31 mai 2011

Blood on the Dancefloor (Part One)

Scènes de crime


Les reconnaissez-vous ?

 






Noémie


Réponses : Dorian Gray, From Hell, Reservoir Dogs, L.A. Confidential, 300, Sweeney Todd.


18 mai 2011

Tree of Life - en redescendre aux mots

"J'étais accablé d'une surabondance de vie." Chateaubriand, René.


1. Tree of Life est une adaptation littéraire : celle du Génie du Christianisme, paru en 1802. Fait rare au cinéma : l'adaptation surpasse le matériau d'origine.

"Un soir je m'étais égaré dans une forêt, à quelque distance de la cataracte de Niagara ; bientôt je vis le jour s'éteindre autour de moi et je goûtai, dans toute sa solitude, le beau spectacle d'une nuit dans les déserts du Nouveau Monde."

2. On reproche à Malick d'être un illuminé. De laver plus blanc que blanc. S'il lave plus blanc, c'est que nous sommes sales. Tree of Life redonne le goût de la beauté à l'état pur. A l'état naturel. La douleur naît de la prise de conscience de la saleté. Mais d'où viennent les larmes ?

3. A ceux qui trouvent le film ridicule, une réplique d'Avatar : "No one can teach you to see" !

4. C'est encore et toujours la Genèse. Peu de cinéastes s'attachent ainsi à la répétition d'un seul mythe. Malick est passé maître dans l'art d'évoquer l'Eden. Le sentiment de la Chute est si fort en lui, visible dans les yeux de Sean Penn, qu'il donne une force inouïe à sa volonté d'imaginer l'idéal. La prouesse de Tree of Life, c'est de faire durer cet idéal sur au moins 45mn. Après, Caïn, Abel, tout ça... ne sont que des échos par anticipation. Les Moissons du Ciel, La Ligne Rouge, Le Nouveau Monde, s'étendaient tous beaucoup plus sur la perte. Là, les personnages ne sont chassés du Paradis, la maison du Père, qu'à la toute fin.

5. 2h18 au Paradis.

6. "This is where God lives", murmure Jessica Chastain en désignant le ciel. En croyant désigner le ciel, mais elle désigne l'écran. La salle de cinéma. Elle désigne l'œuvre entière, peu avant qu'éclate la Moldau de Smetana, qui est la musique de la bande-annonce et celle du moment le plus fort du film, un début de vie filmé du point de vue d'un nouveau-né, qui est aussi le point de vue de l'homme kubrickien, nietzschéen, que sais-je, qui est le début de la quête de pouvoir, le début du vertige.

7. D'où viennent nos larmes devant Tree of Life ? Sommes-nous des illuminés aussi ? Des convertis ? Des cinéphiles ? Des madeleines ? Quelle est la nature de ces larmes ? Je les sens venir s'écraser en bas de ma gorge, dans l'ouverture de ma chemise. Sont-elles celles de l'émerveillement d'Avatar ? Ou sont-elles des larmes de joie, joie de voir que le monde perdu de Cameron n'a pas encore disparu, comme au début de son film ?

8. Amusant, tous ces convertis claudeliens qui s'émerveillent que "le cinéma [soit] redevenu un art", tout ça parce qu'un film avec Brad Pitt s'est débarrassé d'une véritable intrigue. Si Tree of Life possède cette force régénératrice, c'est que l'Eden qu'il recrée est cinématographique : revenu de chez les morts, au générique, le nom Douglas Trumbull pointe du doigt le désir de marier l'époque de 2001 (1968) et celle de Blade Runner (1981), dont il supervisa les effets spéciaux (l'homme a aujourd'hui 69 ans, quand-même) - et pourquoi pas le désir de compléter la trinité des grandes œuvres sur la Création. 1968, 1981, 2011 : une génération, à chaque fois, peu s'en faut.

9. Chateaubriand reconnaissait l'échec de son texte. Il lui fallait une caméra.
"La grandeur, l'étonnante mélancolie de ce tableau ne sauraient s'exprimer dans les langues humaines ; les plus belles nuits en Europe ne peuvent en donner une idée. En vain, dans nos champs cultivés, l'imagination cherche à s'étendre ; elle rencontre de toutes parts les habitations des hommes, mais dans ces régions sauvages l'âme se plaît à s'enfoncer dans un océan de forêts, à planer sur le gouffre des cataractes, à méditer au bord des lacs et des fleuves, et, pour ainsi dire, à se trouver seule devant Dieu."

10.
Un plésiosaure blessé. Grâce absolue de l'image de synthèse. Néogénèse numérique. Pour un seul plan, un seul mouvement de son long cou. Le ciel rouge sang, sa plaie qui reflète le couchant.

11. "L'architecte chrétien, non content de bâtir des forêts, a voulu, pour ainsi dire, en imiter les murmures ; et, au moyen de l'orgue et du bronze suspendu, il a attaché au temple gothique jusqu'au bruit des vents et des tonnerres, qui roule dans la profondeur des bois." Malick filme un orgue mais pas d'église - pas de l'extérieur en tout cas. Il filme des forêts. Si, il y a un plan d'église de l'extérieur. Le clocher est à l'arrière-plan. Au premier plan : un arbre.

12. Si on était dans Trois Couleurs, on écrirait : Terrence Magique. Parce que les lumières, à l'image, semblaient venir de nulle part, naître d'elles-même, se dessiner seules. Comme du fond des âges ou du fond des hommes, sur lesquels l'écran ouvrait comme un puits.

13. Malick raconte une Création du monde de manière scientifique. Voyez les institutions de recherche citées dans le générique. Donc pas un mormon, non. Pas même un catholique. Simplement quelqu'un qui accepte de regarder le monde tel qu'il s'est créé, et d'y fabriquer, par le regard, de la Grâce. Ainsi convergent les voies de la Nature et de la Grâce. Je ne comprends pas qu'on puisse reprocher à Malick d'être religieux au sens négatif, contemporain du terme.

14. Défense et illustration, par Malick, du Big Bang, de l'apparition des galaxies, de la vie et des dinosaures - sur fond de Lacrimosa, de Zbigniew Preisner (compositeur de Kieslowski). Lacrimosa : les larmes. Comment mieux dire la douleur d'exister, l'immensité des malheurs engendrée par la multiplication des mitoses cellulaires accomplies sous l'océan, voilà plusieurs centaines de millions d'années ? Sous ses airs de douceur, Tree of Life est hanté par une profonde mélancolie qui ne tient pas seulement au sentiment de la chute, et aux yeux de Sean Penn. Une mélancolie telle qu'il lui faut toute la beauté du monde pour l'apaiser, ne serait-ce qu'un peu. D'où viennent les larmes ?


15. Étonnant comme les gens qui ont adoré et ceux qui ont détesté ne peuvent absolument pas s'entendre, se comprendre. J'ai pourtant été le témoin d'une véritable conversion. Le converti s'appelait F.P. Je n'y suis probablement pas pour grand chose, mais voilà une des choses que je lui avais écrites :

Pourquoi la grille chrétienne ne me gêne-t-elle pas ? Je ne suis ni mormon, ni catho. J'ai l'impression qu'à force de réemployer la genèse, Malick en fait un simple outil esthétique, une machine à cinéma. Vidée de son sens à force d'avoir été rabâchée. Il n'en subsiste que sa perception hédoniste de l'idée d'un monde divin. De la même manière que l'intérêt de Michael Bay pour l'armée est sûrement déconnecté d'un réel pro-militarisme... Ce sont des jouets. Dans Tree of Life, on joue avec la Création. Le kangourou, tout ça. Du coup, l'ellipse de l'apparition de l'homme, je ne la vois pas comme l'expression d'un antidarwinisme ridicule, mais avant tout comme un moyen de ne pas répéter 2001 en montrant des australopithèques : et de toutes façons, ce n'est pas la naissance de la raison, de l'intelligence humaine, qui intéresse Malick. Ces choses-là auraient plutôt tendance à le dégoûter. Ce qui l'intéresse, c'est la capacité à percevoir le monde de manière sensuelle (liée au cerveau reptilien, d'où l'importance des dinos, des animaux, peut-être). La raison et l'intelligence humaine, c'est le ver dans la pomme (déjà présent chez Kubrick), car ce n'est que le désir de domination (mis en scène par la rencontre des deux dinos dans Tree of Life, par les singes de 2001, et par tout le monde, ensuite). C'est ainsi que je m'explique le passage elliptique du monde naturel des dinosaures au monde naturel des hommes capables de s'extraire du monde artificiel construit par les singes kubrickiens et leurs infâmes descendants.

16. Examinons enfin l'exergue. Job, 38 ; 4. Where were you when I laid the foundations of the Earth ? [Où étais-tu quand j’ai posé les fondations de la Terre ?]

Dans la Bible, c'est Dieu qui s'adresse à Job, le Créateur qui s'adresse au malheureux. En d’autres termes, Dieu à Malick : comment as-tu pu rater la Genèse ? Tree of Life serait alors la réponse d'un cinéaste du millénaire naissant : une genèse cinématographique. Déplaçant ainsi l'objectif de sa non-caméra dans l'espace (galaxie de profil, galaxie de face) et dans le temps (des amibes aux méduses aux hommes). Cette impression d'être passé à côté de la genèse est aussi l'histoire du gamin passé à côté de son père, occupé à grandir en le détestant ; ou l'histoire du père passé à côté de son fils (Brad Pitt regrette d'avoir été trop ferme avec celui qui est mort). Le film est une rédemption : il s'agit de montrer tout ce qu'on n'a pas pu voir parce qu'on était ailleurs. L'intérêt pour l'ère des dinosaures, sans humains, me semble d'ailleurs une utopie vouée à se développer, je veux parler de ces films où l'humain technophile s'efface au profit d'un retour à un univers holistique, lié aux éléments, entre ciel et terre [le dernier film avec un Tree of Life en plein milieu a été le plus gros carton de l’histoire, et vous pouvez être sûrs que ce n’est pas tombé dans l’oreille d’un Luc Besson sourd.]

L'autre hypothèse, c'est que Malick s'adresse à Dieu. Il lui demande où il était quand il a refabriqué le monde, c’est-à-dire, quand il a fait son film, et son Big Bang en images de synthèse. Job, le miséreux qui a renié sa foi en l’homme, c’est donc plutôt Dieu. J’aime assez. L’exergue serait la question du réalisateur d’un nouvel Eden cinématographique à un Dieu absent de l'ère capable de recréer le monde au cinéma. J'ai recréé le Monde avec la technologie, avec la science - tout sauf le divin, tout sauf la Grâce, dit Malick, se demandant où peut être la Grâce dans son monde réincarné. Tree of Life cherche à injecter dans un film le même sentiment de la transcendance qu'on peut avoir devant la vraie nature, devant une cascade, le visage d'un bébé endormi, un père que son fils vient aider à jardiner. C'est l'image des nuages reflétés dans l'immeuble : ai-je vraiment su reproduire le ciel (where God lives, indique la maman) à l'identique ?

C.


16 mai 2011

Mercredi 26 octobre 2011


Pas de surprise : Spielberg réussit la prouesse de ne pas décevoir après deux ans d'attente et d'idéalisation du résultat. La musique y est pour beaucoup, toute en cordes ; on dirait que Williams a tourné sa page expressionniste (Minority Report, Guerre des Mondes, et dont on retrouvait des morceaux à la fin d'Indiana Jones 4). [si quelqu'un l'a déjà entendue ailleurs, merci de me détromper !]

Le plan final, s'il résonne avec Pirates des Caraïbes 3 (décidément), indique un film abstrait, le premier du réalisateur ; soit une liberté totale prise avec l'image qui, comme dans Kick Ass par exemple, renoue avec la liberté totale du dessinateur devant sa feuille de papier. Tintin est bien une adaptation de comics.

La seconde réussite, qui donne bien l'impression que la confrontation entre la 2D par excellence de Hergé (ligne claire, aucun relief) et la 3D par excellence du film (système Avatar), c'est ce coup de poing filmé par au-dessus : aérien, svelte, à 10 000 lieues des mandales à la Indiana Jones. Et même quand Tintin sort dans la rue en courant. Décor et lumière sortent du Troisième Homme, mais le personnage n'est pas de chair et de sang. Trop léger. Il est en papier.

Clin d'oeil à la 2D et au cinéma des origines dans ce plan où Tintin révèle d'abord l'ombre de la Licorne à travers un drap, projetée par sa torche. Du coup, dans le travelling autour de la vitrine qui suit, on a déjà l'impression d'une progression vers quelque chose de plus spectaculaire, on en a déjà pour notre argent : l'ombre en 2D est devenue une splendide maquette en 3D. C'est là qu'intervient le plan final, qui annonce que le film repousse les limites : d'ombre à maquette, le bateau devient finalement véritable navire de pirates sur une mer déchaînée. Le fait qu'on y arrive par paliers accentue l'effet d'immersion du spectateur dans une autre réalité. Par opposition à Pirates 4, qui ne peut plus que jouer de son artificialité - et virer à la comédie musicale, cf.post précédent.

Il y a deux trailers différents. Dans celui que j'avais vu, qui n'est pas celui que nous avons posté ici, la dernière réplique n'était pas "we can't turn back now, not now", mais : "what's the name of this boy, again ? Tintin." Jamais compris pourquoi ce genre de détail pouvait changer. Autre détail, tant qu'on y est : regardez les publicités sur le journal qui cache les visages de Dupont et Dupond. C'est une initiation à la manière de les différencier, c'est-à-dire par la moustache : le premier a une moustache droite, et se retrouve derrière une pub pour un balai, l'autre a une moustache arrondie, et se tient derrière une pub pour une ventouse.

Belle musique, liberté de l'image, et des plans simples aussi beaux que tous les autres : 72 secondes pour rappeler qui est le chef.


C.

14 mai 2011

Pirates des Caraïbes 3 est un film sous-estimé


Je me souviens avoir découvert Pirates des Caraïbes 3 quelques jours après Spiderman 3, et être sorti assez surpris d'avoir bien plus apprécié le premier. J'avais lu que Verbinski était pressé de quitter le navire, ce n'était pas vrai : le film dure 2h40, ce qui est exceptionnellement long pour un blockbuster estival. Pirates 4 sera beaucoup, beaucoup plus court... Spiderman 3 était le vrai film malade, du genre où l'on sentait que les animateurs avaient été les seuls à prendre du plaisir tandis le réalisateur rentrait chez lui déprimé le soir.

Pirates 3 ne donnait pas du tout cette impression.

On y trouvait même des airs de film expérimental. De film expérimental à 300 millions de dollars (à peu près le budget d'Avatar). L'intrigue était devenue incroyablement compliquée, résultat d'un scénario écrit en urgence, alors que le tournage était déjà en route, par Ted Elliott et Terry Rosso. C'est ce qui donne à Pirates 3 ses airs de brouillon sublime, de film qui n'est pas celui qu'on aurait dû voir. Hollywood maquillé à la va-vite. Un mélange de professionnalisme, de maladresse, de mauvaise foi et de cupidité derrière lesquels on distingue encore talent, beauté, simplicité, génie et ambition icarienne. On voit un peu tout. C'est particulièrement honnête.


Je me rends compte que c'est l'un de ces films que je pourrais regarder en boucle. Pourtant je suis convaincu que le 2 est bien meilleur, plus tenu, plus original et plus riche.
Pirates 3 n'est pas tenu du tout. C'est un blob aqueux qui coule entre les doigts des producteurs et emporte avec lui les millions de dollars. Sa structure ne ressemble à rien : 1) 20mn dans un Singapour qui sent le studio à 50km 2) 25mn de délire numérique, aux antipodes du studio de l'ouverture. 3) 1h de dialogues. 4) 30mn de tempête. On a l'impression d'un film qui erre à la recherche de ses limites, hésite entre les genres et, ne choisissant pas, laisse passer le temps avec des dialogues. Il faut meubler, avec ce qui vient. Pirates 3, c'est du blockbuster automatique.


Avec le recul, on remarque qu'action et dialogue sont secondaires, comparés aux chansons et à la musique. Pirates 3 est une comédie musicale. Arguments faciles d'abord : le film commence et s'achève sur une chanson. La musique de Hans Zimmer recouvre tout, sauf quelques menus dialogues, et encore. Jack Sparrow n'a que des mouvements de danseur. A la musique de l'accent british des méchants de la Compagnie des Indes répondent les accents indéfinissables de Davy Jones et Tia Dalma. Le goût pour le fake de la séquence à Singapour n'a rien des films d'action américains qui se veulent plutôt réalistes. Keith Richards.

Ensuite, ce sont les deux scènes de négociations qui encadrent l'heure de dialogues, montées de manière extrêmement rythmée, et qui reposent sur des effets de reprise purement sonore d'une réplique à une autre : -Done ! -Deal ! -Undone. -Dead ! -Deal ! Avec l'émerveillement du professeur Grant qui découvre les brachiosaures, on se rend compte que ces étranges animaux que sont les créatures de Pirates 3 sont en train de chanter. Quant à la première scène de négociations, qui présente, en montage parallèle, trois marchés en train de s'effectuer, elle est entièrement enveloppée par la musique et s'achève sur les pas de danse aériens de Jack Sparrow.


Tout cela conduit aux 30mn de tempête qui sont 30mn de musique. Le maëlstrom, tourbillon géant en images de synthèse, n'est qu'un moyen de faire valser les bateaux, de les faire tourner l'un contre l'autre pendant le plus longtemps possible. Au milieu de cela, une histoire d'amour aussi rétro que les décors de Singapour : on baigne dans Errol Flynn, que l'on regarde du côté de Johnny Depp ou d'Orlando Bloom. La scène du mariage sur le pont, au milieu d'un abordage et d'une tempête, atteint son acmé lors d'un travelling circulaire autour des héros qui s'embrassent, tandis que les violons accompagnent le mouvement romantique de vagues gigantesques que fait exploser la proue du navire.
Mais cela ne fait pas encore 30mn, et la musique doit continuer. Pour ne pas perdre la face, elle se raccroche au thème du premier épisode, qui resurgit lorsque Sparrow se retrouve pendu au coffre de Davy Jones, au-dessus du vide (le thème de l'épisode I qui réapparaît en plein climax d'épisode III, c'est aussi dans le dernier Star Wars). On ne s'inquiète pas de savoir comment les personnages vont s'en sortir, mais comment l'accompagnement musical va pouvoir continuer encore longtemps sans perdre la face, sans se dégonfler. Il y parvient. Aussi laborieusement que les héros, mais il y parvient.


C'est pourquoi Pirates 4 a été confié à Rob Marshall, réalisateur de comédies musicales dont la qualité des films est entièrement assujettie à la qualité de leur musique (comparez les BO de Chicago et de Nine). On ne lui demande pas le moins du monde de renouer avec les délires de Verbinski, mais simplement d'étendre sur 2h la séquence de Singapour. A la Chine pittoresque, on substitue l'Espagne pittoresque. Zimmer ne pouvait pas décemment aller plus loin que dans le finale du 3 : la bande-originale n'est pas plus épique - suivant la gradation des 3 premiers épisodes - mais simplement remixée à la guitare espagnole, avec l'aide de Rodrigo Garcia. Très joli. Mais il y a peu de chances pour que Pirates 4 me séduise autant que ses prédécesseurs. Ce sera un film normal, appolinien, canalisé. Ce que j'aimais dans le 3, c'était le dérèglement.

Et puis passer de 300 à 180 millions de dollars d'un épisode 3 à un épisode 4, c'est un régime drastique qui fait mal. Imaginez Louis XVI qui se retrouverait à mener le train de vie de Tom Cruise. C'est encore confortable, évidemment. Mais on est rentré dans le rang.

[SPOILER ALERT CE PARAGRAPHE RACONTE LA FIN DU 3.]
Scoop : dans les épisodes 2 et 3, le coffret de Davy Jones symbolise la virginité d'Elizabeth Swann. Tous les garçons courent après : le commodore, Will Turner, Jack Sparrow. Finalement, c'est à l'époux légitime, Turner, que reviendra le privilège de planter sa lame dans le palpitant. Ce petit jeu sexuel, on dirait que Depp ait insisté pour qu'on le retrouve dans le 4 : le jeune premier, qui va se retrouver confronté aux sirènes, est un curé.
Re-scoop : la saga Pirates est une adaptation de l'Odyssée. Les Sirènes, oui. Mais aussi l'errance sur la mer, Scylla (le kraken) et Charybde (le maëlstrom), la déesse Calypso, la descente aux Enfers, le pays des Morts qui disent l'avenir, les Lestrygons (cannibales), la sorcière (Tia Dalma), Poséïdon (Davy Jones)...

Toutes les images de ce post sont tirées de Pirates 3. Dans la bande-annonce je n'ai rien vu qui en laisse présager d'aussi jolies. Wait and sea...




Camille.

5 mai 2011

Hommage à Mélanie Laurent



"Petite, je ne jouais pas à la poupée. Je préférais monter des spectacles que j’infligeais à mes parents à la sortie de l’école." (Gala, août 2009)

Amis, tremblez : c'est notre tour.




Noémie,
qui remercie Elise pour la vidéo.

3 mai 2011

THOR - QUEMADA

Thor, de Kenneth Brannagh. On n'allait pas laisser passer ça, vous imaginez.


Voici Kenneth Brannagh, et voici quelques titres de sa filmo : Henry V, Beaucoup de bruit pour rien, Frankenstein, Hamlet, Peines d'amour perdues, As you like it, La Flûte Enchantée... Guettez aujourd'hui la petite lueur de désillusion dans les yeux de celui qui a cru, dur comme fer, qu'un gros studio le laisserait faire du Shakespeare avec du comics.

Thor, c'est le genre de film qui, en 2060, fera le bonheur des cinéphiles amateurs de séries Z. On leur dira, la voix chevrotante, qu'ils sont mignons mais qu'une série Z désigne un certaine catégorie de films à petits budgets, et qu'à l'évidence l'histoire du dieu du tonnerre descendu aux Etats-Unis est, de ce point de vue, une série A. Pas du tout, répondront nos petits-enfants, série Z désigne un état d'esprit. Et ce qu'il y a d'extraordinaire avec les Marvel du début du siècle, c'est qu'ils ont su marier l'état d'esprit du nanar avec le professionnalisme des blockbusters de base. Soit un manque total d'imagination marié à une forme de primitivisme idéologique (primat des muscles sur l'esprit, forcément trompeur), à un messianisme béat, à un amour du travail mal fait et de l'image pour touristes - mélange typique de naïveté et de cynisme.


Cela dit, en 2060, les bisseux seront aussi amateurs de comics. C'est ce qu'annonce la présence de Samuel Jackson dans le rôle du mastermind ombrageux de tout ce bazar. Il apparaît pour la première fois dans Iron Man 2 en tant que futur chef des Avengers, film à venir qui regroupera plusieurs héros - Hulk, Iron Man, Captain America - et réapparaît dans une scène placée à la fin du générique de Thor. Samuel Jackson, c'est avant tout le geek de comics d'Incassable : sa présence à la tête de la collection de héros que Marvel s'est reconstituée au cinéma ne surprend pas, elle indique une manière d'apprécier les productions Marvel : il faudrait devenir comme Jackson dans Incassable, des geeks prospecteurs de sens dans la fange des histoires produites à la chaîne. Encore quelques films, et ce qui n'apparaît aujourd'hui que comme un enchaînement de films tous plus nanarisants les uns que les autres finira par ressembler à un fleuron de la culture pop au même titre que les pulp fiction et les comics, histoires au rabais publiées sur du papier sale dont Samuel Jackson est aussi l'un des emblèmes (via Tarantino).

Alors on pourra épiloguer sur le combat ancestral du Bien et du Mal, les faiblesses des héros, les obsessions (le rayon laser : Wolverine, Iron Man 2, Thor) ou la présence des sœurs Boleyn (Scarlett Johansson et Nathalie Portman, l'une en Veuve Noire dans Iron Man 2, l'autre en midinette dans Thor). Mais pas aujourd'hui, pas en 2011.
Tout n'est pas si noir. Une chose m'a plu. Dans Thor, la 3D semble déplacée : les comics sont en effet avant tout un art de l’à-plat, du lissé de la feuille. Une seule scène se dégage alors du film, celle où, à la fin, fiston et papounet Hopkins se rabibochent devant un matte painting d’une platitude absolue. On se croirait dans Pina : les visages deviennent d’autant plus épais qu’ils sont placés devant un décor dessiné sur une toile.

Détails, enfin : le coordinateur des cascades est Vic Armstrong, ex-Indiana Jones. Sa spécialité : les combats à mains nues, les coups de poings d'une extrême violence. On a donc droit à ce qu'il est convenu d'appeler "un bon vieux fistfight de derrière les fagots" quand Chris Hemsworth batifole dans la boue avec un clone de Michael Clarke Duncan ; mention spéciale aux trois coups de coudes dans le bide : c'est peut-être l'un des éléments les plus originaux du film, l'acharnement avec lequel un personnage plutôt doux (et empoté, cf. sa trouille d'embrasser la vamp Nathalie Portman, qui en a intimidé de plus grands, Jean Reno et Dark Vador en tête) explose la rate d'un parfait inconnu. Dans le domaine du combat à mains nues, cependant - ça a l'air futile mais en matière de blockbusters, c'est fondamental - Marvel se fait damer le pion par Fast and Furious 5. Eh oui.


Dernier détail. Ce ne sont pas les plans inclinés qui servent à rappeler au public que le réalisateur a sa carte d'artiste accompli dans son portefeuille. Ce sont les scènes de comédie. Thor est ainsi, à de nombreux égards, une variation sur Les Visiteurs. Non, ce n'était pas dit dans la promo... Mais après tout, c'est ce qu'il y a de moins raté.


Camille.