All right, regardez plutôt : de quel film American Trip s'inspire-t-il ? Affiche de gauche, ou affiche de droite ?
Affiche de gauche. American Trip est le spin-off de Forgetting Sarah Marshall, Sans Sarah rien ne va en France (Nicholas Stoller, 2008). American Trip, de son vrai nom Get him to the Greek (Nicholas Stoller, 2010), est une jolie réussite, et le film le plus mal vendu de l'histoire.
Ce mois-ci, le dernier Frères Farrelly sort (Bon à Tirer, a priori du haut de gamme), mais avec une affiche qui rappelle les American Pie (bas de gamme par excellence). Déjà l'année dernière, American Trip, festin d'Apatowyness, souffrait du rapprochement avec la franchise sus-nommée. Enfin, on se sentirait moins bête à vanter les mérites de Very Bad Trip si son titre français ne reposait pas sur trois mots parmi les six qui connotent immanquablement la débilité potentielle du cœur de cible (very, bad, trip, american, sex, pie). Comment donc démêler le navet de la perle ?
1. Very Bad Trip
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1. Very Bad Trip
Avant toute chose : flash-back.
Avant-hier, Gibert Joseph. J'y suis avec Sandra, qui vient de Washington, et s'étonne du titre de Very Bad Trip. Qui sont ceux qui choisissent les titres français ? Pas la moindre idée. Je les imagine tout juste sortis d'un séminaire d'1h30 sur la psychologie de l'acheteur potentiel, ce qui plaît, le sexe et la bouffe : du Sex, du Pie.
Fin du flash-back. C'est le moment de revenir sur tous ces titres qui s'entrecroisent, se mélangent, n'ont rien à voir entre eux et pourtant uniformisent toute la production américaine en matière de comédie. Si l'on en croit les affiches, à part les Jim Carrey et quelques Judd Apatow, toutes les comédies américaines ne volent pas beaucoup plus haut qu'American Pie. Il arrive aussi que de bonnes productions Apatow pâtissent en France de sous-produits dérivés : ainsi En cloque, mode d'emploi (l'authentique, Knocked Up en VO) s'est retrouvé vampirisé en décembre dernier par Bébé, mode d'emploi (le fake, Life as we know it en VO, rien à voir).
Le titre américain de l'excellent Very Bad Trip (Todd Phillips, 2009) est The Hangover : "la cuite". Le terme de bad trip ne s'appliquant qu'à l'absorption de drogue, le titre français gâche la surprise du film, censé laisser croire que les personnages n'ont pris que de l'alcool. Question : pourquoi être passé de The Hangover à Very Bad Trip ? Réponse : parce que la cuite a lieu à Las Vegas, et qu'il s'agit ici de rappeler au cœur de cible un slasher movie découvert dans sa jeunesse : Very Bad Things (Peter Berg, 1998 - avec Jon Favreau, futur réalisateur d'Iron Man).
Où est le rapport avec Very Bad Things ? Facile : c'est aussi une histoire d'enterrement de vie de garçon qui part en vrille à Las Vegas. Sauf qu'à l'époque, Very Bad Things avait du sens : c'était le titre américain, resté tel quel en français. Du coup, on comprenait : les invités de ce mariage allaient faire de très grosses bêtises. All right.
Donc, Very Bad things + séminaire d'1h30 sur la psychologie du cœur du cible + enterrement de vie de garçon à Vegas + histoire de drogue = Very Bad Trip.
C'est comme ça que l'on se retrouve avec, en 2010, un Very Cold Trip venu de Finlande qui n'avait rien demandé à personne. Mais il s'agit aussi d'une comédie avec trois mecs. Les responsables des titres ne vont pas chercher plus loin. Lapland Odyssey, "Odyssée en Laponie", devient Very Cold Trip parce qu'en Finlande il caille.
C'est comme avec la formation du mot "bus". "Bus" vient de "autobus" qui est la contraction de "automatique" et "omnibus". "Omnibus" veut dire en latin "pour tous". "Bus" n'est qu'une terminaison, qui n'a aucun sens en elle-même. "Autobus" ne veut donc rien dire. Bref, omnibus, autobus, bus, bad, cold, trip - vous avez compris.
Mais avant que Very Bad Trip 2 n'atteigne les écrans le 25 mai, je vous propose de continuer de déplier cet espèce de rummikub des titres débiles de comédies.
Todd Phillips, réalisateur de Very Bad Trip, est aussi le scénariste d'une franchise dotée d'une terminaison en -trip : Road Trip. Le premier Road Trip date de 2000 : des jeunes, une voiture, des filles à moitié-nues. Ici, trip fait encore semblant de vouloir dire "voyage". Voilà l'affiche, c'est émouvant. Regardez sur la main, la ville d'arrivée s'appelle Ithaca, c'est une référence à l'Odyssée, la seconde dans ce post. Je suis sûr qu'Homère en est ravi.
A noter que Road Trip surfe sur la vague du premier American Pie, sorti en 1999, et qui avait relancé la vague des films pour teens en lui faisant franchir un nouveau palier de vulgarité. D'une certaine manière, on pourrait dire qu'American Pie a ouvert un tunnel, dont les galeries se sont avérées plus profondes que jamais dans les strates de la grossièreté, de la scatophilie, etc. Ce post est un post spéléologique. Gardez bien votre lampe frontale allumée. Vous avez vu The Descent ?
2. American Trip
Nouveau flash-back. Ça m'arrive souvent, ces derniers temps.
1998 : Very Bad Things sort. Le titre est le même en VO qu'en français.
1999 : American Pie sort. Le titre est le même en VO qu'en français.
2000 : Road Trip sort. Le titre est le même en VO qu'en français.
Road Trip n'a connu qu'une suite, Beer Pong, je vous laisse deviner de quoi elle parle ; le huitième American Pie est en production, ça fait froid dans le dos, je sais.
2010 : American Trip. Le responsable des titres du début de la décennie s'est fait virer, ou alors il s'est fait engueuler : on ne le payait pas pour retranscrire les titres tels quels, zut ! Alors, il fait du zèle, et nous voici dans l'ère des traductions de titres complètement à l'ouest. American Trip est encadré en rouge sur les affiches françaises. Titre original : Get him to the Greek [Amène-le au Greek]. Question : à part une petite référence à une salle de concert un peu obscure outre-Atlantique, qu'y avait-il de si terrible dans le titre original pour qu'il se retrouve transformé comme ça ?
Après le séminaire d'1h30 sur la psychologie, le responsable du titre a fait abstraction du fait que le film était le spin-off de Sans Sarah rien ne va.
Bon, dit comme ça, ça n'a pas l'air fabuleux. Titre original de Sans Sarah rien ne va : Forgetting Sarah Marshall [En oubliant Sarah Marshall]. Déjà pas la même classe. Pour Jason Segel, scénariste et acteur principal du film (celui qui tient Mila Kunis contre lui sur l'affiche, à gauche), c'est l'œuvre de sa vie, son autobiographie. L'homme est plutôt branché marionnettes, d'ailleurs il est scénariste sur le film des Muppets qui devrait sortir à la fin de l'année (Amy Adams fera une voix, Disney produit).
Bref, Forgetting Sarah Marshall est cette histoire d'une actrice qui largue son mec pour une rock star. La rock star, incarnée par Russell Brand, et son groupie gay refoulé, Jonah Hill, y sont tellement géniaux qu'un spin-off voit le jour, uniquement centré sur eux : Get Him to the Greek. Le film brille par sa restitution de cuites, ses numéros d'acteurs, la distance sympathique vis-à-vis de ses propres blagues, son inscription dans une perception très contemporaine de la liberté sexuelle et de la solitude. (Cette dernière phrase souffre clairement de l'influence des discours de remise des prix où il ne faut dire le nom du lauréat qu'après l'énumération de ses qualités).
Voyant le film après 1h30 de séminaire, que s'est dit l'homme chargé du titre ? Drogue + Vegas = TRIP. Filles à poil + sexe pour ados = AMERICAN.
Et le malheureux a opté pour cet espèce de packaging qui consiste à encadrer le titre en rouge, comme s'il ne s'agissait que d'un tampon brutalement apposé sur une affiche, l'estampillage AMERICAN BULLSHIT. C'est comme ça qu'on a l'air con en passant Get him to the Greek à la caisse de Gibert. Alors que l'affiche américaine est plutôt chouette. -->
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En 2002, une assez bonne parodie, écrite par des gens déjà lassés des American et des Trip, était sortie : Not Another Teen Movie. En France, c'était fichu : Sex Academy ne s'est pas remis de son préfixe pour ados, et s'est retrouvé noyé dans la masse. Alors qu'on y trouve un côté ZAZ très réussi. C'est aussi l'un des premiers rôles de Chris Evans dans le rôle principal, aperçu dans Scott Pilgrim, et futur Captain America.
Not another teen movie parodiait surtout Sex Intentions (Cruel Intentions en VO, donc pas un film au préfixe en Sex, rattaché à Sex Crimes du coup - Wild Things en VO - mais une bonne adaptation des Liaisons Dangereuses). Sex Intentions connaîtra deux suites, et dans le 2, c'est une Amy Adams débutante qui joue Merteuil. Elle s'y fait traîner dans la boue, exactement comme dans Leap Year (Donne-moi ta main est un nouvel exemple de titre francisé qui jouait sur un écho avec un film qui n'avait rien demandé à personne, Prête-moi ta main, avec Alain Chabat ; ce sont deux navets, hein, don't get me wrong.)
J'en reviens au film des Frères Farrelly, qui sort mercredi prochain en France. La présence d'Owen Wilson assure, sinon quelques rires, un niveau d'acteurs supérieur à celui des films que connote l'affiche avec les fesses en bikini. Quant à son titre original, ce n'est pas Bon à tirer mais Hall Pass. Le titre américain est aussi connoté sexuellement mais de manière moins graveleuse, et puis, je vous laisse comparer les affiches.
faut-il préciser que le "bon à tirer" n'a rien à voir avec le "passe-partout", et que le titre français n'a de sens que de manière graveleuse, contrairement au double-sens du titre américain
Non, vraiment, ayant découvert The Hangover et Get him to the Greek à deux jours d'intervalle, je n'ai que du bien à dire de la comédie américaine et aussi, de fait, du Thursday Night Live, cinéclub animé par Jacky Goldberg, critique aux Inrocks, un jeudi par mois au studio des Ursulines (entre Luxembourg et Port Royal). Jeudi 21 avril passera Braqueurs Amateurs, merveille de comico-tragédie qui annonce Sarah Marshall ; avec Jim Carrey. J'ai eu ma phase Braqueurs Amateurs il y a un mois, où je ne parlais plus que de ça et je vais essayer de ne pas replonger, mais si vous êtes dans le coin, il faut y aller.
Il reste quand-même une chose que l'affiche de The Hangover, même américaine, ne signale pas. C'est la filiation directe avec Rain Man.
Camille
P.S. Vu Very Bad Trip 2. Ri 4 fois (parce que Zack Galifianakis). Il est question de la même chose que dans Sleeping Beauty, film présenté à Cannes où Emily Browning (héroïne de Sucker Punch) incarne une jeune femme que l'on drogue pour la violer. C'est exactement ce qui arrive à Stu, le dentiste des trois fêtards. Il découvre, en décuvant le lendemain, qu'il s'est fait sodomiser par un trans. Trop drôle. Le mec fond en larmes, ses copains se marrent. Autre point assez gênant : lors d'une scène de réminiscence magique (grosse facilité de scénario...), Zack Galifianakis revoit certains moment de la nuit. A ceci près que tous les personnages sont remplacés par des enfants. Des enfants que l'on voit donc boire, se droguer, aller aux putes, etc. Et, supposément, un enfant se faisant enculer par un trans. A Cannes, il était aussi souvent question d'enfance brisée et il y a dans Very Bad Trip 2 un rapport absolument anti-comique aux gosses. Comme lorsqu'un gamin, en train de se faire tatouer, obéit au tatoueur et s'apprête à montrer ses couilles à Stu pour lui prouver qu'elles sont plus grosses que les siennes ; comme ces photos de générique où on voit les héros faire la fête, entourés de ce que les bars glauques de Bangkok ont de plus tristement célèbre. L'affiche de Very Bad Trip 1 n'annonçait pas la parodie de Rain Man. L'affiche de Very Bad Trip 2 n'annonçait pas un humour aussi noir.
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