C'est que le public français n'aurait soi-disant pas compris ce que venait faire un film avec des mains gantées - aussi expressifs soient ces gants - entre le dernier Marvel et le prochain Pixar. Direct-to-dvd pour Kermit, ne passez pas par la case cinéma, ne touchez pas 200 millions de dollars. Choix commercial. Choix logique. Mais parfois, ce qui est logique peut être idiot quand-même. Et inversement. Que faites-vous de la beauté du geste ?
Les Muppets : le retour n'est en effet pas n'importe quel direct-to-dvd estampillé Disney - puisqu'il s'agit en général de suites crasseuses aux grands classiques, de films avec Clochette (conçus pour apprendre aux petites filles à porter des minijupes ; vous avez vu The Sitter ?), ou de purges de type High School Musical.
Le réalisateur du film s'appelle James Bobin. Ce n'est pas grand monde, je vous le concède. Ce n'est pas lui qui compte.
Celui qui compte, c'est Jason Segel, que l'on voit ici aux côtés d'Amy Adams. Jason Segel portait deux films en lui. D'abord, Sans Sarah rien ne va
(Forgetting Sarah Marshall, en vérité), qui est l'une des comédies les plus
géniales de ces 250 dernières années (sortie en 2008), dans laquelle un type
fraîchement largué court retrouver son ex à Hawaï et se retrouve en
plein vaudeville, partagé entre son ex, le nouveau mec de cette dernière (Russell Brand), sa nouvelle conquête (Mila Kunis) et Jonah Hill.
Ce personnage de looser au cœur brisé se retrouvait à un moment donné seul au piano,
en train de chanter le générique des Muppets entre deux sanglots gras...
Scène grotesque, scène grandiose, qui annonçait le goût prononcé de
l'acteur pour ces bonnes vieilles marionnettes. A la fin du film, comme
dans toutes les histoires de rupture, le type se reconstruisait grâce
au travail et retrouvait le cœur à vivre en montant une mise-en-scène de
Dracula en mode muppets, toujours. Et repartait avec Mila Kunis.
Les Muppets, c'était le deuxième film de sa vie. Il ne pouvait pas le rater. Il ne l'a pas raté. Le scénario est de lui et de Nicolas Stoller, le réalisateur de Forgetting Sarah Marshall - et aussi scénariste de l'excellent Yes Man. Vous voyez, James Bobin, finalement, il a surtout le mérite de pas s'être mis en travers du chemin.
(kassdédi TF) |
Imaginez-vous donc un mélange des films de Segel et Stoller, de Blues Brothers - le film raconte comment Kermit remonte le groupe des Muppets pour sauver leur vieux studio -, et de Roger Rabbit - le fait que des marionnettes se promènent dans les rues ne pose problème à personne. Futé, le scénario tire parti de cette suspension d'incrédulité fondamentale : si personne ne s'étonne de rien, c'est parce que tout le monde a conscience d'être dans un film. Les méta-gags pullulent. Lorsqu'il se met à chanter et que les passants commencent à l'accompagner, le héros en a conscience, contrairement aux personnages de comédie musicale qui font comme si rien ne s'était passé après ("I've made my choice, I just sang a whole song about it!"). C'est très drôle, et ça change tout. On finit par avoir envie d'écrire que c'est un film sur le cinéma, c'est dire. Mais on ne l'écrira pas, hein. Restons polis.
Beaucoup de gags, dont certains sont vraiment très cons : les Muppets, c'était d'abord ça, pas toujours très fin. Kermit a en permanence dans le regard un peu de Billy Cristal en train de s'excuser d'avoir fait une blague pourrie lors de sa présentation des Oscars. Ou de Woody Allen gêné par la facilité avec laquelle lui viennent ses traits d'esprit. Le regard de Kermit, ce n'est jamais que deux balles de ping-pong peintes, bien-sûr. Mais ça fera 40 ans en 2016 qu'on y projette absolument tout. Génie des animateurs. Ces poupées sont si incroyablement expressives. In your face, James Cameron..
A là Allen, non ? |
suis pas certain que Kristen Stewart elle-même soit capable d'autant d'expressions, hahah. |
Mince, je suis allé trop vite. J'ai évoqué dans le paragraphe précédent les trois points que je voulais développer. Attendez une seconde.
[flash-back]
Retour sur la particularité de l'humour Muppets, d'abord. Enfant chéri de Segel, le film n'est pas seulement un réservoir d'énormes gags réussis. Il déborde de l'amour que porte l'acteur/scénariste aux personnages de son enfance. On se retrouve du coup avec un mélange assez original de gags potaches au dernier degré, et d'émotion. De sublime n'importe quoi et de sensibilité geek exacerbée - chose que l'on ne trouve pas, par exemple, chez les Monty Python, ou chez Jackass, ou chez, je sais pas, n'importe quel type de comédie séparant bien l'humour de l'émotion. Ici, c'est l'humour qui est émouvant, parce que chaque gag est la madeleine d'une enfance dorée. Chaque connerie, aussi énorme soit-elle, est chargée de nostalgie.
Amy Adams. rhâ lovely |
Retour sur les yeux de Kermit, ensuite. C'est l'autre grande particularité des Muppets, et d'un film entier dont ils sont les héros : leurs yeux NE CLIGNENT PAS. Ça a l'air de rien. Mais l'un des seuls animaux sans paupières, c'est le requin, et si Les Dents de la Mer fait aussi peur par moments, c'est que la marionnette qui jaillit des flots pour bouffer Robert Shaw a l’œil fixe. Dit-il d'un air souligné. Cet œil inexpressif est terrifiant parce qu'il semble receler une idée fixe forcément terrifiante : on ne peut raisonner une chose obsédée. Les Muppets, comme le requin des Dents de la mer, pourraient être ces zombies sans paupières et pourraient franchement refiler les jetons. Or ce n'est pas le cas. Un plan sur une marionnette ne dure jamais trop longtemps : on a finalement l'impression qu'elles clignent des yeux lors du changement de plan, c'est tout.
Mieux : cette absence de paupières, ici, n'est pas sans charme. Plutôt qu'à des zombies, les poupées ressemblent à des rêveurs. A ces gens au regard perdu qui quittent la conversation pour penser à autre chose, et parfois eux-mêmes ne savent pas à quoi. Am I a man or a Muppet ? demande la fameuse chanson du film qui a gagné un Oscar : être un Muppet, ce serait aussi ça, ne pas cligner des yeux, rêver sans cesse, être l'esclave de ses rêveries comme le requin l'est de son idée fixe.
Retour sur James Cameron enfin. C'est attendu, mais le film moque par moment la technologie numérique dont on gave le public - des daubes Disney pour fillettes extraverties à Avatar. La liste des caméos (des apparitions de stars, quoi) des Muppets ne tiendrait pas sur votre bras droit si vous vouliez vous l'y faire tatouer mais il y en a un qui compte plus que les autres, c'est celui de Jack Black.
Il est là pour deux raisons. D'abord, avec ses rôles dans High Fidelity et Rock Academy, il est associé dans l'esprit du public à la mémoire des années 80 et 90. Mais avec son rôle de Carl Denham dans le King Kong de Peter Jackson, il est également associé à l'une des plus énormes superproductions numériques de l'histoire.
(Pour écouter le remix de Nirvana par le quatuor des Muppets, RDV sur la page facebook de Mauvaises Langues) |
Alors, quand les Muppets veulent le kidnapper et qu'il sort de sa loge en combinaison de performance-capture - le truc moulant recouvert de capteurs - c'est une rencontre bien précise qui se produit.
Celle de deux familles de balles de ping-pong.
Celles que l'on utilise pour capter les mouvements des acteurs en combinaison, et les fenêtres de l'âme de Kermit. C'est le producteur Disney qui passe pour un schizo : le finale du film se produit dans un cinéma à côté duquel trône une immense affiche de Cars 2 - officiellement l'une des superproductions numériques les plus pourraves de ces 432 dernières années...
[et là hop, fin du flash-back]
Euh... Bon, je crois que c'était à peu près tout en fait. En général il se passe quelque chose dans les films une fois que le flash-back a rejoint le présent (sauf peut-être dans Pulp Fiction ?)...
Là, bon... Ecoutez, puisque ce post est en vrac de toutes manières, je vais mettre le titre maintenant, qu'en dites-vous.
LES MUPPETS, LE FILM : ÉLOGE DU CHEAP.
Fin.
Kamille
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