pour nos yeux.

The private lives of Pippa Lee met en scène une actrice jouant une actrice qui trouve enfin, lentement, le courage de renoncer à ce personnage rassurant auquel elle s'était tant bien que mal réduite, et derrière lequel elle s'estompait, jusqu'à disparaître. Décomposant son rôle, elle rend à son corps domestiqué l'abandon condamné de l'adolescence, et, de fissure en fissure, accède enfin à la jeunesse, à rebours. Les petits riens de spontanéité qui trahissaient la présence en sommeil de la vraie Pippa viennent peu à peu parasiter les belles manières, et se substituer à elles, au point que la grossière symétrie de structure entre le premier et le dernier plan, entre le visage ridé et le visage transfiguré, lissé par le soleil et la joie naissante, se laisse sereinement accepter. La métamorphose s'est déroulée sous nos yeux. La parfaite ménagère, et l'actrice avec elle, sont revenues à ces temps de crainte et d'ivresse où l'on ne savait pas quoi faire de ses mains. C'est en acceptant de ne plus fuir ses vingt ans que Pippa Lee entre dans la vieillesse. Je ne suis pas certaine qu'il faille en tirer une grande leçon de vie. Mais quelle leçon d'élégance...


Noémie.

1 commentaire:

Elise a dit…

Tu as réussi à planquer une subreptice allusion à Woody Allen avec un tel aplomb que j'en reste rêveuse.