26 janvier 2010

Les Fils de l'Homme


A Mauvaises Langues, on aime bien cuisiner. Plutôt nul avec les nutriments, je veux proposer ici une harmonie entre films : des théories fumeuses, ou la construction de séries officieuses, genres de recettes inédites, de coffrets dvd de Noël inédits.
Ce qui donne aujourd'hui : La Chute du Faucon Noir + La Route + Incassable. On shake, on laisse cuire (dans le tag "théories fumeuses", on se moque bien de la chronologie - ici 2001, 2009, 2000) - et on voit : Les Fils de l'Homme (Alfonso Cuaron, 2006). Guérilla, apocalypse grise et plans séquences : essayez de regarder ça dans l'ordre. Dans votre mémoire, l'amoncellement d'images formera un gâteau où les ingrédients se marieront étrangement. Ce sera bien.
L'expression consacrée faisant office de paratonnerre étant ici : mutatis mutandis (petite pensée pour M.Levy, prof de latin qui m'a appris cette expression-là, et fut en son temps l'un des quatre rédacteurs de feu Starfix, magazine de SF que vous pourrez trouver dans tous les bons magasins empoussiérés.) Comme dans La Route, la post-apocalypse repose sur la nécessité absolue de transmettre, d'assurer la filiation, de ce point de vue La Route pourrait même se dérouler 10 ans après Les Fils de l'Homme : la petite fille a grandi, elle est à présent un petit garçon, et déambule avec son père (un rescapé du Projet Humanité de Cuaron) en quête de nourriture. Quant à Michael Caine, il n'est pas si mort que ça, et s'est transformé en Robert Duvall. L'âge concorde, vous verrez.
Ce n'est absolument pas pour dire ça que j'ai commencé ce post. Pardon, oubliez tout. Je voulais parler d'images de synthèse. Evidemment. Et d'une autre combinaison d'ingrédients.
Regardez : chez Cuaron, il y a cet extraordinaire plan-séquence où la femme accouche. Oui : le plan commence quand la porte s'entrouvre et que le chien entre dans la chambre, et s'achève après l'accouchement, quand le bébé se détend sur le sein de sa mère. Vous vous êtes peut-être demandé comment l'actrice avait pu accoucher comme ça, au moment de la prise. Il y avait eu une autre tentative d'accouchement plein film, c'était dans un Oliver Marchal, MR73, une horrible daube dépressive qui finissait sur un plan documentaire de vagin dilaté et de tête de bébé sanguinolente. Ici, non. Le bébé sort en parfaite synchro avec le travelling de la caméra portée, au bon moment... Vous l'avez deviné, le bébé est une image de synthèse. Comme la mandragore du Labyrinthe de Pan (j'en profite pour saluer Doug Jones, Faune chez Benicio del Toro et Gainsbourg démoniaque chez Sfar, Noémie l'a reconnu au jeu de ses doigts), il s'agissait sur le plateau d'une patate, remplacée plus tard par ordinateur. Computer Generated délivrance : c'est le moment où les ordinateurs ont véritablement commencé à s'approprier l'image de la vie humaine.

Je m'explique. Les Fils de l'Homme. Ce bébé, là. Bon, ce n'est pas Jar-Jar Binks. Ce n'est pas Gollum. Ce n'est pas Spiderman. C'est un humain nu, sans costume. C'est de la chair, c'est un visage. C'est un amont de pixels. Une image de synthèse : la première à reproduire aussi fidèlement le corps humain. Les scénaristes et les animateurs trouvent toujours un moyen de tomber d'accord, de commencer par les films les plus simples. De commencer par un bébé full-CG avant de passer à un adulte.
Le film où l'image de synthèse (qu'on appelle donc Graal, si vous avez lu mon bazar sur Avatar) devient adulte, c'est Ben Button. D'abord un bébé-CG, abandonné à la maison de retraite... Puis le Brad Pitt de synthèse vieux sur le corps du nain (le Graal à proprement parler, le visage adulte). Puis quoi ?? Alors, vous avez vu le film ou pas ? Arrive enfin Brad Pitt, rajeuni de 20 ans, par ordinateur. Le Graal manipulé : si vous avez vu Indiana Jones 3, vous savez qu'il sert de Fontaine de Jouvence. Et c'est ici le trucage repris par Avatar, lorsque Sigourney Weaver est rajeunie de 20 ans sous sa forme na'vi. Avatar se dirige ensuite vers un autre emploi du corps humain recréé en images de synthèse, une nouvelle étape. Voilà.
Non mais, c'est pas si fumeux que ça, si ? 1) Les Fils de l'Homme = l'image d'un bébé. 2) Ben Button : du bébé au rajeunissement et 3) Avatar, du rajeunissement à... Neytiri, pour faire court. Enfin, je crois.
Et vous savez quoi ? On doit pouvoir trouver d'autres points communs entre Cuaron et Cameron. Chacun, à leur manière, tentent de faire oublier la matérialité de la caméra. C'est le plan séquence à l'intérieur de la voiture chez le premier (mais où passe la caméra ??? demandez-le vous, c'est amusant) ; ce sont tous les travellings impossibles (à travers les lianes, à travers les branches, dans le ciel, dans la jungle, etc.) chez le second (qui n'emploie plus de caméra : sur Pandora, c'est l'image qui se déplace, pas l'objectif.) C'est un point commun ; vous en faites ce que vous voulez.
Il y en a un autre : le 11-Septembre vu comme un événement pré-historique. Chez Cuaron, les avions et les tours sont dessinés sur les murs voûtés des égoûts. En peintures rupestres, littéralement. Chez Cameron, c'est dans une civilisation primitive que se produit l'événement traumatique à l'échelle de l'effrondrement des Tours Jumelles (l'Arbre Maison s'effondre). En 2010, le 11-Septembre semble à ces cinéastes à la fois très proche et complètement archaïque, tant les conséquences en ont été nombreuses, tant il a changé de choses.

C'est joli, hein ? Le David a sauté sur une mine, comme un enfant afghan.


Bon. Si vous regardez Les Fils de l'Homme et que vous en arrivez à cette image-là, prenez une grande inspiration, c'est le début d'un des plans-séquence les plus longs, les plus virtuoses de ces dernières années. Avec celui du début de Snake Eyes. Et maintenant que vous m'y faites penser, quand Noémie aura lancé la mode des tops, je ferai celui des meilleurs plans-séquence.
Mmmh... Bon, je crois que c'est tout. A la prochaine, thanks for reading !


Camille

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Erratum: Guillermo et non Benicio (du Taureau)

Un lecteur attentif (et connu de vos services)

Camille B. a dit…

Très attentif en effet ! Merci! pour la peine,je laisse le lapsus :)