On n'est pas ici pour parler politique, rassurez-vous. Mais, vous commencez à nous connaître, tous les chemins mènent à Hollywood : Tempête de Boulettes Géantes, sorti l'année dernière, semblait déjà annoncer cette métamorphose de l'action écolo en guérilla rhétorique. D'autant que la farce de chez Sony (Tempête de BG est l'un de ces rares films d'animation 3D à n'être ni Pixar, ni Dreamworks) était sortie à quelques semaines d'intervalle du Syndrome du Titanic, LA pièce majeure de l'artillerie Hulot. On avait écrit là-dessus. Ca donnait ça :
Le Syndrome du Titanic, de Jean-Albert Lièvre et Nicolas Hulot
Tempête de Boulettes Géantes, de Chris Miller et Phil Lord.
Ils exagèrent, hein ?
L’une des nombreuses et illustres voix-off commentant les images du Syndrome du Titanic est celle de Théodore Monod (1902-2000, et toc). L’ethnologue explique que l’un des plus grands scandales dont notre civilisation se soit rendue coupable a été de ne plus se poser la question de la légitimité de la création technologique. Lorsque quelque chose est possible, comme cette tour d’un mile de haut en Arabie, on ne se demande plus si l’on peut se permettre de le faire ou non, on le fait. C’est exactement ce qu’illustre le dernier-né des studios Sony Imageworks, Tempête de Boulettes Géantes : Flint Lockwood, savant fou, veut devenir célèbre, peu importe le moyen. Il invente toutes sortes de choses dont il ne mesure pas les conséquences – à commencer par une paire de chaussures faciles à enfiler mais impossible à enlever – pour en arriver à cette machine qui transforme l’eau en nourriture, métaphore très appuyée de la société de consommation et de l’abondance insensée qui en découle.
Ce sont là les deux pôles du discours alarmiste que tout bon écologiste se doit de tenir aujourd’hui : le premier est idéaliste – Nicolas Hulot, au début, se demande encore pourquoi les humains, exceptions merveilleuses à l’échelle du cosmos, ne se serrent pas tous les coudes comme des frères -, le second est plutôt cynique – l’absurde apparaissant comme la seule règle du monde, présidant aux actions (la litanie d’infinitifs prononcée par le héros) comme aux sentiments (le père parvient à déclarer son amour à son fils grâce au vocalisateur de pensées d’un singe). L’idéalisme du premier est apaisé par un discours désabusé (notre planète est « désespérément » petite) et baigne dans une mélancolie qui est la raison pour laquelle Le Syndrome du Titanic n'a pas trouvé son public, contrairement à Home qui exaltait la beauté de toute chose, y compris de la pollution. Le cynisme du second est apaisé par l’humour et l’apparente puérilité de l’histoire : pluie de sushis, pancake écrasant l’école, personnage du sidekick animalier cher à la tradition Disney.
Ces deux films partagent une violence singulière. Jusqu’à Home, les films et documentaires écolos – d’Un Jour sur Terre à Une Vérité qui Dérange en passant par Le Jour d’Après – trouvaient toujours différents moyens d’épargner le spectateur : respectivement par une absence totale de la présence humaine, des sujets people faisant diversion ou la survie d’une moitié de l’humanité. Da la même manière qu’Emmerich, dans le très beau et très con 2012, n'a même pas laissé survivre l'équivalent de la moitié de la population parisienne, Le Syndrome du Titanic et Tempête de Boulettes Géantes se montrent impitoyables.
Cela tient d’abord à une brutalité que l’on n’attend pas au sein du genre. Le premier film, documentaire écolo, est censé présenter la nature avec poésie et douceur : les raccords entre image de fœtus et déflagration atomique, chiens en cages et hommes en cage, accompagnés d’un discours en voix-off qui ne laisse aucune alternative à celui qui l’écoute, tranchent avec les attentes façon Ushuaïa du spectateur. Le second, film d’animation visant donc un public plutôt jeune, s’abandonne parfois à des dérives d’humour noir franchement dérangeantes : lorsque Flint fait neiger des boules de glace, il découvre les joies de la bataille de boules de neige. Il découvre surtout qu’il faut les lancer suffisamment fort pour qu’elles éclatent. Le voilà soudain pénétrant de force dans la maison d’une mère au foyer, qu’il terrasse d’une boule, avant d’aller trouver les deux enfants qui regardent la télé, et de leur jeter au visage, le plus fort possible, deux autres boules. Tant que le second enfant ne s’est pas effondré après avoir titubé, effaré par l’irruption de cet inconnu fou, le plan ne s’arrête pas. On se croirait dans Elephant. Le Syndrome du Titanic évoque d’ailleurs l’un de ces tueurs de campus, le finlandais de septembre 2008. Comme si l’écologie, devenue plus dure, portait avec elle la folie meurtrière aveugle comme métaphore de la destruction de la planète par ses habitants.
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Cette violence singulière passe ensuite par une volonté nouvelle de donner à penser la multitude qui résulte de l’accumulation. Home reposait sur des plans zénithaux du sol ne représentant jamais que des espaces fragmentés, proposant une véritable esthétique du morcellement qui produisait la sensation troublante d’une osmose entre l’œuvre de la nature et celle de l’homme. On finissait par s’imaginer « une planète infinie », exactement comme Hulot quand il était naïf. Ce dernier trouve cependant la planète « désespérément petite », car son film va bien plus loin que le bidule bessionien vendu 4 euros dans la queue des Fnac comme les Ricola au Monoprix (je parle de Home, oui). Il ne montre pas le morcellement, il montre le chaos dans la prolifération,
sans craindre l’illisibilité. C’est le cas d'un plan de Lagos.
Quelque part, six ou sept immeubles sont les mêmes, à côté d'une mare noire constituée de taudis, qui s’étend jusqu’à quelques immeubles se ressemblant aussi. Qu’il s’agisse des pieds des passants filmés au ras du sol ou du milliard de voitures circulant sur terre, il ne s’en tient jamais aux chiffres : les images viennent donner corps, non pas à l’inconcevable notion de milliard, mais à la notion de la multitude. C’est le cas du très joli plan partant de l’arrière d’une rame de la ligne 14, à Paris. Un autre métro croise celui où est posée la caméra. Quelques instants encore, on regarde défiler les loupiotes du tunnel, qui soudain se multiplient. Encore, et encore. Jusqu’à former un amas d’étoiles, une galaxie. Sorti du souterrain, voilà le spectateur plongé dans un travelling non pas sans fin, mais extrêmement long, révélant le nombre des étoiles autour desquelles la vie ne s’est pas développée (il y a vaguement le même dans Océans, d'ailleurs, maintenant que j'y repense, mais la référence est évidemment le finale de Men In Black).
Quant au film d’animation, c’est par la comparaison avec l’autre film qui avait numérisé les aliments, Ratatouille, qu’il parvient à cet étourdissement devant la multitude devenue concrète, charnelle et puante, puisque le film de Pixar visait à redonner un goût, une singularité, une valeur aux aliments, tandis que Tempête de Boulettes Géantes fait strictement l’inverse. Ratatouille reposait sur la complexité de la cuisine, Tempête se situe à l’opposé avec ses plats qui tombent des nuages. La légèreté de l’histoire de rats est devenue lourdeur, pesanteur dangereuse. Lorsque les steaks pleuvent dans le restaurant à ciel ouvert, ils ne tombent d’abord que dans les assiettes, comme dans tout cartoon qui se respecte. Puis ils deviennent de plus en plus gros, effet cartoon, toujours. Puis ils tombent sur la tête des clients, effet comique garanti. Puis ils tombent sur leurs verres à vin : l’effet comique disparaît avec un éclat de verre, et la moue inquiète de la femme qui ne tient plus qu’une coupe brisée.
Ajouter des conséquences funestes aux effets comiques est l’une des trouvailles de ce dessin animé qui s’inscrit ainsi, sous couvert d’en parodier les fers de lance, dans la mouvance du discours écolo alarmiste : ce que l’on fait, ce que l’on construit, a des conséquences. Même chose avec Hulot qui montre les conséquences de l'accumulation magnifiée dans Home.
Accumulation, destruction.
Aujourd'hui les DVD sont à 20 euros, vous pouvez vous jeter dessus. Vous passerez à la fois un très bon moment, et un sale quart d'heure. Dans les deux cas, vous ne l'aurez pas volé.
Camille
Le Syndrome du Titanic, de Jean-Albert Lièvre et Nicolas Hulot
Tempête de Boulettes Géantes, de Chris Miller et Phil Lord.
Ils exagèrent, hein ?
L’une des nombreuses et illustres voix-off commentant les images du Syndrome du Titanic est celle de Théodore Monod (1902-2000, et toc). L’ethnologue explique que l’un des plus grands scandales dont notre civilisation se soit rendue coupable a été de ne plus se poser la question de la légitimité de la création technologique. Lorsque quelque chose est possible, comme cette tour d’un mile de haut en Arabie, on ne se demande plus si l’on peut se permettre de le faire ou non, on le fait. C’est exactement ce qu’illustre le dernier-né des studios Sony Imageworks, Tempête de Boulettes Géantes : Flint Lockwood, savant fou, veut devenir célèbre, peu importe le moyen. Il invente toutes sortes de choses dont il ne mesure pas les conséquences – à commencer par une paire de chaussures faciles à enfiler mais impossible à enlever – pour en arriver à cette machine qui transforme l’eau en nourriture, métaphore très appuyée de la société de consommation et de l’abondance insensée qui en découle.
Ce sont là les deux pôles du discours alarmiste que tout bon écologiste se doit de tenir aujourd’hui : le premier est idéaliste – Nicolas Hulot, au début, se demande encore pourquoi les humains, exceptions merveilleuses à l’échelle du cosmos, ne se serrent pas tous les coudes comme des frères -, le second est plutôt cynique – l’absurde apparaissant comme la seule règle du monde, présidant aux actions (la litanie d’infinitifs prononcée par le héros) comme aux sentiments (le père parvient à déclarer son amour à son fils grâce au vocalisateur de pensées d’un singe). L’idéalisme du premier est apaisé par un discours désabusé (notre planète est « désespérément » petite) et baigne dans une mélancolie qui est la raison pour laquelle Le Syndrome du Titanic n'a pas trouvé son public, contrairement à Home qui exaltait la beauté de toute chose, y compris de la pollution. Le cynisme du second est apaisé par l’humour et l’apparente puérilité de l’histoire : pluie de sushis, pancake écrasant l’école, personnage du sidekick animalier cher à la tradition Disney.
Ces deux films partagent une violence singulière. Jusqu’à Home, les films et documentaires écolos – d’Un Jour sur Terre à Une Vérité qui Dérange en passant par Le Jour d’Après – trouvaient toujours différents moyens d’épargner le spectateur : respectivement par une absence totale de la présence humaine, des sujets people faisant diversion ou la survie d’une moitié de l’humanité. Da la même manière qu’Emmerich, dans le très beau et très con 2012, n'a même pas laissé survivre l'équivalent de la moitié de la population parisienne, Le Syndrome du Titanic et Tempête de Boulettes Géantes se montrent impitoyables.
Cela tient d’abord à une brutalité que l’on n’attend pas au sein du genre. Le premier film, documentaire écolo, est censé présenter la nature avec poésie et douceur : les raccords entre image de fœtus et déflagration atomique, chiens en cages et hommes en cage, accompagnés d’un discours en voix-off qui ne laisse aucune alternative à celui qui l’écoute, tranchent avec les attentes façon Ushuaïa du spectateur. Le second, film d’animation visant donc un public plutôt jeune, s’abandonne parfois à des dérives d’humour noir franchement dérangeantes : lorsque Flint fait neiger des boules de glace, il découvre les joies de la bataille de boules de neige. Il découvre surtout qu’il faut les lancer suffisamment fort pour qu’elles éclatent. Le voilà soudain pénétrant de force dans la maison d’une mère au foyer, qu’il terrasse d’une boule, avant d’aller trouver les deux enfants qui regardent la télé, et de leur jeter au visage, le plus fort possible, deux autres boules. Tant que le second enfant ne s’est pas effondré après avoir titubé, effaré par l’irruption de cet inconnu fou, le plan ne s’arrête pas. On se croirait dans Elephant. Le Syndrome du Titanic évoque d’ailleurs l’un de ces tueurs de campus, le finlandais de septembre 2008. Comme si l’écologie, devenue plus dure, portait avec elle la folie meurtrière aveugle comme métaphore de la destruction de la planète par ses habitants.
Vous êtes ici -->
Cette violence singulière passe ensuite par une volonté nouvelle de donner à penser la multitude qui résulte de l’accumulation. Home reposait sur des plans zénithaux du sol ne représentant jamais que des espaces fragmentés, proposant une véritable esthétique du morcellement qui produisait la sensation troublante d’une osmose entre l’œuvre de la nature et celle de l’homme. On finissait par s’imaginer « une planète infinie », exactement comme Hulot quand il était naïf. Ce dernier trouve cependant la planète « désespérément petite », car son film va bien plus loin que le bidule bessionien vendu 4 euros dans la queue des Fnac comme les Ricola au Monoprix (je parle de Home, oui). Il ne montre pas le morcellement, il montre le chaos dans la prolifération,
sans craindre l’illisibilité. C’est le cas d'un plan de Lagos.
Quelque part, six ou sept immeubles sont les mêmes, à côté d'une mare noire constituée de taudis, qui s’étend jusqu’à quelques immeubles se ressemblant aussi. Qu’il s’agisse des pieds des passants filmés au ras du sol ou du milliard de voitures circulant sur terre, il ne s’en tient jamais aux chiffres : les images viennent donner corps, non pas à l’inconcevable notion de milliard, mais à la notion de la multitude. C’est le cas du très joli plan partant de l’arrière d’une rame de la ligne 14, à Paris. Un autre métro croise celui où est posée la caméra. Quelques instants encore, on regarde défiler les loupiotes du tunnel, qui soudain se multiplient. Encore, et encore. Jusqu’à former un amas d’étoiles, une galaxie. Sorti du souterrain, voilà le spectateur plongé dans un travelling non pas sans fin, mais extrêmement long, révélant le nombre des étoiles autour desquelles la vie ne s’est pas développée (il y a vaguement le même dans Océans, d'ailleurs, maintenant que j'y repense, mais la référence est évidemment le finale de Men In Black).
Quant au film d’animation, c’est par la comparaison avec l’autre film qui avait numérisé les aliments, Ratatouille, qu’il parvient à cet étourdissement devant la multitude devenue concrète, charnelle et puante, puisque le film de Pixar visait à redonner un goût, une singularité, une valeur aux aliments, tandis que Tempête de Boulettes Géantes fait strictement l’inverse. Ratatouille reposait sur la complexité de la cuisine, Tempête se situe à l’opposé avec ses plats qui tombent des nuages. La légèreté de l’histoire de rats est devenue lourdeur, pesanteur dangereuse. Lorsque les steaks pleuvent dans le restaurant à ciel ouvert, ils ne tombent d’abord que dans les assiettes, comme dans tout cartoon qui se respecte. Puis ils deviennent de plus en plus gros, effet cartoon, toujours. Puis ils tombent sur la tête des clients, effet comique garanti. Puis ils tombent sur leurs verres à vin : l’effet comique disparaît avec un éclat de verre, et la moue inquiète de la femme qui ne tient plus qu’une coupe brisée.
Ajouter des conséquences funestes aux effets comiques est l’une des trouvailles de ce dessin animé qui s’inscrit ainsi, sous couvert d’en parodier les fers de lance, dans la mouvance du discours écolo alarmiste : ce que l’on fait, ce que l’on construit, a des conséquences. Même chose avec Hulot qui montre les conséquences de l'accumulation magnifiée dans Home.
Accumulation, destruction.
Aujourd'hui les DVD sont à 20 euros, vous pouvez vous jeter dessus. Vous passerez à la fois un très bon moment, et un sale quart d'heure. Dans les deux cas, vous ne l'aurez pas volé.
Camille
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