Il y a tout dans Skyline. De la mauvaise foi, du ridicule, de la cupidité, du machisme, de la bêtise, du manque de talent. Des cadrages foireux, des trucages ratés, du plagiat (un procès est d’ailleurs en cours avec Sony). Un personnage qui urine en accéléré et sort des toilettes à la vitesse normale, reprenant son jeu torturé (celui qui a le même bouc que le voleur de Raiponce, ça doit être à la mode). Il n’y a pas beaucoup d’acteurs, mais on sent qu’à l’exception des quelques uns qui viennent de séries, les réalisateurs les ont ramassés sur Youporn ou dans la famille des quelques idéalistes qui leur ont prêté de l’argent.
On se dit bien au début qu’il y a de l’idée, cette lumière qui attire les humains dehors et les détruit. La scène d’ouverture entre dans la catégorie « prometteuse » puisqu’on n’y voit rien : on se dit que ces mecs sont culottés, voire ingénieux, que le film commence sur des chapeaux de roue et qu’à ce rythme-là, ils vont aller très loin. Et puis non : l’instant d’après, flash-back, une blonde à la lèvre supérieure anesthésiée par le silicone regarde son mec tatoué raconter sa jeunesse. Il y a ensuite une fête pour faire comme dans Cloverfield, sauf qu’ici on n’aura pas le courage ni le talent de maintenir le parti pris de la caméra subjective jusqu’au bout. Quant à la fameuse Lumière Qui Tue, elle sert surtout à justifier que les volets soient tirés en permanence, et évite que l’on ait à rajouter à l’image, à travers les fenêtres, la ligne d’horizon de Los Angeles, justement… Escrocs avec ça ! Le truc, au début, c’est d’ailleurs de ne pas filmer l’horizon mais le sol (ces fameux plans de buildings vus du dessus, vous savez), tandis que d’espèces de météores bleutés viennent se poser au sol. L’idée est venue aux frères Strause lorsqu’ils ont filmé sous l’eau un acteur plonger : les météores entrent dans l’atmosphère avec la même déflagration qu’un corps qui entre dans l’eau ; ensuite, les vaisseaux extra-terrestres se déplacent comme des pieuvres (donner l’impression qu’un film se passe sous l’eau, c’est une idée de Cameron sur Avatar, qui n’a pas fini d’être recopié). Ça doit sûrement vouloir dire que les acteurs sont dans un aquarium et qu’ils sont cons comme des poissons rouges (il faut les voir tenter une sortie, échouer, remonter, proposer cinq minutes après : « bon, on réessaye ? », et débattre entre eux, avec des gros mots et des poussées de testostérone).
C’est qu’il en faut, des dialogues : Skyline est un huis-clos. Les personnages ne quittent jamais le bocal, soit l'hôtel de luxe où logea l'équipe de production. De la piscine au toit à la piscine au toit en passant par les escaliers les toilettes et le salon. Des acteurs, il doit y en avoir 12 en tout. Les autres humains aperçus sont des pixels. A vrai dire, c’est cette trouvaille de l’aspirateur céleste à corps humains qui m’avait excité, je trouvais l’affiche vraiment chouette (mais « du ciel viendra l’enfer », c’était déjà la tagline du Choc des Titans, j’aurais dû me méfier…). A la place, le petit nombre d’acteurs permet deux choses : 1) Plus ils meurent vite, plus ils en font des caisses. 2) On sait qu’aucun nouveau personnage ne peut apparaître, passée une heure de film. Donc que personne ne peut mourir, et surtout pas la jolie blonde. Quant à l’aspirateur céleste, on le voit à peine, et il est mal filmé.
Voilà, c’est ce qu’il y a de bien avec Skyline : c’est complètement nul. Ce n’est pas seulement un film qui manque d’imagination, ou un film raté parce que la trame est prévisible ou que les acteurs manquent de conviction. Il se situe à l’endroit où les extrêmes se touchent, où on cesse de se sentir floué pour retrouver l’enthousiasme qu’on a devant les œuvres d’exception. Vous connaissez Ed Wood ? Skyline est à Ed Wood ce que Michael est à Michael Jackson. Une œuvre posthume. C’est pourquoi il est hors de question de le prendre au sérieux, de lui faire les reproches qu’on fait aux vrais films. La sympathie n’est évidemment pas le premier sentiment qu’il suscite : il y a quelque chose d’assez prétentieux dans le fait de se moquer d’un réalisateur (en l’occurrence Michael Bay, quand un personnage, animateurs d’images de synthèse comme les frères Straub, raconte que son travail sur des combats de robots est débile) pour ensuite le copier (quand la caméra filme en contre-plongée deux personnages au-dessus desquels passe, au ralenti, un énorme objet, plan fétiche du premier Transformers parodié d’ailleurs dans Raiponce aussi – décidément…). Mais non, on n’est finalement pas fâché. A force de vouloir jouer aux Californiens, les frères Strause sont mignons ; bêtes, mais comme un poussin, un veau ou un gosse de 12 ans peut l’être. Même Zack Snyder, quand il faisait 300, avait encore trop de recul vis-à-vis de son film pour qu’on croie vraiment à la bêtise de ses personnages. Les Spartiates ne sont pas débiles, ils sont vides. Ce sont des coquilles parlantes avec des capes et la peau qui brille. Les héros de Skyline, eux, en revanche, ont juste ce qu’il faut d’absence de profondeur pour concurrencer les personnages de ces soap opera dont on a oublié l’existence depuis qu’on a cessé de rendre visite à nos grands-parents en début d’après-midi, quand ils regardaient Derrick, Les Feux de l’Amour ou Amour, Gloire et Beauté.
Le plus beau dans tout ça, c’est qu’il s’agit d’extra-terrestres qui se nourrissent de cerveaux et les chient ensuite. Cette métaphore du projet du film est accompagnée de son machisme, qui valorise les hommes pour mieux se débarrasser des femmes - sauf quand elles sont de gentilles pondeuses. La tentatrice est la première à mourir, la jalouse la deuxième (en plus elle fume ; le plaidoyer contre le tabagisme passif a été le moment où le public a communié dans un seul éclat de rire sarcastique et réjoui), l’épouse-qui-rappelle-maman la troisième. Les garçons sont dévorés par des aliens à tête de vulve jusqu’à ce que le héros prenne son courage et un parpaing à deux mains pour éclater l’une de ces obscénités, et sauve sa jolie copine enceinte. J’ai cherché : pas une once de second degré. Pur navet. Comme Ed Wood fou de joie à l’idée de pouvoir filmer une pieuvre mécanique, les Strause ne se sont véritablement pas soucié de ce qu’ils disaient, de ce que disaient leurs personnages, de ce que disait leur film. J’ai attendu, guetté : aucun sursaut, aucune prise de conscience, aucun changement de cap. A aucun moment ces techniciens n’ont quitté des yeux leur idée vendeuse : réaliser le premier film catastrophe à très petit budget (12 millions de dollars, soit à peine plus que le budget de la scène d’Independence Day où Jeff Goldblum joue aux échecs dans Central Park). De la même manière qu’Ed Wood, lorsqu’il tourna Plan 9 From Outer Space, ne quitta jamais des yeux son bonheur d’enfin tourner un film avec Bela Lugosi, et ne fit attention ni aux erreurs de raccords ou tout simplement au jeu des acteurs. Revoyez le film de Tim Burton, Ed Wood, et voyez Skyline. Les deux se complètent, un peu comme Boulevard de la Mort et Planète Terreur.
Bonheur donc de voir un film aussi nul (bon, heureusement qu’il est court). Où l’on n’est même pas mauvaise langue quand on dit que les acteurs ne savent pas jouer : quand un personnage allume une cigarette après avoir ouvert le gaz, regarde l’alien qu’il va faire sauter, et lâche : « vaya con dios, son of a bitch », la conscience nostalgique de la nullité de sa réplique ne vient en rien pervertir le ridicule complet de sa posture. Mais les Frères Strause n’ont rien à perdre. Dommage pour eux, si leur film rembourse ses frais (ce qui risque d’arriver), ils se sentiront obligés de progresser, et cesseront d’être les plus nazes du Z, pour ne plus être que de très mauvais réalisateurs. En attendant, Skyline est un film adorable. Adorable et précieux, enfin, utile. A tous ceux qui pensent encore qu’Expendables est un nanar, que Michael Bay est un bourrin, ou que Cloverfield n’est pas une merveille, je dis : allez voir Skyline. Vous vous rendrez compte de ce qu’est, vraiment, une belle daube.
Camille.
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