
Je vous préviens, je raconte la fin.
Il y a beaucoup de choses qui peuvent choquer dans Shutter Island : rats, noyade, orage, musique de John Cage. Pourtant ce n’est pas ça le pire. Dans le film, les personnages redoutent plus que tout la lobotomie transorbitale : une lame infiltrée sous votre œil avec laquelle on vous gratte quelques fibres nerveuses, ça vous rend docile. Je ne sais pas si je suis devenu docile, mais le film qui m’est passé par l’œil m’a drôlement secoué. Je n’ai pas eu peur des rats, ni de la noyade, ni même du noir. La peur qui est restée est clairement liée à l’impression d’avoir été aussi fou que le personnage principal, pendant toute la durée du film.
Des films à twist de ce genre-là, il y en a plein, à commencer par Sixième Sens ou Dark City, et le moment où l’on réalise que tout ça n’était qu’un vaste foutage de gueule est toujours celui que l’on préfère. Ici, le twist n’est pas là pour faire frémir le spectateur, il est l’objet de la quête d’absolument tout le monde sur l’île – à l’exception du personnage principal.
Ce n’est pas seulement une question de critique. Qu’on envisage d’écrire sur un film ou qu’on soit simplement en train de le regarder pour se détendre, on essaie de comprendre du mieux qu’on peut. On met du sens un peu partout, on s’attache à choper ici et là un ou deux détails qui pourraient faire office de symboles, ou alors des répliques synthétiques et/ou prophétiques. Dans Shutter Island, « Madness is catchy », « Who raised you ? – Wolves », je ne sais pas moi, je suis le plus nul de France en matière de romans à énigme, mais j’essaie de comprendre quand-même parce que, ce qu’il y a d’agréable dans les films, c’est qu’on est sûr qu’il y a du sens quelque part, que les choses n’ont pas été mises ou laissées là par hasard. Il y a un scénario. C’est extrêmement rassurant. Dans la vraie vie, chercher le scénario est vain, il n’y a pas de trame, et pas de symboles, juste des coïncidences.

Alors on est là, avec Di Caprio, et on cherche les symboles – les indices. Puisqu’il s’agit d’une enquête. Il y a bien quelques failles dès le départ, des questions sans réponse que les détectives, pourtant perspicaces, ne posent même pas. Quelque chose sur la légitimité de leur enquête, j’ai oublié quoi. Mais de toutes façons, ça dégénère très vite, l’enquête prend des airs de mascarade pour de bon, les docteurs ne coopèrent pas et les deux inspecteurs se retrouvent en tenue de malades. On continue, pourtant, malgré la blouse blanche et la résolution de l’enquête initiale, à chercher des indices pour « comprendre » le film. Du côté des acteurs, par exemple.
Di Caprio joue à la fois la folie d’Aviator et l’extrême violence des Infiltrés. Sa façon de cligner des yeux en fronçant le nez ; sa façon d’asséner les coups de poing comme Joe Pesci dans Les Affranchis. Ah, la violence, toujours au cœur du cinéma de Scorsese. « Dieu aime la violence » - sacré Marty, il n’y a que chez lui qu’on pouvait entendre ça. La religion et les coups. – Mais c’est une espèce de militaire nazi qui dit ça. – C’est vrai, alors on prend on compte une possible ironie, une désillusion, un éventuel virage dans la représentation de la violence due à la présence dans le film de la Shoah. Comme Tarantino avec Inglourious Basterds, on se dit qu’on tombe sur un réalisateur connu pour avoir été au cœur des débats sur la violence rendue séduisante mettant les pieds dans le plat du « plus grand scandale de l’humanité » (dixit Kubrick).
Notre enquête continue. Ben Kingsley, par exemple. Ben Kingsley, c’est quoi ? Gandhi, oui, mais encore ? Voilà : Ben Kingsley, c’est celui qui a joué, la même année (1993) un Juif dans La Liste de Schindler (Spielberg), et un tortionnaire dans La Jeune Fille et la Mort (Polanski). Ce qui constitue un écart assez impressionnant. Alors, de la même manière qu’on se demande si Di Caprio est du côté du fou d’Aviator ou du policier des Infiltrés, on se demande si Kingsley est du côté du Juste de Schindler ou du monstre de La Jeune Fille et la Mort. Sur Shutter Island, est-ce qu’on torture les malades, ou est-ce qu’on les sauve ? Et c’est pareil avec Von Sydow : est-il celui qui vient libérer du mal (L’Exorciste), ou celui qui en est la source (Minority Report) ? On hésite, on hésite, et en attendant, on se fie à Teddy Daniels, le détective Don Quichotte qui explique tout à Mark Ruffalo, Sancho Pança de service. Euh, Sancho Pança, vraiment ?
Puisque j’ai l’air de vouloir m’attacher aux acteurs, continuons dans cette voie. Mark Ruffalo, oui. C’est quoi, Mark Ruffalo ? C’est 1) Collateral 2) Zodiac et 3) Eternal Sunshine of the Spotless Mind. Soit un flic qui réussit mais se fait buter, un flic qui survit mais qui échoue, et… un manipulateur de neurones. Le détenteur d'une vérité sur les autres (sur Kirsten Dunst dans le film de Michel Gondry). Jim Carrey sous un casque, voyageant dans ses souvenirs, et Ruffalo en espèce de neuro-psychiatre, vous connaissez tous le film à cheveux bleus de Gondry. Là, on pourrait tiquer. Pourquoi ? Parce que sous le casque, je l’ai dit, il y a Jim Carrey. Et Jim Carrey, c’est quoi ? C’est Yes Man ? Oui, mais non. C’est Philip Morris ? Ah, vous chauffez. Alors ? Oui ! Vous avez trouvé ! Jim Carrey, c'est Truman Show (Peter Weir, 1998), soit l’histoire d’un type autour duquel tout est mis en scène, au cœur d’une immense machination, au cœur des regards, au centre des caméras… Exactement, au millimètre près, comme Di Caprio dans Shutter Island. Et puis, vous savez ce que ça veut dire, shutter, en anglais ? Oui, volet, oui. Le shutter désigne aussi un élément des appareils photos, l’obturateur. C’est en manipulant l’obturateur que l’on obtient des images surexposées du style de celles que voit Daniels quand il a ses migraines. Attendez.
J’ai dit : « au millimètre près » ; j’ai exagéré. Truman Show et Shutter Island diffèrent dans la mesure où, dans le premier, la mise en scène vise à maintenir un mensonge, tandis que dans le second, elle veut faire éclater la vérité, jouer le mensonge jusqu’à saturation de ce mensonge - donner chair au mensonge pour en démontrer l’absurdité. Chez Scorsese, comme le dit Jack Nicholson dans Les Infiltrés : « this is not reality-TV !!! » - c’est-à-dire, pas un mensonge qui ment en prétendant être la réalité, mais un mensonge qui dit la vérité en ne prétendant être rien d’autre qu’un mensonge. D’ailleurs, je parle de Jack Nicholson. Autre indice ! Autre fausse piste. Parce que, Jack Nicholson, c’est quoi ? C’est Les Infiltrés, oui, c’est bien, vous suivez. Mais c’est aussi Vol au-dessus d’un Nid de Coucous (Forman, 1975). C’est-à-dire, pour résumer, que Scorsese avait employé, dans son film précédent, un acteur connu pour s’être fait lobotomiser. Ce qui ajoute une aura de lobotomie autour de Shutter Island. C’est cependant un énorme piège. Scorsese se joue de nous, et c’est ce qui a été violent, c’est la raison pour laquelle j’ai eu du mal à dormir après. Je décryptais le film avec la même bonne volonté que le fou.
Il y a des gens qui se moquent des 20 dernières minutes. Mais si elles n’avaient pas été là, on serait ressortis de la salle plutôt peinards, non ? On aurait vu un fou, traumatisé par les camps de la mort, resté fou, fini fou. Et nous, bye-bye, merci Martin. On aurait été conforté dans l’idée que les fous doivent être enfermés, guéris aux médocs, et que l’utopiste du film, joué par Kingsley, est un doux dingue. Seulement sa méthode est un succès : Teddy Daniels guérit. Et ce qu’il y a de terrible, c’est la bonne volonté avec laquelle il veut guérir. Il ne demande que cela, exactement comme vous et moi le ferions. Au sommet du phare, quand sa main tremble et qu’il demande, then what the fuck is that ? Kingsley répond calmement : Chlorpromazine. - What ?!! Oui, qui se fout de nous ? On en doute aussi longtemps que Di Caprio, pas une seconde de moins, pas une de plus. C’est extrêmement gênant.

On ressent la violence avec laquelle Scorsese a construit un faux film de Scorsese. De ça aussi bon dieu, on aurait pu s’en douter : il n’y avait jamais de jazz. Scorsese est connu, comme Tarantino, pour les musiques exceptionnelles qu’il exhume des juke-boxes. Là, il n’y avait guère que de la musique classique. Where’s the jazz ? Jamais, nulle part, sauf… Sauf : lors du retour à la réalité, lors de cet atroce flash-back épiphanique – s’il-vous-plaît, je ne veux même pas en reparler -, que Di Caprio rentre dans sa cabane, s’enfile un verre de whisky, etc. Le jazz revient quand Scorsese recommence à filmer la même réalité que celle qu’il filme habituellement, et qui n’est plus une mise en scène pour un fou.
Une mise en scène dont on a été dupes pendant très longtemps. Et le fait est là. On se sent fou. D'autant plus fou que dans ce Scorsese-là, tout le monde ne l'est pas. Troublante, cette présence des intellectuels. Dans Les Infiltrés, il n’y en avait pas. Comme dans Raging Bull, comme dans Les Affranchis, il n’y avait personne de plus éduqué que les autres pour décortiquer les comportements, apaiser les malentendus. You fuck my wife, c'est par exemple l'un des plus grands malentendus de l'Histoire. Alors, il y avait bien Katharine Hepburn / Cate Blanchett dans Aviator, qui mettait Di Caprio / Hughes tellement mal à l’aise, mais c’est à peu près tout. Ici, Di Caprio reprend en partie son rôle d’homme de violence, mais il est regardé. On pense regarder une nouvelle création scorsesienne, alors qu’on regarde un cobaye.
Ce nazi qui parlait de violence dans la jeep (vous savez : « sacré Marty, il n’y a que chez lui qu’on pouvait entendre ça ») n’était qu’un gardien partisan de la solution radicale qui s’avèrera la meilleure, celle que choisira Di Caprio. Laeddis, l'homme à la balafre, n'est pas joué par De Niro, mais par Elias Koteas. Il lui ressemble : vous avez douté, vous auriez pu être dupés, parce que vous pensiez comprendre, reconnaître, alors que vous étiez toujours dans vos tribulations intérieures ; transformant le visage de Koteas en celui de De Niro de la même manière que
Daniels déforme le visage de Rachel Solando, jouée par deux actrices différences selon qu'elle est jouée par une infirmière ou imaginée par Daniels. Quant à Kingsley, il n’est pas un monstre, mais semblait en être un parce qu’il était celui qui voulait nous faire violence : non pas nous torturer - zut, sortez de vos tribulations intérieures - mais nous amener à voir la vérité.
Les Infiltrés s’achevait sur l’image d’un rat, cristallisation de la paranoïa des mafieux. Shutter Island s’achève sur l’image du phare, que l’on a pris, pendant tout le film, pour la cristallisation de la paranoïa du personnage, pour le lieu où les expériences secrètes se déroulaient. Mais le phare était vide, on s’en souvient encore. Etage après étage, porte après porte. Le phare n’était qu’un phare. On quitte la salle avec le sentiment de sa folie, et un peu de jazz au générique. On rentre chez soi, et on écrit une critique qui n’est rien d’autre qu’un cocon où s’emmitoufler dans sa propre folie. Madness is catchy.

Camille.
Il y a beaucoup de choses qui peuvent choquer dans Shutter Island : rats, noyade, orage, musique de John Cage. Pourtant ce n’est pas ça le pire. Dans le film, les personnages redoutent plus que tout la lobotomie transorbitale : une lame infiltrée sous votre œil avec laquelle on vous gratte quelques fibres nerveuses, ça vous rend docile. Je ne sais pas si je suis devenu docile, mais le film qui m’est passé par l’œil m’a drôlement secoué. Je n’ai pas eu peur des rats, ni de la noyade, ni même du noir. La peur qui est restée est clairement liée à l’impression d’avoir été aussi fou que le personnage principal, pendant toute la durée du film.
Des films à twist de ce genre-là, il y en a plein, à commencer par Sixième Sens ou Dark City, et le moment où l’on réalise que tout ça n’était qu’un vaste foutage de gueule est toujours celui que l’on préfère. Ici, le twist n’est pas là pour faire frémir le spectateur, il est l’objet de la quête d’absolument tout le monde sur l’île – à l’exception du personnage principal.
Ce n’est pas seulement une question de critique. Qu’on envisage d’écrire sur un film ou qu’on soit simplement en train de le regarder pour se détendre, on essaie de comprendre du mieux qu’on peut. On met du sens un peu partout, on s’attache à choper ici et là un ou deux détails qui pourraient faire office de symboles, ou alors des répliques synthétiques et/ou prophétiques. Dans Shutter Island, « Madness is catchy », « Who raised you ? – Wolves », je ne sais pas moi, je suis le plus nul de France en matière de romans à énigme, mais j’essaie de comprendre quand-même parce que, ce qu’il y a d’agréable dans les films, c’est qu’on est sûr qu’il y a du sens quelque part, que les choses n’ont pas été mises ou laissées là par hasard. Il y a un scénario. C’est extrêmement rassurant. Dans la vraie vie, chercher le scénario est vain, il n’y a pas de trame, et pas de symboles, juste des coïncidences.

Alors on est là, avec Di Caprio, et on cherche les symboles – les indices. Puisqu’il s’agit d’une enquête. Il y a bien quelques failles dès le départ, des questions sans réponse que les détectives, pourtant perspicaces, ne posent même pas. Quelque chose sur la légitimité de leur enquête, j’ai oublié quoi. Mais de toutes façons, ça dégénère très vite, l’enquête prend des airs de mascarade pour de bon, les docteurs ne coopèrent pas et les deux inspecteurs se retrouvent en tenue de malades. On continue, pourtant, malgré la blouse blanche et la résolution de l’enquête initiale, à chercher des indices pour « comprendre » le film. Du côté des acteurs, par exemple.
Di Caprio joue à la fois la folie d’Aviator et l’extrême violence des Infiltrés. Sa façon de cligner des yeux en fronçant le nez ; sa façon d’asséner les coups de poing comme Joe Pesci dans Les Affranchis. Ah, la violence, toujours au cœur du cinéma de Scorsese. « Dieu aime la violence » - sacré Marty, il n’y a que chez lui qu’on pouvait entendre ça. La religion et les coups. – Mais c’est une espèce de militaire nazi qui dit ça. – C’est vrai, alors on prend on compte une possible ironie, une désillusion, un éventuel virage dans la représentation de la violence due à la présence dans le film de la Shoah. Comme Tarantino avec Inglourious Basterds, on se dit qu’on tombe sur un réalisateur connu pour avoir été au cœur des débats sur la violence rendue séduisante mettant les pieds dans le plat du « plus grand scandale de l’humanité » (dixit Kubrick).

Puisque j’ai l’air de vouloir m’attacher aux acteurs, continuons dans cette voie. Mark Ruffalo, oui. C’est quoi, Mark Ruffalo ? C’est 1) Collateral 2) Zodiac et 3) Eternal Sunshine of the Spotless Mind. Soit un flic qui réussit mais se fait buter, un flic qui survit mais qui échoue, et… un manipulateur de neurones. Le détenteur d'une vérité sur les autres (sur Kirsten Dunst dans le film de Michel Gondry). Jim Carrey sous un casque, voyageant dans ses souvenirs, et Ruffalo en espèce de neuro-psychiatre, vous connaissez tous le film à cheveux bleus de Gondry. Là, on pourrait tiquer. Pourquoi ? Parce que sous le casque, je l’ai dit, il y a Jim Carrey. Et Jim Carrey, c’est quoi ? C’est Yes Man ? Oui, mais non. C’est Philip Morris ? Ah, vous chauffez. Alors ? Oui ! Vous avez trouvé ! Jim Carrey, c'est Truman Show (Peter Weir, 1998), soit l’histoire d’un type autour duquel tout est mis en scène, au cœur d’une immense machination, au cœur des regards, au centre des caméras… Exactement, au millimètre près, comme Di Caprio dans Shutter Island. Et puis, vous savez ce que ça veut dire, shutter, en anglais ? Oui, volet, oui. Le shutter désigne aussi un élément des appareils photos, l’obturateur. C’est en manipulant l’obturateur que l’on obtient des images surexposées du style de celles que voit Daniels quand il a ses migraines. Attendez.

Il y a des gens qui se moquent des 20 dernières minutes. Mais si elles n’avaient pas été là, on serait ressortis de la salle plutôt peinards, non ? On aurait vu un fou, traumatisé par les camps de la mort, resté fou, fini fou. Et nous, bye-bye, merci Martin. On aurait été conforté dans l’idée que les fous doivent être enfermés, guéris aux médocs, et que l’utopiste du film, joué par Kingsley, est un doux dingue. Seulement sa méthode est un succès : Teddy Daniels guérit. Et ce qu’il y a de terrible, c’est la bonne volonté avec laquelle il veut guérir. Il ne demande que cela, exactement comme vous et moi le ferions. Au sommet du phare, quand sa main tremble et qu’il demande, then what the fuck is that ? Kingsley répond calmement : Chlorpromazine. - What ?!! Oui, qui se fout de nous ? On en doute aussi longtemps que Di Caprio, pas une seconde de moins, pas une de plus. C’est extrêmement gênant.

On ressent la violence avec laquelle Scorsese a construit un faux film de Scorsese. De ça aussi bon dieu, on aurait pu s’en douter : il n’y avait jamais de jazz. Scorsese est connu, comme Tarantino, pour les musiques exceptionnelles qu’il exhume des juke-boxes. Là, il n’y avait guère que de la musique classique. Where’s the jazz ? Jamais, nulle part, sauf… Sauf : lors du retour à la réalité, lors de cet atroce flash-back épiphanique – s’il-vous-plaît, je ne veux même pas en reparler -, que Di Caprio rentre dans sa cabane, s’enfile un verre de whisky, etc. Le jazz revient quand Scorsese recommence à filmer la même réalité que celle qu’il filme habituellement, et qui n’est plus une mise en scène pour un fou.
Une mise en scène dont on a été dupes pendant très longtemps. Et le fait est là. On se sent fou. D'autant plus fou que dans ce Scorsese-là, tout le monde ne l'est pas. Troublante, cette présence des intellectuels. Dans Les Infiltrés, il n’y en avait pas. Comme dans Raging Bull, comme dans Les Affranchis, il n’y avait personne de plus éduqué que les autres pour décortiquer les comportements, apaiser les malentendus. You fuck my wife, c'est par exemple l'un des plus grands malentendus de l'Histoire. Alors, il y avait bien Katharine Hepburn / Cate Blanchett dans Aviator, qui mettait Di Caprio / Hughes tellement mal à l’aise, mais c’est à peu près tout. Ici, Di Caprio reprend en partie son rôle d’homme de violence, mais il est regardé. On pense regarder une nouvelle création scorsesienne, alors qu’on regarde un cobaye.
Ce nazi qui parlait de violence dans la jeep (vous savez : « sacré Marty, il n’y a que chez lui qu’on pouvait entendre ça ») n’était qu’un gardien partisan de la solution radicale qui s’avèrera la meilleure, celle que choisira Di Caprio. Laeddis, l'homme à la balafre, n'est pas joué par De Niro, mais par Elias Koteas. Il lui ressemble : vous avez douté, vous auriez pu être dupés, parce que vous pensiez comprendre, reconnaître, alors que vous étiez toujours dans vos tribulations intérieures ; transformant le visage de Koteas en celui de De Niro de la même manière que

Les Infiltrés s’achevait sur l’image d’un rat, cristallisation de la paranoïa des mafieux. Shutter Island s’achève sur l’image du phare, que l’on a pris, pendant tout le film, pour la cristallisation de la paranoïa du personnage, pour le lieu où les expériences secrètes se déroulaient. Mais le phare était vide, on s’en souvient encore. Etage après étage, porte après porte. Le phare n’était qu’un phare. On quitte la salle avec le sentiment de sa folie, et un peu de jazz au générique. On rentre chez soi, et on écrit une critique qui n’est rien d’autre qu’un cocon où s’emmitoufler dans sa propre folie. Madness is catchy.

Camille.