28 juin 2012



Hots Shots - Juin 2012 - Part Two

Mais oui ! Blanche Neige et le Chasseur, de Rupert Sanders

Personnellement, Charlize, je ne comprends pas ...
 ...pourquoi tu flippes.

 Si on accepte - et ce n'est pas trop difficile - de passer sur la petite incohérence scénaristique de base (Kristen, une menace pour Charlize ? Allons allons, vous dis-je, allons allons.), cette seconde version 2012 du conte de Grimm est indéniablement la bonne. Equilibrée dans sa noirceur tout public, très inventive graphiquement, elle a le mérite indéniable de montrer  rapidement que, si les exigences commerciales restent présentes, elles ne sont pas la raison d'exister d'un film qui se tient très bien par lui-même et pour lui-même. Charlize joue comme dans Prometheus (raffinements articulatoires travaillés avec le coach vocal de Buckingham Palace, maintien altier de l'orteil - attention la crampe - au menton) mais ici c'est parfait. Kristen bénéficie contre toute attente d'un rôle intéressant : après la poupée ridicule de Tarsem Singh, cette Blanche-Neige est une allégorie de la tristesse, une créature anémiée dont la blancheur enchanteresse s'est minéralisée au fond d'une geôle, au plus haut de la plus haute tour... Sa geste chevaleresque n'est pas reconquête d'un héritage volé, mais pari insensé sur un bonheur hypothétique, qu'elle n'a connu qu'à l'âge où on ne sait pas faire la différence entre le monde des hommes et le monde des sorcières. Peut-être, le grand palais repris, ne restera-t-il rien. 

Elle se démène, Kristen. Souvent, cela lui fait du tort. Elle est à elle toute seule la tragédie de l'engluée précoce, prise dans la Kristen Stewart consommable comme une mouche dans le miel, figée entre trois expressions, aussi dépourvue d'art et d'âme qu'un code-barre sur une cannette de Coca. J'ai lu au détour de quelque feuillet inavouable qu'elle parvient dans Sur la route a être encore plus mauvaise que dans Twilight. Je n'ai pas vu Sur la route. Mais il y a cette scène dans Blanche Neige et le chasseur, où elle doit convaincre une bande de mâles épais et odorants de la suivre. Pour reprendre le royaume de son père assassiné, pour donner une chance à l'hypothèse de bonheur. Elle tord la bouche, elle fronce les sourcils, elle crie. Sa technique de jeu est très, très faible. Mais elle essaie, pousse sur sa petite voix comme on se hisse sur la pointe des pieds sans tromper personne, pour faire croire qu'on est grande. A essayer si fort, voilà le paradoxe : elle joue toujours mal, mais elle joue vrai, et elle me touche. Et tout d'un coup, j'ai oublié d'être lassée par anticipation de la voir.

Oui, merci, j'en reprendrais bien une troisième fois :  Dias de Gracia, de Everardo Gout


Tout l'art de voir un match avec les yeux bandés

Un film qui divise, et, disons-le sans attendre, un film de geek. En surface, c'est l'éternel combat du bien contre le mal, et l'éternelle liquéfaction de l'un dans l'autre. Trois coupes de monde de football, et trois histoires croisées : un jeune policier dont les naïvetés dernières meurent du mal le plus laid. Un otage auquel son gardien, apprenti truand, raconte les matchs. La femme d'un homme enlevé.

En pratique : trois histoires assemblées et contrastées comme les petits carrés d'un Rubik's Cube. Taillées au millimètre avec des outils très variés, en plans hallucinés et cadres éclatés, déployant comme une palette toute la gamme des flous... C'est plutôt rare, mais ici c'est aussi vrai que passionnant : la manière de dire fait tout. Neuve, pas tant dans son langage que dans la vivacité créative du grand réassemblage de signes qu'elle orchestre. Neuve encore, parce que tenue par un désir de parler juste et fort, au Mexique, de Mexico. Dias de Gracia est parvenu à s'offrir le destin qu'il cherchait : être écouté et vu sur ses terres et ailleurs, mais sur ses terres surtout, où on en montre des extraits dans les écoles, pour donner aux plus jeunes la rage du changement. 

Sur tout cela, trois grands compositeurs, un par histoire : narrateurs seconds, venus imposer aux images la marche signifiante d'une trame. Nick Cave et Warren Ellis, le duo de L'Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford, Atticus Ross, oscarisé pour The Social Network, et le Shigeru Umebayashi de In the Mood for love. J'en ai parlé plus longuement par là. Pour l'heure, et parce qu'il faut que je passe à Faust, je vous laisse avec ce petit medley très bien fait, qui me donne une furieuse envie de planter là Sokourov et de m'en retourner à Mexico.


Ca, c'est fait : Faust, de Alexander Sokourov

On prétend que le plus grand talent du diable c'est de faire 
croire qu'il n'existe pas. Moi, je l'ai tout de suite reconnu. 

Sur ce, Faust quand même. Et une envie proprement diabolique de faire dans le politiquement incorrect, comme chaque fois où presque qu'un film fait consensus chez tous les gens bien.

Or donc.

Faust, c'est 2h14 de sublimités visuelles posées sur une vision du mythe - rare et puissante, douée d'une autorité tentaculaire qui s'exerce à l'encontre du spectateur, jamais à l'encontre du texte. Cruelle dans ses finesses, majestueuse dans ses amours, pleine de miséricorde dans sa démiurgie, plus intimidante encore de rester ainsi sous contrôle.

Faust est insupportable, au sens où le sublime ne se tolère que sur un temps très court. Après quoi tout se brouille, il faut retrouve l'air, réhabituer son oeil au mal de voir. 2h14 de sublime pour les sens, c'est infiniment trop. A penser - car c'est de cela qu'il s'agit, toujours, il y a une idée derrière chaque image - c'est épuisant, c'est presque atroce.

Faust est un chef d'oeuvre. Ce genre de chef d'oeuvre que tout le monde est capable de reconnaître comme tel, tant on se sent broyé par lui. Tous ou presque font semblant d'avoir pris leur pied, de désirer y revenir. Je vous l'affirme : ceux qui croient sincèrement y avoir pris leur pied n'ont rien compris. Beaucoup mentent. Les plus fins connaisseurs, sans doute, sont masochistes. Mais il en faut : peut-être le chef d'oeuvre ne peut-il être par essence que torture à voir, à lire et à aimer.

Old-fashioned class : The Deep Blue Sea, de Terence Davies

Tom Hiddleston a fait un sacré bout de chemin depuis Thor.

David Lean ressuscité. Même humilité, même fermeté devant le texte, même richesse d'expression dans l'entre-deux maintenu de plein gré entre le théâtre et l'écran : la conscience du décor comme tel, donné à voir comme surface plane, la caméra glissant d'un mur à l'autre sans poids, comme s'ils n'avaient pas plus d'épaisseur que des pans de cartons, laissant passer tous les murmures.

Au-delà de la scène, tous les fantasmes de ceux qui l'aiment trop pour ne pas la rêver plus proche. Les plans très serrés sur la peau, les soupirs enfermés, donnés à entendre, le geste infime chargé d'un sens infini, où se dilate le temps contemplateur que la pièce n'aurait pas le temps de prendre. Un portrait de femme qui bouleverse sur la longueur, et vous enferme, si vous y consentez, d'une patience à l'ancienne mode.

On ne fait plus de films comme celui-là. D'aucuns diront que c'est l'évolution qui en est cause, avec tous ses possibles de progrès, toutes ses incertitudes grandioses. D'autres y retrouveront avec reconnaissance le goût de la madeleine, et le souvenir diffus mais chéri du temps à portée d'homme.

  
Noémie

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