Cinéphilie jackass, le retour.
Ce soir, je tente pour vous l'expérience périlleuse qui
consiste à regarder la director's cut de Das Boot à partir de
23h30. Et comme je connais votre curiosité à l'égard du sujet mais aussi votre
flemme absolue de vous enfiler 4h42 de film, je live-tweeterai
l'expérience ici.
Qui d'autre fait ça ce soir ? Sur 7 milliards d'individus sur Terre, très exactement : un fan de Wolfgang Petersen, célibataire et sans enfants, dans le Minnesota, et le sélectionneur de la cinémathèque d'Oulambator, qui envisage une rétro sur la Seconde Guerre Mondiale pour la saison 2013. Le premier n'a pas internet. Le second prend des notes pour lui. Je suis donc le seul à le faire pour vous.
Qui d'autre fait ça ce soir ? Sur 7 milliards d'individus sur Terre, très exactement : un fan de Wolfgang Petersen, célibataire et sans enfants, dans le Minnesota, et le sélectionneur de la cinémathèque d'Oulambator, qui envisage une rétro sur la Seconde Guerre Mondiale pour la saison 2013. Le premier n'a pas internet. Le second prend des notes pour lui. Je suis donc le seul à le faire pour vous.
Moquez-vous: tandis que
vous fondez, poupées de cire, dans l'étuve de vos appartements sans
clim, je suis sous l'eau.
Alors... « Langues »...
Ah oui tiens, c'est en allemand.
Ok
Das Boot, donc. 1981.
Film de Wolfgang Petersen, aka l'Allemand sous-estimé :
la director's cut de Troie est une merveille, En Pleine Tempête est
tout à fait correct, et qui oserait dire du mal de L'Histoire sans fin ? Last but not least : né le 14 mars, Petersen est avec Gore Verbinski (16 mars) l'un de ces
réalisateurs-poissons attirés par le monde aquatique (si, si).
Souvenez-vous, il y a un
certain temps – mais pas si longtemps non plus – nous avions
commencé sur Mauvaises Langues une série de post
consacrés aux films de sous-marin. Au programme déjà : USS Alabama et U-571, K-19, 20 000 lieues sous les mers. Das Boot se déroule dans un U-96. Retour à l'époque
martiale d'U-571.
23h40. Play. Clic.
* * *
Début à La Rochelle.
Scène de cabaret. Avant qu'on ait eu le temps de dire
ouf : les voici, les voilà, le Commandant, et le Second. L'un
sobre et glabre, l'autre barbu et bourré, d'ici 1 heure du matin ils
devraient se rentrer dedans.
Un clone d'Amanda
Seyfried pleure sur une mélodie cheesy à la guitare. Un jeunot part
à la guerre et lui fait signe. Sur 40 000 sous-mariniers nazis, 10
000 sont revenus, disait le carton introducteur.
Les scènes de fêtes
font penser au 1941 de Spielberg, sorti un an plus tôt ; les
plans-séquences débridés sentent le director's cut à plein nez.
Décors hallucinants de
la rade de La Rochelle, profondeur de champ toute de béton et
d'étincelles.
24 minutes ont passé.
Il est minuit. J'entre dans le vaisseau et découvre ces fameux corridors
métalliques - les studios Bavaria de Munich, que l'on
visite encore aujourd'hui.
Très gourmand en
plans-séquences, Wolfgang. Question : où faisait-il passer
son énorme caméra ?? Tout ceci est vraiment très étroit.
(Réponse dans les bonus : le cameraman s'appelle Jost Vacano et
a inventé...
Minuit 08 :
immersion ! La caméra est à la surface, le sous-marin plonge
de profil dans une mer grise. Alaaaaarm !
L'impression que tout le
monde ressemble à David Thewlis dans ce sous-marin
Les voilà en train de descendre le plus profond possible. En général, le passage obligé de la scène où l'on descend trop profond intervient très tard, puisque c'est le climax de l'effet de claustrophobie.
Là, minuit 11, on se laisse déjà couler.
La vérité c'est qu'il
fait probablement aussi chaud chez moi qu'à l'intérieur de leur bon
dieu de sous-marin
Bon, soyons honnêtes :
5 heures, c'est la durée d'une série. C'est un peu comme si j'avais
l'intention de regarder l'intégralité de la saison 3 de
Californication d'une traite (ne cherchez pas de rapport, vous
ne trouverez pas). D'où ce fonctionnement de série : tous les
personnages ont droit à leur scène, à leur développement
personnel.
Très efficace, le plan
en contre-plongée du sous-marin qui vient de plonger, justement. On
voit la surface vue d'en-dessous défiler au-dessus de l'écoutille.
Véritable sensation d'immersion. Minuit 25.
Scène de
quinze plombes où ils déchiffrent un message en morse... Qui
finalement n'est pas pour eux. Je sens venir l'expérience physique,
là. La nuit sera longue.
Une voix off à la
Désert des Tartares. « L'océan, rien que l'océan... »
De la sueur et du fer.
Tout est là. Das Boot, c'est l'huile lubrifiante des machines
devenue transpiration du métal. Même chose sur ces hommes-robots
huilés, dégoulinants, poisseux, le cœur battant d'inquiétude
comme des pistons surexcités.
Quelque chose sur les
yeux, aussi. Que regardent les yeux dans un endroit aussi clos ? Absence de reflet dans les yeux, quintessence du terne. Ce qui sublime cela : la fatigue.
Das Boot aurait
été splendide en numérique. Très souvent les plans sont découpés
en carrés de couleur. Lumière rouge d'un côté, bleue de l'autre,
blanche encore ailleurs... Ils ont dû se donner un mal de chien pour
arriver à obtenir un effet dont Michael Mann se délecte quand il
tourne, par exemple Miami Vice : passer d'une lumière à
une autre dans un mouvement de caméra et laisser la caméra se
débrouiller avec la lumière.
Technique récurrente qui
consiste à montrer le sous-marin de l'extérieur avec la voix off
lyrique, avant d'y plonger à nouveau le spectateur. Comme des
respirations pour l'empêcher de s'habituer à
l'enferment
Minuit 50. Alaaaaarm !
On prend 30 mètres.
c'est Bilbo qui aurait été content |
Je pense au Grand Prix
de Monaco que j'ai regardé dimanche. Toujours les mêmes plans, les
mêmes cadrages, pendant 5 heures. Pour l'instant, dans le
sous-marin, il n'y a pas 50 décors où promener les travellings.
Depuis une heure, les cadrages se suivent et se ressemblent. Mais pas
les plans. Petersen était inspiré. Je ne m'ennuie pas. Le sommeil
regarde le film aussi et me laisse tranquille.
Bientôt une nouvelle
immersion. On est servis. C'est toujours le moment que je préfère.
La caméra reste à l'extérieur. Cette fois-ci, elle s'attarde
un peu après la disparition du vaisseau, sur la mer grise balayée
par la pluie.
Das Boot ou la
métaphore de l'homme qui ne capte pas internet chez lui. Aucun signal radar.
« …
Nichts ? ...»
Le film de sous-marin renvoie aussi toujours à cette peur de la hiérarchie qui peut ordonner ce qu'elle
veut et pourrir les vies.Très universel, ça.
Comme
même la musique au synthé a l'air d'être jouée par une boîte de conserve
(façon Terminator, autre histoire de machine destructrice),
on est surpris quand les choses explosent. L'action est réellement
intrusive, brise l'enfermement quasi-confortable qui s'était établi,
et le calme, et l'attente. La rencontre finale de U-571 avec
un destroyer intervient donc au bout d'une heure et demie dans Das
Boot.
Et bim ! Nouvelle
explosion surprise. Angoisse angoisse, il est 1h11 du matin.
« … Tiefer. »
(plus profond)
« … Tiefer.
Tiefer. »
Sûrement l'un des plus
jolis concerts de grincements du genre. Très sonore, très appliqué.
On sent qu'ils ne cherchent pas à contourner le code, pour
l'instant.
Les yeux écarquillés hors-champ. En 1981, Spielberg était passé par là... (Comme Emmerich, l'autre allemand – mais pas sous-estimé, lui – Petersen n'a jamais été très loin des maîtres hollywoodiens, jamais précurseur, toujours dans le sillage.)
Les yeux écarquillés hors-champ. En 1981, Spielberg était passé par là... (Comme Emmerich, l'autre allemand – mais pas sous-estimé, lui – Petersen n'a jamais été très loin des maîtres hollywoodiens, jamais précurseur, toujours dans le sillage.)
1h43 de film, il est
1h18, fin du premier disque. Très brusque, comme ressortie. Bon.
* * *
Replongeons. Play.
Deux heures de film,
toujours aucun mort. Celui qui a vu En Pleine Tempête
commence à se méfier.
Nouvelle immersion
filmée en contre-plongée. Toujours un moment important. Le plan
dure quelques vraies secondes. Quelques instants de calme.
Rencontre d'un autre
sous-marin en pleine tempête. Échange de signaux. Très belle
scène. Un côté Rencontres du 3e type. On reste sur le
U-Boot des héros, aucun contre-champ.
Ces moments où ça
hurle ALAAAAARM ! Et la caméra surexcitée travellingue comme
une folle vers l'avant du sous-marin, dans le dos des marins qui vont,
courent, se baissent, esquivent les coursives, se planquent à
l'avant et se préparent à plonger. Le tube file autour de
la caméra qui court après les hommes comme un chien heureux de
jouer. Euphorie. Juste
après, bien-sûr, c'est le silence... Et les explosions.
Hurlement métallique
des croiseurs qui sombrent autour du sous-marin. Magnifique.
1H55 du matin. Après
quelques explosions débarque la grande-star du film, à
la lueur de torches spielbergiennes dans l'habitat obscur : le
bruit du sonar...
Il est 2h. Ils sont touchés.
L'eau s'infiltre. Le feu aussi. C'est la merde. La Scheisse.
Je ne sais pas si c'est
répétitif ou quoi. Je l'avais dit : c'est une expérience
physique. Depuis que la tempête a cessé
et que les problèmes de maladie sont finis, on est dans la tension
permanente. En guise de cerise sur le gâteau, nouvelle descente en profondeur. Il suffit de faire sauter un boulon en gros plan pour que tout le monde
soit au taquet. Effectivement ça coûte pas cher et c'est efficace.
Non mais, je dois quand
même vous avouer que je ne suis pas en train de bouffer mon oreiller
sous l'effet de l'angoisse, hein...
L'élément le plus
étouffant dans tout ça reste la musique au synthé. On se sent enfermé au tout début des années 80.
Sadisme incroyable. Ces
mecs sont des souris de laboratoire qu'on torture. Rarement vu un
film aussi long faire autant souffrir ses personnages.
... Et encore un peu de torture psychologique quand ils sont obligés de laisser mourir les rescapés du destroyers qu'ils viennent de couler. Pour l'instant, pas encore trop de disputes entre membres de l'équipage.
... Et encore un peu de torture psychologique quand ils sont obligés de laisser mourir les rescapés du destroyers qu'ils viennent de couler. Pour l'instant, pas encore trop de disputes entre membres de l'équipage.
Il est 2h40. Cela fait
3h que le film a commencé. Il doit en rester deux. Mais pour
l'instant, retour au port.
Vrai fonctionnement de série. Chaque péripétie dure 20 minutes. Là, ça fait un quart-d'heure qu'ils s'approchent des côtes. Pas de musique, juste du suspense. Toujours, l'angoisse ne prend pas, mais je ne m'ennuie pas. Étrange combinaison.
Vrai fonctionnement de série. Chaque péripétie dure 20 minutes. Là, ça fait un quart-d'heure qu'ils s'approchent des côtes. Pas de musique, juste du suspense. Toujours, l'angoisse ne prend pas, mais je ne m'ennuie pas. Étrange combinaison.
Ils vont devoir passer le détroit de Gibraltar. « C'est étroit
comme une vierge. Il va falloir lubrifier notre bateau. » Tout
s'explique. Ces histoire de sous-marins remplis d'hommes, c'est
l'errance du masculin au milieu de l'eau, de l'élément féminin. C'est encore et toujours L'Odyssée, des hommes perdus
errant de femme en femme. Il paraît d'ailleurs que c'est à
Gibraltar que vivait Calpyso qui retient Ulysse pendant 7 ans.
3h05 du matin. 3h30 de
film. On repart en mer, direction Gibraltar. 68e jour en mer...
Du sang pour la première fois (à 3h45
de film, 3h20 du mat') – et raccord du type qui saigne sur
l'écoutille dégoulinant d'eau éclairée par les ampoules rouges,
bien vu, on s'est cru dans Osmosis Jones pendant quelques secondes.
« Verdammt !
Verdammt ! »
Ça est, j'ai trouvé.
Le Capitaine est un sosie de Garrett Hedlund dans Sur la route.
Il s'appelle Jürgen Prochnow et joue aussi dans Le
Patient Anglais (aucun
souvenir).
Et encore une petite
plongée dans le rouge du Tiefenmesser... Le concert de grincement
sur les gros plans des yeux recommence... 210... 220... Les boulons
recommencent à sauter... Fin fond de la nuit pour moi. Fin fond du
détroit de Gibraltar pour eux. Ils ont heurté le sol. Plus de
lumière.
Silence, silence,
silence... Et bim ! Voies d'eau, 5 différentes qui se
déclenchent en même temps.
« Je veux des
rapports d'avaries ! », hurle le capitaine (pardon, pas
capté comment il le disait en allemand)
Très, très longue
scène où ils écopent... Chaleur étouffante dans l'apparte... Hâte
de retrouver la surface...
« Das Wasser musst
raus ! »
Toujours gênant ces
moments dans les films où les personnages échafaudent des plans pas possible à
la McGyver pour résoudre un problème et on est là : « ouais,
ouais, faites ça, ça a l'air bien. » - sans vraiment
comprendre pourquoi c'est si difficile et risqué. Et puis comme
il reste une heure de film je suis convaincu que ça va marcher... (là ils ont échafaudé un plan avec les yeux
noyés d'inquiétude pour évacuer l'eau et remonter à
la surface ; en vrai j'ai pas compris pourquoi ils n'étaient pas
encore asphyxiés et pourquoi les cloisons tiennent, donc je crois tout ce qu'ils disent.)
Un constat que je fais,
là, 3h40 du mat, tandis qu'ils sont tous assis en tailleur au fond de la
Méditerranée à écoper comme des damnés : il n'y a pas une
seule croix gammée dans le film. Les types sont juste des héros. Je
pense au Mecano de la General de Keaton, dont le héros est un
Sudiste, et ça ne changeait rien.
Cette histoire
d'un chef et de ses hommes qu'il conduit à travers une survie
toujours plus difficile, c'est 300. C'est Léonidas aux
Thermopyles.
Musique complètement
extatique quand on refait surface après les 30 minutes passées au
fond... Il est 4h05. Bientôt le finale.
Alors il y a un truc que
je ne comprends pas, mais il est peut-être tard... Ils ont réussi à
remonter du fond de Gibraltar mais ils n'en profitent pas pour
passer ? Ils font demi-tour ? Wtf ?
Ô_Ô Extraordinaire
séquence du bombardement de la rade de La Rochelle, à peine le
sous-marin rentré. 5 minutes de Pearl Harbor. Cela ne demande que 50
figurants, mais le mouvement de foule du groupe à l'approche des
deux avions est grandiose.
J'avais raison de repenser à En pleine tempête...
* * *
Il est 4h20 et je rends l'antenne... Gute nacht.
Camille.
4 commentaires:
Documentaire passionnant, vibrant, génial. Et les lueurs ciné-mythologiques... Je like, ami. Et pas qu'un peu.
D'ailleurs: j'en voudrais d'autres. Merci bien.
Cinéphilie jackass va se développer. Le principe ce sera toujours de live-tweeter des films que les gens ont en général la flemme de regarder. Prochain en date : Il était une fois en Amérique
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Que ces commentaires sont négatifs!
Quelle est la raison d'une telle critique?
Cela respire la jalousie sur la réussite d'un film qui pour moi est intéressant.
Même s'il y a des effets spéciaux cela a au moins le mérite de montrer que la vie dans un U-boat est difficile à vivre, surtout en temps de guerre.
Un membre de ma famille en est mort en 1945 suite à pilonnage par des hydravions décollant d'un bâtiment Français commandé par un américain.
La cible était un sous-marin également Français appelé "La Perle" qui rentrait en surface vers la maison via l'Ecosse.
Malgré les signaux codés convenus et les avertissements des pilotes ce capitaine de frégate a néanmoins donné l'ordre fatal.
Bonsoir
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