29 août 2010

Inception, le retour

Êtes-vous sûrs de ne pas vouloir apprendre ici les fins de Memento, Batman Begins, Le Prestige, The Dark Knight et Inception ? Ne vous fiez pas à l'inoffensive première phrase du premier paragraphe, ce texte est bourré de spoilers. Bienvenue sur Mauvaises Langues.


Christopher Nolan a un petit frère, Jonathan Nolan. C'est ensemble qu'ils ont écrit les scénarios de Memento, du Prestige, de Dark Knight. Ils ont 6 ans d'écart (1970/1976), mais on dirait des jumeaux. Comme si Christopher était hanté par l'idée qu'il ne sera jamais mort tant que son frère vivra encore, que Jonathan ne mourra jamais tant que Christopher sera là. Je trouve dans les Nolan une sorte d'obsession de la répétition et de la mort. Aussi divertissants que soient ses films, et la beauté de leur geste, on en vient toujours à s'écraser, telle la vague du premier plan d'Inception, sur l'impassible rocher d'une violence subite et insupportable. A laquelle on n'est jamais préparé, pas plus que Cobb ne l'est lorsque le subconscient militarisé de Fischer commence à s'en prendre à lui dans le premier niveau de rêve.
Une violence subite, et d'autant plus brutale qu'elle est double. On meurt toujours deux fois.


Prenez Mall (Marion Cotillard). Première horreur du suicide de celui qui doute de la réalité. La tête sur les rails, un train de marchandise qui arrive... Quelques minutes plus tard, même personnage, nouveau suicide, tout aussi dur : la jeune femme, persuadée qu'elle rêve encore, se laisse tomber du haut d'un immeuble, sous les yeux de son amant - qu'elle aime autant qu'elle l'abandonne.

Si vous connaissez Nolan, la marche à rebours ne doit pas vous déranger beaucoup. Passons donc à Dark Knight. Rachel ne meurt qu'une fois, c'est vrai. Avec Harvey Dent, c'est déjà plus compliqué. Mais le plus intéressant, c'est le Joker. Il lui est arrivé quelque chose d'affreux, entre Maldoror et L'Homme qui Rit : son visage est mutilé. Pourquoi ? Comment ? Il raconte l'événement une première fois : do you know how I got these scars ? Et voilà l'histoire d'un père brutal s'en prenant à sa progéniture. Plus tard, nouvelle histoire, variation sur l'horreur : do you know how I got these scars ? Et voilà l'histoire d'un homme qui s'automutile par amour. Qui aime sa femme tout autant qu'il l'abandonne.


2010, 2008, 2006. Le Prestige. Chaque soir, Hugh Jackman se noie, chaque soir, Hugh Jackman réapparaît de l'autre côté de la scène. Ainsi s'achève l'histoire de ce magicien damné : sur sa mort perpétuelle, son suicide répété. Sommet des histoires de Nolan : ici la mort est condamnée à se produire chaque soir. Prométhée n'est pas loin. Pas celui qui détient la puissance divine de créer des mondes, comme dans Inception, mais celui dont le foie repousse chaque nuit pour être dévoré à nouveau chaque jour. Le mouvement perpétuel de l'horreur.


Dans Batman Begins, le méchant s'appelle Râs-al-Gul. Il meurt une première fois au début du film, sous les traits de Ken Watanabe (Saito dans Inception). Il meurt à nouveau, à la fin, sous les traits de Liam Neeson.

Je n'ai pas vu Insomnia, ce qui est impardonnable, certes, et nous conduit à Memento, premier succès de Nolan sorti en 2000. Memento, ou l'histoire de cet homme qui veut venger le viol de sa femme. Se fait tatouer sur le corps les indices qui lui permettront d'assouvir cette vengeance. Qu'il assouvit une première fois... Et une seconde. Et une troisième. Oubliant, toujours, que la violence ultime du meurtre expiatoire a déjà eu lieu. Aimant sa femme autant qu'il l'abandonne.

Le héros de Memento cesse d'arpenter cette spirale infernale lorsque naît en lui l'idée de tuer celui qui le manipule, le fait réitérer sans cesse sa vengeance. Memento s'achève sur une scène d'inception : le moment où, faisant freiner sa voiture devant une boutique de tatouage, Leonard Shelby décide de se faire graver dans la peau, et donc de graver dans sa mémoire, la plaque d'immatriculation de celui dont il ne démordra jamais de l'idée qu'il est le coupable ; ce qui lance l'intrigue que l'on connaît déjà puisque le film s'est déroulé à rebours, de la même manière que dans Inception, on sait déjà quelles conséquences doit avoir l'idée que les voleurs veulent implanter dans l'esprit de Fischer.

On reproche souvent à Inception de ressembler à Shutter Island. Et, oui, Marion Cotillard est très loin d'être le fantôme qu'était Michelle Williams chez Scorsese. Mais alors je voudrais qu'on m'explique pourquoi on compare Inception à Shutter Island, alors qu'au moment de Shutter Island, personne n'a parlé de Memento. Ce film qui plaçait le spectateur à l'intérieur de la folie de son héros, si bien qu'il était impossible de savoir si Joe Pantoliano - le méchant de Matrix - était ou non le méchant de Memento, de la même manière qu'il est longtemps impossible de savoir si Ben Kingsley - le méchant de La Jeune Fille et la Mort - est ou non le méchant de Shutter Island. Mêmes scènes de révélations finales, d'épiphanies cathartiques. Bref, il faut rendre à Nolan ce qui est à Nolan...

L'un de ces suicides atroces dont le réalisateur anglais a le secret, dans Memento, est dû à une piqûre d'insuline répétée, pratiquée par un homme amnésique sur sa femme. Qu'il aime autant qu'il abandonne. Christopher Nolan, c'est l'enfer de la répétition. Christopher Nolan, ou l'homme qui doit répéter le succès de The Dark Knight avec Batman 3, attendu pour 2012. Je l'imagine suivre le conseil de Cobb dans Inception. Downwards is the only way forwards ; en-bas est le seul passage vers en-avant. Downwards, to Underland ; plus profond dans le Pays des Merveilles. Espérons que l'homme chauve-souris n'a pas peur des plus profondes cavernes, et des images qu'y projettera l'illusionniste Nolan.


Camille.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Jouons le jeux des similitudes jusqu'au bout.
L'homme chauve-souris n'est-il pas sensé avoir déjà explorer ses propres tréfonds dans la 1ère partie de Batman Begins?
A savoir ce monastère planté dans les montagnes enneigées (à rapprocher de la base/hôpital du 3e niveau d'Inception - les deux finiront pas s'écrouler. Chez Nolan la neige = inconscient? Cf. Pretige, Insomnia situé en Alaska...). L'épreuve finale de la formation qui voit Bruce absorber une drogue le faisant projeter ses propres démons dans la réalité, tenant lieu d'équivalent de ce que sont les limbes pour Cobb. Et à l'issue de celle-ci, Bruce aura accepté la mort de ses parents, tout comme Cobb la perte de Mall.
Si "downward" Batman 3 doit aller, ce doit être par l'intermédiaire de son vilain: Râs-al-Gul/Ben Laden voulait détruire Gotham, le Joker voulait voir se fissurer le mythe de l'homme civilisé et le système de valeur incarné par Batman, jusqu'où ira le méchant du 3e?
Voilà le vrai challenge de Nolan, arriver à faire pire que le Joker.

Camille B. a dit…

J'ignore si la neige symbolise l'inconscient, ce qui est certain c'est qu'elle se rapproche de cette image des limbes blanches, entièrement vierges, telles qu'on les voit dans Matrix 3 ou Pirates des Caraïbes 3 ; c'est l'imagination vierge, le réel sans images, ou avec un minimum d'images (quelques sapins, la base de Batman Begins, et basta, dernier niveau avant les limbes proprement dites.)
Pour ce qui est d'aller down under, je pensais surtout au "régime visuel" qui allait rejoindre les fantaisies de Burton au Pays des Merveilles : pas se mettre aux rayures noir et blanc et au rose disney, mais en tout cas devenir plus onirique, retrouver les scènes de cauchemar de Begins et les porter plus loin (selon la loi qui veut que les 3e épisodes sont des 1ers pervertis); Dark Knight était plus plus proche de la réalité, il n'y avait pas ces images telles que la chauve-souris crachant le feu au dessus d'Arkham Asylum - sauf à la fin, au moment de la suture avec le 3, quand Batman peut regarder à travers les différents étages bleus (les strates de rêve ?) de l'immeuble aux otages. Mais c'est l'impatience qui parle, il faut souhaiter ne jamais deviner ce que CN nous réserve..