16 juillet 2011

Le Manoir de Paris


Playing with ghosts


L'idée venait de Camille, qui avait appris l'existence du Manoir quelques jours plus tôt, dans 10 minutes, A nous  aussi, bref, l'un de ces feuillets gratuits qui pleuvent dans le métro pour désennuyer les usagers parisiens. Il y avait donc, sur ce feuillet, quelques lignes bien à l'étroit entre deux colonnes, annonçant l'ouverture d'une maison hantée à Paris. Et nous, nous aimons bien les maisons hantées, surtout quand elles ne font pas trop peur.


Bref, c'est de la faute de Camille si vos humbles serviteurs se sont retrouvés, un vendredi de juillet vers 17h30, devant le bel hôtel particulier qui occupe, ça ne s'invente pas, le 18 rue de Paradis. Bien que plus proches, de coeurs et d'âmes, du geek trouillard en charentaises que du sanguinaire cinéphile par défaut, nous franchîmes le seuil de la ravissante cour intérieure pavée d'un seul élan bravache : nul besoin d'avoir signé en lettres de sang son titre de séjour gothique pour s'introduire dans le cénacle, non mais.


Dans la cour intérieure donc, il faisait grand jour. Pourvus de notre ticket d'entrée, nous nous sommes insinués dans une file d'attente qui, ne le nions pas, vous semblera si vous tentez l'aventure aux limites de l'immobilité. Mais pour peu que l'on consente à s'armer de patience, la file d'attente est à elle seule un spectacle. Fanfarons plus ou moins convaincus, terrorisés de tous âges, combattants aguerris des forces du mal, inquisiteurs et petits rigolos. Mais la cerise sur le gâteau, ce sont les enfants. Lors de notre visite, nous en avons vu arriver cinq, tous accompagnés d'adultes de bonne volonté. Tous les cinq sont repartis en courant et en hurlant. Le plus petit d'entre eux a même sauté par-dessus la corde qui délimitait la file d'un seul bond, et la corde était aussi haute que lui. On aurait dit que ses yeux allaient bondir hors de leurs orbites.


Araignées en plastique ? Images horrifiques ? Décors fantastiques ? Trucages pyrotechniques ? Dans la file d'attente, rien de tout cela. Des dalles, et sur le mur de petits textes présentant brièvement les légendes, romans et créatures diverses que l'on est venu rencontrer. Plein jour. La responsabilité de ces paniques enfantines revient aux quelques locaux qui tentent rapidement de lier connaissance, l'élégant Archibald, et l'attachant Camille. Mais dans l'intérêt des candidats futurs, je ne donnerai pas un détail de plus, pas même sous la torture.


Disons-le tout net : si vous venez au Manoir de Paris pour voir un film d'horreur, passez votre chemin. Nous avons trouvé çà et là sur la toile quelques critiques acerbes qui estimaient n'avoir pas eu assez de terreur pour leur argent. Ceux-là, nous nous permettons de le dire, n'ont rien compris. Le Manoir de Paris, ce n'est pas un film, ce n'est pas non plus un train fantôme et c'est bien plus qu'une maison hantée de fête foraine : c'est du théâtre, et pas n'importe quel théâtre. Une performance unique en son genre, construite comme une traversée de la scène en solitaire, ou presque. Nous étions deux. Pas franchement courageux, mais bavards. Et nous aimons les belles histoires qui ne finissent pas bien.


Pour peu que l'on ait assez d'imagination et que l'on consente à la laisser parler, l'expérience est unique et passionnante : la pièce se déroule au fur et à mesure que la scène se dévoile, parce que l'unique spectateur est venu exiger qu'on lui parle. Elle s'improvise et se raffine parce que l'unique spectateur a le droit de parler.


Je me souviens d'avoir été au collège une consommatrice épanouie de ces "livres dont vous êtes le héros" que certains d'entre vous ont peut-être encore dans un coin de bibliothèque. C'est un plaisir du même ordre, un peu régressif, ou plutôt un plaisir que l'on ne retrouve qu'en consentant à régresser un peu, jusqu'à mi-chemin de cet âge où l'imagination l'emportait toujours. Dans ces livres, tout était déjà écrit, mais on avait quand même un rôle à jouer : c'était à nous et nous seuls de former la combinaison finale. Sans nous, le livre n'existait pas, ne voulait rien dire. Sans nous, pas d'histoire.


Éveillant les morts au son de nos pas, à l'écho de nos terreurs enfantines, c'est pour nous seuls que la scène étrange du Manoir de Paris s'anime et que l'histoire déjà connue se raconte encore, trouvant chaque fois des mots différents. C'est du moins ce que l'on aime à croire, et ce que l'on est en droit de croire, car nous avons croisé au fil des salles des acteurs excellents, les maquillages sophistiqués et les lentilles d'Halloween ne faisant rien, presque rien à l'affaire. Nous avons joué. J'ai chanté pour le Fantôme de l'Opéra, Camille a fouillé dans les livres de Nicolas Flamel. Nous avons été joués, et c'était bon, c'était si bon, même menés par le bout du nez d'un faux cadavre à l'autre, de retrouver cette curieuse légèreté de l'être que l'on avait presque oubliée depuis le temps béni des livres dont on était le héros.


*     *     *     *     *

Des catacombes à Notre Dame, nous avons marché dans les ténèbres, nos yeux souffrant presque de voir. Derrière chaque mur surgissait un visage, difforme et souriant, les yeux immenses. Sous le visage, un corps fait de fragments, une cape sombre, une robe de l'ancien temps ou un costume de mime, des mains crispées comme à l'agonie. 

Nous marchons dans les ténèbres. Devant nous, une à une, les silhouettes s'esquissent et prennent corps, les lèvres desséchées s'entrouvrent  : une histoire est racontée. Les visages se rapprochent, cousus de cicatrices et de blessures. Les mains se tendent. L'histoire ne nous sera donnée que par fragments, car il n'est plus temps déjà, les mains se retirent, les silhouettes se dissipent comme une fumée volage, l'ombre engloutit les visages et les réduit au silence. Nous voudrions rester, saisir ces mains qui passent à travers l'air comme des menaces consenties, rituelles. Nous voudrions leur donner notre histoire. Il faut marcher, pourtant, et nous marchons, de cadavre en cadavre, de blessure ouverte en grimace béante, de légende en légende. Il n'y a pas de chaise pour nous au Cabaret des Assassins, pas un espace dans l'ombre du jardin des Tuileries, du Père Lachaise. A la Bastille, aucune geôle libre. Il faudra bien sortir. Trop bruyants dans le murmure des contes, nous passons, jetant quelques mots au hasard des rencontres. Maladroitement, comme des enfants qui s'échangent, à la nuit tombée, des histoires qui font peur, nous rêvons d'imposer nos ombres de vivants en filigrane de celles des morts. Il n'est plus temps, hélas. Il faudra bien sortir.



Noémie.

PS : Les illustrations sont des captures de deux dessins animés de Disney, la toute première des Silly Symphonies intitulée "The Skeleton Dance" (1929) et "The Haunted House" (1929), qui en réutilise certains éléments, ainsi que de L’Étrange Noël de Mister Jack (1993) et Les Noces funèbres (2004), de notre anciennement bien-aimé Tim Burton.

1 commentaire:

Unknown a dit…

bonjour, si tu es intéressé par ces 2 courts métrages Disney, je t'invite à lire les critiques que j'ai publié sur mon site :
- The Haunted House (1929)
- The Skeleton Dance (1929)

tu pourras y trouver plusieurs anecdotes et tous les détails sur leur production, les critiques de l'époque, etc... à bientôt !!