Lâchons dès à présent l’expression assassine et consacrée, celle qui fait que si je rencontre un jour JJ Abrams, j’aurai envie de lui crier mon amour mais rougirai de terreur à l’idée qu’il lise cette critique : L’ENSEMBLE SENT LE PROCÉDÉ À QUINZE KILOMÈTRES. Or le but de l’histoire est, justement, de ne pas sentir le procédé, et d’être aussi réaliste que possible.
Attendez, attendez. Avant d’être désagréable, je voudrais clamer haut et fort à quel point j’ai adoré voir, pendant le générique, l’intégralité du film réalisé par les gosses. Comme à la fin de Rain Man, comme à la fin de Very Bad Trip. Et le clin d’œil à Orson Welles est un bonheur : tous les grands réalisateurs, de Welles au gosse du film en passant par Abrams, rêvent d’être de grands mégalos. Surtout, j’aime découvrir, lors du générique, ce qu’ont filmé ou photographié les personnages. C’est un moyen extraordinaire de leur donner de la réalité. Et c’est tout ce qui compte dans un film comme celui-ci.
1. Question d'image
Abrams et Spielberg partagent cette envie de rendre absolument crédible la chose la plus merveilleuse que l’on puisse imaginer – c’est évident : de rendre crédible l’IMPOSSIBLE (bin oui : Abrams a réalisé Mission : Impossible 3.) Jurassic Park, premier à employer des images de synthèse, veut rendre absolument crédible la présence de dinosaures dans un parc à thèmes. Cloverfield, premier à employer des images de synthèse et à filmer à côté, veut rendre absolument crédible la présence d’un monstre à proximité de celui qui filme. Super 8 est une nouvelle tentative de rendre crédible une image de synthèse, via le mélange du numérique (le monstre) et de l’analogique (la pellicule Super 8). Tout cela est bien beau et ne marche pas autant que je l’aurais voulu. Super 8, c’est surtout le numérique d’aujourd’hui sur l’analogique des films des années 80. C’est là que le bât blesse. Je m’explique.
Comme je le dis à ma grand-mère en claquant des doigts devant son visage, aujourd’hui, c’est le XXIe siècle : tout va très vite. Le cinéma nous a habitués à voir le monstre tout de suite. (Mêmes symptômes dans la comédie pour enfants, par exemple Mr. Poppers et les Pingouins, que j'ai vu hier pendant que ma sœur accouchait : l’acte IV des comédies, où soudain tout va mal, y est expédié hyper-vite, en une minute, sans le moindre suspense, de manière à ce que le spectateur ait aussitôt ce qu’il veut : la réconciliation.) Le retour à l’ère de la pellicule et des technologies plus lentes, c’est le retour à l’ère où le monstre mettait du temps à apparaître.
Qu’une caméra Super-8 filme une image de synthèse moderne : là est la trouvaille, la nouvelle manière, recherchée depuis des siècles !, d'atteindre la fameuse suspension of disbelief devant les images de synthèse, aussi parfaites soient-elles. Donner l’impression qu’elles ont été filmées en analogique, voilà le secret. C’est exactement le même principe que dans le générique de Watchmen ou les scènes sur
Super 8 est une variation sur Cloverfield. Il s’agit de faire croire au monstre. Dans les deux cas, il s’agit de donner l’impression qu’on n’a pas voulu filmer le monstre. D’une certaine manière, l’image est là malgré elle ; on ne l’a pas mise au milieu du plan comme, mettons, la blatte géante de Men In Black ; non : elle est ici comme par erreur. Donc elle est venue toute seule. Même principe également dans la séquence des dinosaures de Tree of Life et sa caméra toute-puissante : les dinos ne sont pas au centre de l'écran, mais sur les bords.
Le style de JJ Abrams, c’est le rythme. La vitesse effrénée de l’action. Les choses arrivent sans que le suspense ait eu le temps de s’installer. Boum. Tom Cruise saute de l’immeuble et on n’a pas vu ce qui s’est passé à l’intérieur (même chose au début de Super 8, quand le père de Joe vire le père d’Alice sans qu’on ait vu leur dispute à l’intérieur de la maison). Le vaisseau de Star Trek qui arrive au beau milieu d’une bataille à la vitesse de la lumière. Re-boum. Ici, ces moments sont minoritaires. C’est le crash de la voiture du père d’Alice. L’explosion d’un mur sur les gosses qui blesse le trouillard. Et le déraillement du train – j’oublie toujours de le mentionner : cette séquence de pure maestria a l’air complètement décalée avec le reste du film. Ma mâchoire inférieure est tombée par terre et j’ai raté les minutes qui ont suivi parce que je ne la retrouvais pas dans le noir. Mais oui, évidemment, cette scène-là, c'est du Abrams.
(Les Américains appellent cela une scène de BSU : Blowing Shit Up. Si, si, c'est utile.)Après deux films qui allaient à 200 à l’heure, Abrams choisit de ralentir, de faire l’inverse total de ce qui faisait sa singularité. Voyez ses deux films précédents : les choses vont si vite qu’on a peur en permanence qu’il se passe quelque chose de nouveau. Lui qui avait découvert un nouveau style de suspense passant par l’absence de suspense retourne au suspense à l’ancienne, se vautre dedans, en fait le principe même de son film. C’est parfaitement masochiste. C’est le principe de l’idolâtrie. En plus de se débarrasser de ce qui fait son style et qui est un truc de rythme, il prend le style visuel de quelqu’un d’autre. Alors, oui, le film fonctionne, la musique est extraordinaire (Abrams a son John Williams, c’est certain, d’ailleurs Giacchino a débuté en composant la musique du jeu vidéo du Monde Perdu, à partir des thèmes de Williams – je le sais, Amazon me l’avait livré par erreur), et on est ému quand les yeux de l’alien apparaissent, tout cela fonctionne, tout cela est un parfait film de Spielberg des années 80.
On ne s’ennuie pas mais tout ça sent le déjà-vu à un point inimaginable. Moi qui ai le moindre plan du moindre Spielberg en mémoire – je me vante à peine – je peux vous assurer qu’il n’y a pas un plan de Super 8 qui ne vienne pas d’un Spielberg. Qui n’en soit pas non seulement inspiré – que celui qui ne s’est jamais inspiré de Spielberg me jette la première pierre – mais copié. Il y a des millions de citations dans le film, plus que dans un Michael Bay – il faut le faire. L’attaque du bus est une répétition de l’attaque de la caravane du Monde Perdu, avec la disparition d’un corps aspiré à l’extérieur piquée à la scène d’ouverture de Jurassic Park. La plupart des scènes avec les militaires sont directement importées de
Je me suis vu aimer ce film de derrière une vitre. Je me suis vu regarder en boucle des scènes de Spielberg, sur mon lit, avec la télécommande du DVD dans la main, le pouce allant et venant entre les boutons pause et rewind. Super 8 est un best of, basta ! J’aime Spielberg, mais j’ai plus l’impression de découvrir l’un de ses films aussi géniaux que vicieux (les deux premiers Indiana Jones, les deux premiers Jurassic Park) en regardant des Michael Bay. Pendant tout le film, j’ai attendu ces orgasmes de cinéma que procurait Abrams par dizaines dans Mission : Impossible 3 et Star Trek, et je n’en ai pas eu. Je me suis dit que j’allais affronter ma trouille et revoir E.T., oui, c’est sûr. Mais je n’ai pas vu Super 8. Je n’ai rien vu sur la pellicule du film d’Abrams. Ses gosses ont vu un monstre, moi, j’ai vu un type se filmant en train de filmer un monstre. Un peu ce que faisait Peter Jackson quand il filmait son Carl Denham dans King Kong. Sauf que Jackson se désintéressait de ce que filmait son personnage avec sa vieille caméra. On ne le voyait jamais. Ma référence à Jackson n’est pas innocente : le père de Joe dans Super 8 est incarné par Kyle Chandler, l’acteur qui jouait… L’acteur de Carl Denham dans le King Kong de Jackson. This is a mindfuck.
3. Question d'amour
Tant qu’on y est, parlons-en : les acteurs sont très bons. Elle Fanning est craquante (plus que sa grande sœur Dakota, qui joue dans
Super 8 est un film pédagogique. Il vise à expliquer à ces imbéciles de jeunes gavés d’i-trucs que l’ère analogique avait son charme. Le rapprochement qu’étonnamment personne n’a encore fait, c’est avec Paul, de Greg Mottola. Le film avec Simon Pegg, Nick Frost et Seth Rogen en performance capture, sorti en mars 2011. Paul et Super 8, même combat. Le premier serait plutôt branché George Lucas mais dans les deux cas, il s’agit de condenser, en moins de 100 millions de dollars, plusieurs scènes de films ayant rapporté des milliards de dollars depuis les années 80. Cela s’appelle la dévaluation. C’est triste, un peu. Ça me rend nostalgique, en tout cas, d’une époque que je n’ai pas connue. Mottola et Abrams semblent avoir fait leurs films par peur que ceux de Spielberg et Lucas, qui ont fabriqué leur enfance, ne disparaissent derrière le voile toujours plus épais de la recréation numérique du monde. Et que les jeunes se moquent de ces films-là. Spielberg n’essayait pas de refaire les films de Welles parce qu’il ne craignait pas pour eux : aucune technologie n’était venu prendre le risque de les rendre obsolètes. Les réalisateurs de la dernière génération hollywoodienne, obsédés par la nécessité d’une bonne histoire et fascinés par la toute-puissance de la technologie, sont en réalité effrayés par cette toute-puissance. Les films que l’on fait aujourd’hui risquent-ils de faire disparaître ceux d’avant ? Faut-il leur rendre hommage, tant qu’il est encore temps ?
Ceux qui s’en sortent le mieux sont ceux qui se foutent de l’hommage. D’un côté, les premiers concernés : Spielberg n’a aucun souci à faire autre chose parce qu’il est beaucoup moins attaché à ses films vicieux que son public. De l’autre côté, ceux qui ne respectent rien : exemplairement, Michael Bay. Bon, Michael Bay a d’autres problèmes. Mais pour lui, rien ne ressemble à un hommage : Super 8, c’est l’histoire de sa carrière, du combat entre analogique et numérique (voyez comme Shia LaBeouf recouvre dans sa chambre le poster de Cloverfield d’un poster de Bad Boys II dans Transformers 2, où le personnage fan de YouTube est un abruti).
M. Night Shyamalan, l’enfant non avoué, va essayer de se racheter une âme en laissant tomber le cinéma numérique et en retournant se vautrer dans l’amour fétichiste de son maître. En matière d’hommage à Spielberg, il est celui qui a devancé de très loin Mottola et Abrams : Super 8 raconte Signes, sorti en 2001. A la mère morte dans un accident de voiture près. Plutôt précis. Super 8 est le mélange de l’humour geek de Paul et de l’hommage sérieux de Signes.
Michael Bay est en maintenance.
Et JJ Abrams, il est coincé.
Le vrai Super 8, c’est Cloverfield. Avec lui, Abrams avait produit (en 2008) le remake d’un film antique qu’il n’avait pas encore tourné. Ce paradoxe temporel aussi est spielbergien ; rappelez-vous Indiana Jones 4 : un film tourné dans les années 2000 censé ressembler à un film des années 1980 rendant hommage aux films des années 1930 mais se déroulant dans les années 1960. Il s’agissait déjà de retourner explorer, via le numérique, l’époque dorée de l’analogique (des premiers Indiana Jones). Spielberg ne s’était pas posé la question de la crédibilité de ses images (ça, c’était le côté années 1930, Tintin et Cie) et le résultat est… Disons, désarmant. J’ai un peu d’amour pour Indiana Jones 4, c’est ainsi. J’en aurai sûrement pour Super 8 aussi, à terme. Quand je saurai que ce n’est pas un grand JJ Abrams comme Mission : Impossible 3, ou Star Trek, mais un grand Greg Mottola – ou un bon petit Spielberg.
P.S. Sur les trois affiches au début de cet article, celle du milieu est de Drew Struzan. Il est cet homme qui transforme des affiches de films à grand spectacle en affiches de film des années 30, quand on redessinait encore le visage des acteurs. Il a donc commencé avec les affiches des premiers Indiana Jones. Et depuis 1999, ce sont des films numériques qu'il transforme en vieux films. Mélanger les époques et les supports, il n'y a que cela de vrai dans un monde dirigé par un ancien Peter Pan.
2 commentaires:
Voici donc la critique que je pressentais à la seule vue de la bande annonce... Merci.
Moi qui me demandais justement si j'allais y aller, parce que les premières images de ce dictionnaire des citations géant sont, certes, amusantes et fascinantes, mais tous les journalistes ciné ont réussi à me coller une grosse nausée à force de (mal) recopier le dossier de presse qui insiste maladivement sur la "filiation" avec Spielberg, histoire que le message passe bien. (Opération réussie, cela dit.)
Merci surtout d'avoir évité la référence aux "Goonies" ici. J'ai juré que j'étriperais le prochain qui prononcerait ce nom pour définir "Super 8".
Mais du coup, je pose quand même LA question : j'y vais ou j'y vais pas ?
Et j'en profite pour vous remercier pour vos critiques. Comme la plupart des beaufs-lecteursdeblogs-ingrats, je ne commente jamais. Mais chaque billet (ou presque) est un plaisir cinéphile sans nom.
Y aller ou pas, c'est à vous de voir ! - bon, voilà pour les formalités, soyons dictatoriaux : oui, il faut y aller. Super 8 reste un phénomène cinématographique passionnant, sans mentionner le fait qu'on y prend beaucoup de plaisir. Un plaisir cinéphile qui a ici un nom, cependant (ainsi qu'un prénom : Steven). La séquence du déraillement vaut clairement le détour.
Merci, enfin, d'avoir pris la parole, ô lecteur ingrat ! Tu illumines notre mois d'août
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