18 janvier 2012

Millénium

PAUVRE CHAT

Je ne m’étais jamais intéressé à Millénium pour une raison très simple. Je n’aime pas tellement tellement les scènes de viol. Ce n’est pas le cas de tout le monde. Il y a chez beaucoup de lecteurs de polars, spectateurs de policiers, amateurs de films gores ou porno, une #concupiscence morbide# proche de celle qu’éprouvait le public du Colisée qui les pousse à apprécier les scènes les plus horribles et les plus réalistes possibles. Si le livre a du succès, si le film suédois a eu du succès, si Fincher a réalisé la version américaine, c’est parce que les gens aiment ça. Pas parce qu’ils aiment la façon de réfléchir de l’héroïne, Lisbeth (pas moins surdouée que n’importe quel détective de base), pas parce qu’ils aiment le cinéma suédois, pas parce qu’ils aiment la perfection visuelle permanente du moindre Fincher. Parce que la violence les attire.

Attention, hein. Comme quasiment tout le monde, j’aime la violence au cinéma. Fight Club est l’un de mes films oreillers, ceux que je serre contre mon ventre quand j’ai besoin d’aller mieux. La violence qui défoule, la violence qui fait violence, qui secoue, qui réveille – I’m all for it.

J’avais donc soigneusement évité Millénium. Sauf que je ne raterais pour rien au monde un film de David Fincher. Je l’ai dit plus haut, il a l'un des yeux les plus incroyables du monde. Ses plans sont des bijoux, des merveilles d’orfèvrerie taillés au quart de seconde près. Donc : direction le Max Linder. Les deux scènes de viol m’ont bien fait gerber, d’autant que l’une d’elles reprenait la scène du paresseux dans Se7en qui, avec celle où E.T. ressuscite, doit être l’une des scènes de film m’ayant inspiré le plus d’horreur. Tout cela était un peu trop joli, bien trop joli et le problème c’est que tout le film est splendide, mais qu’on n’a pas vraiment l’impression que Fincher ait fait beaucoup plus que de gentiment titiller le surdoué en lui pour remettre en scène le crime suédois (je n’ai pas vu l’original, mais je parie que le fossé esthétique qui sépare les deux versions doit être à peu près le même qu’entre Morse et Laisse-moi entrer).

Une trouvaille. L'idée que si les victimes se sont fait kidnapper, c'est parce qu'elles n'osaient pas fuir face au danger. "La peur de vexer est plus forte que la peur de souffrir", dit le tortionnaire à cet imbécile de Mikael Blomkvist. Je préfère le cynisme de Fincher quand il s'exprime autrement que par des scènes d'agression interminables (mais n'est-ce-pas tout simplement la véritable idée forte du bouquin d'origine ?)

Pour le reste, les idées sont surtout celles de n'importe quel policier bien ficelé. Cela suffit à Fincher, enquêteur dans l'âme. Souvenez-vous de Sur la terre des dinosaures, faux documentaire anglais : les animateurs, en reconstituant les diplodocus en images de synthèse, avaient fait découvrir des choses aux paléontologues que les fouilles seules n’avaient pas permis de découvrir. Zodiac aurait aimé reproduire cela, contribuer à faire avancer l'enquête réelle. Les scènes de meurtre y sont reconstituées avec une méticulosité scientifique – au buisson près. Aujourd’hui, Fincher réouvre l’enquête fictive de l’homme qui n’aimait pas les femmes. La reconstitue minutieusement. Et la résout, sauf qu’elle l’avait déjà été, résolue, dans le film précédent, dans le livre précédent. Tout ça est un peu vain, mais ce n’est pas gênant, je ne suis de toutes façons pas un très grand adepte des histoires policières : parce que c’est comme les maths. Ou on a toujours bon et on aime ça, ou on se plante toujours, et on laisse tomber. Aussi n’ai-je pas pris un plaisir particulier à me rendre compte que le seul suspect était le coupable.

Pour ce qui est du rythme du film, il m’a semblé tout juste raisonnable, loin de la frénésie de Social Network. Ici tout peut se comprendre et s’entendre comme dans un bon vieux Philip Marlowe. A un détail près, très énervant. On sait depuis Benjamin Button l’intérêt porté par Fincher au vieillissement des visages. Ou aux visages, plus simplement. Que la victime assassinée dans les années 60 ait la même tronche que l’héroïne qui enquête sur sa mort cinquante ans plus tard ne peut pas être un hasard. Harriet et Lisbeth se ressemblent. Le film ne l’explique pas, et le générique défile trop vite pour qu’on ait le temps de vérifier (j’écris délibérément avant d’être allé regarder sur imdb). Cela n’a l’air de rien mais c’est très encombrant : on attend une variation sur l’idée que le mal revient, que les victimes sont les mêmes, que l’enquêtrice est liée à la victime, mais non, on reste collé au roman policier avec twist final (incompréhensible, qui plus est*). On sent la possibilité d’une boucle temporelle (une explosion due à une fuite d’essence n’a pas lieu dans les années 60, mais se produit cinquante ans plus tard, par exemple) mais elle n’est pas exploitée. Les fausses pistes, dans les films policiers, c’est évidemment normal… Quand on peut choisir de ne pas les suivre. Celle-là est encombrante.

Reste le tout début. Le rugissement silencieux du lion de la MGM, trouvaille d’une simplicité incroyable mais qui étouffe déjà le spectateur, le fait entrer dans cette histoire où personne n’entend les cris (cri inaudible de Lisbeth sur son agresseur dans le métro, cris étouffés par son bâillon pendant le viol, etc. etc.)(ne cherchez pas : Munch, peintre du fameux Cri expressionniste au silence assourdissant, est norvégien). Vient ensuite un générique tout en bile noire, sur un remix de Led Zeppelin par Trent Reznor voué à devenir célèbre. On pense aux effets de matière noire dans le générique de Spiderman 3 – mais avec de l’imagination derrière. C’est une beauté sans nom (j'exagère à peine). Ces câbles qui jaillissent d’yeux noirs éclatant comme des gouttes d’eau. Le film qui suit est très loin de cette fulgurance. Descend… 2h40 durant – heureusement, il part de très haut. Tiens, Fincher rejoue Se7en… Tiens, il rejoue Zodiac… Oh là, pauvre chat… Tiens, Daniel Craig est encore en train de se faire torturer… Oh, c’est terminé. Mince, j’ai oublié de vérifier au générique si l’actrice était la même…

Camille




* ENORME SPOILER : comment Harriet a-t-elle fait pour se métamorphoser en un autre membre de sa famille sans que personne ne s’en rende compte ? j’ai loupé un truc ? anyone ?

14 janvier 2012

Cinq scènes avec cinq jeunes actrices que j'aime

Comment ça, j'ai la dent dure avec les jeunes actrices ? Je ne vois pas du tout de quoi vous parlez. Je m'en vais vous prouver le contraire tout de suite, et même, ce n'est que le début.

Emma Stone


Celle-là, tout le monde l'aime, me direz-vous. En même temps, il est presque impossible de faire autrement. Sa tête de chat, son ptit bout de nez, sa voix de rock star et son langage fleuri : elle est d'un mignon achevé.


Amy Adams


La reine incontestée des presque-larmes. Sa bouche se tord légèrement sur le côté, ses grands yeux s'écarquillent et changent de couleur et semblent vous dire "Si tu ne verses pas un pleur avec moi, tu es un monstre infâme et un méchant". Imbattable.


Carey Mulligan


Une actrice prodigieuse, qui n'est jamais deux fois la même, et n'est jamais autant elle-même que lorsqu'elle change encore. Avec cela, un visage qui ne ressemble à aucun autre. Cherchez-la, vous la perdez, perdez-la, vous la trouvez.


Michelle Williams


Il y a dix ans, Dawson. Aujourd'hui, elle n'est pas encore Marilyn, mais en matière de fantômes, depuis Shutter Island, il ne s'est trouvé personne pour lui damer le pion.


Anna Kendrick


Twilight n'avait rien à offrir, sauf elle. Petite tête de souris, oeil égaré, inquiétude consubstantielle et technique lacrymale à toute épreuve : la fille à côté de la plaque par excellence. Demandez à Clooney : il n'y a pas plus charmant.

Impossible de trouver cette fameuse scène où elle s'effondre en pleurant dans les bras d'un George très décontenancé. Mais si vous voyez de quoi je parle, vous voyez de quoi je parle. 

Noémie



6 janvier 2012

Rot lent aime riche à nos nimouss

Pas très envie de passer une heure à débriefer Anonymous. Que suffise cet échange de SMS avec Noémie qui, la bienheureuse, n'était pas dans la salle :

C : J'ai l'impression de manger du canigou --- 06/01/12 17h12

N : Le film est pourri ? --- 06/01/12 17h15

C : Gros plan : Toubiiiii or nottt ttttoubiiiiiiii (cut)(plan large)(musique glingueling) ZAT izzzz zeucoueschtionn (il se met à pleuvoir)(Elisabeth a un orgasme) WTFFF ---06/01/12 17h40

N : :D --- 06/01/12 17h42


C.

3 janvier 2012

Ante-Cronenberg

A première vue, on se demande ce qui a pu intéresser le réalisateur de History of Violence et Les Promesses de l’Ombre dans un projet sur Freud et Jung. Où sont les gangsters ? On peut aussi se demander ce qui a pu intéresser le réalisateur de La Mouche et d'eXistenZ : où sont les difformités physiques et les monstres ? Tout cela apparaît très clair dès lors que l’on creuse un peu la filmographie de Cronenberg. Creuser, descendre en profondeur, c’est probablement ce qu’auraient fait les psychanalystes, ne nous en privons pas. Creusons donc ceci :

2011 A Dangerous Method

2007 Les promesses de l'ombre

2005 History of Violence

2002 Spider
1999 eXistenZ
1996 Crash
1993 M.Butterfly
1991 Le festin nu
1988 Faux-semblants
1986 La Mouche
1983 Dead Zone
1983 Vidéodrome
1981 Scanners
1979 Chromosome 3
1979 Fast Company
1976 Rage
1975 Frissons

C'est au fond que gît Chromosome 3, dans les profondeurs de sa filmo que se trouve tapie la clé de Cronenberg ou, en tout cas, ce qui expliquerait l’intérêt qu’il a pu porter à la rivalité qui opposa Sigmund Freud et Karl Jung.

Chromosome 3 n’est pas très éloigné d’Inception. Souvenez-vous cette séquence où DiCaprio fait visiter à Ellen Page son inconscient parisien : les moindres figurants deviennent des anticorps chargés d’attaquer l’intruse, des émanations mentales qui deviennent agressives dès lors que quelque chose d’externe s’invite dans la psyché du personnage. Dans Chromosome 3 c’est exactement la même chose : il est question de la thérapie d’une femme dont l’inconscient produit des rejetons difformes sans nombril qui défoncent à coups de tout-ce-qui-fait-mal les moindres contrariétés. Ainsi, vous l’aurez deviné, des parents. Ainsi du psy (Oliver Reed, le marchand d'esclaves de Gladiator mort pendant le tournage). La fillette et l’ex-mari sont chargés de résoudre le problème. Ce qui passionne ici Cronenberg, ce n’est cependant pas la mère, mais la gamine qui a accès, en direct live, à l’inconscient très antipathique de sa mère. Or (corrigez-moi si je me trompe) A Dangerous Method s’intéresse à une gamine (Keira Knightley) ayant eu accès à certains aspects peu appétissants de ses parents dans son enfance. A Dangerous Method aurait d’ailleurs pu être le sous-titre de Chromosome 3 puisque le psy mentionné plus haut est l’inventeur d’une méthode de guérison, la « psychoplastie » (« les patients extériorisent leurs troubles mentaux par des manifestations organiques telles que plaies, pustules ou excroissances dermiques », on fait difficilement plus clair) qui donne lieu à certains scènes de maïeutique assez gores, Cronenberg étant avant tout le grand dermato fou du cinéma : tout y est toujours question de peau. Regardez le visage pourri de Jeff Goldblum dans La Mouche (Chromosome 3 tourne plutôt autour du papillon et de l’abeille, vous allez comprendre pourquoi en voyant les images), regardez la peau tatouée de Mortensen dans Les Promesses de l’Ombre, le trou dans le dos du Jude Law d’eXistenZ ; même History of Violence raconte l’histoire d’un tueur que sa peau ne suffit plus à cacher.

A Dangerous Method serait-il un Chromosome 3 sans effets de peau ? Celle-ci en est même devenue transparente, voyez le visage de Knightley sur l’affiche. Je n’ai pas encore vu le film, mais j’ai envie d’être radical : A Dangerous Method pourrait être la mutation de Chromosome 3. Le papillon d’une chenille rampante et baveuse enfantée en 1979. Je vous laisse vérifier…

Attention cependant : si tu es un enfant ou ma mère, tu devrais arrêter de lire ce post tout de suite. Je mets quand même une première image pour te dissuader. C’est important.

* * *

(Brad Pitt ? Non. Art Hindle.)


C.

2 janvier 2012

Hugo Cabret ou la recette du Quatre-Gare

Il y a un poncif de la critique que l'on a énormément retrouvé dans les textes sur Hugo Cabret : l'hypothèse entre parenthèses. C'est-à-dire qu'on ne sait jamais vraiment dans quelle gare se passe le film (Montparnasse ?) (voilà, c'est un exemple.) C'est certes dans celle-là que Méliès a tenu son magasin de jouets dans l'anonymat le plus total de 1924 à 1928 (bien moins longtemps qu'on se le romance, en fait). Seulement Montparnasse n'est qu'une partie du puzzle qu'est la Computer Generated Gare parisienne du dernier Scorsese.

(le plan-séquence d'ouverture, dont voici la première image, est le seul à avoir été finalisé par ILM)

La recette exacte, la voici :

- De la gare Montparnasse, on ne garde que la façade, celle qui a été rendue célèbre par la photo de la locomotive ayant traversé une baie vitrée et s’étant écrasée sur le pavé, un jour d’octobre 1895 (certains chanceux ont peut-être la variante de cette image, avec écrit SHIT ! en gros à côté). La Gare Montparnasse ayant été complètement refaite dans les années 1960, c’est sa façade de 1930 que l’on retrouve dans le film.

- L’intérieur de la gare du film est en revanche inspiré de la halle de la Gare du Nord.

- L’horloge derrière laquelle se cache Hugo est celle du musée d’Orsay – ancienne gare, n’est-ce-pas;

- Quant au beffroi, c’est celui de la Gare de Lyon.

- Cela dit, le petit escalier derrière la Gare qu'emprunte Méliès pour rentrer chez lui indiquerait plutôt la Gare de l’Est ;

- Et lorsque Hugo est sur le pont derrière Notre Dame avec Chloé Moretz, et lui indique la gare où il vit, on peut la voir depuis le pont : ce qui situe plutôt la gare de Cabret à la place de la Gare d’Austerlitz.

Bon, ça fait plus de quatre gares, tant pis pour le jeu de mots. C'est que l'expo placardée devant la Gare de l'Est ne mentionnait pas les deux dernières (une expo qu'absolument personne ne s'arrête pour lire mais en même temps, qui a envie de s'arrêter lire à cet endroit-là, je vous le demande ; les taxi et les bus vous passent au ras des genoux, vous avez votre train à prendre et votre valise pèse dix tonnes : on n'a pas idée.)

Quant à l'accident, il n'a fait qu'un mort. Une vieille dame qui tricotait au pied du mur et s'est pris une brique...

C.

P.S. Au cas où nous n'aurions pas le temps de vous poster une critique - une précision d'importance capitale : voyez-le en 3D. Comme dans Avatar et Transformers 3, l'avantage principal est la texture du métal, qui s'en trouve magnifiée (sans parler du fait que cette belle illusion aurait fait fondre Méliès)