30 mai 2012

Sous l'océan 4 : Das Boot (director's cut)


 Cinéphilie jackass, le retour.

Ce soir, je tente pour vous l'expérience périlleuse qui consiste à regarder la director's cut de Das Boot à partir de 23h30. Et comme je connais votre curiosité à l'égard du sujet mais aussi votre flemme absolue de vous enfiler 4h42 de film, je live-tweeterai l'expérience ici.

Qui d'autre fait ça ce soir ? Sur 7 milliards d'individus sur Terre, très exactement : un fan de Wolfgang Petersen, célibataire et sans enfants, dans le Minnesota, et le sélectionneur de la cinémathèque d'Oulambator, qui envisage une rétro sur la Seconde Guerre Mondiale pour la saison 2013. Le premier n'a pas internet. Le second prend des notes pour lui. Je suis donc le seul à le faire pour vous.

 Moquez-vous: tandis que vous fondez, poupées de cire, dans l'étuve de vos appartements sans clim, je suis sous l'eau.

Alors... « Langues »... Ah oui tiens, c'est en allemand.



 
Ok

Das Boot, donc. 1981. Film de Wolfgang Petersen, aka l'Allemand sous-estimé : la director's cut de Troie est une merveille, En Pleine Tempête est tout à fait correct, et qui oserait dire du mal de L'Histoire sans fin ? Last but not least : né le 14 mars, Petersen est avec Gore Verbinski (16 mars) l'un de ces réalisateurs-poissons attirés par le monde aquatique (si, si).

Souvenez-vous, il y a un certain temps – mais pas si longtemps non plus – nous avions commencé sur Mauvaises Langues une série de post consacrés aux films de sous-marin. Au programme déjà : USS Alabama et U-571, K-19, 20 000 lieues sous les mers. Das Boot se déroule dans un U-96. Retour à l'époque martiale d'U-571.

  23h40. Play. Clic.

* * *

Début à La Rochelle. Scène de cabaret. Avant qu'on ait eu le temps de dire ouf : les voici, les voilà, le Commandant, et le Second. L'un sobre et glabre, l'autre barbu et bourré, d'ici 1 heure du matin ils devraient se rentrer dedans.

Un clone d'Amanda Seyfried pleure sur une mélodie cheesy à la guitare. Un jeunot part à la guerre et lui fait signe. Sur 40 000 sous-mariniers nazis, 10 000 sont revenus, disait le carton introducteur.


Les scènes de fêtes font penser au 1941 de Spielberg, sorti un an plus tôt ; les plans-séquences débridés sentent le director's cut à plein nez.

Décors hallucinants de la rade de La Rochelle, profondeur de champ toute de béton et d'étincelles.


24 minutes ont passé. Il est minuit. J'entre dans le vaisseau et découvre ces fameux corridors métalliques - les studios Bavaria de Munich, que l'on visite encore aujourd'hui.

Très gourmand en plans-séquences, Wolfgang. Question : où faisait-il passer son énorme caméra ?? Tout ceci est vraiment très étroit. (Réponse dans les bonus : le cameraman s'appelle Jost Vacano et a inventé...


Minuit 08 : immersion ! La caméra est à la surface, le sous-marin plonge de profil dans une mer grise. Alaaaaarm !


L'impression que tout le monde ressemble à David Thewlis dans ce sous-marin



Les voilà en train de descendre le plus profond possible. En général, le passage obligé de la scène où l'on descend trop profond intervient très tard, puisque c'est le climax de l'effet de claustrophobie.

Là, minuit 11, on se laisse déjà couler.

La vérité c'est qu'il fait probablement aussi chaud chez moi qu'à l'intérieur de leur bon dieu de sous-marin

 

Bon, soyons honnêtes : 5 heures, c'est la durée d'une série. C'est un peu comme si j'avais l'intention de regarder l'intégralité de la saison 3 de Californication d'une traite (ne cherchez pas de rapport, vous ne trouverez pas). D'où ce fonctionnement de série : tous les personnages ont droit à leur scène, à leur développement personnel.


Très efficace, le plan en contre-plongée du sous-marin qui vient de plonger, justement. On voit la surface vue d'en-dessous défiler au-dessus de l'écoutille. Véritable sensation d'immersion. Minuit 25.

Scène de quinze plombes où ils déchiffrent un message en morse... Qui finalement n'est pas pour eux. Je sens venir l'expérience physique, là. La nuit sera longue.


Une voix off à la Désert des Tartares. « L'océan, rien que l'océan... »

non, ce ne sont pas les guignols de l'info
De la sueur et du fer. Tout est là. Das Boot, c'est l'huile lubrifiante des machines devenue transpiration du métal. Même chose sur ces hommes-robots huilés, dégoulinants, poisseux, le cœur battant d'inquiétude comme des pistons surexcités.

Quelque chose sur les yeux, aussi. Que regardent les yeux dans un endroit aussi clos ? Absence de reflet dans les yeux, quintessence du terne. Ce qui sublime cela : la fatigue.


Das Boot aurait été splendide en numérique. Très souvent les plans sont découpés en carrés de couleur. Lumière rouge d'un côté, bleue de l'autre, blanche encore ailleurs... Ils ont dû se donner un mal de chien pour arriver à obtenir un effet dont Michael Mann se délecte quand il tourne, par exemple Miami Vice : passer d'une lumière à une autre dans un mouvement de caméra et laisser la caméra se débrouiller avec la lumière.


Technique récurrente qui consiste à montrer le sous-marin de l'extérieur avec la voix off lyrique, avant d'y plonger à nouveau le spectateur. Comme des respirations pour l'empêcher de s'habituer à l'enferment

Minuit 50. Alaaaaarm ! On prend 30 mètres.

c'est Bilbo qui aurait été content
Les scènes de repas rappellent beaucoup celle du premier Matrix où ils dégustent un truc en se demandant si ça a vraiment le goût du poulet. Mais Matrix empruntait beaucoup aux films de sous-marins (immersion dans la Matrice régulières, Capitaine et Second qui s'engueulent, ce genre de trucs...)

Je pense au Grand Prix de Monaco que j'ai regardé dimanche. Toujours les mêmes plans, les mêmes cadrages, pendant 5 heures. Pour l'instant, dans le sous-marin, il n'y a pas 50 décors où promener les travellings. Depuis une heure, les cadrages se suivent et se ressemblent. Mais pas les plans. Petersen était inspiré. Je ne m'ennuie pas. Le sommeil regarde le film aussi et me laisse tranquille.

 

Bientôt une nouvelle immersion. On est servis. C'est toujours le moment que je préfère. La caméra reste à l'extérieur. Cette fois-ci, elle s'attarde un peu après la disparition du vaisseau, sur la mer grise balayée par la pluie.

Das Boot ou la métaphore de l'homme qui ne capte pas internet chez lui. Aucun signal radar.
 « … Nichts ? ...»

Le film de sous-marin renvoie aussi toujours à cette peur de la hiérarchie qui peut ordonner ce qu'elle veut et pourrir les vies.Très universel, ça.

 

 Comme même la musique au synthé a l'air d'être jouée par une boîte de conserve (façon Terminator, autre histoire de machine destructrice), on est surpris quand les choses explosent. L'action est réellement intrusive, brise l'enfermement quasi-confortable qui s'était établi, et le calme, et l'attente. La rencontre finale de U-571 avec un destroyer intervient donc au bout d'une heure et demie dans Das Boot.

Et bim ! Nouvelle explosion surprise. Angoisse angoisse, il est 1h11 du matin.

« … Tiefer. » (plus profond)
« … Tiefer. Tiefer. »
Sûrement l'un des plus jolis concerts de grincements du genre. Très sonore, très appliqué. On sent qu'ils ne cherchent pas à contourner le code, pour l'instant.

 Les yeux écarquillés hors-champ. En 1981, Spielberg était passé par là... (Comme Emmerich, l'autre allemand – mais pas sous-estimé, lui – Petersen n'a jamais été très loin des maîtres hollywoodiens, jamais précurseur, toujours dans le sillage.)

 

1h43 de film, il est 1h18, fin du premier disque. Très brusque, comme ressortie. Bon.

* * *

Replongeons. Play.

Ils refont surface. Scène de fête. Je pense à Kusturica, Underground qui devient ici Underwater.


Deux heures de film, toujours aucun mort. Celui qui a vu En Pleine Tempête commence à se méfier.


Nouvelle immersion filmée en contre-plongée. Toujours un moment important. Le plan dure quelques vraies secondes. Quelques instants de calme.

Rencontre d'un autre sous-marin en pleine tempête. Échange de signaux. Très belle scène. Un côté Rencontres du 3e type. On reste sur le U-Boot des héros, aucun contre-champ.

 

Tic-tac permanent à l'intérieur (merci la remasterisation). Il y a aussi d'excellentes répliques :


Ces moments où ça hurle ALAAAAARM ! Et la caméra surexcitée travellingue comme une folle vers l'avant du sous-marin, dans le dos des marins qui vont, courent, se baissent, esquivent les coursives, se planquent à l'avant et se préparent à plonger. Le tube file autour de la caméra qui court après les hommes comme un chien heureux de jouer. Euphorie. Juste après, bien-sûr, c'est le silence... Et les explosions.


Hurlement métallique des croiseurs qui sombrent autour du sous-marin. Magnifique.

1H55 du matin. Après quelques explosions débarque la grande-star du film, à la lueur de torches spielbergiennes dans l'habitat obscur : le bruit du sonar...

Il est 2h. Ils sont touchés. L'eau s'infiltre. Le feu aussi. C'est la merde. La Scheisse.

Je ne sais pas si c'est répétitif ou quoi. Je l'avais dit : c'est une expérience physique. Depuis que la tempête a cessé et que les problèmes de maladie sont finis, on est dans la tension permanente. En guise de cerise sur le gâteau, nouvelle descente en profondeur. Il suffit de faire sauter un boulon en gros plan pour que tout le monde soit au taquet. Effectivement ça coûte pas cher et c'est efficace. 

Non mais, je dois quand même vous avouer que je ne suis pas en train de bouffer mon oreiller sous l'effet de l'angoisse, hein...

Wowowowow la scène où Johan pète un plomb... Pas mal pas mal.
Johann avant
Johann après
L'élément le plus étouffant dans tout ça reste la musique au synthé. On se sent enfermé au tout début des années 80.

Sadisme incroyable. Ces mecs sont des souris de laboratoire qu'on torture. Rarement vu un film aussi long faire autant souffrir ses personnages.

 ... Et encore un peu de torture psychologique quand ils sont obligés de laisser mourir les rescapés du destroyers qu'ils viennent de couler. Pour l'instant, pas encore trop de disputes entre membres de l'équipage.

 

Il est 2h40. Cela fait 3h que le film a commencé. Il doit en rester deux. Mais pour l'instant, retour au port.

Vrai fonctionnement de série. Chaque péripétie dure 20 minutes. Là, ça fait un quart-d'heure qu'ils s'approchent des côtes. Pas de musique, juste du suspense. Toujours, l'angoisse ne prend pas, mais je ne m'ennuie pas. Étrange combinaison.



Ils vont devoir passer le détroit de Gibraltar. « C'est étroit comme une vierge. Il va falloir lubrifier notre bateau. » Tout s'explique. Ces histoire de sous-marins remplis d'hommes, c'est l'errance du masculin au milieu de l'eau, de l'élément féminin. C'est encore et toujours L'Odyssée, des hommes perdus errant de femme en femme. Il paraît d'ailleurs que c'est à Gibraltar que vivait Calpyso qui retient Ulysse pendant 7 ans.

L'immersion devant la côte éclairée. Splendide.

 

3h05 du matin. 3h30 de film. On repart en mer, direction Gibraltar. 68e jour en mer...

Du sang pour la première fois (à 3h45 de film, 3h20 du mat') – et raccord du type qui saigne sur l'écoutille dégoulinant d'eau éclairée par les ampoules rouges, bien vu, on s'est cru dans Osmosis Jones pendant quelques secondes.

« Verdammt ! Verdammt ! »


  Ça est, j'ai trouvé. Le Capitaine est un sosie de Garrett Hedlund dans Sur la route. Il s'appelle Jürgen Prochnow et joue aussi dans Le Patient Anglais (aucun souvenir).

oui, c'est lui
Et encore une petite plongée dans le rouge du Tiefenmesser... Le concert de grincement sur les gros plans des yeux recommence... 210... 220... Les boulons recommencent à sauter... Fin fond de la nuit pour moi. Fin fond du détroit de Gibraltar pour eux. Ils ont heurté le sol. Plus de lumière.

 

Silence, silence, silence... Et bim ! Voies d'eau, 5 différentes qui se déclenchent en même temps.

« Je veux des rapports d'avaries ! », hurle le capitaine (pardon, pas capté comment il le disait en allemand)

Très, très longue scène où ils écopent... Chaleur étouffante dans l'apparte... Hâte de retrouver la surface...

« Das Wasser musst raus ! »

Toujours gênant ces moments dans les films où les personnages échafaudent des plans pas possible à la McGyver pour résoudre un problème et on est là : « ouais, ouais, faites ça, ça a l'air bien. » - sans vraiment comprendre pourquoi c'est si difficile et risqué. Et puis comme il reste une heure de film je suis convaincu que ça va marcher... (là ils ont échafaudé un plan avec les yeux noyés d'inquiétude pour évacuer l'eau et remonter à la surface ; en vrai j'ai pas compris pourquoi ils n'étaient pas encore asphyxiés et pourquoi les cloisons tiennent, donc je crois tout ce qu'ils disent.)

Un constat que je fais, là, 3h40 du mat, tandis qu'ils sont tous assis en tailleur au fond de la Méditerranée à écoper comme des damnés : il n'y a pas une seule croix gammée dans le film. Les types sont juste des héros. Je pense au Mecano de la General de Keaton, dont le héros est un Sudiste, et ça ne changeait rien.

 

Cette histoire d'un chef et de ses hommes qu'il conduit à travers une survie toujours plus difficile, c'est 300. C'est Léonidas aux Thermopyles.

Musique complètement extatique quand on refait surface après les 30 minutes passées au fond... Il est 4h05. Bientôt le finale.

Alors il y a un truc que je ne comprends pas, mais il est peut-être tard... Ils ont réussi à remonter du fond de Gibraltar mais ils n'en profitent pas pour passer ? Ils font demi-tour ? Wtf ?

Ô_Ô Extraordinaire séquence du bombardement de la rade de La Rochelle, à peine le sous-marin rentré. 5 minutes de Pearl Harbor. Cela ne demande que 50 figurants, mais le mouvement de foule du groupe à l'approche des deux avions est grandiose.

 

 J'avais raison de repenser à En pleine tempête...


* * *

Eh bien on dirait que, moi, j'ai survécu. Et sans dormir encore.
Il est 4h20 et je rends l'antenne... Gute nacht.


Camille.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Documentaire passionnant, vibrant, génial. Et les lueurs ciné-mythologiques... Je like, ami. Et pas qu'un peu.
D'ailleurs: j'en voudrais d'autres. Merci bien.

Camille B. a dit…

Cinéphilie jackass va se développer. Le principe ce sera toujours de live-tweeter des films que les gens ont en général la flemme de regarder. Prochain en date : Il était une fois en Amérique

Anonyme a dit…

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Anonyme a dit…

Que ces commentaires sont négatifs!

Quelle est la raison d'une telle critique?

Cela respire la jalousie sur la réussite d'un film qui pour moi est intéressant.

Même s'il y a des effets spéciaux cela a au moins le mérite de montrer que la vie dans un U-boat est difficile à vivre, surtout en temps de guerre.

Un membre de ma famille en est mort en 1945 suite à pilonnage par des hydravions décollant d'un bâtiment Français commandé par un américain.

La cible était un sous-marin également Français appelé "La Perle" qui rentrait en surface vers la maison via l'Ecosse.

Malgré les signaux codés convenus et les avertissements des pilotes ce capitaine de frégate a néanmoins donné l'ordre fatal.

Bonsoir