« Fuck normal people ! »
Le 7 mai 2012, une réplique pareille change de saveur. Dans Margin Call,
Paul Bettany incarne un trader que le scénario dénude, dont on saura
tout, de sa façon de dilapider ses millions à son cynisme profond, voué à
l’échec. Qu’elle se produise dimanche soir en France ou au générique du
film de Chandor, la chute du riche fait le même bruit. Celui d'une pelle creusant frénétiquement la terre. Kevin Spacey incarne cet autre trader
déchu, tâchant d’enterrer le cadavre de sa chienne comme on cache un
trésor. Les traders ne possèdent rien, leurs richesses servent à nourrir
leurs pulsions d’abord, les impôts ensuite. Au sommet des immeubles,
c’est le vide qui les entoure, embrassé à plusieurs reprises par la
caméra de Chandor. En deux heures celui-ci raconte, sur les conseils de
son père, un ancien du milieu, la première nuit de cette crise qui
dimanche soir permit aux gens normaux de baiser les autres. Le vide est beau, on voudrait s'y jeter ; Margin Call documente moins la folie des traders que le goût humain pour la destruction. On l'appelle aussi égoïsme.
Le 4 mai 2012, quatre sacs contenant les membres tranchés de trois
photographes de presse flottaient dans un canal de Veracruz. La
sauvagerie des trafiquants mexicains est au cœur de Miss Bala, d’Eduardo Naranjo, sorti le même jour que Margin Call, ce mercredi 2 mai d'entre-blockbusters où les distributeurs n'osèrent rien sortir de trop important.
On y suit l’embrigadement forcé d’une poupée à concours de beauté dans
un cartel qui en use tantôt comme camouflet, tantôt comme escort. Miss Bala
vaut d’abord par l’audace de s’attaquer à un sujet aussi brûlant - les
faits dont s’inspire le film datent de 1998 mais la violence
est la même aujourd’hui (enfin, ça s'est peut-être aggravé, j'en sais rien, vous m'avez compris).
Le reste surprend peu. Sobriété exigée,
esquive de tout spectaculaire, notamment dans les fusillades: c’est
exactement la distance qu’il faut – raison pour laquelle on finit quand
même par s’ennuyer. Rien de plus chiant qu'un film sans défaut. Lisez toutes les critiques que vous voudrez : tout le monde félicite la même chose. C'est quand-même le signe d'un film assez creux. Un reportage, quoi.
Le rythme de Miss Bala, tout en plans-séquences virtuoses, mais pas trop, rappelle très exactement celui d’Incassable de Shyamalan, qui lui aussi épousait l’attitude de son personnage principal,
témoin plus qu’agent de sa métamorphose en justicier masqué. Seulement dans Incassable, vous êtes scotché. Là, on en vient à pouvoir prévoir au bout de deux secondes quel plan va virer au plan-séquence.
Alors même que je suis censé être un geek absolu de ce genre de pirouettes, j'avais envie de pioncer. Miss Bala ne conduit à aucune transformation. La caméra engourdie n’est que le reflet de la passivité totale de son héroïne. Margin Call
aussi se déroule comme une idée fixe au milieu d’un coma, dressant les ultimes portraits de
ces traders inquiets soudain de leur disparition prochaine. L’atmosphère
nocturne accentue l’impression de rêve se dégageant de ces yeux
éberlués face aux chiffres, incrédules devant le cauchemar financier
qui s’enclenche. Conciliant l’acuité du journaliste, la quiétude de
l’esthète et la cruauté du satiriste, Margin Call remporte donc l'élection de la plus belle catatonie filmique sortie un mercredi 2 mai 2012.
Camille.
P.S. Un petit rappel. Vous constaterez ici que les libellés (enfin, les "tags") de ce post ne vous permettront pas a priori de retrouver ces films dans la jungle du blog. N'oubliez donc pas la petite case "recherche", en haut à gauche de votre écran. Testez-la tout-de-suite. Tapez le titre de votre film préféré. Vous verrez si on en a parlé ou pas. Attention : hours of endless fun.
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