8 octobre 2011

Drive me to the moon


Vu Drive il y a trois jours et je me retrouve à essayer d'écrire pourquoi j'étais dans tous mes états en sortant (j'ai l'enthousiasme furieux), pourquoi je répète à qui veut bien l'entendre que c'est l'un des plus beaux films de l'année.

La musique y était pour beaucoup. Souvenir d'eau : est-ce que c'est plus danois qu'autre chose ? L'eau ? Valhalla Rising était une histoire de viking errant en mer, Drive atteint son point d'orgue les pieds dans les vagues, qu'est-ce que ça veut dire ? Il y a un tableau représentant des vagues entre l'appartement de la Fille et celui du Héros, qu'est-ce que ça veut dire ? La lumière qui caresse l'océan noir du point d'orgue rappelle un lent fondu enchaîné du début, qu'est-ce que ça veut dire ?
J'aime l'eau. J'aime le Danemark. Lars Von Trier ne m'est pas plus sympathique pour autant, mais Viggo Mortensen, Mads Mikkelsen, Nicolas Winding Refn, ont tous quelque chose de - puisqu'il est temps de qualifier les choses - cette froide légèreté qui me semble caractériser l'ambiance de là-haut. De Copenhague, en tout cas, puisque c'est tout ce que j'en connais. Le sourire n'est jamais loin, mais apparaît rarement.

Drive est évidemment un exercice virtuose qui rendra hystérique n'importe quel adepte du cinéma bien fait. J'ai pourtant peu de goût pour les ralentis de Wong Kai Waï et de Xavier Dolan, qu'est-ce que ça veut dire ? Refn ne fait-il pas un peu les mêmes ? Il est, lui aussi, ce dandy drogué, cette star à lunettes (suis-je le seul à lui trouver des airs de Lars Von Trier, d'ailleurs ?) qui raconte à qui mieux mieux qu'il était drogué quand il a eu la VISION du film. Il est, donc, lui aussi ce dandy qui étire l'instant comme on laisse fondre le chocolat sur la langue, comme on fait couler le vin sous la langue, avant de l'avaler : ce mouvement du bras dans l'ascenseur...

Alors, pourquoi cette gastronomie du regard ne m'agace-t-elle pas ici, la réponse est simple, c'est parce qu'elle n'est pas seule, qu'il y a de la brutalité autour, beaucoup de Michael Mann, en fait. Beaucoup de Collateral, beaucoup de films américains qui se fichent un peu des ralentis. Beaucoup de ralentis pour une vitesse précieuse : on n'avait rarement senti autant d'amour dans l'éxécution d'une course-poursuite. Le héros est cascadeur : on a presque affaire ici à un making-of, à un cinéma qui se filme, à la gloire des artistes qui savent donner leurs courbes aux automobiles, le temps d'un plan qui ne saurait durer que quelques centièmes de seconde.

Il y a cette scène de braquage qui m'a rendu fou. Je sentais mon cœur s'étirer comme un élastique au fur et à mesure que le tic-tac du chronomètre remplissait le silence, agrandissait l'emprise du suspense à un niveau proprement cosmique. Lorsque Christina Hendricks est sortie de la boutique (ndlR : elle est insupportablement belle.), je ne me sentais pas mieux. Le coup de la caméra qui reste à l'extérieur de la scène du casse, on connaît pourtant : c'est ce fameux moment de Mission : Impossible 3 où Jonathan Rhys-Meyers parle de son chat juste avant que Tom Cruise ne se jette dans le vide, du sommet d'un building, traversant une vitre. Et JJ Abrams est, lui aussi, un amoureux de la vitesse, mais son écrin se fabrique dans l'autre sens : il fait en sorte que tout le film soit un bloc de vitesse. C'est monumental. Refn, orfèvre, fonctionne autrement, entoure la vitesse de lenteur. Non pas un building mais un bijou, en somme. Abrams fabrique du macro, Refn, du micro.

Et si je fais référence à Abrams, ce n'est pas seulement parce que je l'aime beaucoup, c'est parce que Drive, comme Super 8, sont deux films de 2011 : rappelez-vous, c'était l'année où les américains essayaient de parer à l'omniprésence de l'image de synthèse par un retour aux films des années 80-90 où il fallait attendre avant que l'action se déclenche ; le moment de l'overdose ayant été Quantum of Solace, autre fondamental de la course-poursuite, sorti en 2008. Ces films redécouvrent le plaisir de la patience - Tarantino, qui fait ses films comme on fait l'amour, parlerait sans doute de préliminaires, les siens sont toujours parlés ; ceux de Refn sont, plus classiquement, ralentis.

Vous aurez constaté que ce post n'est pas de ceux où l'on se retient d'étaler sa mythologie personnelle. Je continue dans ma lancée : Drive apparaît comme le pendant, de l'autre côté de la décennie, d'Incassable. Histoire de super-héros très humain. Où l'on porte à son apogée l'idée que, là où le héros est quelqu'un d'ordinaire accomplissant des actes extra-ordinaires, le super-héros est quelqu'un d'extra-ordinaire accomplissant des actes extra-ordinaires, et se sentant bien emmerdé par le poids de toute cette classe, de tout l'amour qu'on peut lui porter. Le calme absolu, le mutisme de Ryan Gosling tombent à pic. Il est, comme le Bruce Willis d'Incassable, cet homme que la gloire emmerde. Un peu Rambo : il voudrait juste qu'on lui foute la paix. A la fin, il enfile un masque. Un truc de super-héros clairement, mais son masque à lui symbolise le vide : du latex. Un masque sans yeux qui n'en a pas plus, même quand il l'enfile. Le masque des super-héros ne cache rien, il révèle, il signale et indique : attention, superhéros. Ce masque-là en est un vrai. Il cache. Il dissimule. Exactement à l'image de la capuche de Bruce Willis dans Incassable. Seulement, Bruce Willis se voue à sauver encore tout un tas de monde après ses aventures filmiques. Drive est l'histoire d'un super-héros jetable. D'un one-shot. Une seule prise suffit, comme pour ses cascades. Une fois marqué du sceau christique - autant que super-héroïque - de la blessure au flanc, il s'en retourne dans son île. Vrai monarque, vrai Danois.

Voilà, a priori, les raisons de mon plaisir. Je me trompe probablement. J'ai envie de retourner en trouver d'autres (au Max Linder, évidemment).


Camille

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