31 mai 2010

La visite au musée

Vous aussi vous avez un Picasso, un Modigliani, un Braque, un Matisse et un Léger à revendre ? Permettez-nous alors de très humblement rendre hommage à votre panache - en 12 vignettes tirées de deux scènes de musée dans lesquelles, à défaut de les faire voyager (un peu comme vous), les personnages voyagent dans les tableaux. Suivez le guide !


Nous commençons par la salle 1, La Nuit au Musée 2, de Shawn Levy (2009).

De dos, Amy Adams et Ben Stiller.

... Shawn Levy est le réalisateur de Crazy Night, actuellement à l'affiche. Après Ben Stiller, Seth Rotgen, Robin Williams, Alain Chabat et Hank Azaria, c'est au tour de Steve Carrell et de Tina Fey de passer chez Levy, dont la signature est de laisser aussi libre cours que possible à l'improvisation des comiques qu'il embauche (c'est plus laborieux dans La Nuit au Musée que dans Crazy Night)
... (si vous voulez bien me suivre)

Hasard du calendrier ou astuce des distributeurs, Crazy Night repose sur la même idée que le brillantissime Kick Ass, qui consiste à plonger des anonymes dans des situations de film (d'espionnage, de super-héros), et à les faire échouer. Il y en a un des deux qui s'oublie aussitôt refermé, je vous laisse deviner lequel (par ici s'il-vous-plaît)

Le concept de capture d'écran se heurte à ses limites : dans la scène que vous pouvez admirer, la trouvaille consiste à animer statues et tableaux. Là, tout est fixe, il va falloir imaginer un peu. Ce qui est intéressant, c'est que vous pouvez encore croire à deux statues, aussi solides que les deux personnages, tandis que ceux qui ont vu le film savent qu'il ne s'agit que d'images 3D.
Remarquez surtout, entre les tourtereaux, un morceau des Nymphéas. C'est l'une des meilleures trouvailles du film que d'avoir songé à systématiquement animer les tableaux, même lorsqu'ils n'apparaissent que très furtivement dans le plan. A ce moment-là, vous êtes censés regarder le Penseur de Rodin draguant la Grâce de marbre ; mais vous apercevez aussi, plus ou moins consciemment, le léger mouvement des nénuphars flottant au fond du plan...

Clin d'œil à Jeff Koons... c'est par là... Gag sur le volume, le poids de l'image de synthèse, qui est ici très lourde alors qu'il doit s'agir d'un ballon géant : La Nuit au Musée 2 était censé être le film des acteurs, c'est en réalité celui des animateurs.

Voici enfin, sur votre gauche, le dernier tableau de la salle 1 : un Jackson Pollock, en fond de plan, comme le Monet, et animé. Vous vous demandez comment on anime un Pollock. Bonne question. Les animateurs y apportent une très jolie réponse.

Une dernière chose avant l'entr'acte. Sur le plateau de La Nuit au Musée 2, il n'y avait dans les cadres que des fonds verts, puisqu'un tableau animé, en images de synthèse, était voué à y prendre place. Dans les bonus, Levy évoque avec humour la "green screen period" de l'art moderne {"l'ère du fond vert"}, mais il ne croit pas si bien dire. Souvenez-vous de notre post sur Dorian Gray. Basil Hallward avait beau peindre, le résultat était représenté par une image de synthèse. Green screen period par excellence. Ce qui devait être indicible, beauté ou horreur absolue de l'image, se représente aujourd'hui non plus grâce au pinceau mais à l'ordinateur, auquel on voue une foi totale.

***
(si vous voulez aller aux toilettes, c'est maintenant)

Nous voilà dans la salle 2 : Les Looney Tunes passent à l'action, de Joe Dante (2002). (On ne se moque pas, s'il-vous-plaît).

Vous reconnaissez ici une variation sur les montres molles de Dali. ... Pardon ? Qui est Joe Dante ? - Le réalisateur des deux Gremlins. Voilà. Quelqu'un de plutôt doué, donc. Participe aussi au film de Twilight Zone, avec Landis, Spielberg et Miller, en 1983. En tout cas, des Gremlins aux Toons, vous comprenez le rapport : de petites créatures incontrôlables piratent des artefacts de la culture occidentale. D'où, la présence de toons chez Dali. (vous avez trouvé le rébus au-dessus de leurs têtes ?)
Le tour continue...

... chez Munch (mon préféré). Même problème que pour Dorian Gray et Pollock : comment animer des tableaux dont la force et la complexité reposent justement sur l'indicibilité, la fixité, le silence ? Ici la réponse est basique, hein. On n'entend jamais qu'un cri chiant. Les Looney Tunes est un nanar et fut un bide, je vous rassure. On sent cependant percer la colère du réalisateur vis-à-vis des studios lorsque, après le générique de fin, un pirate se prend un bâton de dynamite dans la figure en lieu et place du jackpot qu'il s'attendait à recevoir.
Le film est mauvais, mais cette scène au Louvre est vraiment chouette. C'est comme ça.
Si vous voulez bien vous retourner :

Whistler au fond, Bosch au milieu, et devant... pfft (je débute, hein)

Un détour chez les pointillistes - Seurat ou Signac, en fait... -, prétexte à quelques bonnes trouvailles (les animateurs restent ceux qui se font le plus plaisir dans ce genre de situations)


BANG
(ce n'est peut-être pas très clair sans l'onomatopée, si ?)
- un dernier mot sur Joe Dante : il a tourné The Hole, qui devrait sortir en France courant 2010. Pourquoi c'est intéressant ? Parce que ce sera le prochain film en 3D stéréoscopique. Comprenez : non pas en 3D à l'arrache comme Alice ou Le Choc des Titans, mais en 3D façon Avatar. D'où un certain intérêt qu'on pourrait lui porter...

Bien ! La visite est finie. Mauvaises Langues vous remercie pour votre attention, et vous invite à revenir au prochain hommage à notre actualité brûlante ! (pour les pourboires, rendez-vous dans la case des commentaires)


Camille






22 mai 2010

L'Arnacoeur

Film jetable ? Un peu. Tout le monde en disait du bien il y a deux mois, il aura bien fallu finir par s’expliquer le phénomène. Pascal Chaumeil, dont c’est le premier film (c’est un poulain Besson : il a été assistant réal ou chef de 2nde équipe sur Léon, Le Cinquième Elément et Jeanne d’Arc), propose une comédie romantique à l’anglo-saxonne tout en faisant reposer son scénario sur un jeu de masques qui lui permet de flotter à la surface du plaisant, sans couler dans les fosses de la comédie facile et bête. Fosses qu’il tutoie par moments, lors de quelques scènes où le comique télé – numéro de Chouchou et Loulou entre les deux sidekicks de Duris, pugilat contre le gros serbe patibulaire…- semble avoir dégoûté Chaumeil à tel point qu’on se demande soudain s’il ne s’agit pas d’une farce, d’un bug dans la pellicule, ou d’un moment suédé (suédé, comme dans Soyez sympas rembobinez). L’histoire, vous la connaissez : Duris est un briseur de couple professionnel (« misère du cinéma-pitch », héhé). Voilà voilà. Et il doit briser le couple d’une fille dont il tombe amoureux. Voilà voilà.


Les bonnes scènes de L’Arnacœur sont moins génératrices de beauf que tout Adèle Blanc-Sec. La séquence pré-générique, parodie du Patient Anglais, est assez réussie. C'est du comique mécanique, sans les engrenages compliqués de l’intrigue. On y jette une colombe fatiguée qui préfère se crasher dans le sable au lieu de voler (mon gag préféré). L’emploi de la musique fait penser à celui de (500) Jours Ensemble : elle a été choisie par le personnage con qui est à l’écran, et acceptée par le réalisateur avec un rire sarcastique. Evidemment, c’est comme Kick Ass : un genre est parodié (le film de super-héros, la comédie romantique), mais il faut bien, à la fin, se résoudre à donner au public ce qu’il est venu voir : un film de super-héros ; une comédie romantique. Un jet-pack et des mitrailleuses ; une mariée qui s’enfuit et un bisou. Alors Chaumeil surjoue sa soumission au genre, et restitue la scène de danse de Dirty Dancing jusqu’au bout : Duris soulève Paradis au-dessus de lui, sans répétition, sans rien, waouh. La scène profite de l’ambiguïté du personnage : Dirty Dancing, lui, il trouve ça pourrave. Cette danse, c’est la honte. Il ne s’y plie que pour gagner du fric et ne pas se faire casser la gueule par ceux à qui il doit de l’argent. C’est un mec qui travaille, exactement comme Chaumeil, qui travaille alors à livrer au public ce qu’il attend : du tartignolle, du mignon.


Il rattrape plutôt bien le coup à la fin, quand Duris fait sa déclaration d’amour à Paradis en expliquant qu’il déteste tout ce qu’elle aime. Je suis nul, mais divertissant, aime-moi. L’objectif du film est assez simple : arranger un coup à tous les artistes de la planète. Que toutes les filles, superficielles (façon Helena Noguerra, qui n’est jamais aussi drôle que quand elle se fait assommer) autant qu’intéressantes se retrouvent au lit non pas avec les premiers de la promotion, mais avec les fuck-ups à la Duris - pas complètement fuck-up en vérité : il a quelques rudiments GQ, il sait repasser ses chemises. C’est ce qu’il dit au début : « on est des artistes ». Le film répète à l’envi que ces mecs-là ne sont pas chiants. Le malheur, c'est l'ennui. Ce qu’il ne dit pas, en revanche, constitue la vraie arnaque de L’Arnacœur : elle vend Romain Duris en lieu et place de tous les artistes fauchés du monde (qui ne savent même pas repasser leurs chemises, eh non).



Camille

16 mai 2010

Hot shots (mai 2010)

Quelques mots sur les dernières toiles...

FROID : La Comtesse, de Julie Delpy.

Julie Delpy, la glace sans le feu

Qui trop embrasse, mal étreint. La réalisation, la production, le scénario, la musique, le rôle principal : Julie Deply est partout, et pas toujours à bon escient. Sa musique est correcte, sa mise en scène dirigée d'une main de fer, son jeu d'une justesse d'autant plus frappante que celui de Daniel Brühl, excellent chez Tarantino, reste d'une fadeur agaçante. Cela reste bien fait, pourtant : belle lumière, scénario sans fioritures. On s'ennuie. Incapable d'asseoir sa tyrannie sur une idée vraie, Delpy nous donne à voir le film que tout le monde s'attend à voir sur Bathory. Il est difficile, sublime parfois, de peindre un monstre avec un pinceau mesuré. Mais, sous couvert de refuser l'excès, Delpy renonce surtout à prendre des risques. Presque pas de sang, sinon dans une fin aux allures de Coppola délavé, presque pas de chair. C'est peut-être juste. Mais de suggestion en désincarnation s'étiole inévitablement, et c'est dommage, ce peu de poésie que nous venions chercher, à défaut de sang.

TIEDE + : Iron Man 2, de Jon Favreau.

Tony Stark dans le donut géant d'Homer Simpson : what else ?

Voilà ce qui arrive quand on fait une suite en resservant au public ce dont il s'est déjà délecté. A trop vouloir doper les qualités d'un premier volet excellent, Favreau finirait presque par nous énerver. C'est comme les muscles. Stallone dans le premier Rocky, c'est frais, c'est ferme, c'est viril. Dans Rambo, post-surgonflette et/ou substances illicites, ça fait quand même un peu peur.
Ne crachons pas sur la soupe, Iron 2 se laisse regarder : quelques fautes de goût grossières (la séquence psy "j'affronte mes vieux démons/ mon père", complètement hors propos), un traitement inégal de l'image (même si l'animation de l'armure est toujours un bonheur), mais un trio d'acteurs solide, avec suffisamment de culot pour assumer non sans panache le bon et le mauvais. Rourke, dans un rôle de méchant pas original du tout, pousse dans le cliché avec un sans-gêne qui tournerait presque à la classe. Downey Junior est toujours cabochard comme personne : c'est un genre, il faut aimer. Et Gwyneth Paltrow, oui, Gwyneth Paltrow, retrouve pour la seconde fois en Pepper Potts l'un de ses meilleurs avatars : coincée, crispée, franchement mignonne. Il en manque une, me direz-vous, si vous avez vu la bande-annonce. Moi aussi, j'avais vu la bande annonce, et je vous le confirme : contrairement à ce qu'il nous avait dit, Favreau a réussi le prodige de ne faire venir sur le plateau que le postérieur de Scarlett. Le reste, pas vu.
Alors, entre les répliques-qui-tuent plus ou moins réchauffées (mais il en reste de très très bonnes), le scénario rustique, les grosses ficelles en tous genres, délires pyrotechniques et postérieurs avantageux, Favreau est-il plouc ou puissamment désinvolte ? C'est toute la question.

TIEDE ++ : Green Zone, de Paul Greengrass.

Ceci n'est pas un agent secret

Un film de plus sur la guerre, un film de plus sur l'Irak. Ca bouge beaucoup au début et à la fin, et au milieu, ça parle. Le message est clair : Matt Damon a beau être la tête d'affiche, les tribulations de Jason Bourne sont loin. Green Zone n'a ni la maestria de La chute du Faucon noir (Ridley Scott, 2002), ni la virulence du diptyque Outrages/ Redacted (Brian De Palma, 1989 & 2007), ni les grandes scènes de guérilla urbaine de Blood Diamond (Edward Zwick, 2006) ou Démineurs (Kathryn Bigelow, 2009). Alors ? Il y a toujours, et ce n'est pas rien, la touche Greengrass, identifiable en quelques plans : cette image jamais fixe, ce cadre sans cesse refait, comme par un œil frénétiquement curieux, jamais las de chercher ce qui doit être vu. Ce grain qui tend parfois à la noyade dans les pixels. Mention spéciale pour la scène de course-poursuite nocturne, dans laquelle on ne voit rien, dans laquelle on voit tout. Cet homme doit tuer plusieurs cameramen à chaque tournage. Cet homme est fou. Mais il a l'œil.

CHAUD (!) : Robin des Bois, de Ridley Scott.

Il n'y a rien à faire, j'aime beaucoup Russell Crowe.

Oh, comme ils sont méchants. J'en entends des vertes et des pas mûres sur ce Robin des Bois qui m'a fait passer, ma foi, un très bon moment. Je vous l'accorde, le casting aurait pu être plus inspiré : on a déjà vu Russell Crowe dans ce rôle, et on aurait aimé, pour une fois, un Robin des Bois ambigu, voleur autant voire plus que roi. Blanchett fait Blanchett, Seydoux aurait mérité un vrai rôle ou une coupure au montage, Mark Strong monopolise décidément l'emploi du mec qui, ne servant à rien, peut être mis partout. Aucune personnalité, aucune profondeur : c'est Le Méchant. Cependant, sa dernière seconde à l'écran rattrape tout le reste. Et puis la musique, très correcte, n'a vraiment rien d'exceptionnel : une sorte d'avatar de Zimmer sans son gimmick noire-pointée-noire-pointée-trois-croches-deux-doubles.
CEPENDANT Ridley Scott sait toujours filmer des batailles comme personne, et ne filme jamais deux fois la même, si vous ouvrez les yeux. Non, les batailles en forêt ne sont pas celles de Gladiator : voilà un réalisateur qui réinvente sans cesse son rapport à la caméra, sans rien perdre de ses qualités de rythme, galvanisant sans jamais donner la migraine. La grande bataille de fin sur la plage est une merveille du genre. Ajoutez à cela un scénario intelligent, qui a le mérite notable de ne pas suivre l'histoire-telle-que-tout-le-monde-la-connaît, et l'ambition de jouer sur tous les tableaux, donnant enfin à l'Histoire la priorité sur la romance, qui avait déjà fait subir à Robin le désastre que l'on sait.
Enfin, et au risque de passer pour ce que je ne suis pas, je trouve reposant de pouvoir encore compter sur des cinéastes qui savent toujours faire un film sans montrer de seins et noyer le tout de sauce hémoglobine. Et je persiste à croire que c'est l'une des raisons majeures de son bide cannois auprès d'un public antéchristophile.

BOUILLANT : Kick-Ass, de Matthew Vaughn.

Everybody wants to marry Chloe Moretz

L'ultime dégénérescence de Superman, version crasse de l'excellent Watchmen (Zack Snyder, 2009), est un délice de tous les instants. Une belle brochette d'acteurs inconnus pour la plupart (exception faite d'un Cage des très bons jours, et d'un... Mark Strong absolument et complètement égal à lui-même - voir plus haut), de vraies scènes d'action, des rafales de références à l'univers des Comics mais également du grand cinéma d'action (Chloé Moretz en mini-Trinity dans la dernière baston, ça vaut le détour), donc un film de geeks, oui, mais pas seulement, des dialogues acérés, une violence entre fou rire et gloups, un humour défrisant jusqu'à n'être presque plus drôle, même au vingtième degré. L'anglais achève de massacrer le super-héros américain avec une vivacité et une intelligence aussi dérangeantes que virtuoses : ça secoue les tripes et les neurones, ça se déguste et se redéguste sans faim (demandez à Elise), c'est délicieux, vraiment.

Noémie.

13 mai 2010

Grandeur et décadence de Jan de Bont

C'est l'Ascension et je me suis levé trop tôt.


Speed
est le premier film de Jan de Bont, l'autre hollandais d'Hollywood, avec Paul Verhoeven. Cependant, contrairement à Verhoeven, on peut dire sans trop se tromper que de Bont s'est planté.
Imaginez.
Vous avez 22 ans et vous entrez dans le métier, comme chef op'. 16 ans plus tard, après avoir travaillé plusieurs fois pour Verhoeven, notamment sur un de ses chefs-d'oeuvre (Turkish Delights), c'est un bingo ! Vous débarquez à Hollywood. Maintenant, vous avez 38 ans.
Vous savez vous y prendre. Votre travaillerez pour votre ami Verhoeven jusqu'à créer les lumière bleues de l'interrogatoire de Sharon Stone dans Basic Instinct. Oui, ça, c'est de vous. Entre temps, vous avez travaillé pour les ZAZ (tous les Y a-t-il... ?) mais aussi pour Ridley Scott (Black Rain, pas impérissable), et surtout, surtout, pour deux maîtres des films d'action made in 80's : Richard Donner (L'Arme Fatale 3, celui avec René Russo) et... John Mac Tiernan : Piège de Cristal et A la Poursuite d'Octobre Rouge.
La moindre ampoule, dans tous ces films, c'est vous. Vous avez passé des heures à fréquenter ces types. Vous étiez là quand Bruce Willis réinventait l'action urbaine pied nus, en marcel, seul flic en charge d'un groupe d'otages en proie à l'instable alchimie de la panique.
A 50 piges, c'est encore un bingo ! Vous hésitiez à passer à la réalisation, et puis, voilà. Il y a quelque chose de familier dans cette histoire de flic seul avec un groupe d'otages, à l'intérieur d'un bus aux mains d'un fou cupide et cruel. Speed, c'est Piège de Cristal, sur quatre roues. Vous vous dites que ça ne vous fait pas peur.

Avoir regardé les maîtres du film d'action vous donne une bonne inspiration. Il faut du courage pour sortir un film la même année que True Lies, avec lequel James Cameron voulait river leur clou aux films d'action des années 80, justement. Et vous pouvez être content de votre coup : deux ans plus tard, Brian de Palma lui-même, pour Mission : Impossible, vous piquera quelques images. Keanu Reeves descendant en silence, tête la première, dans une cage d'ascenseur ; Keanu Reeves se battant à coups de pied, agrippé au toit d'un train... contre un Dennis Hopper qui ressemble à s'y méprendre au Jon Voight de Mission : Impossible...
Pour son premier film, de Bont ne manque pas d'ambition. Il met à l'écran deux symboles du Nouvel Hollywood des années 70 : Dennis Hopper réalisa en 1969 Easy Rider ; tandis que Jeff Daniels (le co-équipier de Keanu Reeves) était la star de La Dernière Séance, de Peter Bogdanovitch, sorti en 1971. Deux premiers films, deux chefs-d'œuvre. Quant à cette caméra qui poursuit sans cesse de lourds véhicules lancés à pleine vitesse et ne pouvant s'arrêter, c'est bien Duel, premier film de Spielberg sorti en 1972, la référence.


Speed
est un succès. Il reprend à la fois les vieux trucs des années 80 (la musique de Terminator, le marcel de Bruce Willis), et annonce la suite : de Palma et son Mission : Impossible, Mac Tiernan et sa Journée en Enfer. J'ai même pensé à Démineurs. Mais oui : Keanu Reeves avait été choisi pour Speed après Point Break, de Katryn Bigelow. Et chez de Bont, quel est le rôle de Reeves ? Désamorcer des bombes.

En revanche, vu en 2010, Speed a sacrément vieilli. Voir Hopper se vanter d'être le mec avec un plan, c'est tout mignon depuis qu'on a vu le Joker, dans Dark Knight, se vanter d'être précisément celui qui n'a pas de plan. En 1994, on avait trop peur de ce terrorisme absurde qu'incarnèrent plus tard les kamikazes du 11-Septembre et le Joker. On avait besoin de méchants prévisibles. Et puisqu'on parle de terrorisme : il y a une belle trilogie du métro qui déraille constituée de Speed, d'Une Journée en Enfer et de Prédictions. Une maquette dans le premier, un wagon grandeur nature dans le second, une image de synthèse dans le dernier.
Speed permet aussi de se rendre compte du génie de JJ Abrams. Voyez Mission : Impossible 3 et Star Trek : ça, ce sont des films vraiment speed... En comparaison, notre film de bus est assez pépère : on y prend le temps de discuter, de se lancer des vannes, de se féliciter.

Vous avez 52 ans et votre premier film est un carton. Une nouvelle vie peut commencer : celle d'un big-shot d'Hollywood. Spielberg, qui a été séduit par vos œillades à Duel, vous prend sous son aile et produit Twister, le plus beau film d'orages de l'histoire et merveille de psychologisme en film catastrophe. Vous y faites bosser Bill Paxton, poulain de James Cameron. Vous vous y croyez.


Et puis, Speed 2 se ramasse. Vous regrettez. Pour vous refaire, vous travaillez à nouveau pour Spielberg : c'est Hantise, avec Liam Neeson et Catherine Zeta-Jones. Les chérubins en bois animé, les rideaux de synthèse et les statues qui prennent vie, font un film très joli, et un bide. Le psychologisme, ici, était mal joué. Nouvelle tentative dans l'autre direction, alors, maintenant que Spielberg vous a lâché : vous refaites une suite. Celle de Tomb Raider : Tomb Raider et le Berceau de la Vie. Qui se plante. Enfin, pour ceux qui voudraient revoir Gerard Butler faire autre chose que le macho dans les comédies romantiques, ça peut toujours servir.

Grandeur et décadence de Jan de Bont. Depuis Tomb Raider, plus rien. Juste cet article, ici, chez nous, sur Mauvaises Langues... Bah, c'est déjà pas mal, non ?


Camille

5 mai 2010

Le comédien sans visage

Lundi soir, Palais de Chaillot. Huit chaises au bord d'une scène déserte, violemment éclairée. Moins qu'une scène : des planches, des planches sales, mitées de marquages au scotch. La poussière tombant en silence depuis les hauteurs des cintres. Le public de Chaillot, mélange de raideurs nanties et de jeunes curiosités. Des yeux blasés, des yeux ouverts. Rien d'autre devant ces yeux que ces planches sales, ces huit chaises.

Lorsque la lumière s'éteint, les yeux se tournent vers la silhouette blanche qu'un long faisceau venu du fond de la salle a fait surgir, tout à droite de l'avant-scène. Et dans le noir, la voix s'étend, déchirante dans sa pureté, cette voix vibrante dont on sait à jamais les couleurs singulières, même lorsqu'on ne l'a entendue qu'une seule fois. Je ne sais plus ce que cette voix disait : je suis restée saisie, retenue loin du temps vers cette présence soudaine, dans le noir de la scène vide. Emotion puissante que celle-là, quasi mystique, capable de vous faire oublier pour une seconde que la haute silhouette sans visage n'est qu'un oripeau de théâtre, l'inoubliable costume blanc du Prince de Hombourg.

La voix s'éteint, silence. Dans la laideur des lumières revenues, les gorges se dénouent, les dos un instant courbés se redressent. Un monsieur entre sur scène, quelques feuilles à la main, nous accueille pas trop formellement, oublie de lire ses notes, se répète. A sa manière, il donne le ton de cette soirée où tous s'égareront à leur tour sur cette scène vide, revenant avec une maladresse obstinée vers les mêmes mots : pureté, exception, présence. Extraordinaire, rare, élégant, passionné, engagé, romantique, unique et beau. Entre ces mots rêvant de pouvoir dire la chose, l'éternel retour du nom qui leur donne un sens : Gérard Philipe.

Toute la soirée, de témoignages en archives, d'anecdotes en panégyriques, ceux qui l'ont connu voudront nous dire cet homme qui changea pour toujours le visage du théâtre français. Je pourrais vous donner leurs noms, et ces noms sont illustres : Pierre Santini, Micheline Presle, Gina Lollobrigida... Mais ce soir-là, les noms ne veulent rien dire. Ces hommes, ces femmes surtout, petits et timides sur la scène, échoueront l'un après l'autre à rendre au comédien ses traits. Si grands que soient leurs mots, ils n'effleurent même pas cette joie écrasante que la voix seule du comédien suffit à rappeler encore et encore, et qui vous gonfle terriblement le coeur. Pierre Santini radote, se lance dans des développements interminables sur l'engagement, le socialisme étincelant du temps jadis, la grande histoire du TNP. Les dames s'échangent des anecdotes comme dans un salon de thé, s'égarent en hyperboles, se taisent, gênées de ne pouvoir dire ce qu'elles ont dans le coeur. Gina Lollobrigida, robe rouge, escarpins rouges, gants rouges, la démarche hasardeuse, oublie Gérard Philipe et son français avec, raconte dans un automatisme un peu triste une anecdote éculée sur son "nom difficile". La scène s'éteint à nouveau. Deux tables à gauche de la scène, deux faisceaux, deux lecteurs infiniment trop longs qui, brassant avec une emphase mécanique la correspondance de Philipe et de Vilar, semblent attendre Gérard comme on attend Godot.

Nous attendons Gérard. Miraculeusement dans sa voix seule, anciennement nôtre sur le noir et blanc des films documentaires, souriant dans l'ombre des coulisses d'entendre ces dignes vieilles dames confesser à demi-mot qu'elles étaient folles de lui, Gérard semble pourtant tourner les talons lorsque s'aligne sur les planches une poignée d'acteurs armés de documents d'époque, lettres de combats de Philipe l'engagé, qu'ils liront avec la conviction hautaine de ceux qui croient avoir parole d'évangile, comme s'il suffisait, à Chaillot ou ailleurs, de tenir des propos de gauche sur une scène de théâtre pour gagner la vie éternelle aux intermittents du spectacle . Et le public de Chaillot, la vieillesse nantie plus fort que tous les autres, de rire aux pointes anciennes de l'acteur écrivant, pour se racheter à peu de frais une bonne conscience. Homme de l'absolu, engagé tout entier dans la cause, Gérard Philipe blanchit alors de son absence la scène médiocre du Palais de Chaillot, lui qui savait si bien que rien de grand ne peut être gagné par la hargne, ni même par les mots seulement : toujours par le coeur.

Cherchant désespérément, dans le costume du Prince de Hombourg, le visage du comédien, c'est finalement son cœur qui nous est livré par bribes, entièrement, avec le cœur de ceux qui l'ont aimé. Tout à l'heure, perdue dans une évocation trop pâle de l'homme, l'une des vieilles dames a fini par s'écrier en levant les mains au ciel : "Je suis toujours amoureuse de Gérard Philipe !" Et toutes les vieilles dames de se pencher vers elle, au centre de la ligne de chaises, le sourire revenu sur les lèvres : celle-là avait tout dit.

A l'avant-scène, le costume blanc du Prince de Hombourg brille sous le long faisceau d'un éclat mystique comme cette lueur rouge qui, dans les églises, est le signe de la Présence Réelle. La scène est vide à nouveau. S'avance alors une jeune femme blonde aux cheveux courts, qui, d'une voix ferme et douce invite élégamment ces dames à revenir. C'est Anne-Marie, la fille de Gérard. Avec des mots d'une simplicité désarmante, elle nous dit avoir "trouvé beau" que celles qui l'ont connu et aimé prêtent leur voix à celle qui l'a connu et aimé plus fort que toutes les autres : Anne Philipe, l'épouse du comédien. A tour de rôle, les vieilles dames liront des extraits du livre écrit par cette dernière après la mort prématurée de Gérard, Le temps d'un soupir. Et tandis qu'elles trouvent enfin les mots, je les perds, et n'ai plus qu'à vous dire que j'ai rarement entendu, sur scène ou ailleurs, quelque chose d'aussi fort et d'aussi beau que ce texte-là. Lundi soir à Chaillot, j'ai entendu parler l'amour, dans la pureté absolue de son exaltation, dans la tristesse horrible de l'absence. Je l'ai entendu crier, lorsque la voix de la dernière des dames, debout face au public éperdu, se brisa et mourut de la violence de son désir : Te revoir !

Silence. Et je ne sais rien de plus sur Gérard Philipe, sinon qu'il ne pouvait avoir son pareil sur la terre, l'homme capable d'inspirer cet amour-là.


Noémie.

2 mai 2010

The Motion Picture of Dorian Gray

Dorian Gray, d'Oliver Parker.
Direct-to-dvd inédit en France. Valmont, Tyler Durden, Al Pacino, un peu de L'Homme sans Age et de Dracula : Dorian Gray est une belle surprise.














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