11 janvier 2010

His name spelled backwards was Krap Nek

J'ai vu Ken Park pour la première fois au cinéma, à l'automne 2003. Mes souvenirs convoquent, avec l'image d'une salle presque vide, la sensation d'une jouissance immédiate et coupable. La cruauté gratuite de ce film, sa soif enragée de destruction, sa complaisance à se vautrer dans le purin, m'apparaissaient comme le manifeste d'un cinéma témoin, l'écho amplifié d'un cri adolescent traditionnellement bâillonné par le puritanisme.

Deux semaines plus tard sortait Elephant. Sur une même trame de fond (la double pulsion de sexe et de mort, le besoin pathologique de reconnaissance d'une jeunesse abandonnée), Van Sant signait une œuvre diamétralement opposée, où la violence se dessinait par nuances, où la beauté formelle de chaque plan sublimait l'errance de ses personnages. Et ce qui me frappe douloureusement aujourd'hui, alors que je revois Ken Park, c'est combien la puissance d'incarnation qui innerve Elephant fait défaut à ce film.


Les deux œuvres sont pourtant souvent semblables, au point d'adopter des procédés narratifs identiques : la présentation des protagonistes à l'aide d'un carton portant leur prénom, la segmentation des scènes par personnage, les effets de recoupement temporel et spatial, etc. Le film de Van Sant pousse même plus avant la dimension dramatique de son sujet puisqu'il typifie à l'extrême ses intervenants, à l'image des fonctions du théâtre classique. Le jock, le nerd, le skater, la petite grosse, tous des misfits de l'imaginaire lycéen, habitent paradoxalement davantage le film que les adolescents lourdement caractérisés de Clark et Korine.


La même critique peut être formulée à l'égard du traitement du sexe dans Ken Park. Assez cru pour choquer (et enthousiasmer) un public de vierges effarouchées, il reste finalement trop délibérément explicite pour provoquer l'émoi d'un spectateur averti, tant en matière de jeux polissons qu'en expériences cinématographiques. Il faut pourtant excepter de ce jugement les dix dernières minutes du film, qui constituent l'une des plus belles scènes de sexe que j'ai pu voir au cinéma. Conçue comme un contrepoint absolu à la noirceur du film, elle s'étire dans une lumière ouatée, tandis que la caméra parcourt sans peser les corps enchevêtrés des trois héros survivants. Le film ne s'accomplit donc pleinement que sur son thème mineur. Et c'est sur un sentiment doux-amer que s'achève cette redécouverte, comme l'acte de clôture d'une adolescence trop longtemps prolongée.

3 commentaires:

Charles Mortel a dit…

Coquine.

Elise a dit…

Schizophrénie critique.

Camille B. a dit…
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