27 juillet 2010

Dog Pound, de Kim Chapiron.

Entre les murs

Tout a commencé avec Prison Break. Cette phrase inaugurale, pour accrocheuse qu'elle puisse vous paraître (comme vous êtes indulgents), est bien évidemment un scandaleux raccourci. On n'a pas attendu Prison Break, loin s'en faut, pour filmer la prison. C'est même tout le contraire. Dès que la caméra est arrivée, ou presque, on s’est empressé de l’emporter dans les recoins sombres, pour montrer à l’humanité rangée le visage de l’humanité mauvaise, de la même façon que, la première flamme à peine attisée, les ancêtres préhistoriques s’empressèrent d’aller la porter dans les cavernes, pour voir s’ils y dénicheraient Platon (autre raccourci plus désinvolte encore, c'est les vacances et je suis trop paresseuse pour les bons mots d'esprit, pardonnez-moi).

Ce n’est guère la première fois qu’un film de prison fait parler de lui. Le genre a toujours plu, toujours trouvé son public, gros durs naviguant à revers de Scarface ou midinettes au cœur battant (« Tout de même, le jeune meurtrier, il est pas mal »), les mirettes à moitié cachées par une main tremblante aux doigts trop espacés. Tout ce monde va voir Dog Pound, et là encore tout de même, le jeune déjanté, il est pas mal, avec sa moue crispée et son œil asymétrique mais bleu, si bleu.



























Or donc, tout avait commencé avec Prison Break. C’était la première fois que le très grand public était invité à suivre sur le long terme, de saison en saison, l’épopée en sous-sol des damnés de Fox River. La fange carcérale devenait fashion.
Rappelez-vous : deux frères. Un beau gosse intelligent, l’œil bleu symétrique, l’air grave, avec la générosité d’être innocent et l’élégance de se laisser tenter, à l’occasion, par le côté obscur de la Force. Un grand costaud très costaud, bulldozer à ses heures, suffisamment dévoué pour mettre en péril les raffinements stratégiques du cadet à force de bonnes intentions un peu frustes. Autour d’eux, une poignée de mousquetaires des bas-fonds, gentils durs et vraies canailles, Roméo latino, père de famille, violeur-meurtrier-tortionnaire-pédophile mal repenti, mafieux de cinéma. Des gardiens. Une prison. Et ça marche, admirablement d’abord, au fil d’une première saison en huis clos déroulée avec une maestria rarement observée sur le petit écran. Le public suit avidement, en redemande, perd le sommeil à attendre ce nouvel épisode qui ne vient pas et dans lequel Michael Scofield sauvera enfin son frère, ses mousquetaires (les faux méchants seulement), sa jolie doctoresse, son honneur, les billets verts de son papy d'adoption. Et tandis que la grande évasion s'élabore avec une fragilité délectable, tout nous est dévoilé peu à peu des arcanes de la prison, trafics honteux et nécessaires, corruptions et alliances, déviances sexuelles, suicides, techniques de la médecine et du bâtiment.

Après Prison Break, le grand public sait tout ce qu’il y a à savoir sur la prison. Et il en redemande. Ambitieux dans son discours comme dans sa fabrique, le Prophète d’Audiard reçoit un accueil vibrant, et Tahar Rahim, inconnu au bataillon, devient le Scofield messianique et poète des plus exigeants. La prison se fait forêt de symboles, et les spectres discrets de Fox River prennent le temps de venir hanter les heures du captif. A la dialectique fraternelle se substitue un collage père-fils difficile et intenable au-delà des murs. Il y aurait beaucoup à dire sur ce clanisme carcéral tenté par le tropisme familial, rêvant le père sous les traits du protecteur de circonstance. C'est là un bien plus gros morceau, auquel je n'ai pas la patience de m'attaquer maintenant, confortablement installée dans un fauteuil mou, presque engourdie par le bruit des vagues.


C’est peu dire que Kim Chapiron surfe sur une tendance. Le parti-pris de Dog Pound est d’une franchise qui semblerait charmante si elle ne sentait pas l’opportunisme à plein nez : Kim Chapiron vous dira tout sur les prisons d’ados. Soit. Et le public de se jeter sur son film, persuadé de compléter à bon compte sa connaissance encyclopédique du milieu carcéral. Pourquoi pas ? Ajoutez à cela que, comme on a pris grand soin de nous le répéter, le casting se compose d’amateurs pêchés dans ce même milieu, et l’ivresse est totale : de vrais détenus jouant les faux détenus, finalement, c’est comme voir de vrais détenus tout court. Une fois encore, le public suit.

La visite guidée commence en fanfare. Trois héros, trois flashs très courts centrés sur la faute, trois cartons en police jaune, trois noms, trois délits. Après cela, plus personne ne franchira les murs avant l’ultime, fugace et prévisible aperçu du soleil, juste avant que les portes de l’Enfer ne se referment sur le héros martyr, les jambes brisées comme le larron en croix.






Entre temps, Kim Chapiron réussit la prouesse de refaire en 1h31 ce que Full Metal Jacket faisait en 20 minutes inaugurales avec lesquelles il était bien évidemment vain de prétendre rivaliser. Comme tous les jeunes réalisateurs (c’est son deuxième film), Kim Chapiron a du mal à se détacher de ses références, revendique à toutes ses interviews le droit de « rendre hommage » aux Grands. Posant sous le saint patronage de Truffaut et Pialat avec une humilité un peu louche, il semble de ceux qui ont la belle simplicité de s'effacer devant la Nature pour la plus grande gloire d'un jeune cinéma documentaire. Avec une modestie admirablement jouée, il confesse avoir lâché la bride à ses "vrais détenus" pour la fameuse scène d'émeute. Que de belles manières, jusqu'au générique final, et le merci galant à Ludivine Sagnier, sa compagne. Seules les plus mauvaises langues auraient l'esprit mal tourné au point d'y voir la revendication d'une appartenance à tout ce que la jeune intelligentsia du cinéma français a de plus in, et par in, vous comprendrez ce que vous voulez.

En langage honnête, Truffaut et Pialat me semblent bien n'être ici que des divinités tutélaires de façade. Mais Chapiron joue très bien, et vous croirez volontiers à sa sincérité, s'il vous plaît d'y croire. Inconsciemment ou non il se trahit, cependant, dès les premières secondes dès les cartons en police jaune empruntés à Tarantino, jusque dans la scène de tabassage nocturne, purement et simplement copiée sur Full Metal Jacket. Et si vous m'en croyez, moi qui suis peut-être la pire des mauvaises langues, ne perdez pas votre temps à chercher entre ces murs l'ombre sacrée de Truffaut : il ne s'agit pas d'ombre ici, mais d'un Kubrick bien réel, avalé tout rond, mal digéré. Tout ce qu'il y a à voir dans Dog Pound, nous l'avons déjà vu. Faut-il cependant enterrer Chapiron parce qu'il n'invente rien ? Il n'y pas que du mauvais dans Dog Pound. Tout d'abord, et ce n'est pas rien, il me semble éviter l'écueil du manichéisme (si vraiment ça vous intéresse, je développerai. Mais je vous préviens, j'ai la flemme). Les jeunes acteurs sont vraiment bien, la féodalité instable qui définit l'univers carcéral très justement rendue. La scène de sport collectif (parfaitement cliché au demeurant, mais toujours réconfortante) fonctionne à merveille. Quelques jolis effets de cadre, et en même temps, qu'y a-t-il à faire d'autre d'un décor de prison, quand on n'a pas la riche palette en ombres et lumières d'Audiard ? Non, décidément, enterrons Dog Pound, il est trop malhonnête. Tenter de nous faire prendre une fan fiction kubrickienne d'adolescent pour du Truffaut, et avec l'air modeste en plus ! Non, vraiment, c'est énervant. Plus grave encore, je me demande si tout cela n'est pas le signe que le versant fashion post-Prison Break est en train de tourner au voyeurisme stérile : comment expliquer, sinon, que le public revienne avec autant d'empressement à ce qu'il a déjà vu ? Dans le ciel documentaire, rien de nouveau. Je ne ressens pas l'envie de m'attarder encore sur une scène de viol de prisonnier par un petit camarade. Mais si c'est vraiment ce que vous voulez, revoyez Pulp Fiction. Le vrai drame, dans cette affaire, c'est que Dog Pound, arrivé bon dernier d'une longue course à l'image, et tout plein de réel qu'il est, n'a plus rien de dérangeant pour une génération qui connaît son Kubrick, et son Tarantino, par coeur.


Noémie.

PS : Sauvons tout de même Adam Butcher.

20 commentaires:

Anonyme a dit…

This site definitely has all the info I wanted concerning this
subject and didn't know who to ask.

my web-site :: Sito Ufficiale Gucci Borse

Anonyme a dit…

Hi to every body, it's my first go to see of this web site; this webpage includes awesome and in fact fine material designed for readers.

Here is my web blog ... Converse All Star

Anonyme a dit…

I was curious if you ever thought of changing the page layout of
your site? Its very well written; I love what youve got to
say. But maybe you could a little more in the way of content
so people could connect with it better. Youve got an awful lot of text for only having one or 2 images.
Maybe you could space it out better?

My homepage :: Louis Vuitton Handbags Outlet

Anonyme a dit…

Wonderful site you have here but I was wondering if you knew of any forums that cover the same topics discussed here?
I'd really like to be a part of online community where I can get suggestions from other experienced people that share the same interest. If you have any recommendations, please let me know. Many thanks!

Also visit my web page Cheap Jerseys

Anonyme a dit…

Hurrah, that's what I was exploring for, what a stuff! existing here at this website, thanks admin of this site.

my webpage: Abercrombie Bruxelles

Anonyme a dit…

What's up, all is going nicely here and ofcourse every one is sharing facts, that's
really excellent, keep up writing.

Here is my webpage :: Oakley Holbrook

Anonyme a dit…

Excellent blog here! Also your website loads up
fast! What web host are you using? Can I get your affiliate link to your host?

I wish my site loaded up as fast as yours
lol

Feel free to visit my web blog; Authentic Evgeni Malkin Jersey

Anonyme a dit…

I could not resist commenting. Perfectly written!

Here is my homepage; Evgeni Malkin Jersey

Anonyme a dit…

I have been surfing online greater than 3 hours today,
yet I never found any attention-grabbing article like yours.
It is pretty value sufficient for me. Personally,
if all website owners and bloggers made good content
material as you probably did, the net will likely be a lot more helpful than ever
before.

Here is my website ... Cheap Louis Vuitton Handbags

Anonyme a dit…

Pretty! This has been an extremely wonderful article.
Thanks for providing these details.

Feel free to visit my page: Michael Kors

Anonyme a dit…

hi!,I love your writing very much! percentage we keep up
a correspondence extra approximately your article
on AOL? I require an expert in this house to resolve my problem.
Maybe that's you! Having a look ahead to peer you.

Feel free to visit my web-site; Cheap Louis Vuitton Bags

Anonyme a dit…

Hello! I just wanted to ask if you ever have any issues with hackers?

My last blog (wordpress) was hacked and I ended up losing many months of hard work due to no backup.
Do you have any methods to prevent hackers?

My blog :: Abercrombie Paris

Anonyme a dit…

This paragraph will assist the internet users for building up new
blog or even a weblog from start to end.

Also visit my blog - Sac Louis Vuitton Pas Cher

Anonyme a dit…

We absolutely love your blog and find almost all of your post's to be just what I'm looking for.
Do you offer guest writers to write content for you personally?

I wouldn't mind producing a post or elaborating on a few of the subjects you write concerning here. Again, awesome web log!

My homepage: Nike Air Jordan

Anonyme a dit…

Howdy! This is my 1st comment here so I just wanted to give
a quick shout out and say I genuinely enjoy reading through your posts.

Can you suggest any other blogs/websites/forums that deal with the same topics?
Appreciate it!

Also visit my web blog Full Article

Anonyme a dit…

Your mode of explaining the whole thing in this
article is really good, all be capable of without difficulty understand it, Thanks a lot.


Here is my web page - www.ecoidea.in

Anonyme a dit…

Hey! I know this is kinda off topic however I'd figured I'd ask.
Would you be interested in trading links or maybe guest writing a blog post or vice-versa?
My website covers a lot of the same topics as yours and I think we could greatly benefit from each other.
If you are interested feel free to shoot me an email.
I look forward to hearing from you! Excellent blog by
the way!

my web page - geee.ru

Anonyme a dit…

What's up colleagues, good paragraph and nice arguments commented here, I am really enjoying by these.

Have a look at my web site visit this link

Anonyme a dit…

After looking over a few of the blog posts on your blog, I seriously like your technique of writing a blog.

I book-marked it to my bookmark site list and will be checking back soon.
Please visit my web site too and let me know what you think.


My web site ... Full Report

Anonyme a dit…

It is appropriate time to make some plans for the longer term and it is time to be happy.
I have read this submit and if I may just I wish to recommend you few attention-grabbing things or tips.
Perhaps you could write next articles relating to this article.
I want to learn more things approximately it!

My weblog - Louis Vuitton Handbags