Avatar et les rêves
Avatar, de James Cameron
(Avatar, acte II)

On se souvient de Rose, sur la proue du Titanic. Les bras écartés sur le navire qui fendait un océan bleu Na’vi, elle s’écriait avec émerveillement : « I’m flying ! » - puis, au gré d’un fondu, se désintégrait, engloutie sous la surface avec le temps, et son voile qui battait au vent se retrouvait soudain morceau d’algue dans les abysses. C’est ici que revient James Cameron, dès la première réplique d’Avatar : « I started having these dreams of flying. » Jake Sully aussi voudrait voler. Le même sort lui sera réservé qu’à Rose, quand des graines de l’arbre de vie viendront se poser sur ses bras avec une grâce de méduses, l’incluant dans un univers tenant de l’air comme de l’eau. Pandora est planète aérienne et planète sous-marine ; les plantes luminescentes y brillent comme les baudroies et les anges d’Abyss.
Le passage à la 3D dont rêvait Cameron a toujours été celui-là, celui-ci d’un déplacement désespérément humain sur la surface plane, 2D, de

Avatar est conçu pour susciter le bonheur de manière animale. On peut voir là un versant de la nécessité de parler aux foules, un avatar du commerce forcené et répugnant. C’est aussi une manière de vouloir s’adresser à une communauté, humaine, terrestre ; versant écologique de l’œuvre : nous partageons une même planète, nous sommes un groupe d’animaux. Et Cameron de parler à l’animal en nous en proposant une jouissance profondément désintellectualisée ; en un mot : un bonheur d’enfant. « You’re like a child », reproche Neytiri à Jake, qui s’amuse à tambouriner sur les fleurs luminescentes pour leur faire rendre plus de lumière. Des grands aliens de Cameron aux Maximonstres de Jonze, sortis au cinéma le même jour, il n’y a qu’une légère différence (oui, oui... et quelques dollars) dans la manière d’écrire un nouvel hymne à l’enfance.
Ce bonheur désintellectualisé prend ses racines dans un enthousiasme profond chez le spectateur. C’est d’abord le bonheur de l’homme paralysé qui retrouve ses jambes : première scène de course, de libération, écho de la scène de libération de Jack, le paria devenu king à la proue du Titanic. Et nous avons déjà évoqué l’envol, figure fondamentale des rêves comme des films de Cameron, qui s’effectue, sur Pandora, à dos de banshee. On peut ici se demander si on n’a pas imposé à James Horner de reprendre la musique de Titanic – le thème est le même, à une note près - pour envoyer au public l’idée que le même succès est visé. Se crée alors un certain hiatus entre le peu d’originalité – qui n’a rien à voir avec l’efficacité, oh que non – de la musique, et la révolution des images. Peu importe. Nul besoin d’inventer un nouveau langage musical pour accompagner le langage des Na’vi, aux accents tantôt tahitiens, tantôt égyptiens, inventé par un linguiste à 100 000 dollars de l’heure : l’histoire se déroule dans un monde où la communication verbale importe finalement peu puisqu’elle se fait par le lien, tsaheylu, Jake ! effectué avec l’environnement, qu’il s’agisse d’animaux, d’arbres, et – la scène de sexe est encore plus pudique que celle qui précède l’iceberg – d’êtres entre eux. A la fin, quand les Na’vi ondulent, assis en rond autour du corps de Jake déposé au pied de l’arbre, un travelling survole les mains en 3D de la tribu, qui donnent alors l’impression troublante d’être celles de la personne assise devant nous, dans le cinéma. Nous avons tous les mains levées, et communions tous devant ce qui se trouve en profondeur, qu’un écran nous sépare de ce point de fuite, ou non. Et cette volonté (j’allais écrire : volupté) d’immersion dans un monde imaginaire, nombre d’entre nous ne l’avait pas ressentie depuis l’enfance.


Des années 80, on retrouve aussi le choix du clin d’œil à Michael Jackson, cité lorsque Jake dompte l’un des énormes mastodontes à tête de requin marteau : « Who’s bad ?! », s’exclame-t-il en bombant le torse : le film était en cours de postproduction quand le King est mort.

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Le Baiser au Graal
(Avatar, acte III)

Pandora, c’est à la fois celle qui a tous les dons et celle qui a libéré les maux. Pandora, la planète, est donc un Eden, où tout est parfait, et le lieu où l’on en revient à l’origine du Mal : Cameron signe son entrée dans le cinéma post-11-Septembre en proposant une nouvelle métaphorisation de l’événement la plus titanesque à ce jour. Le Home Tree s’effondre, recouvre la jungle de cendres… Seulement ici, les terroristes sont américains, et les humains finalement chassés de Pandora ne sont autres que nous, pauvres spectateurs, chassés du cinéma, aliens de chair et d’os plutôt que d’images de synthèse. Avatar fait planer, cependant Cameron y ménage un sol où nous pourrions nous écraser. De la même manière, Cameron raconte l’histoire la plus chère jamais créée, en y ménageant une charge contre la technologie et l’argent sans lesquels cette histoire n’aurait jamais vu le jour.
Entouré par la nécessité du commerce, le film, du logo 20th Century Fox qui l’ouvre à la chanson pourave qui le clôt, n’a d’autre choix que d’être traversé par elle, de la mettre en scène, de la même manière que la création d’un nouvel être humain est mise en scène. Le processus était exactement identique sur Jurassic Park, qui racontait la recréation des dinosaures et les pressions commerciales entourant une telle avancée. Si Steven Spielberg trouvait son avatar au cinéma à travers la figure de Richard Attenborough, réalisateur incarnant le démiurge John Hammond, la figure de James Cameron est ici incarnée par son ancienne actrice fétiche, Sigourney Weaver : son personnage de scientifique, Grace Augustine, partage avec lui sa fascination pour la technologie (il faut la voir faire des prélèvements sur les plantes, au début du film : « Amazing, isn't it ? ») - et, surtout, le fait qu’elle doit accepter l’argent de la compagnie minière pour financer ses recherches. Au sommet de la technologie, Avatar est-il une fable anti-technologique ? Je préfère dire ça sous forme de question puisque, on l’a vu, il ne s’agit pas de rejeter la technologie, mais de l’incorporer. Film le plus cher de l’histoire, Avatar est en tout cas une fable sur la cupidité.

Ben Button (tiens, Fincher, encore lui – ô, small world !) a eu l’Oscar pour avoir atteint le Graal, le premier. Vous ne le saviez peut-être pas : dans l’intégralité des plans où le visage de Brad Pitt est posé sur un corps de nain, il s’agit d’une tête 100% Computer Generated (on dit CG, ok ?) - comme celle de Jake, comme celle de

Autre chose. Les acteurs devaient jouer en permanence avec une caméra devant le visage, fixée au casque qu’ils portaient, où se trouvaient quelques capteurs et de fausses oreilles de Na’vi. Ainsi la scène du baiser entre Worthington et Saldana fut-elle impossible à jouer: les caméras se touchaient, empêchant le visage des acteurs de s’approcher. Ils durent jouer le baiser à
Histoire de création prométhéenne, Avatar porte avec lui une nouvelle poésie du making-of... Cameron met en scène une histoire, mais aussi la création de son histoire – les points communs avec Jurassic Park vont beaucoup plus loin que quelques rugissements, qui ne sont finalement que les indices de cette parenté plus profonde. Placer un humain dans un coffre pour le changer en Na’vi revient exactement à placer un acteur dans un costume pour le changer en image de synthèse. Le sarcophage incinéré du frère et celui où Jake se connecte, filmés sous le même angle au début du film, sont clairement liés : on brûle le corps humain pour créer le corps na’vi. On ne remplace vraiment que ce qu’on détruit, selon le dicton. Un des premiers plans du film montre un cadavre enfermé dans une boîte que l’on brûle pour le détruire. C’est fondamental : on détruit la création de Dieu, pour la remplacer par celle de l’homme.

C’est la raison pour laquelle les images de synthèse fonctionnent comme jamais, que l’illusion n’a jamais été aussi parfaite, aussi belle : humains, monstres, décors, tout est sur le même plan de réalité. Avatar est la réponse à tous ceux qui se sont amusés à dire, pour dire du mal des acteurs sans en avoir l’air, de Star Wars : Episode I à 2012 : les effets spéciaux sont plus crédibles que les acteurs ! « One life ends, another begins. », dit la voix-off. Comme Jake, l’humain réapprend à marcher, « like a child »… Il réapprend à parler, à se mouvoir, redécouvre la sexualité, redécouvre la mort et l’engagement, jusqu’à ce travelling final qui conduit au cadrage parfait des yeux ouverts de Jake, la caméra posée sur ses lèvres, comme en un baiser du spectateur à son visage de Graal.
La bataille finale d'Avatar s’achève sur une image d’une confondante beauté. Une piéta : Neytiri, aux mêmes proportions que

Camille